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O U S P E N S K Y |
Piotr Demianovitch Ouspensky
Fragments d'un enseignement inconnuPhilosophe platonicien, mathématicien, il est l'auteur vers 1910 d'un ouvrage (que Gurdjieff lira en 1912) Tertium Organum : «J’ai appelé ce système de logique supérieure le Tertium Organum, car il est pour nous le troisième canon, le troisième instrument, de la pensée depuis ceux d’Aristote et de Bacon. Le premier a été l’Organon, le second le Novum Organum, mais le troisième existait déjà avant le premier», sur ce site un peu extrême on trouve une traduction partielle. En quête du "miraculeux" il cherche en orient une connaissance, une école qui explique les rapports de l'homme à l'univers, il rencontre et devient l'élève de Gurdjieff en 1915, en 1922 c'est la rupture qui fut précédé par une mésentente conjugale chez les Ouspensky.
Dans les Fragments il rend compte minutieusement de l'enseignement qu'il reçut de G., à tel point qu'après l'avoir lu Gurdjieff donna immédiatement son approbation à sa parution alors que la brouille était ancienne et irréductible. Il recense tout l'échafaudage théorique, il rend compréhensible les concepts gurdjievins, les hommes sont des machines, il n'y a rien d'accidentel dans l'art véritable, l'acquisition de la connaissance, la définition des quatre corps selon Gurdjieff, la quatrième voie ou la voie de l'homme rusé, l'absence d'unité en l'homme ou l'illusion à l'égard du Moi, où se situe l'homme dans le monde, racine de tous les anciens systèmes les trois forces (guna), le rayon de création et les différents degrés de matérialité, les 4 aspects (carbone, oxygène, azote, hydrogène), le rappel de soi pour s'éveiller, la Loi d'octave découle du principe de discontinuité des vibrations, les états de la conscience, les tampons qui sont des obstacles au développement intérieur, la notion de bien et de mal, les cosmos et les lois qui les gouvernent, sa vision très personnelle de Kundalini, le bâillement et le rire ou la gestion de l'énergie, la nécessité ou non de l'abstinence sexuelle, le "miracle" vécu par Ouspensky lors d'échanges télépathiques avec G., le silence des adeptes de G., le sacrifice du renoncement à sa souffrance, l'objectif et le subjectif suivant le sens spécial que leur donne G., les symboles qui doivent êtres vécus, l'ennéagramme qu'il définit comme un symbole universel, l'origine de l'église chrétienne se trouve dans l'Égypte préhistorique, l'évolution planétaire, les définitions des cercles de l'humanité, le changement complet d'apparence ou la transformation de G., l'extraordinaire intensité dans le travail du premier séjour à Essentuki, un exercice essentiel le stop.
Brouille conjugale
août 1921
Manifestement, l'auteur du Tertium Organum ne pouvait plus exister dans l'ombre
de Gurdjieff - pas plus, si du moins il pouvait la convaincre, que Mme Ouspensky !
Ledit Ouspensky possédait un esprit d'une singulière lucidité. S'il n'avait pas
cherché à convaincre sa femme trois mois durant à Prinkipo, peut-être l'eût-il
gardée. Mais, derrière les remparts de sa citadelle obscurantiste, Sophie
Grigorievna repoussa les attaques menées par la logique supérieure de son époux :
Je ne prétends pas comprendre Georges Ivanovitch. Pour moi il est Monsieur X.
Tout ce que je sais, c'est qu'il est mon maître - et qu'il n'est pas juste à mes
yeux de le juger, pas plus qu'il ne m'est nécessaire de le comprendre. Nul ne
sait qui est le vrai Georges Ivanovitch, car il se cache de nous tous. Tenter de
le connaître est chose vaine, et je refuse de participer à toute discussion sur
le sujet.
Lorsque Ouspensky partit finalement pour Londres un jour d'août 1921, il était
seul; Mme Ouspensky et toute sa famille demeuraient obstinément fidèles au
maître.
p38 - Je vous demande de comprendre ce que je dis. Regardez ! tous ces gens
que vous voyez - il désignait la rue - sont simplement des machines, rien de
plus.
- Je crois comprendre ce que vous voulez dire. Et j'ai souvent pensé combien
sont peu nombreux dans le monde ceux qui peuvent résister à cette forme de
mécanisation et choisir leur propre voie.
- C'est là justement votre plus grave erreur ! dit G. Vous pensez que quelque
chose peut choisir sa propre voie ou résister à la mécanisation; vous pensez que
tout n'est pas également mécanique.
- Mais bien sûr ! m'écriai-Je. L'art, la poésie, la pensée sont des phénomènes
d'un tout autre ordre.
- Exactement du même ordre. Ces activités sont exactement aussi mécaniques que
toutes les autres. Les hommes sont des machines, et de la part de machines on ne
saurait attendre rien d'autre que des actions machinales.
- Très bien, lui dis-je, mais n'y a-t-il pas des gens qui ne sont pas des
machines ?
- Il se peut qu'il y en ait, dit G. Mais vous ne pouvez pas les voir. Vous ne
les connaissez pas. Voilà ce que je veux vous faire comprendre.
J'estimais plutôt étrange qu'il insistât tellement sur ce point. Ce qu'il disait
me paraissait évident et incontestable. Cependant, je n'avais jamais aimé les
métaphores en deux mots, qui prétendent tout dire. Elles omettent toujours les
différences. Or, j'avais toujours maintenu que les différences sont ce qui
importe le plus et que, pour comprendre les choses, il fallait avant tout
considérer les points où elles diffèrent. Il me semblait bizarre, par conséquent,
que G. insistât tellement sur une vérité qui me semblait indéniable, à cette
condition toutefois de n'en pas faire un absolu, et de reconnaître des
exceptions.
- Les gens se ressemblent si peu, dis-je. J'estime impossible de les mettre tous
dans le même sac. Il y a des sauvages, il y a des gens mécanisés, il y a des
intellectuels, il y a des génies.
- Rien de plus exact, dit G. Les gens sont très différents, mais la réelle
différence entre les gens, vous ne la connaissez pas et vous ne pouvez pas la
voir. Vous parlez de différences qui, simplement, n'existent pas. Ceci doit être
compris. Tous ces gens que vous voyez, que vous connaissez, qu'il peut vous
arriver de connaître, sont des machines, de véritables machines travaillant
seulement sous la pression des influences extérieures, comme vous l'avez dit
vous-même. Machines ils sont nés, et machines ils mourront. Que viennent faire
ici les sauvages et les intellectuels ? Maintenant même, à cet instant précis,
tandis que nous parlons, plusieurs millions de machines s'efforcent de
s'anéantir les unes les autres. En quoi diffèrent-elles donc ? Où sont les
sauvages, et où les intellectuels ? Tous les mêmes...
« Mais il est possible de cesser d'être une machine. C'est à cela que vous
devriez penser et non point aux différentes sortes de machines. Bien sûr, les
machines diffèrent : une automobile est une machine, un gramophone est une
machine et un fusil est une machine. Mais qu'est-ce que cela change ? C'est la
même chose - ce sont toujours des machines. » [...]
[...]
- Un homme peut-il cesser d'être une machine ?
- Ah ! c'est toute la question, dit G. Si vous en aviez posé plus souvent de
pareilles, peut-être nos conversations auraient-elles pu nous mener quelque
part. Oui, il est possible de cesser d'être une machine, mais pour cela, il
faut avant tout connaître la machine. Une machine, une machine réelle, ne se
connaît pas elle-même et elle ne peut pas se connaître. Quand une machine se
connaît, elle a cessé dès cet instant d'être une machine; du moins n'est-elle
plus la même machine qu'auparavant. Elle commence déjà d'être responsable pour
ses actions.
- Cela signifie, selon vous, qu'un homme n'est pas responsable de ses actions ?
- Un homme - il souligna ce mot - est responsable. Une machine n'est pas
responsable.
p50 - «Dans l'art véritable, au contraire, rien n'est accidentel. Tout est
mathématique. Tout peut être calculé, et prévu d'avance. L'artiste sait et
comprend le message qu'il veut transmettre, et son œuvre ne peut pas produire
une certaine impression sur un homme et une impression toute différente sur un
autre - à condition, naturellement, de prendre des personnes d'un même niveau.
Son œuvre produira toujours, avec une certitude mathématique, la même impression.
« Cependant, la même œuvre d'art produira des effets différents sur des hommes
de différents niveaux. Et ceux d'un niveau inférieur n'en tireront jamais autant
que ceux d'un niveau plus élevé. Voilà l'art vrai, objectif. Prenez par exemple
un ouvrage scientifique - un livre d'astronomie ou de chimie. Il ne peut pas
être compris de deux manières tout lecteur suffisamment préparé comprend ce que
l'auteur a voulu dire et précisément de la façon dont l'auteur a voulu être
compris. Une œuvre d'art objective est exactement semblable à l'un de ces
livres, avec cette seule différence qu'elle s'adresse à l'émotion de l'homme et
non pas à sa tête.
- Existe-t-il de nos jours des œuvres d'art de ce genre ?
- Naturellement, il en existe, répondit G. Le grand Sphynx d'Égypte en est une,
de même que certaines œuvres architecturales connues, certaines statues de
dieux, et bien d'autres choses encore. Certains visages de dieux ou de héros
mythologiques peuvent être lus comme des livres, non pas avec la pensée, je le
répète, mais avec l'émotion, pourvu que celle-ci soit suffisamment développée.
Au cours de nos voyages en Asie Centrale, nous avons trouvé dans le désert, au
pied de l'Hindu Kush, une curieuse sculpture dont nous avions pensé d'abord
qu'elle représentait un ancien dieu ou démon. Elle ne nous donna au début qu'une
impression d'étrangeté. Mais bientôt nous avons commencé a sentir le contenu de
cette figure : c'était un grand et complexe système cosmologique. Petit à petit,
pas à pas, nous avons déchiffré ce système : il s'inscrivait sur son corps, sur
ses jambes, sur ses bras, sur sa tête, sur son visage, sur ses yeux, sur ses
oreilles, et partout. Dans cette statue, rien n'avait été laissé au hasard, rien
n'était dépourvu de signification.
Et, graduellement, se fit jour en nous l'intention des hommes qui l'avaient
érigée. Nous pouvions désormais sentir leurs pensées, leurs sentiments. Certains
d'entre nous croyaient voir leurs visages et entendre leurs voix. En tout cas,
nous avions saisi le sens de ce qu'ils voulaient nous transmettre à travers des
milliers d'années, et non seulement ce sens, mais tous les sentiments et
émotions qui lui étaient liés. Cela c'était vraiment de l'art".
p68 - « Celui qui désire la connaissance doit faire lui-même les premiers efforts pour en trouver la source, pour l'approcher, en s'aidant des indications données à tous, mais que les gens, en règle générale, ne désirent pas voir ni reconnaître. La connaissance ne peut pas venir aux hommes gratuitement, sans efforts de leur part. Ils le comprennent fort bien, quand il ne s'agit que des connaissances ordinaires, mais dans le cas de la grande connaissance, lorsqu'ils admettent la possibilité de son existence, ils estiment possible d'attendre quelque chose de différent. Tout le monde sait très bien, par exemple, qu'un homme devra travailler intensément pendant plusieurs années, s'il veut apprendre le chinois; nul n'ignore que cinq années d'études sont indispensables pour saisir les principes de la médecine, et deux fois plus peut-être pour étude de la musique ou de la peinture. Et cependant, certaines théories arment que la connaissance peut venir aux gens sans efforts de leur part, qu'elle peut être acquise même en dormant. Le seul fait de l'existence de pareilles théories constitue une explication supplémentaire du fait que la connaissance ne peut pas atteindre les gens. Cependant, il n'est pas moins essentiel de comprendre que les efforts indépendants d'un homme pour atteindre quoi que ce soit dans cette direction ne peuvent donner aucun résultat par eux-mêmes. Un homme ne peut atteindre la connaissance qu'avec l'aide de ceux qui la possèdent. Ceci doit être compris dès le tout début. Il faut apprendre de ceux qui savent. »
p69 - « Selon un enseignement ancien, dont il subsiste des traces en de
nombreux systèmes d'hier et d'aujourd'hui, lorsque l'homme atteint le
développement le plus complet qui lui soit possible en général, il se compose de
quatre corps.
Ces quatre corps sont constitués par des substances qui deviennent de plus en
plus fines, s'interpénètrent, et forment quatre organismes ayant entre eux une
relation bien définie, tout en étant indépendants, capables d'action
indépendante.
« Ce qui permet l'existence de quatre corps, c'est que l'organisme humain,
c'est-à-dire le corps physique, a une organisation si complexe qu'en lui peut se
développer sous certaines conditions un organisme nouveau et indépendant,
offrant à l'activité de la conscience un instrument beaucoup plus adéquat, et
plus sensible, que le corps corps, sous certaines conditions, un quatrième peut
croître, qui diffère autant du troisième que le troisième du second, et le
second du premier. La conscience manifestée dans le quatrième corps a plein
contrôle sur ce corps lui-même et sur les trois premiers.
« Ces quatre corps sont définis de différentes façons par les divers
enseignements. »
G. traça le tableau reproduit sur la figure ci-dessous, et dit :
- Selon la terminologie chrétienne, le premier est le corps physique,
le corps "charnel", le second est le corps "naturel",
le troisième est le corps "spirituel", et quatrième, selon la terminologie du
Christianisme ésotérique,
est le "corps divin".
« Selon la terminologie théosophique, le premier est le corps physique, le
second est le "corps astral", le troisième est le "corps mental" et le
quatrième est le "corps causal" (corps de la volonté).
1er CORPS | 2ème CORPS | 3ème CORPS | 4ème CORPS |
Corps charnel | Corps naturel | Corps spirituel | Corps divin |
"Voiture" (corps) | "Cheval" (sentiments, désirs) | "Cocher" (penser) | "Maître" (Moi, conscience, volonté) |
Corps physique | Corps astral | Corps mental | Corps causal |
« Dans le langage imagé de certains enseignements orientaux, le premier est la
voiture (corps), le second est le cheval (sentiments, désirs), le troisième est
le cocher (penser), le quatrième est le Maître (Moi, conscience, volonté).
« On trouve des parallèles ou des comparaisons de ce genre dans la plupart des
systèmes qui reconnaissent en homme quelque chose de plus que le corps physique.
Mais presque tous ces systèmes, tandis qu'ils répètent, sous une orme plus ou
moins familière, les définitions et les divisions de l'enseignement ancien, ont
oublié ou omis son trait le plus important, à savoir que l'homme ne naît pas
avec les corps subtils, et que ceux-ci requièrent une culture artificielle,
possible seulement en de certaines conditions, extérieures et intérieures,
favorables.
« Le "corps astral" n'est pas une implication indispensable pour l'homme. C'est
un grand luxe, qui n'est pas à la portée de tous. L'homme peut fort bien vivre
sans corps astral. Son corps physique possède toutes les fonctions nécessaires à
la vie. Un homme sans "corps astral" peut même donner l'impression d'être un
homme très intellectuel, voire très spirituel, et duper ainsi non seulement les
autres, mais lui-même.
« Naturellement, c'est encore plus vrai pour le "corps mental" et le quatrième
corps. L'homme ordinaire ne possède pas ces corps, ni les fonctions qui leur correspondent.
Mais il croit souvent, et il réussit à faire croire aux autres, qu'il les possède. Les raisons
de cette erreur sont, en premier lieu, le fait que le corps physique travaille
avec les substances mêmes dont sont constitués les corps supérieurs, mais ces
substances ne se cristallisent pas en lui, elles ne lui appartiennent pas; et,
en second lieu, le fait que toutes les fonctions du corps physique sont
analogues à celles des corps supérieurs, bien qu'elles en diffèrent
naturellement beaucoup. Entre les fonctions d'un homme qui ne possède que son
corps physique, et les fonctions des quatre corps, la différence principale est
que, dans le premier cas, les fonctions du corps physique gouvernent toutes les
autres; en d'autres termes, tout est gouverné par le corps qui est, à son tour,
gouverné par les influences extérieures. Dans le second cas, le commandement ou
le contrôle émane du corps supérieur.
« Les fonctions du corps physique peuvent être mises en parallèle avec les
fonctions des quatre corps ».
G. dressa un autre tableau représentant les fonctions parallèles d'un homme de
corps physique, et d'un homme aux quatre corps.
Automate travaillant sous la pression des influences extérieures. | Désirs produits par
cet automatisme.
|
Pensées procédant
des désirs
|
Multiples " volontés " contradictoires produites par les désirs. |
Corps obéissant aux désirs ou aux émotions soumises à l'intelligence. | Puissances émotionnelles et désirs obéissant à la pensée intelligente. | Fonctions du penser obéissant à la conscience et à la volonté. | Moi Ego Conscience Volonté. |
« Dans le premier cas, dit G., c'est-à-dire dans le cas des fonctions d'un homme
de corps physique seulement, l'automate dépend des influences extérieures, et
les trois autres fonctions dépendent du corps physique, et des influences
extérieures qu'il reçoit. Désirs ou aversions - "je désire", "je
ne désire pas", "j'aime", "je n'aime pas" - c'est-à-dire les fonctions qui occupent la
place du second corps, dépendent des chocs et des influences accidentels. Le
penser, qui correspond aux fonctions du troisième corps, est un processus
entièrement automatique.
La "volonté" manque chez l'homme mécanique : il n'a que des désirs et ce que
l'on nomme sa forte ou sa faible volonté n'est que la plus ou moins grande permanence de ses désirs, de ses envies.
« Dans le second cas, c'est-à-dire dans le cas d'un homme en possession des
quatre corps, l'automatisme du corps physique dépend de influence des autres
cors. Au lieu de l'activité discordante et souvent contradictoire des différents
désirs, il y a un seul Moi, entier, indivisible et permanent; il y a une
individualité qui domine le corps physique et ses désirs, et peut triompher de
ses répugnances et de ses résistances. Au lieu d'un penser mécanique, il y a la
conscience. Et il y a la volonté, c'est-à-dire un pouvoir, non plus simplement
composé de désirs variés, le plus souvent contradictoires, appartenant aux
différents "moi", mais issu de la conscience, et gouverné par l'Individualité ou
un Moi unique et permanent. Seule cette volonté peut être dite " libre ", parce
qu'elle est indépendante de l'accident et ne peut plus être altérée ni dirige du
dehors.
« Un enseignement oriental décrit les fonctions des quatre corps, leur
croissance graduelle et les conditions de cette croissance, de la façon suivante :
« Imaginons un vase ou une cornue remplie de diverses poudres métalliques. Entre
ces poudres, qui sont en contact les unes avec les autres, il n'existe pas de relations définies.
Chaque changement accidentel de la position de la cornue modifie la position
relative des poudres. Si l'on secoue la cornue, si on la frappe du doigt, alors
la poudre qui se trouvait en haut peut apparaître au fond, au milieu, ou
inversement. Il n'y a rien de permanent dans la situation respective de ces
poudres, et, dans de telles conditions, il ne peut rien y avoir de permanent.
C'est une image fidèle de notre vie psychique. A tout moment, de nouvelles
influences peuvent modifier la position des grains qui se trouvent en haut, et
faire venir à leur lace d'autres grains, de nature absolument opposée. La
science appelle cet état relatif des poudres l'état de mélange mécanique. La
caractéristique fondamentale des relations mutuelles dans cet état de mélange
est leur versatilité et leur instabilité.
« Il est impossible de stabiliser les relations mutuelles des poudres qui se
trouvent dans un état de mélange mécanique. Mais elles peuvent être fondues;
leur nature métallique rend l'opération possible. A cette fin, un feu spécial
peut être allumé sous la cornue; en les chauffant, il les fera fusionner les
unes avec les autres. Ainsi fondues, les poudres se trouvent à l'état de composé
chimique.
Dès lors, elles ne peuvent plus être agitées aussi aisément que dans leur état
de mélange mécanique, lorsqu'il suffisait d'une chiquenaude pour les séparer et
les faire changer de place. Ce que contenait la cornue est maintenant devenu
indivisible, "individuel". C'est une image de la formation du second corps. Le
feu, grâce auquel la fusion est obtenue, est le produit d'une "friction" qui est
à son tour le produit de la lutte dans l'homme du "oui" et du "non ". Si un
homme ne résiste jamais à aucun de ses désirs, s'il est de connivence avec eux,
s'il les flatte, s'il les encourage même, alors il n'y aura jamais de conflit
intérieur en lui, jamais de -friction ", et pas de feu. Mais si, pour atteindre
un but défini, il combat les désirs qui se mettent en travers de son chemin, il
crée de cette façon un feu qui transformera graduellement son monde intérieur en
un Tout.
« Revenons à notre exemple. Le composé chimique obtenu par fusion possède
certaines qualités, un certain poids spécifique, une certaine conductibilité
électrique, et ainsi de suite. Ces qualités constituent les caractéristiques de
la substance en question. Mais si on la travaille d'une certaine façon, le
nombre de ses caractéristiques peut être accru, c'est-à-dire qu'il peut être
donné à l'alliage de nouvelles propriétés qui ne lui appartenaient pas
primitivement. Il sera possible de l'aimanter, de le rendre radioactif, etc.
« Le processus par lequel de nouvelles propriétés peuvent être communiquées à
l'alliage correspond au processus de la formation du troisième corps, ainsi que
de l'acquisition d'une nouvelle connaissance et de nouveaux pouvoirs avec l'aide
de ce troisième corps.
« Lorsque le troisième corps a été formé, et qu'il a acquis toutes les
propriétés, pouvoirs et connaissances qui lui sont accessibles, il reste encore
le problème de les fixer; toutes ces propriétés nouvelles, qui lui ont été
communiquées par des influences d'une certaine sorte, peuvent en effet lui être
enlevées, aussi bien par ces mêmes influences que par d'autres. Mais, par un
travail spécial que les trois corps ont à faire ensemble, les caractères acquis
peuvent être rendus propriété permanente et inaltérable du troisième corps.
Le processus de fixation de ces caractères acquis correspond au processus de
formation du quatrième corps.
« Et en vérité, nul homme, tant que ses quatre corps ne sont pas entièrement
développés, n'a le droit d'être appelé un Homme, dans le plein sens de ce mot.
Ainsi, l'homme véritable possède de nombreuses propriétés que l'homme ordinaire
ne possède pas. Une de ces propriétés est l'immortalité. Toutes les religions,
tous les enseignements anciens apportent cette idée que, par l'acquisition du
quatrième corps, l'homme acquiert l'immortalité; et ils indiquent tous des voies
qui mènent à l'acquisition du quatrième corps, c'est-à-dire à la conquête de
l'immortalité.
« Sous ce rapport, quelques enseignements comparent l'homme à une maison de
quatre pièces. L'homme vit dans la plus petite et la plus misérable, sans
soupçonner le moins du monde, jusqu'à ce qu'on le lui ait dit, l'existence des
trois autres, qui sont pleines de trésors. Lorsqu'il en entend parler, il
commence à chercher les clés de ces chambres, et spécialement de la quatrième,
la plus importante. Et lorsqu'un homme a trouvé le moyen d'y pénétrer, il
devient réellement le maître de sa maison, parce que c'est seulement alors que
la maison lui appartient, pleinement et pour toujours.
« La quatrième chambre donne à l'homme l'immortalité dont tous les enseignements
religieux s'efforcent de lui montrer le chemin. Il y a un très grand nombre de
chemins, plus ou moins longs, plus ou moins durs, mais tous sans exception
mènent ou s'efforcent de mener dans une même direction, qui est celle de
l'immortalité. »
p75
- Je disais, la dernière fois, que l'immortalité n'est pas une propriété
avec laquelle l'homme naît, mais qu'elle peut être acquise. Toutes les voies qui
conduisent à l'immortalité - celles qui sont généralement connues et les autres
- peuvent être réparties en trois catégories :
1. La voie du fakir.
2. La voie du moine.
3. La voie du yogi.
« La voie du fakir est celle de la lutte avec le corps physique, c'est la voie
du travail sur la première chambre.
Elle est longue, difficile et incertaine. Le fakir s'efforce de développer la
volonté physique, le pouvoir sur le corps. Il y parvient par de terribles
souffrances, en torturant le corps. Toute la voie du fakir est faite d'exercices
physiques incroyablement pénibles. Il se tient debout, dans la même position,
sans un mouvement, pendant des heures, des jours, des mois ou des années; ou
bien assis sur une pierre nue, sous le soleil, sous la pluie, sous la neige, il
garde les bras étendus; ou bien il s'inflige le supplice du feu, ou celui de la
fourmilière où il maintient ses jambes nues, et ainsi de suite. S'il ne tombe
pas malade, ou ne meurt pas, ce qui peut être appelé la volonté physique se
développe en lui; et il atteint alors la quatrième chambre, c'est-à-dire la
possibilité de former le quatrième corps. Mais ses autres fonctions -
émotionnelles, intellectuelles - demeurent non développées. Il a conquis la
volonté, mais il ne possède rien à quoi il puisse l'appliquer, il ne peut pas en
faire usage pour acquérir la connaissance ou se perfectionner lui-même. En règle
générale, il est trop vieux pour commencer un travail nouveau.
« Mais là où il y a des écoles de fakirs, il y a aussi des écoles de yogis. Les
yogis ne perdent généralement pas de vue les fars. Et lorsqu'un fakir atteint
avant d'être trop vieux ce à quoi il aspirait, ils le prennent dans une de leurs
écoles, pour le soigner; ils restaurent en lui son pouvoir de mouvement, après
quoi ils commencent à instruire. Un fakir doit réapprendre à parler et à
marcher, comme un bébé. Mais il possède maintenant une volonté qui a surmonté
des difficultés incroyables, et elle pourra P aider à triompher des difficultés
qui l'attendent encore sur la seconde partie de son chemin, lorsqu'il s'agira de
développer ses fonctions intellectuelles et émotionnelles.
« Vous ne pouvez pas vous imaginer les épreuves auxquelles se soumettent les
fakirs. Je ne sais pas si vous avez vu de vrais fakirs. Pour ma part, j'en ai
rencontré beaucoup; je me souviens de l'un deux, qui vivait dans la cour
intérieure d'un temple de l'Inde; j ai même dormi à ses côtés. Jour et nuit,
pendant vingt années, il s'était tenu sur les extrémités de ses orteils et de
ses doigts. Il n'était plus capable de se redresser ni de se déplacer. Ses
disciples le portaient, ils l'emmenaient à la rivière, où ils le lavaient comme
un objet. Mais un tel résultat ne s'obtient pas en un jour. Pensez à tout ce
dont il lui avait fallu triompher, aux tortures qu'il avait dû subir pour
atteindre ce degré.
« Et un homme ne devient pas fakir par sentiment religieux, ou parce qu'il
comprend les possibilités et les résultats de cette voie. Dans tous les pays
d'Orient où existent des fakirs, le bas peuple a coutume de vouer aux fakirs
l'enfant né après quelque événement heureux.
Il arrive aussi que les fakirs adoptent des orphelins ou achètent à des
indigents leurs enfants. Ceux-ci deviennent leurs élèves, et les imitent de leur
plein gré, à moins qu'ils n'y soient contraints; quelques-uns ne le font qu'en
apparence, mais il en est d'autres qui deviennent réellement des fakirs.
« Ajoutez que d'autres suivent cette voie, simplement pour avoir été frappés par
le spectacle de quelque fakir.
Auprès de tous les fakirs qui peuvent être vus dans les temples se trouvent des
gens qui les imitent, assis ou debout, dans la même posture. Ils ne le font pas
longtemps bien sûr, mais parfois pendant de Ion es heures. Et il arrive aussi
qu'un homme, entré accidentellement dans un temple, un ,oui de fête, après avoir
commencé par imiter quelque fakir qui l'avait impressionné, ne retourne plus
jamais chez lui, mais se joigne à la foule de ses disciples; plus tard, il
deviendra fakir lui-même. Vous devez comprendre que je ne donne plus, dans de
tels cas, au mot "fakir" son sens propre. En Perse, le terme fakir désigne
simplement un mendiant; aux Indes, les jongleurs, les saltimbanques se nomment
souvent eux-mêmes des fakirs. Et les Européens, notamment les Européens
cultivés, donnent très souvent le nom de fakirs à des yogis, aussi bien qu'à des
moines itinérants de divers ordres.
« Mais en réalité, la voie du fakir, la voie du moine et la voie du yogi sont
entièrement différentes. Je n'ai parlé jusqu'ici que des fakirs. C'est la
première voie.
« La seconde est celle du moine. C'est la voie de la foi, du sentiment religieux
et des sacrifices. Un homme qui n'aurait pas de très fortes émotions religieuses
et une imagination religieuse très intense ne peut pas devenir un " moine" dans
le sens vrai de ce mot. La voie du moine est, elle aussi, très dure et très
longue. Le moine passe des années et des dizaines d'années à lutter contre
lui-même, mais tout son travail est concentré sur la "seconde chambre", sur le
second corps, c'est-à-dire sur les sentiments. Soumettant toutes ses autres
émotions à une seule émotion, la foi, il développe en lui-même l'unité, la
volonté sur les émotions, et par cette voie il atteint la quatrième chambre.
Mais son corps physique et ses capacités intellectuelles peuvent demeurer non
développés. Pour être en mesure de se servir de ce qu'il aura atteint, il devra
se cultiver physiquement et intellectuellement. Cela ne pourra être mené à bien
que par de nouveaux sacrifices, de nouvelles austérités, de nouveaux
renoncements. Un moine doit encore devenir un yogi et un fakir. Très rares sont
ceux qui vont aussi loin; plus rares encore ceux qui viennent à bout de toutes
les difficultés. La plupart meurent avant d'y être parvenus, ou ils ne
deviennent des "moines" qu'en apparence.
« La troisième voie est celle du yogi. C'est la voie de la connaissance, la voie
de l'intellect. Le yogi travaille sur "la troisième chambre" pour parvenir à
pénétrer dans la quatrième par ses efforts intellectuels. Le yogi réussit à
atteindre la "quatrième chambre" en développant son intellect, mais son corps et
ses émotions demeurent non développés et, comme le fakir et le moine, il est
incapable de tirer parti de sa victoire. Il sait tout, mais il ne peut rien
faire. Pour devenir capable de faire, il doit conquérir la maîtrise sur son
corps et sur ses émotions, c'est-à-dire sur la première et la seconde chambres.
Pour y parvenir, il lui faut se remettre à l'ouvrage, et il n'obtiendra pas de
résultats sans des efforts prolongés. Dans ce cas cependant, il a l'avantage de
comprendre sa position, de connaître ce qui lui manque, ce qu'il doit faire, et
la direction qu'il doit suivre. Mais, comme sur la voie du fakir ou du moine,
très rares sont ceux qui, sur la voie du yogi, acquièrent une telle
connaissance, c'est-à-dire atteignent le niveau où un homme peut savoir où il
va. La plupart s'arrêtent à un certain degré, et ne vont pas plus loin.
« Les voies diffèrent aussi beaucoup les unes des autres, par rapport au maître,
ou au guide spirituel.
« Sur la voie du fakir, un homme n'a pas de maître, au sens vrai de ce mot. Le
maître, dans ce cas, n'enseigne pas, il sert simplement d'exemple. Le travail de
l'élève se borne à imiter le maître.
« L'homme qui suit la voie du moine a un maître, et une partie de ses devoirs,
une partie de sa tâche, est d'avoir en son maître une foi absolue, il lui faut
se soumettre absolument à lui, dans l'obéissance. Mais l'essentiel, sur la voie
du moine, c'est la foi en Dieu, l'amour de Dieu, les efforts ininterrompus pour
obéir à Dieu et le servir, bien que dans sa compréhension de l'idée de Dieu et
du service e Dieu, il puisse y avoir une grande part de subjectivité, et
beaucoup de contradictions.
« Sur la voie du yogi, il ne faut rien faire, et on ne doit rien faire, sans un
maître. L'homme qui embrasse cette voie doit, au commencement, imiter son maître
comme le fakir, et croire en lui comme le moine. Mais par la suite il devient
graduellement son propre maître. Il apprend les méthodes de son maître et
s'exerce graduellement à se les appliquer à lui-même.
« Mais toutes les voies, la voie du fakir aussi bien que les voies du moine et
du yogi, ont un point commun.
Elles commencent toutes par ce qu'il y a e plus difficile, un changement de vie
total, un renoncement à tout ce qui est de ce monde. Un homme qui a une maison,
une famille, doit les abandonner, il doit renoncer à tous les plaisirs,
attachements et devoirs de la vie, et partir au désert, entrer dans un
monastère, ou dans une école de yogis.
Dès le premier jour, dès le premier pas sur la voie, il doit mourir au monde; ce
n'est que de cette façon qu'il peut espérer atteindre quelque chose sur une de
ces voies.
« Pour saisir l'essence de cet enseignement, il est indispensable de bien se
rendre compte que les voies sont les seules méthodes capables d'assurer le
développement des possibilités cachées de l'homme. Cela montre d'ailleurs
combien un tel développement est rare et difficile. Le développement de ces
possibilités n'est pas une loi. La loi pour l'homme, c'est une existence dans le
cercle des influences mécaniques, c'est l'état d'"homme-machine". La voie du
développement des possibilités cachées est une voie contre la nature, contre
Dieu. Cela explique les difficultés et le caractère exclusif des voies. Elles
sont strictes et étroites. Cependant rien ne saurait être atteint sans elles.
Dans l'océan de la vie ordinaire, et spécialement de la vie moderne, les voies
n'apparaissent que comme un phénomène minuscule, à peine perceptible, qui, du
point de vue de cette vie, n'a pas la moindre raison d'être. Mais ce phénomène
minuscule contient en lui-même tout ce dont homme dispose pour le développement
de ses possibilités cachées. Les voies s'opposent a la vie de tous les jours,
basée sur d'autres principes, et assujettie à d'autres lois.
Là est le secret de leur puissance et de leur signification.
Dans une vie ordinaire, si prise soit-elle par des intérêts philosophiques,
scientifiques, religieux ou sociaux, il n'y a rien et il ne peut rien y avoir
qui offre les possibilités contenues dans les voies. Car elles mènent, ou
pourraient mener, l'homme à l'immortalité. La vie mondaine, même la plus
réussie, mène à la mort et ne saurait mener à rien d'autre. L'idée des voies ne
peut pas être comprise, si l'on admet la possibilité d'une évolution de l'homme
sans leur aide.
« En règle générale, il est dur pour un homme de se résigner à cette idée; elle
lui paraît exagérée, injuste et absurde. Il a une pauvre compréhension du sens
du mot "possibilité". Il s'imagine que, s'il a quelques possibilités en
lui-même, elles doivent être développées, et qu'il doit bien y avoir des moyens
de développement à sa portée.
Partant d'un refus total de reconnaître en lui-même aucune sorte de
possibilités, l'homme, en général, passe subitement à une exigence impérieuse de
leur développement inévitable. Il est difficile pour lui de se faire à cette
idée que non seulement ses possibilités peuvent rester en leur stade actuel
d'infra développement, mais qu'elles peuvent s'atrophier définitivement, et que,
par ailleurs, leur développement réclame de lui des efforts prodigieux et
persévérants. D'une manière générale, si nous considérons les cens qui ne sont
ni des fakirs, ni des moines, ni des yogis, et de qui nous pouvons affirmer sans
crainte qu'ils ne seront jamais des fars, des moines ou des yogis, nous sommes
en mesure d'affirmer avec une certitude absolue que leurs possibilités ne
peuvent pas être développées, et qu'elles ne seront jamais développées. Il est
indispensable de s'en persuader profondément pour comprendre ce que je vais dire.
« Dans les conditions ordinaires de la vie civilisée, la situation d'un homme,
même intelligent, qui cherche la connaissance, est sans espoir, parce qu'il n'a
pas la moindre chance de trouver autour de lui quelque chose qui ressemble à une
école de fakirs ou à une école de yogis; quant aux religions de l'Occident,
elles ont dégénéré à un tel point que depuis longtemps il n'y a plus rien de
vivant en elles, Enfin, du côté "occultiste" ou "spirite", il n'y a rien de
plus à attendre que des expériences naïves.
« Et la situation serait vraiment désespérée, s'il n'existait une autre
possibilité, celle d'une quatrième voie.
« La quatrième voie ne demande pas que l'on se retire du monde, elle n'exige pas
que l'on abandonne tout ce dont on avait vécu jusque là. Elle commence beaucoup
plus loin que la voie du yogi. Cela signifie qu'il faut se préparé pour s'engager
sur la quatrième voie, et que cette préparation des plus sérieuses doit être
acquise dans la vie ordinaire et porter sur beaucoup de côtés différents. De plus,
l'homme qui veut suivre la quatrième voie doit réunir dans sa vie des conditions
favorables au travail, ou du moins qui ne le rendent pas impossible. Car il faut
bien se convaincre que dans la vie extérieure, aussi bien que dans la vie
intérieure, certaines conditions peuvent constituer, pour la quatrième voie, des
barrières insurmontables. Ajoutons que cette voie, contrairement à celle du
fakir, du moine et du yogi, n'a pas de forme définie. Avant tout, elle doit être
trouvée.
C'est le premier test. Et il est difficile, parce que la quatrième voie est loin
d'être aussi connue que les trois autres voies traditionnelles. Nombreux sont
les gens qui n'en ont jamais entendu parler, nombreux sont ceux qui nient
simplement son existence ou même sa possibilité.
« Cependant le commencement de la quatrième voie est plus facile que le
commencement des voies du fakir, du moine et du yogi. Il est possible de suivre
la quatrième voie et de travailler sur elle tout en continuant de vaquer à ses
occupations ordinaires dans les conditions de vie habituelles, sans rompre les
relations que l'on avait avec les gens, ni rien abandonner. Cette voie n'exige
pas le renoncement. Au contraire, les conditions de vie où un homme se trouve
placé lorsqu'il entreprend le travail - où le travail, pour ainsi dire, le
surprend - sont les meilleures possibles pour lui, tout au moins au
commencement.
Car elles lui sont naturelles. Elles sont cet homme même, parce que la vie d'un
homme et ses conditions correspondent à ce qu'il est. La vie les a créées à sa
mesure; par suite, toutes autres conditions seraient artificielles, et le
travail ne pourrait pas, en ce cas, toucher immédiatement tous les côtés de son
être.
« Ainsi, la quatrième voie atteint tous les côtés de l'être humain
simultanément. C'est un travail immédiat sur les trois chambres à la fois. Le
fakir travaille sur la première chambre, le moine sur la seconde, le yogi sur la
troisième.
Lorsqu'ils atteignent la quatrième chambre, le fakir, le moine et le yogi
laissent derrière eux bien des tâches inachevées, et ils ne peuvent faire usage
de ce qu'ils ont atteint, parce qu'ils ne sont pas maîtres de toutes leurs
fonctions.
Le fakir est maître de son corps, mais non de ses émotions, ni de ses pensées;
le moine est maître de ses émotions, mais non de son corps, ni de sa pensée; le
yogi est maître de sa pensée, mais non de son corps, ni de ses émotions.
« La quatrième voie diffère donc des autres en ceci qu'elle pose devant l'homme,
avant tout, l'exigence d'une compréhension. L'homme ne doit rien faire sans
comprendre - sauf à titre d'expérience, sous le contrôle et la direction de son
maître. Plus un homme comprendra ce qu'il fait, plus les résultats de ses
efforts seront valables.
C'est un principe fondamental de la quatrième voie. Les résultats obtenus dans
le travail sont proportionnels à la conscience que l'on a de ce travail. La
"foi" n'est pas requise sur cette voie; au contraire, la foi, de quelque nature
qu'elle soit, y est un obstacle. Sur la quatrième voie, un homme doit s'assurer
par lui-même de la vérité de ce qui lui est dit. Et aussi longtemps qu'il n'a
pas acquis cette certitude, il ne doit rien faire.
« La méthode de la quatrième voie est la suivante : si l'on commence un travail
sur une chambre, un travail correspondant doit être entrepris simultanément sur
les deux autres. En d'autres termes, tandis que l'on travaille sur le corps
physique, il faut travailler simultanément sur la pensée et sur les émotions;
tandis que l'on travaille sur la pensée, il faut travailler sur le corps
physique et les émotions; tandis que l'on travaille sur les émotions, il faut
travailler sur la pensée et sur le corps physique. Ce qui permet d'y parvenir,
c'est que, sur la quatrième voie, il est possible de faire usage d'une certaine
connaissance, inaccessible sur celles du fakir, du moine et du yogi. Cette
connaissance fournit la possibilité d'un travail dans les trois directions à la
fois. Toute une série d'exercices parallèles sur les trois plans physique,
mental et émotionnel, servent ce - but. De plus, sur Ia quatrième voie, il est
possible d'individualiser le travail de chacun; autrement dit, chacun ne doit
faire que ce qui lui est nécessaire, et rien de ce qui est sans utilité pour
lui. Car la quatrième voie se passe de tout ce superflu qui est maintenu par
simple routine sur les autres voies.
« Ainsi, lorsqu'un homme atteint la volonté par la quatrième voie, il peut s'en
servir, parce qu'il a acquis le contrôle de toutes ses fonctions physiques,
émotionnelles et intellectuelles. Et il a épargné, par surcroît, beaucoup de
temps en travaillant à la fois, parallèlement, sur les trois côtés de son être.
« La quatrième voie est appelée parfois la voie de l'homme rusé. L'"homme rusé"
connaît un secret que le fakir, le moine et le yogi ne connaissent pas. Comment
l'"homme rusé" a-t-il appris ce secret - nul ne le sait. Peut-être l'a-t-il
trouvé dans quelque vieux livre, peut-être en a-t-il hérité, peut-être fa-t-il
acheté, peut-être l'a-t-il dérobé à quelqu'un. C'est égal. L'homme rusé" connaît
le secret et, avec son aide, il laisse loin derrière lui le fakir, le moine et
le yogi.
« Le fakir est, entre les quatre, celui qui agit de la manière la plus
grossière; il sait très peu, et il comprend très peu.
Supposons qu'il parvienne, après un mois de tortures intensives, a développer
une certaine énergie, une certaine substance qui produise en lui des changements
définis. Il le fait absolument dans la nuit, les yeux fermés, ne connaissant ni
le but, ni les méthodes, ni les résultats, par simple imitation.
« Le moine sait un peu mieux ce qu'il veut; il est guidé par son sentiment
religieux, par sa tradition religieuse, par un désir d'accomplissement, de
salut; il a foi en son maître qui lui dit ce qu'il doit faire, et il croit que
ses efforts et ses sacrifices "plaisent a Dieu". Supposons qu en une semaine de
jeûnes, de prières continuelles, de privations et de pénitences, il parvienne a
atteindre ce que le fakir n'avait pu développer en lui que par un mois de
tortures.
« Le yogi en sait bien davantage. Il sait ce qu'il veut, il sait pourquoi il le
veut, il sait comment il peut (atteindre.
Il sait par exemple que, pour parvenir à ses fins, il doit développer en lui une
certaine substance. Il sait que cette substance peut être produite en un jour
par une certaine sorte d'exercice mental, ou par une concentration
intellectuelle. Aussi garde-t-il pendant un jour entier, sans se permettre une
seule idée étrangère, son attention fixée sur cet exercice, et il obtient ce
dont il a besoin. De cette façon un yogi parvient, en une journée, à la même
chose que le moine en une semaine, et le fakir en un mois.
« Mais sur la quatrième voie, la connaissance est encore plus exacte et plus
parfaite. L'homme qui la suit connaît avec précision de quelles substances il a
besoin pour atteindre ses fins, et il sait que ces substances peuvent être
élaborées dans le cors par un mois de souffrance physique, une semaine de
tension émotionnelle, ou un jour d'exercices mentaux, - et aussi, que ces
substances peuvent être introduites du dehors dans d'organisme, si l'on sait
comment s'y prendre. Et ainsi, au lieu de perdre un jour entier en exercices
comme le yogi, une semaine en prières comme le moine, et un mois en supplices
comme le fakir, l'homme qui suit la quatrième voie se contente de préparer et
d'avaler une petite pilule qui contient toutes les substances requises, et de
cette façon, sans perdre de temps, il obtient les résultats voulus. »
- Il faut encore noter, dit G., qu'en dehors de ces voies justes et légitimes,
il y a aussi des voies artificielles, ne donnant que des résultats temporaires,
et des voies franchement mauvaises qui peuvent même donner des résultats
permanents, mais néfastes. Sur ces voies également, homme cherche la clé de la
quatrième chambre, et quelquefois il la trouve. Mais ce qu'il trouve dans la
quatrième ambre, nul ne le sait.
« Il arrive aussi que la porte de la quatrième chambre soit ouverte
artificiellement avec un passe-partout.
« Et dans ces deux cas, la chambre peut se trouver vide. »
P96 - Très souvent, presque à chaque entretien, G. revenait sur l'absence d'unité en l'homme.
- L'une des erreurs les plus graves de l'homme, disait-il, celle qui doit lui
être constamment rappelée, c'est son illusion à l'égard de son "Moi".
« L'homme tel que nous le connaissons, l'homme-machine, l'homme qui ne peut pas
"faire", l'homme avec qui et à travers qui "tout arrive", ne peut pas avoir un
"Moi" permanent et unique. Son " moi" change aussi vite que ses pensées, ses
sentiments, ses humeurs, et il fait une erreur profonde lorsqu'il se considère
comme étant toujours une seule et même personne; en réalité, il est toujours une
personne différente, il n'est jamais celui qu'il était un moment plus tôt.
« L'homme n'a pas de "Moi" permanent et immuable. Chaque pensée, chaque humeur,
chaque désir, chaque sensation dit "Moi". Et chaque fois, on semble tenir pour
assuré que ce "moi" appartient au Tout de l'homme, à l'homme entier, et
qu'une pensée, un désir, une aversion sont l'expression de ce Tout. En fait,
nulle preuve ne saurait être apportée à l'appui de cette affirmation. Chacune
des pensées de l'homme, chacun de ses désirs se manifeste et vit dune manière
complètement indépendante et séparée de son Tout. Et le Tout de l'homme ne
s'exprime jamais, pour cette simple raison qu'il n'existe pas comme tel, sauf
physiquement comme une chose, et abstraitement comme un concept. L'homme n'a pas
de "Moi" individuel. A sa place, il y a des centaines et des milliers de petits
"moi" séparés, qui le plus souvent s'ignorent, n'entretiennent aucune relation,
ou, au contraire, sont hostiles les uns aux autres, exclusifs et incompatibles.
A chaque minute, à chaque moment, l'homme dit ou pense "Moi". Et chaque fois son
"moi" est différent. A l'instant c'était une pensée, maintenant c'est un désir,
puis une sensation, puis une autre pensée, et ainsi de suite, sans fin. L'homme
est une pluralité. Le nom de l'homme est légion.
« L'alternance des "moi", leurs luttes manifestes de tous les instants pour la
suprématie, sont commandées par les influences extérieures accidentelles. La
chaleur, le soleil, le beau temps, appellent aussitôt tout un groupe de "moi".
Le froid, le brouillard, la pluie appellent un autre groupe de "moi", d'autres
associations, d'autres sentiments, d'autres actions. Et il n'y a rien dans
l'homme qui soit en état de contrôler ces changements des "moi", principalement
parce que l'homme ne les remarque pas, ou n'en a aucune idée; il vit toujours
dans son dernier "moi". Quelques-uns, naturellement, sont plus forts que les
autres; mais non de leur propre force consciente. Ils ont été créés par la force
des accidents, ou par des excitations mécaniques externes. L'éducation,
l'imitation, la lecture, l'hypnotisme de la religion, des castes et des
traditions, ou la séduction des derniers slogans, donnent naissance, dans la
personnalité d'un homme, à des "moi" très forts et qui dominent des séries
entières d'autres "moi" plus faibles. Mais leur force n'est que celle des
rouleaux (Les rouleaux sont décrits dans les Conférences Psychologiques comme les
appareils enregistreurs de chaque centre sur lesquels viennent se graver les
impressions. L'ensemble des inscriptions de ces rouleaux, analogues à des
rouleaux (ou disques) de phonographe, constitue le matériel d'associations d'un
homme.) dans les centres. Et tous ces "moi" qui constituent la personnalité de
l'homme ont la même origine que les inscriptions des rouleaux : les uns et les
autres sont les résultats des influences extérieures, ils sont mis en mouvement
et commandés par les dernières venues.
«L'homme n'a pas d'individualité. Il n'a pas un grand "Moi" unique. L'homme est
partagé en une multitude de petits "moi ".
« Mais chacun d'eux est capable de s'appeler lui-même du nom du Tout, d'agir au
nom du Tout, de faire des promesses, de prendre des décisions, d'être d'accord ou
de ne pas être d'accord avec ce qu'un autre "moi", ou le Tout, aurait à faire.
Cela explique pourquoi les gens prennent si souvent des décisions et les
tiennent si rarement. Un homme décide de se lever tôt, en commençant dès le
lendemain. Un "moi", ou un groupe de "moi", prend cette décision. Mais se lever
est l'affaire d'un autre "moi", qui n'est pas du tout d'accord, et qui peut même
ne pas avoir été mis au courant. Naturellement l'homme n'en dormira pas moins le
matin suivant, et le soir il décidera à nouveau de se lever tôt. Cela peut
entraîner des conséquences fort désagréables. Un peut "moi" accidentel peut
faire une promesse, non pas à lui-même, mais à quelqu'un d'autre à un certain
moment, simplement par vanité, ou pour s'amuser. Puis il disparaît. Mais
l'homme, c'est-à-dire l'ensemble des autres "moi", qui sont parfaitement
innocents, devra peut-être payer toute sa vie pour cette plaisanterie. C'est la
tragédie de l'être humain que n'importe quel petit "moi" ait ainsi le pouvoir de
signer des traites, et que ce soit ensuite l'homme, c'est-à-dire le Tout, qui
doive faire face. Des vies entières se passent ainsi, à acquitter des dettes
contractées par des petits "moi" accidentels.
« Les enseignements orientaux sont pleins d'allégories qui s'attachent à
dépeindre, de ce point de vue, la nature de l'être humain.
« Selon l'un d'eux, l'homme est comparé à une maison sans Maître ni intendant,
occupée par une multitude de serviteurs. Ceux-ci ont entièrement oublié leurs
devoirs; personne ne veut remplir sa tâche; chacun s'efforce d'être le maître,
ne serait-ce que pour une minute, et, dans cette sorte d'anarchie, la maison est
menacée des plus graves dangers. La seule chance de salut est qu'un groupe de
serviteurs plus sensés se réunissent et élisent un intendant temporaire,
c'est-à-dire un député-intendant. Ce député-intendant peut alors mettre les
autres serviteurs à leur, place, et contraindre chacun d'eux à faire son travail
: la cuisinière à la cuisine, le cocher à l'écurie, le jardinier au potager, et
ainsi de suite. De cette façon, la "maison" peut être prête pour l'arrivée du
véritable intendant, qui à son tour préparera l'arrivée du véritable Maître.
« La comparaison de l'homme avec une maison dans l'attente de son maître est
fréquente dans les enseignements de l'Orient qui ont conservé des traces de
l'ancienne connaissance, et, comme vous le savez, cette idée apparaît aussi sous
des formes variées, dans de nombreuses paraboles des Évangiles.
« Mais l'homme comprendrait-il, même de la façon la plus claire, ses
possibilités, cela ne saurait le faire progresser d'un pas vers leur
réalisation. Pour être en mesure de réaliser ces possibilités, il doit avoir un
très ardent désir de libération, il doit être prêt à tout sacrifier, à tout
risquer pour sa libération ».
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