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Piotr Demianovitch Ouspensky

Fragments d'un enseignement inconnu

Philosophe platonicien, mathématicien, il est l'auteur vers 1910 d'un ouvrage (que Gurdjieff lira en 1912)  Tertium Organum : «J’ai appelé ce système de logique supérieure le Tertium Organum, car il est pour nous le troisième canon, le troisième instrument, de la pensée depuis ceux d’Aristote et de Bacon. Le premier a été l’Organon, le second le Novum Organum, mais le troisième existait déjà avant le premier», sur ce site un peu extrême on trouve une traduction partielle. En quête du "miraculeux" il cherche en orient une connaissance, une école qui explique les rapports de l'homme à l'univers,  il rencontre et devient l'élève de Gurdjieff en 1915, en 1922 c'est la rupture qui fut précédé par une mésentente conjugale chez les Ouspensky.

Dans les Fragments il rend compte minutieusement de l'enseignement qu'il reçut de G., à tel point qu'après l'avoir lu Gurdjieff donna immédiatement son approbation à sa parution alors que la brouille était ancienne et irréductible. Il recense tout l'échafaudage théorique, il rend compréhensible les concepts gurdjievins, les hommes sont des machines, il n'y a rien d'accidentel dans l'art véritable, l'acquisition de la connaissance, la définition des quatre corps selon Gurdjieff,  la quatrième voie ou la voie de l'homme rusé, l'absence d'unité en l'homme ou l'illusion à l'égard du Moi, où se situe l'homme dans le monde, racine de tous les anciens systèmes les trois forces (guna), le rayon de création et les différents degrés de matérialité, les 4 aspects (carbone, oxygène, azote, hydrogène), le rappel de soi pour s'éveiller, la Loi d'octave découle du principe de discontinuité des vibrations, les états de la conscience, les tampons qui sont des obstacles au développement intérieur, la notion de bien et de mal, les cosmos et les lois qui les gouvernent, sa vision très personnelle de Kundalini, le bâillement et le rire ou la gestion de l'énergie, la nécessité ou non de l'abstinence sexuelle, le "miracle" vécu par Ouspensky lors d'échanges télépathiques avec G., le silence des adeptes de G., le sacrifice du renoncement à sa souffrance, l'objectif et le subjectif suivant le sens spécial que leur donne G., les symboles qui doivent êtres vécus, l'ennéagramme qu'il définit comme un symbole universel, l'origine de l'église chrétienne se trouve dans l'Égypte préhistorique, l'évolution planétaire, les définitions des cercles de l'humanité, le changement complet d'apparence ou la transformation de G., l'extraordinaire intensité dans le travail du premier séjour à Essentuki, un exercice essentiel le stop.

 

Brouille conjugale

août 1921
Manifestement, l'auteur du Tertium Organum ne pouvait plus exister dans l'ombre de Gurdjieff - pas plus, si du moins il pouvait la convaincre, que Mme Ouspensky !

Ledit Ouspensky possédait un esprit d'une singulière lucidité. S'il n'avait pas cherché à convaincre sa femme trois mois durant à Prinkipo, peut-être l'eût-il gardée. Mais, derrière les remparts de sa citadelle obscurantiste, Sophie Grigorievna repoussa les attaques menées par la logique supérieure de son époux :

Je ne prétends pas comprendre Georges Ivanovitch. Pour moi il est Monsieur X. Tout ce que je sais, c'est qu'il est mon maître - et qu'il n'est pas juste à mes yeux de le juger, pas plus qu'il ne m'est nécessaire de le comprendre. Nul ne sait qui est le vrai Georges Ivanovitch, car il se cache de nous tous. Tenter de le connaître est chose vaine, et je refuse de participer à toute discussion sur le sujet.

Lorsque Ouspensky partit finalement pour Londres un jour d'août 1921, il était seul; Mme Ouspensky et toute sa famille demeuraient obstinément fidèles au maître.

 

Les machines

p38 - Je vous demande de comprendre ce que je dis. Regardez ! tous ces gens que vous voyez - il désignait la rue - sont simplement des machines, rien de plus.

- Je crois comprendre ce que vous voulez dire. Et j'ai souvent pensé combien sont peu nombreux dans le monde ceux qui peuvent résister à cette forme de mécanisation et choisir leur propre voie.

- C'est là justement votre plus grave erreur ! dit G. Vous pensez que quelque chose peut choisir sa propre voie ou résister à la mécanisation; vous pensez que tout n'est pas également mécanique.

- Mais bien sûr ! m'écriai-Je. L'art, la poésie, la pensée sont des phénomènes d'un tout autre ordre.

- Exactement du même ordre. Ces activités sont exactement aussi mécaniques que toutes les autres. Les hommes sont des machines, et de la part de machines on ne saurait attendre rien d'autre que des actions machinales.

- Très bien, lui dis-je, mais n'y a-t-il pas des gens qui ne sont pas des machines ?

- Il se peut qu'il y en ait, dit G. Mais vous ne pouvez pas les voir. Vous ne les connaissez pas. Voilà ce que je veux vous faire comprendre.

J'estimais plutôt étrange qu'il insistât tellement sur ce point. Ce qu'il disait me paraissait évident et incontestable. Cependant, je n'avais jamais aimé les métaphores en deux mots, qui prétendent tout dire. Elles omettent toujours les différences. Or, j'avais toujours maintenu que les différences sont ce qui importe le plus et que, pour comprendre les choses, il fallait avant tout considérer les points où elles diffèrent. Il me semblait bizarre, par conséquent, que G. insistât tellement sur une vérité qui me semblait indéniable, à cette condition toutefois de n'en pas faire un absolu, et de reconnaître des exceptions.

- Les gens se ressemblent si peu, dis-je. J'estime impossible de les mettre tous dans le même sac. Il y a des sauvages, il y a des gens mécanisés, il y a des intellectuels, il y a des génies.

- Rien de plus exact, dit G. Les gens sont très différents, mais la réelle différence entre les gens, vous ne la connaissez pas et vous ne pouvez pas la voir. Vous parlez de différences qui, simplement, n'existent pas. Ceci doit être compris. Tous ces gens que vous voyez, que vous connaissez, qu'il peut vous arriver de connaître, sont des machines, de véritables machines travaillant seulement sous la pression des influences extérieures, comme vous l'avez dit vous-même. Machines ils sont nés, et machines ils mourront. Que viennent faire ici les sauvages et les intellectuels ? Maintenant même, à cet instant précis, tandis que nous parlons, plusieurs millions de machines s'efforcent de s'anéantir les unes les autres. En quoi diffèrent-elles donc ? Où sont les sauvages, et où les intellectuels ? Tous les mêmes...

« Mais il est possible de cesser d'être une machine. C'est à cela que vous devriez penser et non point aux différentes sortes de machines. Bien sûr, les machines diffèrent : une automobile est une machine, un gramophone est une machine et un fusil est une machine. Mais qu'est-ce que cela change ? C'est la même chose - ce sont toujours des machines. » [...]

[...]
- Un homme peut-il cesser d'être une machine ?

- Ah ! c'est toute la question, dit G. Si vous en aviez posé plus souvent de pareilles, peut-être nos conversations auraient-elles pu nous mener quelque part. Oui, il est possible de cesser d'être une machine, mais pour cela, il faut avant tout connaître la machine. Une machine, une machine réelle, ne se connaît pas elle-même et elle ne peut pas se connaître. Quand une machine se connaît, elle a cessé dès cet instant d'être une machine; du moins n'est-elle plus la même machine qu'auparavant. Elle commence déjà d'être responsable pour ses actions.

- Cela signifie, selon vous, qu'un homme n'est pas responsable de ses actions ?

- Un homme - il souligna ce mot - est responsable. Une machine n'est pas responsable.

 

L'art véritable

p50 - «Dans l'art véritable, au contraire, rien n'est accidentel. Tout est mathématique. Tout peut être calculé, et prévu d'avance. L'artiste sait et comprend le message qu'il veut transmettre, et son œuvre ne peut pas produire une certaine impression sur un homme et une impression toute différente sur un autre - à condition, naturellement, de prendre des personnes d'un même niveau. Son œuvre produira toujours, avec une certitude mathématique, la même impression.

« Cependant, la même œuvre d'art produira des effets différents sur des hommes de différents niveaux. Et ceux d'un niveau inférieur n'en tireront jamais autant que ceux d'un niveau plus élevé. Voilà l'art vrai, objectif. Prenez par exemple un ouvrage scientifique - un livre d'astronomie ou de chimie. Il ne peut pas être compris de deux manières tout lecteur suffisamment préparé comprend ce que l'auteur a voulu dire et précisément de la façon dont l'auteur a voulu être compris. Une œuvre d'art objective est exactement semblable à l'un de ces livres, avec cette seule différence qu'elle s'adresse à l'émotion de l'homme et non pas à sa tête.

- Existe-t-il de nos jours des œuvres d'art de ce genre ?
- Naturellement, il en existe, répondit G. Le grand Sphynx d'Égypte en est une, de même que certaines œuvres architecturales connues, certaines statues de dieux, et bien d'autres choses encore. Certains visages de dieux ou de héros mythologiques peuvent être lus comme des livres, non pas avec la pensée, je le répète, mais avec l'émotion, pourvu que celle-ci soit suffisamment développée. Au cours de nos voyages en Asie Centrale, nous avons trouvé dans le désert, au pied de l'Hindu Kush, une curieuse sculpture dont nous avions pensé d'abord qu'elle représentait un ancien dieu ou démon. Elle ne nous donna au début qu'une impression d'étrangeté. Mais bientôt nous avons commencé a sentir le contenu de cette figure : c'était un grand et complexe système cosmologique. Petit à petit, pas à pas, nous avons déchiffré ce système : il s'inscrivait sur son corps, sur ses jambes, sur ses bras, sur sa tête, sur son visage, sur ses yeux, sur ses oreilles, et partout. Dans cette statue, rien n'avait été laissé au hasard, rien n'était dépourvu de signification.
Et, graduellement, se fit jour en nous l'intention des hommes qui l'avaient érigée. Nous pouvions désormais sentir leurs pensées, leurs sentiments. Certains d'entre nous croyaient voir leurs visages et entendre leurs voix. En tout cas, nous avions saisi le sens de ce qu'ils voulaient nous transmettre à travers des milliers d'années, et non seulement ce sens, mais tous les sentiments et émotions qui lui étaient liés. Cela c'était vraiment de l'art".

 

La connaissance

p68 - « Celui qui désire la connaissance doit faire lui-même les premiers efforts pour en trouver la source, pour l'approcher, en s'aidant des indications données à tous, mais que les gens, en règle générale, ne désirent pas voir ni reconnaître. La connaissance ne peut pas venir aux hommes gratuitement, sans efforts de leur part. Ils le comprennent fort bien, quand il ne s'agit que des connaissances ordinaires, mais dans le cas de la grande connaissance, lorsqu'ils admettent la possibilité de son existence, ils estiment possible d'attendre quelque chose de différent. Tout le monde sait très bien, par exemple, qu'un homme devra travailler intensément pendant plusieurs années, s'il veut apprendre le chinois; nul n'ignore que cinq années d'études sont indispensables pour saisir les principes de la médecine, et deux fois plus peut-être pour étude de la musique ou de la peinture. Et cependant, certaines théories arment que la connaissance peut venir aux gens sans efforts de leur part, qu'elle peut être acquise même en dormant. Le seul fait de l'existence de pareilles théories constitue une explication supplémentaire du fait que la connaissance ne peut pas atteindre les gens. Cependant, il n'est pas moins essentiel de comprendre que les efforts indépendants d'un homme pour atteindre quoi que ce soit dans cette direction ne peuvent donner aucun résultat par eux-mêmes. Un homme ne peut atteindre la connaissance qu'avec l'aide de ceux qui la possèdent. Ceci doit être compris dès le tout début. Il faut apprendre de ceux qui savent. »

 

Les quatre corps

p69 - « Selon un enseignement ancien, dont il subsiste des traces en de nombreux systèmes d'hier et d'aujourd'hui, lorsque l'homme atteint le développement le plus complet qui lui soit possible en général, il se compose de quatre corps.
Ces quatre corps sont constitués par des substances qui deviennent de plus en plus fines, s'interpénètrent, et forment quatre organismes ayant entre eux une relation bien définie, tout en étant indépendants, capables d'action indépendante.

« Ce qui permet l'existence de quatre corps, c'est que l'organisme humain, c'est-à-dire le corps physique, a une organisation si complexe qu'en lui peut se développer sous certaines conditions un organisme nouveau et indépendant, offrant à l'activité de la conscience un instrument beaucoup plus adéquat, et plus sensible, que le corps corps, sous certaines conditions, un quatrième peut croître, qui diffère autant du troisième que le troisième du second, et le second du premier. La conscience manifestée dans le quatrième corps a plein contrôle sur ce corps lui-même et sur les trois premiers.

« Ces quatre corps sont définis de différentes façons par les divers enseignements. »

G. traça le tableau reproduit sur la figure ci-dessous, et dit :

- Selon la terminologie chrétienne, le premier est le corps physique, le corps "charnel", le second est le corps "naturel", le troisième est le corps "spirituel", et quatrième, selon la terminologie du Christianisme ésotérique, est le "corps divin".

« Selon la terminologie théosophique, le premier est le corps physique, le second est le "corps astral", le troisième est le "corps mental" et le quatrième est le "corps causal" (corps de la volonté).

 


1er CORPS 2ème CORPS 3ème CORPS 4ème CORPS
Corps charnel Corps naturel Corps spirituel Corps divin
"Voiture" (corps) "Cheval" (sentiments, désirs) "Cocher" (penser) "Maître" (Moi, conscience, volonté)
Corps physique Corps astral Corps mental Corps causal



« Dans le langage imagé de certains enseignements orientaux, le premier est la voiture (corps), le second est le cheval (sentiments, désirs), le troisième est le cocher (penser), le quatrième est le Maître (Moi, conscience, volonté).
« On trouve des parallèles ou des comparaisons de ce genre dans la plupart des systèmes qui reconnaissent en homme quelque chose de plus que le corps physique.

Mais presque tous ces systèmes, tandis qu'ils répètent, sous une orme plus ou moins familière, les définitions et les divisions de l'enseignement ancien, ont oublié ou omis son trait le plus important, à savoir que l'homme ne naît pas avec les corps subtils, et que ceux-ci requièrent une culture artificielle, possible seulement en de certaines conditions, extérieures et intérieures, favorables.

« Le "corps astral" n'est pas une implication indispensable pour l'homme. C'est un grand luxe, qui n'est pas à la portée de tous. L'homme peut fort bien vivre sans corps astral. Son corps physique possède toutes les fonctions nécessaires à la vie. Un homme sans "corps astral" peut même donner l'impression d'être un homme très intellectuel, voire très spirituel, et duper ainsi non seulement les autres, mais lui-même.

« Naturellement, c'est encore plus vrai pour le "corps mental" et le quatrième corps. L'homme ordinaire ne possède pas ces corps, ni les fonctions qui leur correspondent. Mais il croit souvent, et il réussit à faire croire aux autres, qu'il les possède. Les raisons de cette erreur sont, en premier lieu, le fait que le corps physique travaille avec les substances mêmes dont sont constitués les corps supérieurs, mais ces substances ne se cristallisent pas en lui, elles ne lui appartiennent pas; et, en second lieu, le fait que toutes les fonctions du corps physique sont analogues à celles des corps supérieurs, bien qu'elles en diffèrent naturellement beaucoup. Entre les fonctions d'un homme qui ne possède que son corps physique, et les fonctions des quatre corps, la différence principale est que, dans le premier cas, les fonctions du corps physique gouvernent toutes les autres; en d'autres termes, tout est gouverné par le corps qui est, à son tour, gouverné par les influences extérieures. Dans le second cas, le commandement ou le contrôle émane du corps supérieur.

« Les fonctions du corps physique peuvent être mises en parallèle avec les fonctions des quatre corps ».
G. dressa un autre tableau représentant les fonctions parallèles d'un homme de corps physique, et d'un homme aux quatre corps.

 


Automate travaillant sous la pression des influences extérieures. Désirs produits par cet automatisme.

 

Pensées procédant des désirs

 

Multiples " volontés " contradictoires produites par les désirs.
Corps obéissant aux désirs ou aux émotions soumises à l'intelligence. Puissances émotionnelles et désirs obéissant à la pensée intelligente. Fonctions du penser obéissant à la conscience et à la volonté. Moi Ego Conscience Volonté.



« Dans le premier cas, dit G., c'est-à-dire dans le cas des fonctions d'un homme de corps physique seulement, l'automate dépend des influences extérieures, et les trois autres fonctions dépendent du corps physique, et des influences extérieures qu'il reçoit. Désirs ou aversions - "je désire", "je ne désire pas", "j'aime", "je n'aime pas" - c'est-à-dire les fonctions qui occupent la place du second corps, dépendent des chocs et des influences accidentels. Le penser, qui correspond aux fonctions du troisième corps, est un processus entièrement automatique.
La "volonté" manque chez l'homme mécanique : il n'a que des désirs et ce que l'on nomme sa forte ou sa faible volonté n'est que la plus ou moins grande permanence de ses désirs, de ses envies.

« Dans le second cas, c'est-à-dire dans le cas d'un homme en possession des quatre corps, l'automatisme du corps physique dépend de influence des autres cors. Au lieu de l'activité discordante et souvent contradictoire des différents désirs, il y a un seul Moi, entier, indivisible et permanent; il y a une individualité qui domine le corps physique et ses désirs, et peut triompher de ses répugnances et de ses résistances. Au lieu d'un penser mécanique, il y a la conscience. Et il y a la volonté, c'est-à-dire un pouvoir, non plus simplement composé de désirs variés, le plus souvent contradictoires, appartenant aux différents "moi", mais issu de la conscience, et gouverné par l'Individualité ou un Moi unique et permanent. Seule cette volonté peut être dite " libre ", parce qu'elle est indépendante de l'accident et ne peut plus être altérée ni dirige du dehors.

« Un enseignement oriental décrit les fonctions des quatre corps, leur croissance graduelle et les conditions de cette croissance, de la façon suivante :

« Imaginons un vase ou une cornue remplie de diverses poudres métalliques. Entre ces poudres, qui sont en contact les unes avec les autres, il n'existe pas de relations définies.
Chaque changement accidentel de la position de la cornue modifie la position relative des poudres. Si l'on secoue la cornue, si on la frappe du doigt, alors la poudre qui se trouvait en haut peut apparaître au fond, au milieu, ou inversement. Il n'y a rien de permanent dans la situation respective de ces poudres, et, dans de telles conditions, il ne peut rien y avoir de permanent. C'est une image fidèle de notre vie psychique. A tout moment, de nouvelles influences peuvent modifier la position des grains qui se trouvent en haut, et faire venir à leur lace d'autres grains, de nature absolument opposée. La science appelle cet état relatif des poudres l'état de mélange mécanique. La caractéristique fondamentale des relations mutuelles dans cet état de mélange est leur versatilité et leur instabilité.
« Il est impossible de stabiliser les relations mutuelles des poudres qui se trouvent dans un état de mélange mécanique. Mais elles peuvent être fondues; leur nature métallique rend l'opération possible. A cette fin, un feu spécial peut être allumé sous la cornue; en les chauffant, il les fera fusionner les unes avec les autres. Ainsi fondues, les poudres se trouvent à l'état de composé chimique.
Dès lors, elles ne peuvent plus être agitées aussi aisément que dans leur état de mélange mécanique, lorsqu'il suffisait d'une chiquenaude pour les séparer et les faire changer de place. Ce que contenait la cornue est maintenant devenu indivisible, "individuel". C'est une image de la formation du second corps. Le feu, grâce auquel la fusion est obtenue, est le produit d'une "friction" qui est à son tour le produit de la lutte dans l'homme du "oui" et du "non ". Si un homme ne résiste jamais à aucun de ses désirs, s'il est de connivence avec eux, s'il les flatte, s'il les encourage même, alors il n'y aura jamais de conflit intérieur en lui, jamais de -friction ", et pas de feu. Mais si, pour atteindre un but défini, il combat les désirs qui se mettent en travers de son chemin, il crée de cette façon un feu qui transformera graduellement son monde intérieur en un Tout.

« Revenons à notre exemple. Le composé chimique obtenu par fusion possède certaines qualités, un certain poids spécifique, une certaine conductibilité électrique, et ainsi de suite. Ces qualités constituent les caractéristiques de la substance en question. Mais si on la travaille d'une certaine façon, le nombre de ses caractéristiques peut être accru, c'est-à-dire qu'il peut être donné à l'alliage de nouvelles propriétés qui ne lui appartenaient pas primitivement. Il sera possible de l'aimanter, de le rendre radioactif, etc.

« Le processus par lequel de nouvelles propriétés peuvent être communiquées à l'alliage correspond au processus de la formation du troisième corps, ainsi que de l'acquisition d'une nouvelle connaissance et de nouveaux pouvoirs avec l'aide de ce troisième corps.

« Lorsque le troisième corps a été formé, et qu'il a acquis toutes les propriétés, pouvoirs et connaissances qui lui sont accessibles, il reste encore le problème de les fixer; toutes ces propriétés nouvelles, qui lui ont été communiquées par des influences d'une certaine sorte, peuvent en effet lui être enlevées, aussi bien par ces mêmes influences que par d'autres. Mais, par un travail spécial que les trois corps ont à faire ensemble, les caractères acquis peuvent être rendus propriété permanente et inaltérable du troisième corps.

Le processus de fixation de ces caractères acquis correspond au processus de formation du quatrième corps.
« Et en vérité, nul homme, tant que ses quatre corps ne sont pas entièrement développés, n'a le droit d'être appelé un Homme, dans le plein sens de ce mot. Ainsi, l'homme véritable possède de nombreuses propriétés que l'homme ordinaire ne possède pas. Une de ces propriétés est l'immortalité. Toutes les religions, tous les enseignements anciens apportent cette idée que, par l'acquisition du quatrième corps, l'homme acquiert l'immortalité; et ils indiquent tous des voies qui mènent à l'acquisition du quatrième corps, c'est-à-dire à la conquête de l'immortalité.

« Sous ce rapport, quelques enseignements comparent l'homme à une maison de quatre pièces. L'homme vit dans la plus petite et la plus misérable, sans soupçonner le moins du monde, jusqu'à ce qu'on le lui ait dit, l'existence des trois autres, qui sont pleines de trésors. Lorsqu'il en entend parler, il commence à chercher les clés de ces chambres, et spécialement de la quatrième, la plus importante. Et lorsqu'un homme a trouvé le moyen d'y pénétrer, il devient réellement le maître de sa maison, parce que c'est seulement alors que la maison lui appartient, pleinement et pour toujours.

« La quatrième chambre donne à l'homme l'immortalité dont tous les enseignements religieux s'efforcent de lui montrer le chemin. Il y a un très grand nombre de chemins, plus ou moins longs, plus ou moins durs, mais tous sans exception mènent ou s'efforcent de mener dans une même direction, qui est celle de l'immortalité. »

 

La quatrième voie

p75

- Je disais, la dernière fois, que l'immortalité n'est pas une propriété avec laquelle l'homme naît, mais qu'elle peut être acquise. Toutes les voies qui conduisent à l'immortalité - celles qui sont généralement connues et les autres - peuvent être réparties en trois catégories :

1. La voie du fakir.
2. La voie du moine.
3. La voie du yogi.

« La voie du fakir est celle de la lutte avec le corps physique, c'est la voie du travail sur la première chambre.
Elle est longue, difficile et incertaine. Le fakir s'efforce de développer la volonté physique, le pouvoir sur le corps. Il y parvient par de terribles souffrances, en torturant le corps. Toute la voie du fakir est faite d'exercices physiques incroyablement pénibles. Il se tient debout, dans la même position, sans un mouvement, pendant des heures, des jours, des mois ou des années; ou bien assis sur une pierre nue, sous le soleil, sous la pluie, sous la neige, il garde les bras étendus; ou bien il s'inflige le supplice du feu, ou celui de la fourmilière où il maintient ses jambes nues, et ainsi de suite. S'il ne tombe pas malade, ou ne meurt pas, ce qui peut être appelé la volonté physique se développe en lui; et il atteint alors la quatrième chambre, c'est-à-dire la possibilité de former le quatrième corps. Mais ses autres fonctions - émotionnelles, intellectuelles - demeurent non développées. Il a conquis la volonté, mais il ne possède rien à quoi il puisse l'appliquer, il ne peut pas en faire usage pour acquérir la connaissance ou se perfectionner lui-même. En règle générale, il est trop vieux pour commencer un travail nouveau.

« Mais là où il y a des écoles de fakirs, il y a aussi des écoles de yogis. Les yogis ne perdent généralement pas de vue les fars. Et lorsqu'un fakir atteint avant d'être trop vieux ce à quoi il aspirait, ils le prennent dans une de leurs écoles, pour le soigner; ils restaurent en lui son pouvoir de mouvement, après quoi ils commencent à instruire. Un fakir doit réapprendre à parler et à marcher, comme un bébé. Mais il possède maintenant une volonté qui a surmonté des difficultés incroyables, et elle pourra P aider à triompher des difficultés qui l'attendent encore sur la seconde partie de son chemin, lorsqu'il s'agira de développer ses fonctions intellectuelles et émotionnelles.

« Vous ne pouvez pas vous imaginer les épreuves auxquelles se soumettent les fakirs. Je ne sais pas si vous avez vu de vrais fakirs. Pour ma part, j'en ai rencontré beaucoup; je me souviens de l'un deux, qui vivait dans la cour intérieure d'un temple de l'Inde; j ai même dormi à ses côtés. Jour et nuit, pendant vingt années, il s'était tenu sur les extrémités de ses orteils et de ses doigts. Il n'était plus capable de se redresser ni de se déplacer. Ses disciples le portaient, ils l'emmenaient à la rivière, où ils le lavaient comme un objet. Mais un tel résultat ne s'obtient pas en un jour. Pensez à tout ce dont il lui avait fallu triompher, aux tortures qu'il avait dû subir pour atteindre ce degré.

« Et un homme ne devient pas fakir par sentiment religieux, ou parce qu'il comprend les possibilités et les résultats de cette voie. Dans tous les pays d'Orient où existent des fakirs, le bas peuple a coutume de vouer aux fakirs l'enfant né après quelque événement heureux.
Il arrive aussi que les fakirs adoptent des orphelins ou achètent à des indigents leurs enfants. Ceux-ci deviennent leurs élèves, et les imitent de leur plein gré, à moins qu'ils n'y soient contraints; quelques-uns ne le font qu'en apparence, mais il en est d'autres qui deviennent réellement des fakirs.

« Ajoutez que d'autres suivent cette voie, simplement pour avoir été frappés par le spectacle de quelque fakir.
Auprès de tous les fakirs qui peuvent être vus dans les temples se trouvent des gens qui les imitent, assis ou debout, dans la même posture. Ils ne le font pas longtemps bien sûr, mais parfois pendant de Ion es heures. Et il arrive aussi qu'un homme, entré accidentellement dans un temple, un ,oui de fête, après avoir commencé par imiter quelque fakir qui l'avait impressionné, ne retourne plus jamais chez lui, mais se joigne à la foule de ses disciples; plus tard, il deviendra fakir lui-même. Vous devez comprendre que je ne donne plus, dans de tels cas, au mot "fakir" son sens propre. En Perse, le terme fakir désigne simplement un mendiant; aux Indes, les jongleurs, les saltimbanques se nomment souvent eux-mêmes des fakirs. Et les Européens, notamment les Européens cultivés, donnent très souvent le nom de fakirs à des yogis, aussi bien qu'à des moines itinérants de divers ordres.

« Mais en réalité, la voie du fakir, la voie du moine et la voie du yogi sont entièrement différentes. Je n'ai parlé jusqu'ici que des fakirs. C'est la première voie.

« La seconde est celle du moine. C'est la voie de la foi, du sentiment religieux et des sacrifices. Un homme qui n'aurait pas de très fortes émotions religieuses et une imagination religieuse très intense ne peut pas devenir un " moine" dans le sens vrai de ce mot. La voie du moine est, elle aussi, très dure et très longue. Le moine passe des années et des dizaines d'années à lutter contre lui-même, mais tout son travail est concentré sur la "seconde chambre", sur le second corps, c'est-à-dire sur les sentiments. Soumettant toutes ses autres émotions à une seule émotion, la foi, il développe en lui-même l'unité, la volonté sur les émotions, et par cette voie il atteint la quatrième chambre. Mais son corps physique et ses capacités intellectuelles peuvent demeurer non développés. Pour être en mesure de se servir de ce qu'il aura atteint, il devra se cultiver physiquement et intellectuellement. Cela ne pourra être mené à bien que par de nouveaux sacrifices, de nouvelles austérités, de nouveaux renoncements. Un moine doit encore devenir un yogi et un fakir. Très rares sont ceux qui vont aussi loin; plus rares encore ceux qui viennent à bout de toutes les difficultés. La plupart meurent avant d'y être parvenus, ou ils ne deviennent des "moines" qu'en apparence.

« La troisième voie est celle du yogi. C'est la voie de la connaissance, la voie de l'intellect. Le yogi travaille sur "la troisième chambre" pour parvenir à pénétrer dans la quatrième par ses efforts intellectuels. Le yogi réussit à atteindre la "quatrième chambre" en développant son intellect, mais son corps et ses émotions demeurent non développés et, comme le fakir et le moine, il est incapable de tirer parti de sa victoire. Il sait tout, mais il ne peut rien faire. Pour devenir capable de faire, il doit conquérir la maîtrise sur son corps et sur ses émotions, c'est-à-dire sur la première et la seconde chambres. Pour y parvenir, il lui faut se remettre à l'ouvrage, et il n'obtiendra pas de résultats sans des efforts prolongés. Dans ce cas cependant, il a l'avantage de comprendre sa position, de connaître ce qui lui manque, ce qu'il doit faire, et la direction qu'il doit suivre. Mais, comme sur la voie du fakir ou du moine, très rares sont ceux qui, sur la voie du yogi, acquièrent une telle connaissance, c'est-à-dire atteignent le niveau où un homme peut savoir où il va. La plupart s'arrêtent à un certain degré, et ne vont pas plus loin.

« Les voies diffèrent aussi beaucoup les unes des autres, par rapport au maître, ou au guide spirituel.

« Sur la voie du fakir, un homme n'a pas de maître, au sens vrai de ce mot. Le maître, dans ce cas, n'enseigne pas, il sert simplement d'exemple. Le travail de l'élève se borne à imiter le maître.

« L'homme qui suit la voie du moine a un maître, et une partie de ses devoirs, une partie de sa tâche, est d'avoir en son maître une foi absolue, il lui faut se soumettre absolument à lui, dans l'obéissance. Mais l'essentiel, sur la voie du moine, c'est la foi en Dieu, l'amour de Dieu, les efforts ininterrompus pour obéir à Dieu et le servir, bien que dans sa compréhension de l'idée de Dieu et du service e Dieu, il puisse y avoir une grande part de subjectivité, et beaucoup de contradictions.

« Sur la voie du yogi, il ne faut rien faire, et on ne doit rien faire, sans un maître. L'homme qui embrasse cette voie doit, au commencement, imiter son maître comme le fakir, et croire en lui comme le moine. Mais par la suite il devient graduellement son propre maître. Il apprend les méthodes de son maître et s'exerce graduellement à se les appliquer à lui-même.

« Mais toutes les voies, la voie du fakir aussi bien que les voies du moine et du yogi, ont un point commun.
Elles commencent toutes par ce qu'il y a e plus difficile, un changement de vie total, un renoncement à tout ce qui est de ce monde. Un homme qui a une maison, une famille, doit les abandonner, il doit renoncer à tous les plaisirs, attachements et devoirs de la vie, et partir au désert, entrer dans un monastère, ou dans une école de yogis.
Dès le premier jour, dès le premier pas sur la voie, il doit mourir au monde; ce n'est que de cette façon qu'il peut espérer atteindre quelque chose sur une de ces voies.

« Pour saisir l'essence de cet enseignement, il est indispensable de bien se rendre compte que les voies sont les seules méthodes capables d'assurer le développement des possibilités cachées de l'homme. Cela montre d'ailleurs combien un tel développement est rare et difficile. Le développement de ces possibilités n'est pas une loi. La loi pour l'homme, c'est une existence dans le cercle des influences mécaniques, c'est l'état d'"homme-machine". La voie du développement des possibilités cachées est une voie contre la nature, contre Dieu. Cela explique les difficultés et le caractère exclusif des voies. Elles sont strictes et étroites. Cependant rien ne saurait être atteint sans elles.
Dans l'océan de la vie ordinaire, et spécialement de la vie moderne, les voies n'apparaissent que comme un phénomène minuscule, à peine perceptible, qui, du point de vue de cette vie, n'a pas la moindre raison d'être. Mais ce phénomène minuscule contient en lui-même tout ce dont homme dispose pour le développement de ses possibilités cachées. Les voies s'opposent a la vie de tous les jours, basée sur d'autres principes, et assujettie à d'autres lois.
Là est le secret de leur puissance et de leur signification.
Dans une vie ordinaire, si prise soit-elle par des intérêts philosophiques, scientifiques, religieux ou sociaux, il n'y a rien et il ne peut rien y avoir qui offre les possibilités contenues dans les voies. Car elles mènent, ou pourraient mener, l'homme à l'immortalité. La vie mondaine, même la plus réussie, mène à la mort et ne saurait mener à rien d'autre. L'idée des voies ne peut pas être comprise, si l'on admet la possibilité d'une évolution de l'homme sans leur aide.

« En règle générale, il est dur pour un homme de se résigner à cette idée; elle lui paraît exagérée, injuste et absurde. Il a une pauvre compréhension du sens du mot "possibilité". Il s'imagine que, s'il a quelques possibilités en lui-même, elles doivent être développées, et qu'il doit bien y avoir des moyens de développement à sa portée.
Partant d'un refus total de reconnaître en lui-même aucune sorte de possibilités, l'homme, en général, passe subitement à une exigence impérieuse de leur développement inévitable. Il est difficile pour lui de se faire à cette idée que non seulement ses possibilités peuvent rester en leur stade actuel d'infra développement, mais qu'elles peuvent s'atrophier définitivement, et que, par ailleurs, leur développement réclame de lui des efforts prodigieux et persévérants. D'une manière générale, si nous considérons les cens qui ne sont ni des fakirs, ni des moines, ni des yogis, et de qui nous pouvons affirmer sans crainte qu'ils ne seront jamais des fars, des moines ou des yogis, nous sommes en mesure d'affirmer avec une certitude absolue que leurs possibilités ne peuvent pas être développées, et qu'elles ne seront jamais développées. Il est indispensable de s'en persuader profondément pour comprendre ce que je vais dire.

« Dans les conditions ordinaires de la vie civilisée, la situation d'un homme, même intelligent, qui cherche la connaissance, est sans espoir, parce qu'il n'a pas la moindre chance de trouver autour de lui quelque chose qui ressemble à une école de fakirs ou à une école de yogis; quant aux religions de l'Occident, elles ont dégénéré à un tel point que depuis longtemps il n'y a plus rien de vivant en elles, Enfin, du côté "occultiste" ou "spirite", il n'y a rien de plus à attendre que des expériences naïves.

« Et la situation serait vraiment désespérée, s'il n'existait une autre possibilité, celle d'une quatrième voie.

« La quatrième voie ne demande pas que l'on se retire du monde, elle n'exige pas que l'on abandonne tout ce dont on avait vécu jusque là. Elle commence beaucoup plus loin que la voie du yogi. Cela signifie qu'il faut se préparé pour s'engager sur la quatrième voie, et que cette préparation des plus sérieuses doit être acquise dans la vie ordinaire et porter sur beaucoup de côtés différents. De plus, l'homme qui veut suivre la quatrième voie doit réunir dans sa vie des conditions favorables au travail, ou du moins qui ne le rendent pas impossible. Car il faut bien se convaincre que dans la vie extérieure, aussi bien que dans la vie intérieure, certaines conditions peuvent constituer, pour la quatrième voie, des barrières insurmontables. Ajoutons que cette voie, contrairement à celle du fakir, du moine et du yogi, n'a pas de forme définie. Avant tout, elle doit être trouvée.
C'est le premier test. Et il est difficile, parce que la quatrième voie est loin d'être aussi connue que les trois autres voies traditionnelles. Nombreux sont les gens qui n'en ont jamais entendu parler, nombreux sont ceux qui nient simplement son existence ou même sa possibilité.

« Cependant le commencement de la quatrième voie est plus facile que le commencement des voies du fakir, du moine et du yogi. Il est possible de suivre la quatrième voie et de travailler sur elle tout en continuant de vaquer à ses occupations ordinaires dans les conditions de vie habituelles, sans rompre les relations que l'on avait avec les gens, ni rien abandonner. Cette voie n'exige pas le renoncement. Au contraire, les conditions de vie où un homme se trouve placé lorsqu'il entreprend le travail - où le travail, pour ainsi dire, le surprend - sont les meilleures possibles pour lui, tout au moins au commencement.
Car elles lui sont naturelles. Elles sont cet homme même, parce que la vie d'un homme et ses conditions correspondent à ce qu'il est. La vie les a créées à sa mesure; par suite, toutes autres conditions seraient artificielles, et le travail ne pourrait pas, en ce cas, toucher immédiatement tous les côtés de son être.

« Ainsi, la quatrième voie atteint tous les côtés de l'être humain simultanément. C'est un travail immédiat sur les trois chambres à la fois. Le fakir travaille sur la première chambre, le moine sur la seconde, le yogi sur la troisième.
Lorsqu'ils atteignent la quatrième chambre, le fakir, le moine et le yogi laissent derrière eux bien des tâches inachevées, et ils ne peuvent faire usage de ce qu'ils ont atteint, parce qu'ils ne sont pas maîtres de toutes leurs fonctions.
Le fakir est maître de son corps, mais non de ses émotions, ni de ses pensées; le moine est maître de ses émotions, mais non de son corps, ni de sa pensée; le yogi est maître de sa pensée, mais non de son corps, ni de ses émotions.

« La quatrième voie diffère donc des autres en ceci qu'elle pose devant l'homme, avant tout, l'exigence d'une compréhension. L'homme ne doit rien faire sans comprendre - sauf à titre d'expérience, sous le contrôle et la direction de son maître. Plus un homme comprendra ce qu'il fait, plus les résultats de ses efforts seront valables.
C'est un principe fondamental de la quatrième voie. Les résultats obtenus dans le travail sont proportionnels à la conscience que l'on a de ce travail. La "foi" n'est pas requise sur cette voie; au contraire, la foi, de quelque nature qu'elle soit, y est un obstacle. Sur la quatrième voie, un homme doit s'assurer par lui-même de la vérité de ce qui lui est dit. Et aussi longtemps qu'il n'a pas acquis cette certitude, il ne doit rien faire.

« La méthode de la quatrième voie est la suivante : si l'on commence un travail sur une chambre, un travail correspondant doit être entrepris simultanément sur les deux autres. En d'autres termes, tandis que l'on travaille sur le corps physique, il faut travailler simultanément sur la pensée et sur les émotions; tandis que l'on travaille sur la pensée, il faut travailler sur le corps physique et les émotions; tandis que l'on travaille sur les émotions, il faut travailler sur la pensée et sur le corps physique. Ce qui permet d'y parvenir, c'est que, sur la quatrième voie, il est possible de faire usage d'une certaine connaissance, inaccessible sur celles du fakir, du moine et du yogi. Cette connaissance fournit la possibilité d'un travail dans les trois directions à la fois. Toute une série d'exercices parallèles sur les trois plans physique, mental et émotionnel, servent ce - but. De plus, sur Ia quatrième voie, il est possible d'individualiser le travail de chacun; autrement dit, chacun ne doit faire que ce qui lui est nécessaire, et rien de ce qui est sans utilité pour lui. Car la quatrième voie se passe de tout ce superflu qui est maintenu par simple routine sur les autres voies.

« Ainsi, lorsqu'un homme atteint la volonté par la quatrième voie, il peut s'en servir, parce qu'il a acquis le contrôle de toutes ses fonctions physiques, émotionnelles et intellectuelles. Et il a épargné, par surcroît, beaucoup de temps en travaillant à la fois, parallèlement, sur les trois côtés de son être.

« La quatrième voie est appelée parfois la voie de l'homme rusé. L'"homme rusé" connaît un secret que le fakir, le moine et le yogi ne connaissent pas. Comment l'"homme rusé" a-t-il appris ce secret - nul ne le sait. Peut-être l'a-t-il trouvé dans quelque vieux livre, peut-être en a-t-il hérité, peut-être fa-t-il acheté, peut-être l'a-t-il dérobé à quelqu'un. C'est égal. L'homme rusé" connaît le secret et, avec son aide, il laisse loin derrière lui le fakir, le moine et le yogi.

« Le fakir est, entre les quatre, celui qui agit de la manière la plus grossière; il sait très peu, et il comprend très peu.
Supposons qu'il parvienne, après un mois de tortures intensives, a développer une certaine énergie, une certaine substance qui produise en lui des changements définis. Il le fait absolument dans la nuit, les yeux fermés, ne connaissant ni le but, ni les méthodes, ni les résultats, par simple imitation.

« Le moine sait un peu mieux ce qu'il veut; il est guidé par son sentiment religieux, par sa tradition religieuse, par un désir d'accomplissement, de salut; il a foi en son maître qui lui dit ce qu'il doit faire, et il croit que ses efforts et ses sacrifices "plaisent a Dieu". Supposons qu en une semaine de jeûnes, de prières continuelles, de privations et de pénitences, il parvienne a atteindre ce que le fakir n'avait pu développer en lui que par un mois de tortures.

« Le yogi en sait bien davantage. Il sait ce qu'il veut, il sait pourquoi il le veut, il sait comment il peut (atteindre.
Il sait par exemple que, pour parvenir à ses fins, il doit développer en lui une certaine substance. Il sait que cette substance peut être produite en un jour par une certaine sorte d'exercice mental, ou par une concentration intellectuelle. Aussi garde-t-il pendant un jour entier, sans se permettre une seule idée étrangère, son attention fixée sur cet exercice, et il obtient ce dont il a besoin. De cette façon un yogi parvient, en une journée, à la même chose que le moine en une semaine, et le fakir en un mois.

« Mais sur la quatrième voie, la connaissance est encore plus exacte et plus parfaite. L'homme qui la suit connaît avec précision de quelles substances il a besoin pour atteindre ses fins, et il sait que ces substances peuvent être élaborées dans le cors par un mois de souffrance physique, une semaine de tension émotionnelle, ou un jour d'exercices mentaux, - et aussi, que ces substances peuvent être introduites du dehors dans d'organisme, si l'on sait comment s'y prendre. Et ainsi, au lieu de perdre un jour entier en exercices comme le yogi, une semaine en prières comme le moine, et un mois en supplices comme le fakir, l'homme qui suit la quatrième voie se contente de préparer et d'avaler une petite pilule qui contient toutes les substances requises, et de cette façon, sans perdre de temps, il obtient les résultats voulus. »

- Il faut encore noter, dit G., qu'en dehors de ces voies justes et légitimes, il y a aussi des voies artificielles, ne donnant que des résultats temporaires, et des voies franchement mauvaises qui peuvent même donner des résultats permanents, mais néfastes. Sur ces voies également, homme cherche la clé de la quatrième chambre, et quelquefois il la trouve. Mais ce qu'il trouve dans la quatrième ambre, nul ne le sait.

« Il arrive aussi que la porte de la quatrième chambre soit ouverte artificiellement avec un passe-partout.

« Et dans ces deux cas, la chambre peut se trouver vide. »


L'absence d'unité en l'homme

P96 - Très souvent, presque à chaque entretien, G. revenait sur l'absence d'unité en l'homme.

- L'une des erreurs les plus graves de l'homme, disait-il, celle qui doit lui être constamment rappelée, c'est son illusion à l'égard de son "Moi".

« L'homme tel que nous le connaissons, l'homme-machine, l'homme qui ne peut pas "faire", l'homme avec qui et à travers qui "tout arrive", ne peut pas avoir un "Moi" permanent et unique. Son " moi" change aussi vite que ses pensées, ses sentiments, ses humeurs, et il fait une erreur profonde lorsqu'il se considère comme étant toujours une seule et même personne; en réalité, il est toujours une personne différente, il n'est jamais celui qu'il était un moment plus tôt.

« L'homme n'a pas de "Moi" permanent et immuable. Chaque pensée, chaque humeur, chaque désir, chaque sensation dit "Moi". Et chaque fois, on semble tenir pour assuré que ce "moi" appartient au Tout de l'homme, à l'homme entier, et qu'une pensée, un désir, une aversion sont l'expression de ce Tout. En fait, nulle preuve ne saurait être apportée à l'appui de cette affirmation. Chacune des pensées de l'homme, chacun de ses désirs se manifeste et vit dune manière complètement indépendante et séparée de son Tout. Et le Tout de l'homme ne s'exprime jamais, pour cette simple raison qu'il n'existe pas comme tel, sauf physiquement comme une chose, et abstraitement comme un concept. L'homme n'a pas de "Moi" individuel. A sa place, il y a des centaines et des milliers de petits "moi" séparés, qui le plus souvent s'ignorent, n'entretiennent aucune relation, ou, au contraire, sont hostiles les uns aux autres, exclusifs et incompatibles. A chaque minute, à chaque moment, l'homme dit ou pense "Moi". Et chaque fois son "moi" est différent. A l'instant c'était une pensée, maintenant c'est un désir, puis une sensation, puis une autre pensée, et ainsi de suite, sans fin. L'homme est une pluralité. Le nom de l'homme est légion.

« L'alternance des "moi", leurs luttes manifestes de tous les instants pour la suprématie, sont commandées par les influences extérieures accidentelles. La chaleur, le soleil, le beau temps, appellent aussitôt tout un groupe de "moi". Le froid, le brouillard, la pluie appellent un autre groupe de "moi", d'autres associations, d'autres sentiments, d'autres actions. Et il n'y a rien dans l'homme qui soit en état de contrôler ces changements des "moi", principalement parce que l'homme ne les remarque pas, ou n'en a aucune idée; il vit toujours dans son dernier "moi". Quelques-uns, naturellement, sont plus forts que les autres; mais non de leur propre force consciente. Ils ont été créés par la force des accidents, ou par des excitations mécaniques externes. L'éducation, l'imitation, la lecture, l'hypnotisme de la religion, des castes et des traditions, ou la séduction des derniers slogans, donnent naissance, dans la personnalité d'un homme, à des "moi" très forts et qui dominent des séries entières d'autres "moi" plus faibles. Mais leur force n'est que celle des rouleaux (Les rouleaux sont décrits dans les Conférences Psychologiques comme les appareils enregistreurs de chaque centre sur lesquels viennent se graver les impressions. L'ensemble des inscriptions de ces rouleaux, analogues à des rouleaux (ou disques) de phonographe, constitue le matériel d'associations d'un homme.) dans les centres. Et tous ces "moi" qui constituent la personnalité de l'homme ont la même origine que les inscriptions des rouleaux : les uns et les autres sont les résultats des influences extérieures, ils sont mis en mouvement et commandés par les dernières venues.

«L'homme n'a pas d'individualité. Il n'a pas un grand "Moi" unique. L'homme est partagé en une multitude de petits "moi ".

« Mais chacun d'eux est capable de s'appeler lui-même du nom du Tout, d'agir au nom du Tout, de faire des promesses, de prendre des décisions, d'être d'accord ou de ne pas être d'accord avec ce qu'un autre "moi", ou le Tout, aurait à faire. Cela explique pourquoi les gens prennent si souvent des décisions et les tiennent si rarement. Un homme décide de se lever tôt, en commençant dès le lendemain. Un "moi", ou un groupe de "moi", prend cette décision. Mais se lever est l'affaire d'un autre "moi", qui n'est pas du tout d'accord, et qui peut même ne pas avoir été mis au courant. Naturellement l'homme n'en dormira pas moins le matin suivant, et le soir il décidera à nouveau de se lever tôt. Cela peut entraîner des conséquences fort désagréables. Un peut "moi" accidentel peut faire une promesse, non pas à lui-même, mais à quelqu'un d'autre à un certain moment, simplement par vanité, ou pour s'amuser. Puis il disparaît. Mais l'homme, c'est-à-dire l'ensemble des autres "moi", qui sont parfaitement innocents, devra peut-être payer toute sa vie pour cette plaisanterie. C'est la tragédie de l'être humain que n'importe quel petit "moi" ait ainsi le pouvoir de signer des traites, et que ce soit ensuite l'homme, c'est-à-dire le Tout, qui doive faire face. Des vies entières se passent ainsi, à acquitter des dettes contractées par des petits "moi" accidentels.

« Les enseignements orientaux sont pleins d'allégories qui s'attachent à dépeindre, de ce point de vue, la nature de l'être humain.

« Selon l'un d'eux, l'homme est comparé à une maison sans Maître ni intendant, occupée par une multitude de serviteurs. Ceux-ci ont entièrement oublié leurs devoirs; personne ne veut remplir sa tâche; chacun s'efforce d'être le maître, ne serait-ce que pour une minute, et, dans cette sorte d'anarchie, la maison est menacée des plus graves dangers. La seule chance de salut est qu'un groupe de serviteurs plus sensés se réunissent et élisent un intendant temporaire, c'est-à-dire un député-intendant. Ce député-intendant peut alors mettre les autres serviteurs à leur, place, et contraindre chacun d'eux à faire son travail : la cuisinière à la cuisine, le cocher à l'écurie, le jardinier au potager, et ainsi de suite. De cette façon, la "maison" peut être prête pour l'arrivée du véritable intendant, qui à son tour préparera l'arrivée du véritable Maître.

« La comparaison de l'homme avec une maison dans l'attente de son maître est fréquente dans les enseignements de l'Orient qui ont conservé des traces de l'ancienne connaissance, et, comme vous le savez, cette idée apparaît aussi sous des formes variées, dans de nombreuses paraboles des Évangiles.

« Mais l'homme comprendrait-il, même de la façon la plus claire, ses possibilités, cela ne saurait le faire progresser d'un pas vers leur réalisation. Pour être en mesure de réaliser ces possibilités, il doit avoir un très ardent désir de libération, il doit être prêt à tout sacrifier, à tout risquer pour sa libération ».


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