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Rafael Lefort

Les maîtres de Gurdjieff

Voici une carte pour situer géographiquement les lieux des rencontres avec les soit disant maître de Gurdjieff et quelques unes de ces rencontres, le Sheikh Daud Yusuf,  le Sheikh Abdul Muhi, le Sheikh Mohamed Daud.

Au sujet de Rafael Lefort, de son identité, de son but véritable en publiant "Les maîtres de Gurdjieff" quelques rumeurs circulent. Anthony Campbell dit ceci : "dans les années 70, Livia Gollancz, qui a édité ce travail, m'a dit qu'elle n'a pas su qui était Rafael Lefort mais qu'elle pourrait le contacter par courrier s'il était jamais essentiel de faire ainsi." Certains disent, c'est J.G. Bennett, d'autres prétendent qu'il s'agit d'Idries Shah († 1996). La connaissance qu'ils ont de la langue Perse est un argument. Il y a un évènement qui lie ces deux hommes, à la fin de 1965, Bennett a cédé à Idries Shah son propre centre dans le Surrey, un endroit appelé Coombe Springs, où il a enseigné à ses disciples une version du système de Gurdjieff, Idries Shah a promptement expulsé Bennett et ses pupilles et a vendu la propriété à des promoteurs pour ce qui était alors une grande somme d'argent. Entre les deux le plus retors, c'est Idries Shah. Il est qualifié de mystagogue par Peter Washington qui est pratiquement certain qu'il est l'auteur du livre, ce qui est sûr c'est qu'il s'est livré à plusieurs mystifications littéraires, celle ci ne déparerait pas son palmarès. Il a voulu passé pour le dernier grand maître soufi, a essayé de récupérer la tradition des maîtres de Gurdjieff (le monastère de Sarmoung) comme par hasard au moment de la sortie du livre de Lefort, il a prétendu en être le dépositaire.

Extrait de la jaquette du livre :
[...]Rafael Lefort étudia Gurdjieff sous la direction de certains de ses principaux disciples. Mais la tournure qu'avait prise le « travail » dans cette branche du mouvement depuis la mort du maître, l'institutionnalisation grandissante, le laissèrent de plus en plus insatisfait. Il décida alors de rechercher les sources de l'enseignement de Gurdjieff, en suivant les indices parsemés dans ses écrits - qui laissaient entendre que les origines étaient à chercher au Moyen-Orient.

C'est ainsi qu'il entreprit d'explorer la tradition Soufi. Il raconte dans ce livre les péripéties de cette quête étonnante, et son dénouement, une quête poursuivie de pays en pays, de sage en sage. D'Adana, dans le sud-est de la Turquie et de Kerbala, en Irak, à Baghdad, Damas et Jérusalem. Du Caire à Istanbul, à Alep et à Homs ; de Tabriz et de Meshed en Iran, jusqu'à Peshwar, et Jelalabad en Afghanistan. De Hakim Abdul Qader, tisserand de tapis à Hashim Mohamed Khattat, le calligraphe. D'Ataullah Qarmani, le chaudronnier, à Daggash Rustam, le maître-tambour, et à bien d'autres. Certains de ces hommes avaient réellement été les maîtres de Gurdjieff, d'autres l'avaient connu alors qu'il étudiait dans leur ville ; l'un d'eux affirme avoir appris à Gurdjieff à respirer correctement - « à respirer avec sa conscience et son être entier ».
[...]
On retrouve là la technique Soufi classique qui consiste à donner un choc au néophyte, à le traiter avec une rudesse déconcertante, à provoquer la pensée en détruisant les idées préconçues sur la « connaissance ». A maintes et maintes reprises ces maîtres rejettent de façon tranchante les modes de penser occidentaux. « L'érudit, avec son penchant irrésistible à vouloir interpréter, commenter, expliquer, est depuis toujours la malédiction du monde occidental...
[...]
Le point culminant du voyage, et sa dernière étape, la plus lointaine dans l'espace, a pour cadre une cité poussiéreuse d'Afghanistan, pas très loin des « centrales d'énergie » spirituelles du Soufisme, dans l'Hindou-Koush, et où Rafael Lefort peut enfin rencontrer le grand Sheikh ul Mashaikh. La rencontre marque la fin de sa quête. Il retourne alors en Europe pour découvrir que le centre où on l'envoie se trouve à deux pas de son domicile.
[...]

 


LE SHEIKH DAUD YUSUF

p33 - Dans l'état de grande tension où j'étais, c'est à peine si j'eus conscience d'une question que me posait, en persan, l'un des clients. J'émergeai dé ma rêverie pour l'entendre répéter :
« Croyez-vous que ce tapis conviendrait pour mes méditations ? »

« Oui, je ne vois pas pourquoi il ne conviendrait pas. »
L'accablante réponse ne se fit pas attendre :
« Vous ne voyez pas! Parce que vous n'avez pas regardé. Les couleurs ne sont pas en harmonie et constitueraient une source de distraction. Le dessin va à l'encontre du courant positif de la pensée et trouble la tranquillité de l'esprit. Une évaluation aussi naïve d'une chose aussi simple montre votre peu de talent, et pourtant vous cherchez à comprendre des choses venant d'un maître de Jurjizada ! »

Je sursautai. « Alors vous... vous êtes le Sheikh Daud. »
« Je le suis. »
« Pardonnez-moi, voyez-vous... »
« Je vois très bien. »
« Enfin je veux dire... »
« Quoi ? »
« J'ai besoin d'aide. »
« Dans quel but ? »
« Me trouver moi-même. »
« Et après ? »
« Me connaître et savoir si je suis capable de me développer. »
« Dans quel but ? »
« Pour être en harmonie avec le développement organique du cosmos. »
« Vous avez une haute idée de votre place dans le cosmos »
« Sheikh, je me rends compte que je suis insignifiant, mais à moins de comprendre à quel point je le suis, je ne peux rien faire de constructif pour remédier à ma condition. »
« Comment savez-vous cela ? »
« Je l'ai appris de ceux qui ont chargé Gurdjieff d'apporter leur message à l'Occident. »
« Gurdjieff est mort. »
« Mais son message doit sûrement se perpétuer à travers ceux à qui il a transmis son autorité. »
« Gurdjieff n'a transmis son autorité à personne. Son message est mort avec lui. »
« Alors, ce qu'il a dit est sans valeur ? »
« Ce qu'il a dit avait une valeur au moment où il l'a projeté, et à l'endroit où cela a été projeté. Ce n'était qu'un pas dans la direction de la manifestation plénière du message complet. Un pas pour préparer un certain climat. Il n'a chargé personne de porter les cendres mortes dans l'avenir, sous le nom d'un feu ardent. Si certains l'ont fait, alors ils ne font que montrer leur incapacité à distinguer les cendres froides du feu ardent. Les cendres doivent leur existence à la flamme, et une fois celle-ci éteinte, elles ne sont que carbone inerte, et ne servent qu'à ceux qui utilisent le carbone, non à ceux qui recherchent la chaleur et l'énergie de la flamme. »
« Sheikh, je vous prie, puis-je vous interroger sur Gurdjieff ? »
« Est-ce l'homme ou l'enseignement qui vous intéresse ? »
« Les deux, mais à différents degrés. »
« Alors, sachez que Gurdjieff a été mon élève, et qu'il m'a été envoyé par mon propre maître, Abdullah Jamavi de Damas. Il est venu à moi pour apprendre les enseignements de Salman Farsi Je lui ai enseigné ce que sa compétence pouvait saisir, ni plus ni moins.
« Salman Farsi fut le disciple des grands maîtres, et son message a été transmis à travers Bahaddin Nakshbend et Shah Gwath au Sheikh Abdullah Shattar. C'est la technique rapide de développement grâce à laquelle l'élève fait des progrès plus prompts que par les méthodes ordinaires, mais que l'on n'applique qu'à ceux qui ont une raison spécifique de la pratiquer et possèdent l'autorisation formelle de leur maître. Cette méthode n'est pas toujours mise en œuvre, même par celui qui en a acquis la maîtrise ; mais, dans certains domaines de l'enseignement, sa connaissance est nécessaire. Gurdjieff l'a apprise de moi, mais ne s'en est pas servi de la manière exacte dont il l'avait reçue. Elle possède une très grande flexibilité, si bien qu'on peut ne s'en servir que partiellement, s'il le faut, afin de produire un effet déterminé. »
« Cela m'aiderait-il de la connaître ? » demandai-je, plein d'espoir.
« La question ne se pose pas, puisque ce n'est pas moi qui vous l'enseignerai. Maintenant, vous instruira-t-on plus tard dans cette technique ?... peut-être, si vous êtes prêt, si c'est le moment et s'il est nécessaire alors pour vous de recevoir cette instruction. Beaucoup de derviches très avancés ne la connaissent pas parce qu'on n'a pas jugé nécessaire qu'ils l'apprennent. »
« Et que pouvez-vous dire de Gurdjieff en tant qu'homme ? »
« Ça, pour être un homme, il l'était, avec toutes les faiblesses et les carences de l'espèce. Un homme développé, non ; maintenant, qu'il le soit devenu ou non par la suite, je ne veux pas essayer de le deviner. Quoique je connaisse bien l'histoire de ses activités en Europe, il n'y a pas grand-chose à en apprendre si l'on ne connaît pas les ordres spécifiques qu'il suivait. »
« Qui aurait donné les ordres ? »
« Le Centre.»
« Et c'est... ? »
« Cessez d'essayer de me soutirer des renseignements qui ne vous seront d'aucun profit. Pour la première fois de votre vie vous entendez parler d'un Centre, et avant même de réfléchir à ce que cela implique, vous voulez savoir où il se trouve, et par qui ou par quoi il est dirigé. Vous n'avez aucun droit à revendiquer ma connaissance, pas plus que vous n'avez droit à une réponse pour chaque question qui vous passe par la tête. Sondez-moi moins, dans votre propre intérêt, et peut-être apprendrez-vous davantage. »
« Pardonnez-moi, Sheikh, mais je viens de loin et... »
« Vous venez de loin ! » s'exclama-t-il en riant. « Quelques centaines de kilomètres, la plupart en avion, et vous appelez ça loin ! Vous ramassez pêle-mêle des bribes d'information, comme un chien furetant dans une fosse à ordures, et vous vous servez de ce grand voyage pour excuser votre manque de finesse ! Vous essayez de m'extirper des réponses à des questions qui ne vous concernent pas, sur un homme dont le message est mort ! Vous m'auriez demandé si l'enseignement originel avait atteint ou atteindrait à nouveau l'Occident, au lieu d'essayer de ranimer les cendres mortes de l'ombre d'un feu, je vous aurais jugé moins sévèrement. »
« Puis-je vous le demander maintenant ? Où puis-je trouver la nouvelle projection ? »
« Non, vous ne pouvez pas me le demander ! Votre incapacité à poser cette question prouve suffisamment que vous n'êtes pas prêt à recevoir la réponse. Vous êtes à ce point imbu des complexités des formulations cosmiques, des personnalités étiquetées et de bizarres déviations de Shattar apprises en perroquet, que votre conscience fragmentée vous empêche de poser les questions justes au moment juste, et de profiter des réponses. Vous avez été "instruit" ou conditionné à penser suivant un certain schéma. Cette forme de pensée est stérile. »
« Mais comment apprendre si je ne demande rien ? »
« Votre question même vous révèle. On apprend en agissant, non en questionnant. Il ne s'agit pas de savoir pourquoi lire tel livre, ni quand ni où, mais comment le lire, pour recueillir ce qui en lui doit être recueilli. On vous a habitué à imaginer que chaque question comporte une réponse. Eh bien ! C'est faux. Bien sûr, on peut toujours donner une réponse à une question, mais que vaut cette réponse ?
Ça, c'est une autre histoire. Vous vous croyez obligé de poser des questions, vous croyez avoir le droit de le faire et l'intelligence voulue pour comprendre les réponses. Sans doute avez-vous aussi un diplôme universitaire ?
Mais si vous êtes maladroit, à quoi vous sert votre "intellect", là où il faut de l'adresse manuelle ? Votre diplôme vous aide-t-il à guérir plus rapidement votre dermatose ?
Pouvez-vous courir le 1 500 mètres plus rapidement que l'athlète stupide, mais musclé ?
Votre intellect vous donne-t-il des ailes aux pieds ?
L'instruction, la connaissance et la sagesse ne sont utiles que si l'on a en même temps la capacité de les mettre en pratique, avec leur qualité juste et dans un juste contexte d'activité. »
« Alors, puis-je vous demander s'il est utile pour moi de rechercher les maîtres d'un homme que je n'ai jamais rencontré, mais pour qui j'éprouve un profond respect ? »
« Oui, à condition que ce respect porte sur la qualité de son enseignement et non, essentiellement, sur l'homme lui-même. On peut être influencé par le culte de la personnalité au point de ne plus voir ce qu'un homme représente. Si sa personnalité produit un impact sur vous, alors cherchez à découvrir ce qui lui a donné cette personnalité, et il se peut alors que vous perceviez aussi sa saveur. Vénérez seulement la mémoire d'un homme et vous vénérez une créature aussi frêle que vous.


LE SHEIKH ABDUL MUHI

p114 - « Vous croyez penser en ce moment, mais vous n'utilisez même pas un cinquième de votre puissance réelle de pensée.
Pour que la pensée soit profitable, il faut savoir comment et quoi penser ; il faut rejeter l'illusion que vos exercices intellectuels sont de vraies pensées. En fait, ils ne sont que des parodies dégoûtantes de la vraie pensée ; ils enivrent et séduisent, et ne font rien d'autre qu'affaiblir la capacité de pensée réelle. Chaque fois que vous acceptez une de ces "ombres de pensée", vous encouragez du même coup votre conscience à les accepter comme réelles, sapant ainsi petit à petit la valeur de la vraie pensée. »
« Conserve-t-on une liberté mentale, créatrice malgré l'introduction de ce "nouveau schéma" de pensée ? » demandai-je.
« Votre manque de compréhension m'étonne », rétorqua le Sheikh. « Vous languissez après ce que vous appelez pensée créatrice, alors que c'est précisément cette "liberté créatrice" même qui vous paralyse depuis si longtemps.
Pensée créatrice, art créateur ou poésie créatrice, ne sont qu'un prétexte pour présenter au monde les aberrations sorties des esprits souillés de la prétendue élite intellectuelle de l'Occident. Le véritable artiste créateur ne clame pas sa capacité de création aux quatre vents. Le véritable intellectuel ne prétend jamais en être un. Ce sont les insatisfaits, les ratés, les paresseux et les imbéciles qui soudent de vieux vélos en s'imaginant faire œuvre de création. Ils sont entourés de gens de leur espèce, qui déversent louange sur louange sur leurs déchets, afin qu'à leur tour ils puissent également recevoir des fleurs.

« Mesurés à l'échelle acceptée des valeurs de l'art - couleur, forme, perception et profondeur - ils n'ont rien. Ils se disent victimes de parti pris, et imputent aux "concepts démodés" et à la jalousie le manque de respect dont témoigne la grande majorité de la race humaine envers leurs créations.
Ils se proclament la nouvelle vague de pensée et veulent incarner la révolte contre le passé figé : parfait! On ne demande à personne de louer ce qui - à l'unanimité - est tombé en désuétude. Mais ce qui est valable est rarement désuet. Si une pensée ou une idée est saine fondamentalement, elle se développera. Les conventions soi-disant démodées que les esprits puérils d'Occident cherchent à renverser ont été mûries pendant des siècles. Elles n'ont pas de caractère restrictif, car il n'est pas de conventions qui puissent étouffer ce qui a de la valeur. Si ces conventions exigent du talent en art ou en littérature, ou du moins une aptitude dans ces domaines, alors je vous laisse à juger la nature de ceux qui veulent balayer ces conventions.

« Aujourd'hui, en Occident, vous n'avez guère de penseurs originaux, créateurs. En bon intellectuel occidental conditionné, vous vous révoltez devant cette assertion, mais c'est un fait. L'Occident traverse une angoissante période d'auto-examen de ses valeurs et de ses croyances. Chercher Dieu ou Mammon ? Où et comment rechercher Dieu ?
Quelle est la place de l'homme dans l'Univers ?
Aucune de ces questions ne peut recevoir de réponse dans une société qui s'agrippe à la moindre parole des soi-disant penseurs contemporains, dont l'espèce prolifère aujourd'hui.
Leurs élucubrations constituent un affront à des générations de pensée occidentale.

« Si, au cours des siècles, la pensée occidentale avait été correctement orientée, alors elle eût porté fruit sur un plan ésotérique. Or, elle n'a même rien donné au niveau exotérique. Remarquez que l'homme d'Occident connaît ses limites et qu'il s'attroupe volontiers autour du podium de quiconque prétend détenir une nouvelle façon de penser, surtout s'il est oriental. Nombreux sont ceux qui ont été grisés par certains aspects des enseignements de Gurdjieff, car à leurs yeux, il incarnait un moyen de sortir du piège où leur conditionnement les avait jetés. Ils voyaient en lui un homme qui pouvait les aider à retrouver les anciennes valeurs qu'ils sentaient être leur héritage, mais auxquelles ils ne pouvaient plus accéder à cause du marais de théories intellectuelles émises par leur intelligentsia.

« Allez, mon ami, poursuivez votre but en triant le pur du faux et prenez appui sur ce qui a survécu aux siècles pour émerger intact et progressif, non pas comme une croyance vénérable, mais comme une voie positive d'action et de réaction. Cette voie existe. Elle existe partout et à chaque époque. Cependant elle se dérobe devant ceux qui ne sont pas prêts, aux amateurs de sensationnel et à ceux qui se dorlotent. C'est une voie dure qui exige un engagement total et une discipline absolue. Sa récompense, c'est l'extinction. Cela vous fait reculer ? Peut-être ne voulez-vous pas perdre votre "identité", cette chimère tant prisée de l'homme occidental ? Vous n'avez pas d'identité ! Vous êtes un vagabond sans visage qui erre dans les couloirs du temps, sans valeur intrinsèque et à qui le simple accident de la naissance ne confère aucun droit au progrès. Vous devez gagner votre place au soleil, ou alors rester à jamais- assis à l'ombre de votre "identité" ! Connaissez-vous vous-même par la consécration, et lorsque vous y serez parvenu, non seulement pourrez-vous mais voudrez-vous vous laisser absorber avec joie dans la matrice de la vérité.


SHEIKH MOHAMED DAUD

p131 - Qandahar : chaleur, poussière, bon accueil. Le Sheikh Daud était propriétaire d'une maison de thé à côté du Sanctuaire du manteau du Prophète. Il me reçut cordialement et prit tout de suite des dispositions pour me loger chez son fils. Je lui transmis le message de Meshed ; son visage, sous la barbe, devint grave.

« Frère », me dit-il avec solennité, « sachez que le chemin que vous avez choisi est long et ardu. Rien, sinon une entière soumission à votre maître, ne vous aidera à traverser les difficultés que vous rencontrerez. Une foi et une confiance complètes et inflexibles en lui sont vos seules lignes directrices. La moindre hésitation, la moindre réaction négative non seulement jetteront le trouble en vous, mais produiront des doutes et des erreurs qui obscurciront votre compréhension.

« Oubliez maintenant ce qui concerne Gurdjieff. Cet enseignement n'est pas pour vous. Ce qui, désormais, est suranné ne peut rien vous apporter. Un enseignement conçu pour être transmis à une époque déterminée, ne dure que le temps de la pause qui précède la venue d'une autre phase d'enseignement. Lorsque la nouvelle phase entre en action, alors l'ancien enseignement est frappé de stérilité, et les fragments organiques ne survivent que pour être incorporés dans la phase nouvelle. Même si vous étiez capable de vous accrocher à ces fragments, cela ne vous aiderait pas, car la matrice est changée et le rapport entre les facteurs a subi un réagencement subtil. Gurdjieff avait certaines choses à dire et il les a dites. A partir du moment où les fragments qui étaient en sa possession ont été dirigés vers une autre sphère, son enseignement a cessé d'avoir la moindre valeur.
Ce qui existe en Occident, basé sur ce qu'il a fait et dit, et non sur ce qu'il savait, n'est que l'ombre de l'imagination subjective. C'est devenu un mode d'existence plutôt qu'un chemin qui conduise quelque part. »

« Mais ne pouvait-on pas gagner quelque chose à suivre cet enseignement ? » demandai-je.

« Seulement dans la mesure où cela vous incitait à chercher une forme de conscience supérieure, et vous rappelait qu'il existe un autre royaume d'existence. Quant à vous aider à atteindre ce royaume, cet enseignement en était incapable. »

« Si tout était pure allégorie », demandai-je, « est-il utile de rechercher des explications ? »

« Vous ne me semblez pas spécialement dénué de toute intelligence », répondit-il d'un ton méprisant, « et pourtant vos questions révèlent une curieuse immaturité d'esprit.

« Qu'est-ce qui vous pousse à fouiner dans un enseignement suranné ? Supposons, par exemple, que vous découvriez que le Vieil Homme dans les Récits de Belzebuth à Son Petit-Fils est en réalité le Prophète Muhammed, et que son petit-fils Hussein représente l'Imam Hussein, petit-fils de Muhammed. Où cela vous mènera-t-il ? Ne serait-il pas préférable de commencer par connaître ces faits et de les utiliser pour vous guider, plutôt que de gaspiller du temps et de l'énergie à tout analyser pour en découvrir le contenu, et vous trouver ensuite incapable de tirer parti de ces découvertes dans le contexte des activités antérieures de Gurdjieff ?

« Aimeriez-vous savoir également que l'organe Kundabuffer dont parle Gurdjieff est composé de deux mots persans Kund, émousser, et larr, pompe ou splendeur, cette combinaison de mots formant un terme technique qui signifie émousser la perception par la fatuité ou l'amour-propre ?
Combien de temps vous aurait-il fallu pour découvrir cela et en comprendre le sens et la portée ? Il vous faut oublier les allégories, les intrications qui étaient significatives autrefois, et donner toute votre attention à la ligne principale de la tradition telle qu'elle vous est maintenant accessible. Vous n'avez pas de temps à perdre en recherches académiques, en évaluations intellectuelles de semi-vérités. Evertuez-vous à éclaircir l'analogie de ceci avec ceci et cela, et vous ne ferez que nourrir vos propres névroses. Si c'est cela que vous voulez, alors ne vous en privez pas, mais puissiez-vous ne pas y perdre la raison.

« Mon propre maitre, Dil Bar Khan Hululi, enseigna Gurdjieff. Je sais ce qu'il lui a appris. Désirez-vous que je vous enseigne quelque chose que vous ne pouvez plus aujourd'hui mettre en pratique ? Ou voulez-vous choisir un chemin de développement en harmonie organique avec un cosmos en développement, dans lequel l'homme doit trouver son accomplissement ? Ces deux voies s'ouvrent devant vous, mais vous ne pouvez en suivre qu'une seule. Je vais vous envoyer à Peshawar si vous êtes disposé à y aller. Après cela, vous voyagerez seul. »

« Sheikh », répliquai-je, « je suis prêt à partir pour Peshawar. Ma seule intention est de m'exposer à un enseignement, dans l'espoir qu'avec son aide je puisse arriver à m'arracher au bourbier et commencer à me développer. Au début je me suis mis en route pour suivre le chemin de Gurdjieff parce que je n'en connaissais pas d'autre, mais je suis prêt à suivre le chemin qui me donnera l'espoir de la conscience. »


 


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