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T O R R E S |
Armando Torres
RENCONTRES AVEC LE NAGUAL
Conversations avec Carlos Castaneda
Armando Torres
EDITORA ALBA
Prologue |
Introduction |
PREMIÈRE PARTIE
UNE IDYLLE AVEC LA CONNAISSANCE
1 La révolution des sorciers |
2 L'importance personnelle |
3 Le chemin du guerrier |
4 La conscience de la mort |
5 Le drainage énergétique |
6 La récapitulation |
7 Le seuil du silence |
SECONDE PARTIE
DIALOGUE DE GUERRIER
1
2
Saturation conceptuelle | La plus minime opportunité |
Un inventaire des croyances | Les maîtres ne manquent pas |
Croire sans croire | Connais-toi toi-même |
La pratique du silence |
3
4
Plantes de pouvoir | La transmission de la traque |
Le piège de la fixation | La marque du nagual |
Rêve et Éveil | En traquant le petit tyran |
La porte de la perception | |
Le double dans les rêves |
5
6
7
8
Les voyants de l'Ancien Mexique | Entériner le nagual |
Voyage aux racines | Retour à la source |
Les antennes de la seconde attention | Je crois parce que je veux croire |
9
10
11
La tâche du nagual |
Rencontre dans la crypte |
TROISIÈME PARTIE
LA RÈGLE DU NAGUAL A TROIS POINTS
QUATRIÈME PARTIE
LE MONDE DES ANCIENS VOYANTS, AUJOURD'HUI
PROLOGUE
Je connus Armando lorsqu'un jour, par coïncidence, nous visitions tous les deux
un lieu de pouvoir dans les montagnes du Mexique central. La spontanéité de
cette amitié qui naquit entre nous tout comme le sujet de la conversation que
nous entretînmes à ce moment m'invitèrent à lui confier que j'avais eu le
privilège de connaître Carlos Castaneda. Lui aussi me dit qu'il le connaissait
et qu'il avait écrit un livre au sujet de ses enseignements.
Ma curiosité alla croissant et je le pressai de questions. Il ne me semblait pas
cependant intéressé à me répondre ; il dit simplement que ce n'était pas le
moment adéquat. Je n'insistai pas, vu que je venais à peine de faire sa
connaissance.
Tout au long des années qui suivirent cette rencontre, je l'entendis mentionner
très peu souvent le sujet, toujours comme référence à quelque autre topique que
nous étions en train de débattre. Quand bien même je me fis ami avec " ceux qui
vont plus loin ", ce n'est qu'au moment où les événements le décidèrent que
j'eus accès à son ouvrage.
Lorsque pour la première fois, je lus le manuscrit, je fus profondément
émotionné, rien que par le fait qu'il me permettait de comprendre une des
prémisses les plus obscures de l'enseignement de Carlos : celle qu'il appelait "
la partie de la règle du nagual
à trois points ", soit un projet de rénovation des lignées de la connaissance à
l'échelle globale.
Il m'assura que Carlos lui avait commandé de faire connaître cette information
et il me demanda que je l'aide dans cette tâche. Cependant, comme il s'agissait
d'un manuscrit assez court-une trentaine de pages- je lui suggérai de l'adorner
d'un complément consistant en la description de quelques unes des nombreuses
conversations avec Castaneda dont il fut le témoin.
Acceptant ma proposition, il sélectionna un ensemble d'enseignements que Carlos
avait donnés, conférences publiques ou des discussions privées. Il m'expliqua
que pour en faciliter la lecture, il avait groupé les sujets selon le contenu et
non selon un ordre chronologique. De plus, pour certains sujets il fut tenu de
synthétiser ou de reconstruire les conversations parce que, dans ces traits,
Carlos s'était montré extrêmement emphatique en transmettant une grande partie
de l'information sous le couvert d'expressions et de manières de son crû en se
plaisant à mélanger les histoires personnelles et les observations de tous types
relatives à son enseignement.
En guise de cadeau extraordinaire, Armando ajouta pour peaufiner le tout, un
bref compte rendu de sa propre expérience au sein d'un autre groupe de
pratiquants en sorcellerie.
Par la simplicité et la sincérité de sa narration, ce livre possède une force
que je n'ai rencontrée dans aucun livre traitant de ce domaine. Pour cela, c'est
pour moi un énorme plaisir que de pouvoir être l'auxiliaire d'Armando dans cette
tâche de publication. Je suis certain que tous les amateurs de l'œuvre de Carlos
Castaneda l'apprécieront intensément.
Juan Yoliliztli
INTRODUCTION
Je m'appelle Armando Torres. J'écris ce livre conformément à une tâche qui m'a
été confiée plusieurs années auparavant.
J'ai pu connaître Carlos Castaneda, cet anthropologue contesté, écrivain de
sujets de sorcellerie. en Octobre 1984.
J'étais alors encore assez jeune. J'avais alors dans ma recherche de réponses,
effectué des incursions dans diverses traditions spirituelles et j'aspirais à
trouver un maître. Mais, dès le début, Carlos avait été très clair à ce sujet.
"Je ne promets rien - me dit-il , je ne suis pas un gourou. La liberté est un
choix individuel, et il est de la responsabilité de chacun de combattre pour
elle."
Dans un des premiers entretiens que j'entendis de lui, il fustigea durement
l'homme idolâtre qui nous invite à en suivre d'autres et à en espérer qu'ils
nous donneront des choses déjà prédigérées. Il ajouta que cela est le retard dû
à notre condition de troupeau.
"Celui qui souhaite sincèrement pénétrer dans les enseignements des sorciers n'a
pas besoin de guides. Il lui suffit un véritable intérêt et des couilles
d'acier. C'est ainsi que par lui-même, il trouvera tout le nécessaire pour
satisfaire une intention inflexible."
Notre relation fleurit sur de pareilles prémisses. Par conséquent, je désire
affirmer ici que je ne suis pas un disciple de Carlos, dans le sens formel du
mot. J'ai seulement conversé avec lui en certaines occasions, et cela me suffit
à me convaincre que le véritable chemin consiste en notre détermination à être
impeccable.
Le motif principal pour lequel j'acceptai de diffuser une partie de mon
expérience à son côté est la gratitude. Carlos fut prodigue avec chacun de ceux
qui ont eu la chance de le connaître, puisqu'il est la nature d'un nagual de
faire des cadeaux de pouvoir. Être proche de lui me baignait de stimulations et
me comblait d'histoires, de conseils et d'enseignements de tout type, et il
serait très égoïste de la part de ceux qui les reçurent de dissimuler ces
cadeaux, alors que lui-même, comme un véritable guerrier de la liberté totale,
partagea tout jusqu'à la fin avec ceux qui l'entouraient.
Une certaine fois, il me confia qu'il avait l'habitude de relever chaque nuit
des fragments de son apprentissage avec le nagual Juan Matus, un vieux sorcier
appartenant à l'ethnie yaqui du nord du Mexique, et son benefactor Don Genaro
Flores, un puissant Indien mazatèque qui faisait partie du groupe de
connaissance conduit par Don Juan.
Il ajouta qu'écrire était un important aspect de sa récapitulation personnelle,
et que je devais faire la même chose avec tout ce que je retiendrais de nos
entretiens.
"Et si j'oublie ?"- lui demandai-je.
" Dans ce cas cette connaissance n'était pas pour toi. Concentre-toi dans ce
dont tu te souviens."
Il m'expliqua que le sens de ce conseil n'était pas uniquement destiné à m'aider
mais aussi à conserver une information qui pouvait se révéler m'être précieuse
dans le futur. L'important était que j'acquière un certain degré initial de
discipline, afin de pouvoir entreprendre ensuite de véritables exercices de
sorciers.
Il décrivit le but des sorciers comme "une entreprise d'envergure " : sortir
l'homme de ses barrières perceptuelles afin de lui restituer la maîtrise de ses
sens, lui permettant d'entamer un chemin d'économie énergétique."
Carlos insistait sur le fait que tout ce qui fait un guerrier doit être imbibé
d'un pragmatisme urgent. En d'autres termes, il doit être inflexiblement orienté
vers le véritable but de l'être humain : la liberté.
"Un guerrier n'a pas de temps à perdre, parce que le défi de la conscience est
total et exige une vigilance maximale, vingt-quatre heures quotidiennes."
Dans mes rapports avec lui et avec d'autres hommes de connaissance, je fus
témoin d'événements extraordinaires, du point de vue de la raison. Toutefois,
pour les sorciers, des phénomènes comme la clairvoyance, la prémonition ou le
voyage en des mondes parallèles au nôtre, sont des expériences normales dans
l'exercice de leurs tâches. Tant que nous ne sommes pas capables de les vérifier
par nous-mêmes, il est inévitable que nous les prenions pour des fantaisies ou,
dans le meilleur des cas, comme métaphores propres à leur langage.
L'enseignement des sorciers est ainsi, on prend ou on laisse. On ne peut pas le
raisonner et il n'est pas possible de vérifier" intellectuellement. La seule
chose qu'il convienne sera de le mettre en pratique, en explorant les
possibilités extraordinaires de notre être.
Armando Torres
PREMIERE PARTIE
Un amour de la Connaissance
1 LA REVOLUTION DES SORCIERS
Nous nous étions réunis au second étage d'une résidence élégante pour écouter un
fameux conférencier. Nous étions une douzaine de personnes desquelles je n'en
connaissais aucune, excepté cet ami qui m'avait invité à la réunion. Alors que
nous attendions, nos discussions se déroulaient aimablement.
Deux heures passèrent pratiquement sans que notre invité n'apparaisse. Les
visages des invités commençaient à donner des signes de fatigue ; certains
désespéraient et s'en furent. A un moment, je sentis l'impulsion de jeter un
coup d'œil par la fenêtre. Je le vis arriver et nos yeux se rencontrèrent.
De façon inattendue, un vent très fort pénétra dans la maison, faisant voler les
papiers dans toutes les directions ? Lorsque Carlos entra, certains des invités
durent lutter avec les fenêtres pour les refermer.
Son apparence était tout à fait différente de celle à laquelle je me serais
attendu. C'était un homme de petite stature bien que robuste, les cheveux
grisonnants et le teint foncé, sa peau laissait voir des rides naissantes ; il
était vêtu d'une façon informelle, ce qui lui donnait dix ans de moins.
Son visage, amusant et vif, irradiait de sympathie. Il paraissait très heureux
de se trouver avec nous et c'était d'ailleurs un véritable plaisir que d'être
proche de lui.
Il salua chacun d'entre nous par une poignée de main. Il dit alors que nous
devions profiter du temps, parce que cette nuit on l'attendait ailleurs. Il
s'installa dans un fauteuil et nous demanda :
"De quoi voulez-vous parler ?"
Avant que nous ayons même pris le temps de répondre, il prit l'initiative et il
nous inonda d'histoires. Son intervention était directe et absorbante, persillée
de blagues qu'il agrémentait de gestes expressifs.
À cette occasion il parla des étapes historiques du nagualisme, en tant que
corps de pratiques et d'idées, soutenant qu'une occasion incroyable avait été
accordée à l'homme moderne face aux révélations des sorciers. Il se référa
ensuite au mouvement du point d'assemblage, une manoeuvre complexe de la
conscience à laquelle se consacrent les voyants. Le sujet était assez nouveau
pour moi, je me limitai donc à l'écouter et à prendre des notes. Heureusement,
Carlos était habitué à réitérer les idées essentielles, ce qui permettait de
suivre son rythme.
Vers la fin il accorda quelques questions.
Une des personnes présentes voulut savoir quelle est la position des sorciers
face à la guerre.
Son visage montra un certain agacement.
"Que pourrais-je en dire - a-t-il demandé-, qu'ils sont pacifistes ? Ils ne le
sont sûrement pas ! Notre destin d'hommes communs et ordinaires ne les intéresse
pas! Comprenez-le une fois pour toutes ! Un guerrier est fait pour combattre,
son repos est la guerre."
La question avait pour le moins touché un point sensible de Carlos, parce qu'il
prit son temps pour nous expliquer que, contrairement aux luttes mesquines dans
lesquelles nous, les hommes, nous nous enlisons chaque jour pour des intérêts
sociaux, religieux ou économiques, la guerre du sorcier n'est pas dirigée contre
les autres, mais contre ses propres faiblesses. De même, leur paix n'est pas la
condition d'obéissance à laquelle a été réduit l'homme moderne ; mais il s'agit
bien plutôt d'un imperturbable état de discipline et de silence intérieur.
"La passivité - nous dit-il - est une violation de notre nature, parce que, tous
nous sommes essentiellement des combattants redoutables. Chaque être humain est
en droit un guerrier qui a obtenu sa place dans le monde par une bataille de vie
ou de mort.
"Voyez-le ainsi : au moins une fois, en tant que spermatozoïdes, nous livrons
une course pour la vie - une lutte unique contre des millions d'autres
concurrents -, et nous gagnons ! Et la bataille continue, parce que nous sommes
emmêlés dans les forces du monde. Une partie de nous-même combat pour se
désagréger et mourir, et l'autre essaye à tout prix de maintenir la vie et la
conscience. Sans trêve !
"Un guerrier se rend compte de cela et il l'utilise dans sa faveur. Son intérêt
est encore le même que celui qui anima cette étincelle de vie qui lui donna
naissance : l'accès à un nouveau niveau de conscience."
Il poursuivit en disant qu'en se socialisant, les êtres humains ont été
domestiqués comme on apprivoise des animaux, à force de stimulants et de
punitions.
"On nous a formé pour vivre et mourir docilement, en suivant des codes de
conduite antinaturels qui nous ramollissent, avec pour résultat que nous en
perdions l'élan initial, jusqu'à ce que nous ne remarquions déjà même plus
l'esprit de l'homme. Puisque nous sommes nés d'un conflit, en refusant notre
tendance de base, la société dans laquelle nous vivons en extirpe l'héritage
guerrier : celui qui nous transformerait des êtres magiques."
Il ajouta que le seul chemin qui nous est ouvert au changement, c'est que nous
nous acceptions comme nous sommes pour travailler sur cette base de départ.
"Le guerrier sait qu'il vit dans un monde de prédateurs. Il ne peut pas baisser
la garde. Où que ce soit qu'il porte la vue, il voit une lutte incessante, et
que cette lutte mérite le respect, parce que c'est une lutte à mort. Don Juan se
déplaçait toujours, en allant ou en venant, en soutenant ou en rejetant, en
provoquant des tensions ou en se déchargeant en un éclair, en criant son
intention ou en se taisant ou encore en faisant autre chose. Il était vivant, et
sa vie reflétait à la fois la tension et la souplesse de l'Univers.
"Il me dit que, depuis le moment où se produisit l'explosion qui nous donna
naissance jusqu'au moment de notre mort, nous vivons dans un flux. Ces deux
épisodes sont uniques, parce qu'ils nous préparent à faire face à ce qu'il y a
plus loin. Et qu'est-ce qui nous aligne avec ce flux ? Une bataille incessante,
que seul un guerrier se permet; c'est pourquoi il vit en harmonie profonde avec
le tout.
"Pour un guerrier, être harmonieux c'est couler, ne pas s'arrêter au milieu du
courant pour s'arrêter en un espace de paix artificiel et impossible. Il sait
qu'il peut donner le meilleur de lui dans des conditions de tension maximale.
C'est pourquoi il va au-devant son adversaire comme le coq de combat, avec
avidité, avec délice, en sachant que le prochain pas est décisif. Son adversaire
n'est pas son semblable, mais ses propres attachements et ses faiblesses, et son
grand défi est de resserrer les couches de son énergie pour qu'elles n'explosent
pas quand cessera sa vie, afin que ne meure pas sa conscience.
"Posez-vous vous mêmes ces questions : Que fais-je de ma vie ? A-t-elle un but ?
Suis-je en accord avec elle ? Un guerrier accepte son destin, ou qu'il soit.
Toutefois, il lutte pour changer les choses et fait de son passage dans le monde
quelque chose d'exquis. Il tempère sa volonté d'une telle manière, qui rien ne
peut le dévier de son but."
Un autre des invités leva la main et lui demanda comment les sorciers
parviennent à concilier les principes de la voie du guerrier avec leurs devoirs
envers la société.
Il répondit :
"Les sorciers sont libres, ils n'acceptent pas de compromis avec les gens. La
responsabilité est face à soi-même, non face à d'autres. Sais-tu pourquoi fut
placé en toi le pouvoir de la perception ? As-tu découvert à quel but sert ta
vie ? Annuleras-tu ton destin animal ? Ces questions-là sont des questions de
sorciers, celles qui, seules, peuvent vraiment changer quelque chose.
Si les autres t'intéressent alors réponds à ces questions !
"Un guerrier sait que ce qui donne sens à la vie est le défi de la mort et le
filet de la mort et la mort est une affaire personnelle. C'est un défi pour
chacun de nous, que seuls les guerriers de coeur acceptent. Dans cette optique,
les inquiétudes des gens ne sont que des égomaníes."
Carlos insista sur le fait que nous ne devions pas perdre de vue que le seul
compromis d'un guerrier est celui qu'il a fait avec "la compréhension pure" - un
état de l'être qui surgit du silence intérieur -, et non avec les attachements
transitoires de la modalité de l'époque dans laquelle il baigne.
Il soutint ensuite que l'intérêt social est une description qui nous a été
implantée. Il n'est pas né d'un développement naturel de la conscience. Mais
plutôt de la peur et des sentiments de culpabilité, du déséquilibre émotionnel
produit de l'esprit collectif, du désajustement émotionnel, du désir de conduire
les autres ou d'être conduit.
"L'homme moderne ne mène que sa bataille, libre des guerres étrangères qui n'ont
rien à voir avec l'Esprit. Il est naturel qu'un sorcier ne soit pas affecté par
cela !
" Mon maître disait qu'il n'honorait pas des accords qui avaient été pris en son
absence : Je n'étais pas là lorsqu'ils ont décrété que je devais être un
imbécile! "
Il était né dans des circonstances particulièrement difficiles, mais il eu la
valeur de ne pas devenir un homme réactionnaire. Il affirmait que la situation
de l'Humanité en général est horrible, et que mettre l'accent sur certains
groupes est une forme dissimulée de racisme.
"Il répétait généralement que dans le monde il y a seulement deux types de
personnes, celles qui ont de l'énergie et celles qui n'en ont pas. Il vivait en
lutte permanente contre la cécité de ses semblables et, toutefois, était
impeccable, sans interférer avec personne. Quand je lui parlai de ma
préoccupation pour les gens, il me fit remarquer mon paternalisme naissant et il
me dit : " Ne te trompes pas, Carlitos ! Si vraiment la condition humaine
t'intéressait, tu n'agirais pas comme un porc.'
"Il m'apprit que sentir de la pitié pour les autres est impropre à un guerrier,
parce que la pitié part toujours de l'autocontemplation.
Il me demanda, en m'indiquant ceux que que je trouvais sur mes pas : " Peut-être
te crois-tu mieux qu'eux ? " Il m'aida à comprendre que la solidarité des
sorciers envers ceux qui les entourent vient d'un suprême contrôle et non d'un
sentiment humain.
"En guettant impitoyablement mes réactions émotionnelles, il m'emmena par la
main jusqu'à la source de mes préoccupations, et je pus me rendre compte par
moi-même que mon intérêt pour les gens était une fraude : j'essayais d'échapper
de moi même en transférant sur d'autres, mes problèmes. Il me démontra que la
compassion, comme nous la comprenons est une maladie mentale, une psychose qu'il
nous empêtre chaque fois plus fort avec notre ego."
Il était évident que de se rappeler de Don Juan avait affecté Carlos. Je pus
remarquer vague d'affection venait de l'émouvoir.
Un des assistants commenta que, contrairement à ses prétentions, la compassion
pour le prochain est l'idée essentielle de toutes les religions.
Il fit un geste comme s'il effrayait une mouche.
"Jette tout cela ! Les allégations basées la pitié sont une fraude ! À force de
nous répéter les mêmes idées, nous avons remplacé le véritable intérêt en
l'esprit de l'homme par un sentimentalisme bon marché. Nous sommes alors devenus
des professionnels de la miséricorde, et puis quoi? Qu'est-ce qui a changé ?
"Quand tu sens que la mentalité collective pèse sur toi, en essayant de te
convaincre de te concentrer sur les apparences du monde, répète à l'intérieur de
toi cette vérité déconcertante : 'Je me vais mourir, je ne suis pas important,
personne ne l'est Savoir cela il est la seule chose qui compte."
Il nous donna en exemple d'un effort mal appliqué, celui d'un âne embourbé dans
la gadoue. Plus il se déplace, plus les choses deviennent difficiles. Sa seule
issue est d'agir avec froideur, se débarrasser de sa charge et se concentrer sur
l'immédiateté de son problème.
"La même chose pour nous. Nous sommes l'être qui va mourir. Nous avons été
programmés pour vivre comme bêtes, en chargés d'un ballot de coutumes et de
croyances étrangères jusqu'au bout, mais nous pouvons changer cela ! La liberté
qu'offre le chemin du guerrier est à portée de la main, goûtes-y !"
Il nous raconta que lorsqu'il était apprenti, il avait un problème de fidélité
au cigare. Il avait bien essayé de s'en défaire plusieurs par fois, mais sans
succès.
"Un jour Don Juan m'a dit que nous irions récolter des plantes dans une zone
désertique et que le voyage durerait plusieurs jours. Il me signala qu'il serait
mieux que j'emporte avec moi un paquet complet de petits étuis bien garnis !
Mais cependant tu dois bien les emballer parce que le désert est plein d'animaux
qui pourraient te les voler.'
"Je le remerciai pour sa délicatesse et suivis soigneusement ses indications.
Mais au jour suivant, lorsque je me réveillai au milieu du chaparral, je
découvris que le paquet avait disparu.
"J'étais désespéré ; je savais que sans cigare je me sentirais vite mal. Don
Juan rejeta la faute de la perte sur le coyote et il m'aida à le chercher. Après
des heures d'angoisses, nous avons finalement trouvé la trace de l'animal, que
nous avons alors poursuivi toute la journée, nous enfonçant de plus en plus dans
les montagnes. A la tombée de la nuit il me confia que nous étions complètement
perdus.
"Sans cigare et sans savoir où nous étions, je me suis senti misérable. Pour me
consoler, lui il m'assura alors que près de là devait se trouver un certain
village et que ce n'était qu'une petite affaire de marcher un peu plus pour
arriver en un lieu sûr. Mais le jour suivant nous a avons en chercher un chemin,
et ensuite un autre le jour suivant et ainsi de suite pendant deux semaines.
"J'étais en un point tel que, à demi - mort d'épuisement, je me suis laissé
tomber sur le sable, disposé à mourir. À me voir dans cet état, il essaya de
m'encourager à continuer, et me posa la question : " Cela ne intéresse donc déjà
plus de fumer ? "
"Je l'ai regardé avec rage, en le vilipendant d'incroyable irresponsable, et je
lui ai sourdement répondu que tout ce que je voulais était de mourir.
" Très bien ! répliqua-t-il avec froideur -, nous pouvons alors nous en
retourner. " Nous avions été tout le temps à quelques mètres de la route !"
L'anecdote éveilla une explosion de rire. Quand finalement nous nous calmâmes,
Carlos souligna :
"La tragédie de l'homme actuel n'est pas sa condition sociale, mais le manque de
volonté pour se changer lui-même. Il est très facile de concevoir des
révolutions collectives, mais, changer véritablement, mettre un terme à l'autocompassion,
effacer l'ego, abandonner nos habitudes et nos caprices... ah, que cela est bien
autre chose ! Les sorciers disent que la véritable rébellion et la seule issue
pour l'être humain en tant qu'espèce, est de faire une révolution contre sa
propre stupidité. Comme vous le comprendrez, il s'agit d'une labeur solitaire.
"L'objectif des sorciers est la révolution des sorciers, le déploiement sans
restriction de nos possibilités perceptuelles. Je n'ai pas connu un
révolutionnaire le plus grand que mon maître. Il ne proposait pas de remplacer
les tortillas par le pain, que non ! Il est allé au fonds de l'affaire. Il a
proposé le saut mortel de la pensée vers ce qui est inconnu, la libération de
toutes nos chaînes. Et il démontra que cela est possible !
"Il me suggéré que je remplisse ma vie avec des décisions de pouvoir, avec des
stratégies qui m'emmèneraient à la conscience. Il m'a appris que l'ordre du
monde ne doit pas être comme on nous l'a dit et que je peux jeter cela de côté
quand je le veux. Je ne suis pas obligé de cultiver une image devant les autres
et vivre dans un inventaire qui ne me convient pas. Mon champ de bataille est le
chemin du guerrier !"
La réunion une fois terminée, tous ses auditeurs s'alignèrent pour échanger
quelques mots avec lui et le saluer. Quand arriva mon tour, Carlos me toisa de
haut en bas et il me demanda comment je m'appelais et pourquoi j'étais là.
Je lui ai dit mon nom et je lui ai expliqué qu'un ami, connaissant mon intérêt
pour le sujet, m'avait informé de cette opportunité.
Il commenta seulement :
"Je voudrais m'entretenir ave toi en privé."
Un peu déconcerté par ces mots, j'ai attendu que se termine le tour des
salutations puis je l'ai suivi dans un coin de la salle. Là il m'a invité à
déjeuner à son hôtel le jour suivant.
Je lui assurai que ce serait un plaisir pour moi. Il me donna alors son adresse
et il me dit :
"Nous nous verrons demain à neuf heures."
Il ajouta que je ne devais parler à personne de notre rencontre, et que je
devrais être ponctuel.
2 LE SENTIMENT DE LA PROPRE IMPORTANCE
J'arrivai au lobby de l'hôtel à l'heure entendue. Je ne dus pas attendre une
seule minute avant que de le voir descendre l'escalier qui donnait accès aux
étages. Après nous être salués, nous nous dirigeâmes vers le restaurant où nous
fut servi un excellent déjeuner. Je tentai à in moment de lui poser une
question, mais d'un signe il me fit comprendre qu'il ne parlerait pas. Nous
mangeâmes en silence.
Une fois le déjeuner terminé, nous sommes sortis pour faire quelques pas dans le
rue Donceles en direction du square.
Tandis que nous visitions les bouquinistes d'occasion, il m'annonça qu'en
général il ne parlait jamais en privé avec les gens, mais qu'à mon égard il
agissait autrement parce qu'il avait reçu une consigne. Comme je ne savais pas à
quoi il se référait, je préférai rester muet vu aussi que quelque commentaire j'
aurais pu ajouter n'aurait pu que lustrer mon ignorance
Il avoua que d'aucune manière je ne devais confondre sa déférence avec un
intérêt personnel.
" J'ai dit plusieurs fois que ma condition énergétique m'empêchait de prendre
des disciples. Pas d'alternative ! Et c'est pour cela que les gens sont
désillusionnés par moi !
Nous avons alors discuté différents sujets. Il me posa beaucoup de questions sur
ma vie, me demanda mon numéro de téléphone et m'annonça que la nuit suivante, il
ferait une conférence en privé dans la maison d'un ami. J'étais invité à y
assister cependant notre relation devait être tenus secrète. Je lui répondis que
j'étais enchanté de cette invitation et il m'indiqua l'heure et l'endroit.
Dans une des librairies que nous visitâmes, nous rencontrâmes un exemplaire de
l'un de ses livres intitulé : " Voir. Les enseignements d'un sorcier Yaqui ". Il
se trouvait parmi les livres de fiction, ce qui le désola énormément. Il
commenta que les gens sont tellement attachés au quotidien qu'ils ne peuvent
concevoir le mystère qui les entoure. Lorsque quelque chose sort du connu, nous
l'encageons immédiatement dans le tiroir d'une classification puis nous
l'oublions.
Je remarquai qu'il feuilletait les livres avec intérêt et que parfois il passait
sur eux d'une main caressante, avec un sentiment de respect. Il me dit qu'il
s'agissait plus de sources de connaissance que de simples livres et que l'un
d'entre eux devait nous livrer au savoir, peu importe la forme sous laquelle il
se présenterait. Il ajouta que les sources d'information dont nous avons besoin
pour accroître notre conscience se cache dans les endroits les moins pensés et
que si nous n'étions pas aussi rigides qu'à l'habitude, tout, dans notre
alentour nous raconterait des secrets incroyables.
" Nous ne devons que nous ouvrir à la connaissance et en avalanche, elle viendra
à nous. "
Avisant une table exposant des livres à prix réduit, il admira combien sont bon
marché les livres déjà lus en comparaison aux neufs. Selon lui, c'était là une
preuve que les gens ne cherchent pas réellement une information mais que ce
qu'ils cherchent c'est de conserver le statut d'acheteur.
Je lui demandai quel type de lecture il préférait et il répondit qu'il aimait
savoir à propos de tout. Toutefois, en cette occasion il était à l'affût d'un
recueil de poésies particulier, une vieille édition qui n'avait jamais été
renouvelée. Il me demanda de l'aider à le trouver.
Longtemps, nous retournâmes des montagnes de livres Pour finir, il en acquit
quelques uns mais pas celui qu'il cherchait. Avec un sourire coupable, il dit :
" C'est chaque fois pareil ! "
Aux alentours de midi, nous nous assîmes pour nous reposer sur le banc d'une
place où les imprimeurs offraient leurs services. Je profitai du moment pour lui
confesser que ses dires de la nuit antérieure au sujet m'avaient laissé perplexe
et je lui demandai qu'il m'explique avec plus de détails en quoi consistait la
guerre des sorciers
Avec beaucoup d'aménité, il me répondit qu'il était naturel que ce sujet
m'affectât puisque, comme pour les autres êtres humains, j'étais entraîné depuis
ma naissance à percevoir le monde selon la norme du troupeau. Il me raconta les
histoires de ses compagnons et comment ils avaient réussi, après des années de
lutte tenace contre leurs faiblesses à se délivrer de la coercition collective.
Il m'inclina à être patient et qu'en temps voulu, les choses s'éclaireraient
d'elles-mêmes.
Après une conversation très ouverte,il me tendit la main pour prendre clairement
congé. Je n,e pus contenir ma curiosité et je lui demandai ce qu'il avait voulu
dire lorsqu'il avait eu " un signe " à mon sujet.
Au lieu de me répondre, il me scruta avec attention, au-dessus de mon épaule
gauche. Immédiatement, mon oreille devint bouillante et se mit à résonner. Après
un instant, il me dit que lui-même ne le savait pas, parce qu'il n'avait pas pu
lire la nature même du signe. Cependant il avait été tellement clair, qu'il
était obligé d'en tenir compte. Il poursuivit :
" Je ne peux pas te guider, mais je peux te mettre en face d'un abîme qui mettra
à l'épreuve toutes tes facultés. De toi seul dépendra de prendre ton envol ou de
courir te cacher derrière la sécurité de tes routines. "
Ses mots éveillèrent ma curiosité. Je lui demandai de quel abîme il s'agissait.
Il me dit que c'était à mon propre rêve.
Cette réponse me secoua. D'une certaine façon, Carlos avait remarqué mon dilemme
intérieur.
Vers sept heures moins le quart, j'arrivai à une sympathique petite maison, vers
Coyocán. Je fus reçu par une jeune femme agréable qui semblait être la patronne
de la maison. Je lui expliquai que j'avais été invité à la conférence de Carlos
et elle me laissa passer. Nous fîmes les présentations, elle me dit se prénommer
Martha.
Dans la pièce, se tenaient huit autres personnes. Ensuite, arrivèrent deux
autres invités et peu après Carlos apparut qui, comme toujours, nous salua
chacun avec effusion. Cette fois-ce il était habillé en veston cravate et tenait
à la main une serviette qui lui conférait un air intellectuel. Il commença à
parler de sujets divers et, presque, sans que nous nous en rendions compte, il
entama le thème de sa conférence : comment effacer l'histoire personnelle.
En guise de préambule, il affirma que l'importance que nous nous attribuons en
chaque chose que nous faisons, nous disons ou que nous pensons, constitue une
espèce de " dissonance cognitive " qui embrume nos sensations et nous empêche de
voir les choses clairement et objectivement.
" Nous sommes pareils à des oiseaux atrophiés. Nous naissons avec tout ce qui
est nécessaire pour voler et cependant, nous nous sentons en permanence obligés
de voler autour de notre moi. L'importance personnelle est le verrou qui nous
enserre.
" Le chemin qui convertit un être humain commun et ordinaire en un guerrier est
très ardu. Notre sensation d'être le nombril de tout s'impose et nous nous
croyons nécessaires et dignes d'avoir le dernier mot. Nous nous croyons
importants et quand quelqu'un est important, quelque intention de changer en
devient un processus lent, compliqué et douloureux.
" Ce sentiment nous isole. S'il n'existait pas, nous serions aussi fluide que la
mer de la conscience et nous saurions que notre je n'existe pas pour lui-même :
son destin est d'alimenter l'Aigle.
" L'importance personnelle croît chez l'enfant à mesure qu'il perfectionne sa
compréhension sociale. On nous a appris à construire un monde de concordances
auxquelles nous nous référons, pour que nous puissions communiquer entre nous.
Mais voilà, ce don inclut une embarrassante séquelle : notre idée du " Je ". Le
Je est une construction mentale, elle vient d'ailleurs et il es temps que nous
nous en déchargions. "
Carlos affirma que les obstacles qui se posent pour communiquer entre nous sont
une preuve du fait que cette concordance que nous avons obtenue est absolument
artificielle.
" Après avoir expérimenté pendant des millénaires des situations qui altèrent
les modes de perception du monde, les sorciers de l'ancien Mexique découvrirent
un fait puissant : nous ne sommes pas obligés de vivre dans une unique réalité,
parce que la construction de l'Univers repose sur des principes tellement
plastiques qui peuvent engendre des formes quasi infinies en variété, engendrant
des gammes innombrables de perception.
" De cela, ils en déduisirent que ce que, nous les êtres humains recevons de
l'extérieur est cette capacité à fixer notre attention dans l'une de ces gammes
pour la reconnaître et l'explorer en nous moulant en elle et apprenant à la
sentir comme si elle était unique. De là naquit l'idée que nous vivons en un
monde exclusif et, par conséquent, le sentiment d'être un " je " individué.
" On ne peut douter que la description qui nous a été donnée soit un bien
valable, semblable au tuteur auquel s'agrippe un arbre pour pouvoir le fortifier
et le guider. Elle nous a permis de croître comme des personnes normales dans
une société moulée dans cette fixité. C'est ainsi que nous avons dû apprendre à
" écrémer ", c'est-à-dire à procéder à des lectures sélectives de l'énorme
volume de données qui parviennent à nos sensations. Cependant, une fois que ces
lectures se convertissent en " réalité ", la fixité de notre attention
fonctionne comme une ancre et nous empêche de prendre conscience de nos
incroyables possibilités.
"Don Juan soutenait que la limite de la perception humaine est la timidité. Pour
pouvoir manipuler le monde qui nous entoure, nous avons dû renoncer à notre
patrimoine perceptif, qui est la possibilité de l'atteindre en entier. De cette
façon, nous sacrifions le vol de la conscience à la sécurité du connu. Nous
pouvons vivre des vies fortes, audacieuses, saines et nous pouvons être des
guerriers impeccables ! mais nous n'osons pas !
" Notre héritage est une maison stable pour y vivre, mais nous l'avons converti
en une forteresse pour la défense du moi, ou mieux dit encore, en une prison où
nous condamnons notre énergie à nous affaiblir exponentiellement. Nos années,
nos sentiments et nos forces les meilleurs s'en vont aux réparations et aux
étayages de cette demeure, parce que nous en sommes arrivés à nous identifier à
elle.
" Afin qu'un enfant devienne un être social, il a dû acquérir une fausse
conviction de sa propre importance et ce qui en principe était une sentiment
sain d'auto-préservation, finit par se transformer en une réclame égolâtre
d'attention.
" De tous les cadeaux que nous avons reçus, l'importance accordée à la personne
est la plus cruelle. Elle convertit une créature magique et pleine de vie en un
pauvre diable pédant et disgracieux. "
En montrant ses pieds, il dit que de nous sentir importants nous oblige à
accomplir des choses absurdes.
" Regarde-moi ! Un jour, j'achetai des chaussures très fines, qui pesaient
presque un kilo chacune. Je dépensai une somme de cinq cents dollars pour leur
achat et pour marcher en traînant les pieds !
" A cause de cette self-importance nous sommes remplis jusqu'au bord de
rancoeurs, d'envies et de frustrations, nous nous laissons guider par des
sentiments de complaisance et nous fuyons la tâche de connaître nous-même avec
des prétextes du type " Qu'est-ce que je peux être fatigué ! " ou encore "
Quelle flemme ! " Par derrière tout cela, il y a une difficulté que nous
essayons de faire taire par un dialogue interne chaque fois plus dense et moins
naturel. "
En ce point de la conférence, Carlos fit une halte pour pouvoir répondre à
quelques questions ; il en profita pour nous raconter diverses histoires
instructives sur le mode par lequel la propre importance déforme les êtres
humains, les transformant en carcasses rigides face auxquelles un guerrier ne
peut que rire ou pleurer.
" Après quelques années d'étude avec Don Juan, je me sentis tellement effrayé
par ses pratiques que je m'éloignai pour un temps. Je ne pouvais accepter ce que
mon benefactor et lui me faisaient. Cela me semblait inhumain, inutile et
j'aspirais à un traitement plus doux. J'en profitai pour visiter différents
maîtres spirituels dans le monde aux fins de rencontrer en leurs doctrines
quelques pistes d'enseignement qui auraient pu justifier ma désertion.
" Et à l'occasion, je rencontrai un gourou californien qui se croyait être
quelqu'un d'important. Il m'admit comme disciple et me donna la tâche de
quémander l'aumône sur la place publique. Considérant que cette expérience était
neuve pour moi et que probablement j'en tirerais une leçon importante, je me
remplis de courage et je me mis à l'ouvrage. Lorsque je revins vers lui, je lui
dis : " Maintenant, à ton tour ! " Il se montra dégoûté de moi et m'expulsa de
la classe.
" Lors d'un autre voyage, je m'en fus voir un autre maître hindou reconnu. Je me
présentai à son domicile tôt le matin et je fis la file avec d'autres curieux.
Mais le maître nous fit attendre pendant des heures. Lorsqu'il apparut, en haut
de l'escalier, il avait un aspect condescendant, comme si il nous faisait une
grande faveur de nous admettre chez lui. Il descendait les escaliers dignement
mais ses pieds se prirent dans son ample tunique, il tomba sur le sol et se
brisa le crâne. Il mourut là même, face à nous. "
A une autre occasion, Carlos nous dit que le démon de la propre importance
n'affecte pas seulement ceux qui se prennent pour des maîtres, mais en général
tout le monde. L'un de ses bastions les plus solides est l'apparence
personnelle.
" Ce point était celui qui me faisait le plus souffrir. Don Juan avait
l'habitude d'attiser mon ressentiment en se moquant de ma stature ; il me disait
: Plus tu es petit et gros et plus tu es égomaniaque ! tu es petit et moche
comme un parasite, il ne te reste rien d'autre à faire que de devenir célèbre,
parce qu'autrement tu n'existes même pas ! Il affirmait que le simple fait de me
voir lui donnait envie de vomir, ce qui le rendait infiniment reconnaissant à
mon égard.
" Je m'offensais par ses commentaires, parce que j'avais la conviction qu'il
exagérait mes défauts. Mais un jour, j'entrai dans un magasin de Los Angeles et
je pus me convaincre qu'il avait raison. J'entendis un individu qui disait à
côté de moi : " Comme c'est peu ! " et je me sentis tellement irrité que sans me
le faire dire deux fois, je me tournai vers lui et je lui mis le poing dans la
figure. J'appris par la suite que cet homme n'avait pas dit ces mots à mon
intention mais à propos du retour de sa monnaie.
" Un des conseils que nous donna Don Juan fut que, au cours de notre formation
de guerriers, nous devions nous abstenir de garder ce qu'il appelait " les
outils pour la perpétuation du moi ". Il incluait dans cette catégorie tous les
objets comme les miroirs, l'exhibition de titres académiques et les albums de
photo concernant l'historie personnelle. Les sorciers de son groupe ne prenaient
pas ce conseil à la légère contrairement aux apprentis toutefois, sans aucune
raison, j'interprétai ses souhaits de façon péremptoire et depuis lors je ne
permis que l'on me prenne en photo.
" Une autre fois, lors d'une autre conférence, j'expliquai que les photos sont
une perpétuation de l'image de soi, et que mon renoncement avait pour objet de
maintenir une terre inconnue au tour de ma personne. Je me rendis compte ensuite
qu'une certaine femme qui se prenait pour un guide spirituel, avait commenté que
si, elle avait eu mon visage de barman mexicain, elle se serait laissé
photographier.
" en observant les manies de l'importance personnelle et le mode homogène de sa
propagation dans le monde, les voyants ont divisé les êtres humains en trois
catégories que Don Juan nomma de trois noms les plus ridicules que l'on puisse
trouver : les urines, les pets et les vomis. Chacun de nous tombe dans l'une de
ces catégories.
" Les urines se caractérisent par leur servilité ; ils sont flatteurs, visqueux
et fastidieux. C'est le type de gens qui toujours veut te faire une faveur ; ils
te veillent, ils prévoient pour toi, ils te préparent ta tambouille; ils ont
tant de compassion dans leur âme ! Mais de cette manière ils masquent leur vraie
nature : ils n'ont pas initiative propre et d'eux même ils n'arrivent jamais à
rien. Ils ont besoin d'un ordre d'autrui pour sentir qu'ils font quelque chose.
Pour leur grand malheur, ils ont pour consigne que les autres sont aussi gentils
qu'ils le sont ; c'est pourquoi ils sont toujours accablés, déçus et
pleurnicheurs.
" En revanche, les pets sont leur extrême opposé irritants, mesquins et
autosuffisants, ils s'imposent constamment et interfèrent. Une fois qu'ils t'ont
accroché, ils ne te laissent pas en paix. Ce sont les personnes les plus
désagréables qui puissent tomber sur toi. Si tu es tranquille, vient le pet et
il t'enveloppe dans ses démonstrations affectives et t'utilise le plus possible.
Ils ont un don naturel pour être les maîtres et les leaders de l'Humanité. Ce
sont eux qui tuent pour conserver le pouvoir.
" Entre ces deux catégories, il y a les vomissures. Neutres, elles ne s'imposent
pas ni ne se laissent guider. Ils sont présomptueux, ostentatoires et
exhibitionnistes. Ils donnent cette impression qu'ils sont irremplaçables, mais
ils ne sont rien, tout est du show. Ils sont la caricature des gens qui se
croient tout, mais seulement, si on fait bien attention, ils se délitent dans
leur insignifiance. "
Un participant à l'assemblée lui demanda si l'appartenance à l'une de ces trois
catégories était une caractéristique obligatoire, c'est-à-dire une condition
innée de notre luminosité.
Il répondit :
" Personne ne naît ainsi. C'est nous qui créons cela ! Nous tombons dans l'une
ou l'autre de ces classifications par cause d'un quelconque incident minime qui
nous marqua lorsque nous étions enfants, étant donné la pression de nos parents
et d'autres facteurs impondérables. A partir de là et à mesure que nous
croissons, nous allons en nous impliquant de plus en plus dans la défense du je,
que vient le moment où nous nous ne souvenons plus du jour où nous avons cessé
d'être authentiques et que nous avons commencé à jouer le rôle. Et comme
lorsqu'un apprenti entre dans le monde des sorciers, sa personnalité de base est
déjà tellement formée, que plus rien ne peut être annuler et qu'il ne lui reste
qu'à rire de cela.
" Mais, en dépit de ce qui se montre notre condition congénitale, les sorciers
peuvent détecter le type d'importance que nous nous concédons au travers de leur
" voir ", car le moulage de notre caractère pendant des années produit des
déformations permanentes dans le champ énergétique qui nous entoure. "
Il poursuivit en expliquant que la propre importance est alimentée par le même
type d'énergie que celui qui nous permet de rêver. C'est donc ainsi que la
perdre est la condition basique du nagualisme, vu qu'elle libère pour notre
usage un excédent d'énergie ; de plus, sans cette précaution, le chemin du
guerrier pourrait nous convertir en aberrations.
" C'est ce qui se passa pour de nombreux apprentis : ils débutèrent
correctement, économisant leur énergie et développant leur potentialités.
Cependant, ils ne se rendirent pas compte de ce que, à mesure qu'ils accédaient
au pouvoir, ils nourrissaient également en eux le parasite. Si nous cédons à la
pression de l'ego, il est préférable que nous le fassions comme des hommes
ordinaires, parce qu'un sorcier qui se croit important c'est le plus triste
qu'il puisse exister.
" L'importance personnelle est traîtresse : elle peut se couvrir d'un masque
d'humilité quasi impeccable et elle n'est pas pressée. Après toute une vie de
pratiques, il lui suffit d'un minimum d'inattention, un petit faux pas et la
revoilà, à nouveau, comme un virus qui fut incubé en silence, ou comme ces
grenouilles qui attendent durant des années, sous le sable du désert et qui avec
les premières gouttes de pluie s'éveillent de leur léthargie et se reproduisent.
" En prenant en compte leur nature, c'est un devoir du benefactor de dépouiller
l'apprenti de son importance jusqu'à ce qu'elle explose. Il ne peut avoir aucune
pitié. Le guerrier doit apprendre à être humble sur un chemin des plus ardus
sinon il n'aura pas la moindre opportunité face aux dards de l'inconnu.
" Don Juan fouettait ses disciples jusqu'à la cruauté. Il nous recommandait une
vigilance quotidienne de vingt-quatre heures pour garder à sa place la pieuvre
du je. Et bien sûr, nous en tenions compte ! Mis à part Eligio, le plus avancé
des apprentis, tous les autres nous nous livrions d'une manière éhontée à nos
propensions. Pour la Gorda, ce fut fatal ! "
Il nous raconta l'histoire de Maria Helena, une disciple notable de Don Juan qui
avait développé un grand pouvoir de guerrier mais qui ne pouvait contrôler les
vices de son étape humaine.
" Elle pensait qu'elle la tenait sous son contrôle mais il n'en était pas ainsi.
Elle conservait un intérêt très égoïste, un attachement personnel ; elle
attendait des choses du groupe de guerriers et cela la décima.
" Elle considérait que je l'avais offensée parce qu'elle me considérait
incapable de conduire les apprentis jusqu'à la liberté et jamais elle ne
m'accepta comme nouveau nagual. Une fois que la force directive de Don Juan
disparut, elle commença à me reprocher mon insuffisance, ou plus encore, mon
anomalie énergétique, sans considérer que c'était un ordre de l'Esprit. Peu
après elle s'allia avec les Genaros et les Petite Sœurs et en vint à se prendre
pour le leader du clan. La sortie publique de mes livres en rajouta à son
exaspération.
" Un certain jour, dans un élan d'autosuffisance, elle nous réunit tous, se
campa devant nous et cria " Bande de cons ! Je m'en vais ! "
" Elle connaissait l'exercice du feu du dedans, au moyen duquel elle pouvait
déplacer son point d'assemblage jusqu'au monde du nagual pour pouvoir retrouver
Don Juan et Don Genaro. Cependant, ce soir-là, elle était très agitée. Certains
des apprentis tentèrent de la calmer et cela la rendit encore plus furax.je ne
pouvais rien faire, la situation avait embrumé mon pouvoir. Suite à un effort
brutal pas du tout impeccable, elle eut une embolie cérébrale et tomba raide
morte. Son égomanie la tua. "
Pour servir de morale à cette étrange histoire, Carlos ajouta encore qu'un
guerrier ne se laisse pas aller jusqu'à la folie, parce que mourir d'une attaque
de l'ego est la plus stupide façon de mourir.
" L'importance personnelle est homicide ; elle tronque le libre flux de
l'énergie et cela est fatal. Elle est responsable de notre fin en tant
qu'individu mais viendra le jour où elle mettra aussi fin à l'espèce. Quand un
guerrier apprend à la laisser de côté, son esprit se déplie, jubilatoire, comme
un animal sauvage qui se libère de sa cage et retrouve sa liberté.
" L'importance personnelle peut être combattue de diverse manières, mais d'abord
il faut se rendre compte qu'elle existe. Si tu as un défaut et que tu le
reconnais, tu as fait la moitié du chemin !
" D'abord s'en rendre compte ; Prenez un petit post-it et écrivez-y : "
L'importance personnelle tue " et collez le là où il sera le plus visible dans
votre maison. Lisez et relisez cette phrase chaque jour, tentez de vous en
souvenir en permanence lorsque vous travaillez, méditez-la. Un jour, qui sait,
viendra le moment où son sens touchera votre intérieur et vous vous déciderez à
changer quelque chose. S'en rendre compte est d'une grande aide, parce que la
lutte contre le moi génère sa propre violence.
"Ordinairement, l'importance personnelle est alimentée par nos propres
sentiments qui vont de l'envie d'être bien et d'être accepté par les autres
jusqu'à la pétulance et le sarcasme. Cependant son rayon d'action favori est la
pitié pour soi-même et pour ceux qui nous entourent. De façon telle que pour la
traquer, nous devons au préalable décomposer nos sentiments en ses plus infimes
composantes, détectant les sources qui l'alimentent.
" Les sentiments se présentent rarement sous une forme pure ; ils se masquent.
Pour les chasser comme des lapins, nous devons procéder avec stratégie d'autant
qu'ils sont rapides et que l'on ne peut raisonner avec eux.
"Commençons par les choses les plus évidentes, comme celle de nous prendre au
sérieux… à quoi je suis attaché… à quoi je consacre mon temps. Ce sont de choses
que nous pouvons commencer à changer, accumulant ainsi l'énergie suffisante pour
libérer quelque petit peu notre attention, regain qui nous permettra alors de
pénétrer plus dans l'exercice.
" Par exemple, au lieu de passer des heures à regarder la télé, aller faire des
courses ou converser avec nos amis à propos de choses non transcendantes, nous
pourrions réserver une petite partie de ce temps à récapituler notre histoire, à
pratiquer quelques exercices physiques ou aller tout seul, marcher déchaussé sur
une pelouse. Cela semble simple, mais par le biais de ces pratiques notre
panorama sensoriel se redimensionne. Nous récupérons quelque chose qui était là
depuis toujours mais qu'on nous donnait pour perdu.
" Au départ de ces petits changements, nous pouvons analyser les éléments plus
difficiles à détecter dans lesquels notre vanité se projette jusqu'à la démence.
Par exemple… quelles sont nos convictions…. me considéré-je comme immortel…
suis-je spécial… est-ce que je mérite qu'on prête attention à moi … ? Ce type
d'analyse jetant un pavé dans la mare des croyances, qui font cette grande
forteresse de nos sentiments, doit être entrepris à travers le silence intérieur
en estampillant un engagement très fervent avec l'honnêteté. Sinon, le mental
s'en sortira avec toutes sortes de justifications. "
Carlos ajouta que ces exercices devaient être accomplis avec une sensation
d'urgence, parce qu'en vérité il s'agit de survivre à une attaque puissante.
" Rendez-vous compte que l'importance personnelle est un venin implacable. Elle
ne nous laisse pas le temps, son antidote est l'urgence. Maintenant ou jamais !
" Une fois que vous aurez disséqué vos sentiments, vous devez apprendre à
recanaliser vos efforts au-delà de l'intérêt humain, jusqu'au lieu sans pitié.
Pour les voyants, ce lieu-sans-pitié est un endroit de notre luminosité aussi
fonctionnel que le lieu de la rationalité. Nous pouvons apprendre à évaluer le
monde selon le point de vue de détachement tout comme nous avons appris à le
faire depuis l'enfance d'un point de vue de la raison. Sauf que le détachement,
comme point d'assemblage, est beaucoup plus près du temple du guerrier.
" Sans cette précaution, la révolte émotionnelle résultant de la traque de notre
importance peut se révéler tellement douloureuse, que l'on peut être conduit au
suicide ou à la démence. Lorsqu'on apprend à regarder le monde avec la
non-compassion, avec l'intuition que derrière chaque situation qui entraîne une
dépense énergétique, il y a un Univers impersonnel, l'apprenti cesse d'être un
noeud de sentiments et se convertit en un être fluide.
" Le problème de la compassion nous oblige à voir les choses par les lentilles
de l'apitoiement sur soi-même. Un guerrier sans compassion est une personne qui
a transféré sa volonté au centre de l'indifférence et ne se complait plus dans
les " pauvre de moi ". C'est un individu qui n'a plus aucune pitié pour ses
faiblesses et qui a appris à rire de lui-même.
" Une façon de définir l'importance personnelle consiste à la comprendre comme
la projection de nos faiblesses au travers de l'interaction sociale. C'est comme
les attitudes de pseudo-puissance et les cris qu'adoptent certains animaux pour
dissimuler le fait qu'en réalité ils n'ont aucun système de défense.
Nous sommes importants parce que nous avons peur, et pus nous avons peur, plus
il y a d'ego.
" Toutefois, et heureusement pour les guerriers, l'importance personnelle a un
talon d'achille, un point faible, celui de sa dépendance de la reconnaissance
pour pouvoir subsister. C'est comme le cerf-volant qui nécessite d'un courant
d'air pour pouvoir tenir haut à moins de tomber et de se rompre. Si nous ne
donnons pas d'importance à l'importance, celle-là décline.
" En sachant cela, un apprenti rafraîchit ses relations. Il apprend à fuir ceux
qui lui accordent son consentement et fréquente ceux pour qui rien d'humain n'a
d'importance. Ils cherchent la critique, non l'adulation. Passé un certain cap,
commence une nouvelle vie, il annule son histoire, il change de nom, explore de
nouvelles personnalités, annule la suffocante persistance de son ego et se
conduit dans des situations limites dans lesquelles l'être authentique se voit
forcé à prendre la relève. Un chasseur de pouvoir n'a pas de pitié et ne cherche
pas la reconnaissance aux yeux des autres.
" La non-apitoiement est suppressif. Elle s'improvise petit à petit, durant des
années de pression continue, puis elle survient d'un coup comme une vibration
instantanée qui rompt notre moule et nous permet de voir le monde avec un
sourire serein. Pour la première fois, depuis de nombreuses années nous nous
sentîmes libres du terrible poids d'être à nous-même et nous voyions la réalité
qui nous entourait. Une fois que nous sommes à ce stade, nous somme seuls ; un
coup incroyable nous est donné, une aide qui vient des entrailles de l'Aigle et
nous transporte en une milliseconde à des univers de sobriété et de sagesse.
" Sans la pitié, nous pouvons affronter avec élégance l'impact de notre
extinction personnelle. La mort est la force qui donne au guerrier valeur et
modération. Rien qu'en regardant au travers de ses yeux, nous nous rendons
conscient de notre non-importance. C'est alors qu'elle vient s'asseoir à notre
côté et commence à nous transmettre ses secrets.
" Le contact avec sa non-importance laisse une marque indélébile sur le
caractère de l'apprenti. Celui-ci comprend immédiatement que toute l'énergie de
l'Univers est connectée. Et qu'il n'existe pas un monde d'objets qui établissent
des relations entre eux au travers de lois physiques. Ce qui existe est un
panorama d'émanations lumineuses inextricablement liées duquel nous faisons des
interprétations dans la mesure où nous est permis le pouvoir de notre attention.
Toutes nos actions comptent, parce qu'elles déchaînent des cascades dans
l'infini. Pour cela, aucune de nos actions ne vaut plus qu'une autre, aucune
n'est plus importante qu'une autre.
" Cette vision coupe court à la propension que nous avons à être indulgents
vis-à-vis de nous-mêmes. A être témoin de ce lien universel, le guerrier capture
les sentiments rencontrés. D'une part, une jubilation indescriptible et une
révérence suprême et impersonnelle envers tout ce qui existe. De l'autre, un
inévitable et profond sentiment de tristesse, qui n'a rien à voir avec
l'apitoiement sur soi-même ; une tristesse qui vient du sein de l'infini, une
bourrasque de solitude qui ne se calmera jamais.
" Ce sentiment épuré donne au guerrier la sobriété, la subtilité, le silence
nécessaires pour poser l'intention là où toutes les raisons humaines ont échoué.
En de telles conditions, l'importance personnelle s'éteint toute seule. "
Un beau matin, je reçus un appel téléphonique qui se révéla à ma grande surprise
provenir de Carlos. Il me dit qu'il arriverait à l'aéroport de Mexico dans
environ quatre heures et que je devais lui rejoindre. J'acquiesçai avec beaucoup
d'empressement. Il me rendit le numéro de son vol. Je calculai qu'il me parlait
de l'aéroport de Los Angeles, étant donné que c'est le laps de temps nécessaire
au voyage.
Lorsqu'il arriva, je l'aidai à résoudre certains problèmes relatifs à
l'impression de son livre. Ensuite, nous allâmes converser dans un café. Avant
de nous dire au revoir, nous nous promîmes de nous voir à la conférence qu'il
devait donner la nuit prochaine.
Le climat était terrible, et je me doutai, lorsque j'arrivai à la maison où nous
avions rendez-vous que cela avait empêché pas mal d'invités annoncés d'être déjà
arrivés. Je jetai mon manteau trempé sur le dos d'une chaise et je m'assis dans
un coin, près de Carlos.
Le thème central de ses propos de cette nuit était que l'Univers dans sa grande
totalité est femelle et de nature prédatrice, et que s'y livrait une bataille
tenace poru la conscience où, comme toujours le plus fort absorbe le plus
faible.
" Sauf qu'à l'échelle cosmique, la forteresse d'un être ne se mesure pas à ses
dimensions physiques mais en ses capacités de manipuler la conscience. En
conséquence, si nous devons faire un nouveau pas dans l'évolution, ce doit être
par le biais de la discipline, de la détermination et de la stratégie. Ce sont
là nos armes.
" Par leur capacité de Voir, les sorciers témoignent de cet affrontement et y
prennent place, préparés au pire sans s'attendre à des résultats.
" Un guerrier considère que le monde dans lequel nous vivons est un grand
mystère, et ce mystère existe pour être dévoilé par ceux qui le cherchent
délibérément. Cette attitude audacieuse transforme en occasion les tentacules de
l'inconnu, permettant que l'Esprit se manifeste.
Il nous expliqua que l'audace du guerrier naît de son contact avec la mort
imminente.
Il nous raconta l'histoire d'une jeune femme qui arriva un jour au bureau de son
éditeur, déposa un tabouret sur le sol, s'assit et lui dit : " Je ne sortirai
pas d'ici tant que je n'aurai pas parlé à Carlos Castaneda ! "
Toutes les intentions pour la dissuader de son entêtement furent inutiles : la
jeune femme restait inflexible. C'est alors que l'éditeur appela Carlos par
téléphone et l'avisa qu'une vieille folle exigeait sa présence.
"Que pouvais-je faire ? Je me présentai à elle et je lui demandai le pourquoi de
son étrange conduite. Elle me répondit que, étant mortellement malade, elle
avait été dans le désert pour y mourir. Cependant, alors qu'elle méditait dans
la solitude, elle comprit qu'elle n'était pas encore totalement finie et elle
décida de jouer sa dernière carte. Cela, signifiait pour elle de connaître le
nagual en personne.
" Impressionné par son récit, je lui fis une unique proposition…tout laisser
tomber et entrer dans le monde des sorciers ! Elle me répondit : " Chiche ? "
Quand j'entendis sa réponse, j'eus la chair de poule, parce que c'était
exactement la même chose que ce que me dit Don Juan " Si tu veux que nous
jouions, allons-y ! Mais nous jouons jusqu'à la mort ".
Tel est le sentiment du sorcier face à son destin : " J'ai mis toute ma vie dans
cette intention, rien d'autre. Je sais que ma fin m'attend quelque part et qu'il
n'y a rien que je puisse faire pour l'éviter. Tant que va mon chemin en
confiance, j'accepte la responsabilité de vivre pleinement ; je risque le tout
pour le tout ".
" Un guerrier sait que rien ne lui garantit de triompher face à la mort. Mais
quand même, il livre la bataille, non pas parce qu'il croit qu'il va gagner,
mais pour l'émotion que confère la guerre elle-même. Pour lui, livrer la
bataille est déjà une victoire. Et en même temps la lutte le ravit, parce que
pour celui qui est déjà mort, chaque seconde de vie est un cadeau. "
Il poursuivit en disant que notre attention et celle de tous nos semblables est
ce qui rend possible que le monde existe tel que nous le percevons, traduit et à
la fois enchaîné dans un réseau d'interprétations dont la forteresse est d'être
d'accord.
Un des participants lui demanda d'éclaire ce point.
Il expliqua :
" Réellement, la maîtrise de l'attention est d'une importance capitale sur le
chemin des guerriers, parce qu'elle est la matière première de la création.
Parmi tous les mondes, les degrés d'évolution se mesurent à la capacité de s'en
rendre compte.
" Dans le but de manipuler et de comprendre les émanations qui parviennent à nos
sensations, les sorciers développent le pouvoir de leur attention, l'aiguisant
au travers de la discipline jusqu'à des niveaux exquis qui leur permettent de
transcender les limitations humaines et de consommer toutes les possibilités de
la perception. Leur concentration est tellement intense, qu'ils peuvent perforer
la carcasse épaisse des apparences, délivrant l'essence même des choses. " Voir
" est ce degré de conscience accrue pour les voyants.
" Alors que pour les yeux des autres, la fixité de l'attention peut se
manifester comme de l'obsession, entêtement ou fanatisme, pour le pratiquant il
ne s'agit rien d'autre que de discipline. "
Il nous avertit que nous confondions la discipline des guerriers avec les
schémas répétitifs des gens.
" La discipline, dans le sens où l'entend un guerrier, est créative, ouverte et
produit de la liberté. C'est la capacité de confronter avec l'inconnu,
transformant la sensation de savoir en amusement respectueux ; de planifier des
objectifs qui dépassent les limites de nos habitudes et d'avoir l'audace de
faire face à l'unique guerre qu vaille la peine : celle de la connaissance. La
discipline est l'atout pour accepter les conséquences de nos actions, quelles
qu'elles soient, sans sentiments de compassion ou de faute.
" Avoir de la discipline est la clé du maniement de l'attention, parce qu'elle
nous conduit à la volonté. Et celle-ci nous permet de modifier le monde jusqu'à
ce qu'il soit comme nous le voulons et non comme il nous fut imposé de
l'extérieur. Pour cette raison, la volonté est pour les guerriers l'antichambre
de l'intention. Leur pouvoir est tellement grand que si elles sont focalisées
sur un objectif, elles produiront les plus merveilleux effets. "
Pour illustrer par un exemple, il nous raconta diverses histoires d'événements
extraordinaires dont il affirmait avoir été le témoin. Il soutenait que en toile
de fond de chacune des actions puissantes actions des sorciers, il y avait une
vie entière de discipline, de sobriété de détachement et de capacité d'analyse.
De tels attributs, les plus appréciés chez un guerrier constituent dans leur
ensemble une état d être qu'ils nomment " impeccabilité ".
L'impeccabilité n'a rien à voir avec une attitude mentale, une croyance morale
ou quelque chose du genre. C'est la conséquence de l'économie d'énergie.
" Un guerrier accepte avec humilité ce qu'il est et ne perd pas son pouvoir en
se lamentant de ce que les choses n'ont pas été autrement. Si une porte est
fermée, on ne la casse pas à coups de pieds et coups de poings ! On examine avec
attention la serrure et on cherche comment l'ouvrir. De la même façon, si sa vie
ne lui est pas satisfaisante, le guerrier ne s'offense ni ne se plaint. Au
contraire, il projette des stratégies pour changer le cours de son destin.
" Si nous apprenons à réduire notre apitoiement sur nous et en même temps, nous
livrons le siège à la forteresse du moi, nous nous verrons conduits par
l'intention cosmique et nous canaliserons en notre faveur des torrents
d'énergie.
" Pour fluctuer de cette façon, nous devons apprendre à faire confiance à nos
ressources et comprendre que nous sommes nés avec tout ce qui nous est
nécessaire pour l'aventure extravagante de la vie. En tant que guerrier, chaque
homme ou femme qui entreprend de suivre les chemins de la sorcellerie sait qu'il
est responsable de soi-même. Il ne cherche pas autour de lui l'approbation ou la
décharge sur d'autres de ses propres frustrations.
"Don Juan me disait :' Ce que tu cherches est en toi-même. Lutte pour que tes
actions atteignent leur but et brille de ta propre lumière.
Prends la décision intérieurement avant qu'il ne soit trop tard ! "
" L'aspect de l'impeccabilité qui concerne le plus notre vie quotidienne est de
savoir jusqu'où l'exercice de notre liberté affecte les autres afin d'éviter les
chocs à tout prix. A l'occasion, nos relations avec les autres génèrent des
frictions et des expectatives. Un sorcier sur pied de guerre
prend garde à ces chocs et se convertit en chasseur de signes et s'il n'y a pas
de signes, il n'interfère pas avec les gens ; il se borne à attendre, parce que
bien qu'il n'ait pas le temps, il a toute la patience du monde. Il connaît trop
l'enjeu pour ne pas être disposé à tout ruiner par un faux pas.
" Ne cultivant pas le désespoir de ne rencontrer personne avec qui traiter, le
guerrier peut choisir ses affections avec sobriété et détachement, attentif à
tout moment aux personnes avec lesquelles il échange pour qu'elles soient
compatibles avec son énergie. Le secret pour avoir une vision claire consiste à
s'identifier et à ne pas s'identifier. Le sorcier s'identifie avec l'abstrait,
pas avec le monde ? Cela lui permet d'être indépendant et de prendre soin de lui
tout seul. "
Ensuite, il nous raconta une histoire à propos d'un type qui se considérait
comme un grand guerrier, mais à chaque fois qu'il y avait des problèmes à la
maison ou que son épouse ne lavait pas ses vêtements ou ne lui préparait pas le
repas, il se confondait avec le chaos. Après avoir lutté longtemps avec cette
situation, cet homme décida d'apporter un changement radical dans sa vie ; mais
au lieu de réformer son caractère, comme il aurait dû, il changea d'épouse.
" Rendez-vous compte de ce que vous êtes seul, face à votre destin, Prenez votre
vie en mains. Un guerrier peaufine les détails, développe son imagination et met
à l'épreuve son génie pour résoudre toute situation. Il est inconcevable qu'il
se sente incapable, parce qu'il est maître de lui et n'a besoin ni de rien ni de
personne. A se concentrer sur les détails, il apprend à cultiver la finesse, la
subtilité et l'élégance.
" Don Vicente Medrano disait que la beauté de cette guerre prend racine dans les
nœuds qui ne se voient pas. La " marque déposée " du sorcier consiste en ce
couronnement de l'intention.
" Le don de l'indépendance et de la maîtrise des détails produisent la capacité
de persister là où d'autres personnes faillirent. Arrivé à un tel point, le
guerrier n'est plus qu'à un pas de l'impeccabilité.
" L'impeccabilité naît d'un équilibre délicat entre notre être intérieur et les
forces du monde extérieur. C'est là un fruit ou une réussite qui requiert du
temps, de l'effort et du dévouement tout en étant de façon permanente attentif à
l'objectif final pour que ne se dissipe le but final. Mais, par dessus tout, il
requiert de l'endurance. L'endurance met en déroute l'apathie, c'est aussi
simple que cela.
" Le seuil de la magie est une intention soutenue plus encore que ce qu'il
paraît possible, désirable ou raisonnable. C'est une pirouette mentale, une
syntonie avec la volonté des émanations de l'Aigle qui permet que son
commandement fluidifie la rigidité de nos limites. Cependant, peu sont vraiment
prêts à payer un tel prix et à faire le surplus du chemin nécessaire ".
Il confessa qu'en diverses occasions, lui-même fut sur le point d'abandonner son
maître, abruti par l'immensité de la tâche qu'il lui semblait entreprendre. Ce
qui le sauva, fut ce qu'il qualifia de second souffle, une onde d'énergie que le
guerrier soutire de lui-même alors que tout semblait perdu.
" Beaucoup d'apprentis, après avoir cherché pendant des années et leurs
expectatives n'étant nullement satisfaites, se retirent déçus, sans savoir que
peut-être ils ne se trouvaient à peine qu'à un pas de leur but. "
Il secoua la tête et commenta avec tristesse :
" une fois que l'on a accumulé de la souplesse, sensation d'indépendance,
contrôle de tous les détails et endurance, un guerrier en quête d'impeccabilité
sait qu'il compte sur le pouvoir de sa décision. Il est libre de faire ou de ne
pas faire, selon ce qui lui convient et rien ne peut l'obliger à rien. C'est là,
qu'il a besoin, plus que tout d'être le maître de ses émotions et de son esprit
afin que la clarté liée au pouvoir forment un mélange explosif qui donnent à
l'homme une facilité à commettre des actes téméraires.
" Le chemin du guerrier est celui de l'économie d'énergie, tout ce qui va à
l'encontre de cela est incompatible avec son intention d'être impeccable.
Cependant, parfois, à cause des excédents de pouvoir qui se sont accumulés dans
sa luminosité, les circonstances peuvent se tourner particulièrement dures avec
lui.
"Son dilemme est le même que celui pour le pilote de deltaplane d'avoir monté
pendant des heures la pente d'une montagne chargé de son pesant équipement et
qui se rend compte que les conditions climatiques ne sont pas les plus
appropriées pour un vol. En de telles circonstances, il est plus facile pour
l'athlète de se décider à sauter que de se décider à rester à terre. S'il n'a
pas appris à contrôler adéquatement ses décisions, le plus probable est qu'il
sautera au risque de mourir.
" De la même façon, parfois, l'apprenti oublie que l'objectif n'est pas d'être
en conformité avec son ego mais d'accéder à des situations plus fortes que lui.
Et cela non seulement, peut lui être fatal, mais encore constitue une grave
indiscipline qui le disperse dans les labyrinthes du pouvoir. Dans ces cas, le
pouvoir se convertit en son propre bourreau.
" Un guerrier de la connaissance ne se livre pas à l'émotion de la guerre sans
raison. Premièrement il observe les conditions, évalue ses possibilités et
établit des points d'appui, et seulement ensuite, en fonction de cette
évaluation, il se lance ou se retire sans la moindre hésitation. Il ne s'agit
pas de donner des coups à l'aveugle, mais de poses se spas dans un exercice
immaculé de stratégie.
" L'apprenti qui n'apprend pas à temps à décider comment, quand et avec qui il
va entrer en bataille n'est pas intègre et soit parce qu'il sera tué soit parce
qu'il aura été mis en déroute tellement de fois, il ne pourra plus jamais se
résoudre à se relever.
" Le défi ultime du guerrier est d'équilibrer tous les attributs de son chemin.
Une fois qu'il y parvient, son but devient inflexible. Il ne se meut déjà plus
pour un quelconque intérêt désespéré de gain. Il est le maître de la volonté et
peut la mettre à son service personnel ; S'il parvient à ce stade, le guerrier a
appris à être impeccable et tout dépend de ses réserves d'énergie pour qu'il le
reste. "
Il prit comme exemple celui de l'apprenti qui utilise ses récents pouvoirs pour
devenir riche. Ce qui l'attend est soit tomber dans le " je veux ceci, je veux
cela ", ou cultiver l'intention. Dans le premier cas, il est parvenu au sommet
de son chemin, parce que peu importe les quantités d'énergie dont il dispose,
les anneaux de l'ego jamais ne seront satisfaits. Et par contre, dans le second
cas, il a choisi le chemin de la liberté.
" L'intention est la syntonie de notre attention avec la conscience cosmique,
laquelle transforme nos volitions en commandements de l'Aigle. Il faut être
audacieux de s'y essayer de façon délibérée, mais une fois parvenu, tout est
possible. L'intention permet aux sorciers de vivre dans un monde non quotidien
et de s'offrir un destin de liberté. Pour eux, la liberté est un fait et non une
utopie.
" Dû au fait qu'il ne connaisse pas les principes du chemin du guerrier, l'homme
moderne s'est rendu prisonnier d'un piège démoniaque, composé d'intérêts
familiers, religieux et sociaux. Il travaille huit heures par jour pour
maintenir son système de vie en fonctionnement. Ensuite, il retourne à la
maison, où l'attendent son épouse de toujours et des enfants identiques à des
milliards d'autres qui lui demanderont les choses de toujours, l'obligeant à
proroger la chaîne, jusqu'à ce que ses forces se tarissent et qu'il se
convertisse en un objet inutile qui rumine ses mémoires dans un coin de la
maison. Et on lui dira que cela est le bonheur, mais il ne se sent pas heureux,
il se sent piégé.
" Soyez des guerriers, cessez cela ! rendez-vous compte de vos potentialités et
libérez-vous de quoi que ce soit ! Ne vous posez pas des limites. Si vous pouvez
violer la loi de la gravité et voler ! tant mieux !
Et s'il vous reste encore de l'énergie pour défier la mort et acquérir le ticket
pour l'impeccabilité, alors ! cela est magnifique !
" Risquez le tout pour le tout ! Quittez le piège de l'auto contemplation et
tentez de percevoir ce qui est humainement possible de percevoir ! Un guerrier
de la connaissance n'accepte pas des compromis, parce que l'objet de sa lutte
est la liberté totale. "
4 LA CONSCIENCE DE LA MORT
Pendant des années, la nécessité de comprendre le monde m'avait conduit à
engranger une multitude d'informations scientifiques et religieuses sur à peu
près quasi tout, dont le dénominateur commun était une grande confiance en la
continuité de l'homme. En m'aidant à focaliser l'existence avec des yeux de
sorcier, Carlos détruisit en moi cette sensation. Il me fit voir que la mort est
une réalité impalpable et que l'annihiler avec des croyances de seconde main est
chose honteuse.
A une occasion, quelqu'un lui demanda :
" Carlos, que peut-on attendre du futur ? "
Il répondit brusquement ; " Il n'y a rien à en attendre ! Les sorciers n'ont pas
de demain ! "
Cette nuit-là il nous avait réunis en un groupe d'intéressés assez important
dans un auditoire d'une résidence privée, dans la zone de San Jeronimo. Lorsque
j'arrivai, Carlos était déjà présent et il était déjà, tout souriant en train de
répondre à certaines questions.
Il définit le sujet principal de l'entretien comme celui du " ne-pas-faire ",
une activité spécialement dessinée pour inhumer de notre vie tout vestige de
quotidienneté. Il affirmait que le ne-pas-faire est l'exercice favori des
apprentis, parce qu'il les introduit dans un domaine merveilleux et déconcertant
très rafraîchissant pour l'énergie et dont l'effet sur la conscience était ce
qu'il nommait " stopper le monde "
Répondant ensuite à quelques interrogations il résuma que le ne-pas-faire ne
peut être raisonné. Quel que soit l'effort entrepris pour le comprendre il en
résulte toujours une interprétation de l'enseignement et il tombe
automatiquement dans el champ du " faire "
" La prémisse des sorciers pour envisager ce type de pratiques est le silence
mental, et la qualité d'un tel silence requis pour un acte aussi hors du commun
que celui de " stopper-le-monde " ne peut uniquement venir que d'un contact avec
la plus grande vérité de notre existence : " Nous allons tous mourir ".
Il nous conseilla :
" Apprenez à vous connaître vous-même, soyez conscients de votre mort
personnelle. Elle n'est pas négociable. Toute autre chose peut vous quitter mais
sauf la mort. A elle on peut vraiment faire confiance. Apprenez à l'utiliser
pour produire de vrais effets dans vos vies.
" En outre, cessez de croire dans les contes chinois et autres billevesées,
personne ne vous attend au-delà ! Aucun d'entre nous n'est assez important pour
prétendre à l'immortalité. Un sorcier qui compte avec son humilité sait que son
destin est identique à celui de quelque autre être vivant sur la terre. Ainsi,
au lieu de s'illusionner avec de fausses espérances, travaillez concrètement et
durement pour quitter votre condition humaine et empruntez l'unique porte de
sortie qui nous est proposée : la rupture de notre barrière de perception.
" En même temps, écoutez le conseil de la mort, rendez-vous responsables de
votre vie, de chacun de vos actes. Explorez, reconnaissez-vous et vivez
intensément comme vivent les sorciers. L'intensité est l'unique clé qui peut
nous sauver de l'abêtissement.
" Une fois sur le même pied que la mort , vous serez en condition pour le pas
suivant : réduire au minimum les bagages. Ce monde est un monde-prison et il
faut en sortir comme des fugitifs, sans rien emporter. Les êtres humains sont
des voyageurs par nature, voler et connaître d'autres horizons est notre destin.
Iriez-vous en voyage avec votre lit ou avec la table sur laquelle tu manges ?
Simplifiez votre vie !. "
Il ajouta que " l'humanité de notre époque " a acquis une coutume étrange st
symptomatique de l'état mental qui la baigne. Lorsque nous voyageons, nous
achetons toutes sortes d'objets inutiles dans d'autres pays, des choses qui,
sans aucun doute, auraient pu être acquises dans notre pays propre. Une fois que
nous y revenons, nous accumulons ces objets dans un coin et nous finissons par
oublier leur existence, jusqu'à ce qu'un jour finalement nous les retrouvions et
nous les jetions à la poubelle.
" Ainsi se passe notre voyage par la vie. Nous sommes comme des ânes chargés
d'un fardeau de saloperies dont aucune n'a de valeur. Tout ce la ne sert qu'à
une chose à la fin lorsque la vieillesse nous assaillit : répéter inlassablement
quelques phrases comme un disque rayé.
" Un sorcier se pose la question : Quel sens a cela ? Pourquoi m'investir dans
ce qui jamais ne m'aidera. Le rendez-vous d'un sorcier est un rendez-vous avec
l'inconnu, il ne peut compromettre son énergie avec des nullités. Lors de ton
voyage sur la terre, emporte avec toi quelque chose de vraie valeur, sinon cela
ne vaut pas la peine.
" Le pouvoir qui nous dirige nous a donné le choix : ou nous passons notre temps
de vie à tourniquant autour de nos habitudes, ou nous cherchons à connaître
d'autres mondes. Seule, la conscience aiguë de la mort peut nous donner le choc
nécessaire.
"La personne ordinaire passe son existence sans cesser de réfléchir parce
qu'elle pense que la mort est à la fin de la vie ; à la fin ou au début, nous
aurons toujours, croyons nous le temps pour cela ! Un guerrier n'en a pas la
certitude. La mort vit à ses côtés, à un bras de distance, en alerte permanente,
nous observant, disposés à nous donner l'assaut à la moindre provocation. Le
guerrier convertit sa peur animale de l'extinction en une opportunité de plaisir
puisqu'il sait que tout ce qu'il possède est ce moment-là. Pensons comme des
guerriers : nous allons tous mourir ! "
Un des participants demanda :
" Cher Carlos, lors d'un entretien précédent, vous avez dit que posséder l'âme
d'un guerrier consiste à voir la mort comme un privilège ? Que signifie donc
cela ? "
Il répondit :
" Cela signifie nous débarrasser de nos habitudes mentales. "
" Nous sommes tellement habitués à la vie en groupe que, même face à la mort,
nous avons des pensées grégaires. Les religions ne nous parlent pas de
l'individu en contact avec l'absolu, mais plutôt en troupeau de brebis et de
chèvres qui vont au ciel ou en enfer selon ce qui les touche. Même si nous
sommes athées et que nous ne croyons pas que quelque chose puisse exister après
la mort, ce " rien " est générique et est le même pour tous. Nous ne pouvons
concevoir que le pouvoir d'une vie impeccable puisse changer les choses.
" Riche d'une telle ignorance, il est normal que l'homme commun et ordinaire
panique lors de sa fin et tente de la conjurer avec des prières et des
médicaments, ou en s'étourdissant au bruit du monde.
" Nous les humains, nous avons une vision égocentrique et extrêmement simpliste
du monde. Jamais nous ne pouvons cesser de considérer notre destin comme celui
d'êtres transitoires. Et sans conteste, l'obsession du futur nous le révèle.
"Peu importe la sincérité ou le cynisme de nos convictions, au fond, tous, nous
savons que c'est ce qui se passera. C'est ainsi que nous laissons tous des
signes, nous construisons des pyramides, des gratte-ciel, nous faisons des
enfants, nous écrivons des livres ou plus humblement, nous dessinons nos
initiales sur l'écorce d'un arbre. Derrière cette impulsion subconsciente se
tient la crainte ancestrale, la conviction silencieuse de la mort.
" Il existe cependant un groupe humain qui réussit à faire face à cette peur. A
la différence de l'homme commun, les sorciers sont avides de toute situation qui
les emporte plus loin que l'interprétation sociale. Quelle meilleure opportunité
que sa propre extinction ? Grâce à ses fréquentes incursions dans l'inconnu, ils
savent que la mort n'est pas naturelle, mais qu'elle est magique. Les choses
naturelles sont sujettes à des lois, la mort, non. Mourir est toujours un succès
personnel et pour cette seule raison, c'est un acte de pouvoir.
" La mort est le portail de l'infini, une porte faite à la mesure de chacun
d'entre nous, que nous passerons le jour de retour à l'origine. Notre manque de
compréhension nous empêche de la voir comme le réducteur commun. Mais non, il
n'y a rien de commun en elle ; tout au passage devient extraordinaire. Sa seule
présence donne du pouvoir à la vie, elle concentre les sensations.
" Nos existences sont faites d'habitudes. A la naissance, nous sommes déjà
programmés comme espèce et nos parents se chargent de nous confondre avec ce
programme en nous conduisant jusqu'à ce que la société s'en charge à son tour.
Cependant personne ne meurt en tant que routine, parce que la mort est magique.
Elle te fait savoir qu'elle est ton inséparable conseillère et te dit : " Sois
impeccable ; l'unique opinion est d'être impeccable. "
Une jeune femme présente, visiblement émotionnée par ses paroles lui dit alors
que la présence obsessionnelle de la mort dans ses enseignements était un détail
qui contribuait à les assombrir. On aurait pu souhaiter la voir se recouvrir
d'un accent plus optimiste, plus focalisé sur la vie et sur ses réalisations.
Carlos sourit et répliqua :
" Ah ! Cœur de melon ! dans tes paroles on peut remarquer un manque notoire
d'expérience profonde de la vie. Les sorciers ne sont pas négatifs, ils ne
cherchent pas la fin. Cependant ils savent que ce qui donne de la valeur à la
vie est d'avoir un objectif pour lequel mourir.
" Le futur est imprévisible et inévitable. Un jour, tu ne seras plus ici, comme
un autre jour d'ailleurs tu n'y étais pas encore. Sais-tu que probablement,
l'arbre de ton cercueil a déjà été coupé ?
" Autant pour le guerrier que pour l'homme ordinaire l'urgence de vivre est la
même, parce qu'aucun d'eux ne sait quand se finiront ses pas. C'est ainsi qu'il
faut rester attentif à la mort, elle peut surgir de n'importe quel coin ? J'ai
connu un gars qui monta sur un pont pour s'amuser à uriner au passage d'un train
d'une voie électrifiée. L'urine toucha les câbles de haute tension et il fut
foudroyé.
" La mort n'est pas un jeu, c'est une vérité ! Si elle n'existait pas, il n'y
aurait aucune autre force qui permettrait la sorcellerie. Elle t'implique
personnellement que tu le désires ou non. Tu peux être aussi cynique que tu le
veuilles pour éviter les autres topiques de l'enseignement, mais tu ne peux pas
te moquer de ta fin, parce qu'elle est au-delà de ta décision et qu'elle est
implacable.
" Le convoi du destin nous conduit tous de la même façon. Cependant il existe
deux types de voyageurs : les guerriers qui peuvent partir avec leur totalité,
parce qu'ils ont affiné chaque détail de leur vie et les personnes ordinaires,
avec des existences ennuyeuses, sans créativité et dont l'unique attente est la
répétition de ses stéréotypes jusqu'à la fin ; des gens dont la fin ne sera pas
différente dans trente ans de ce qu'elle le serait à l'instant. Nous sommes tous
ici, attendant l'arrêt de l'éternité mais nous n'en prenons pas tous conscience.
La conscience de la mort est un art majeur.
" Lorsque un guerrier met fin à ses routines, quand déjà il ne lui importe plus
d'être seul ou accompagné, parce qu'il a écouté le murmure silencieux de
l'Esprit, alors il peut dire que, vraiment, il est mort. De là, alors toutes les
choses de la vie, même les plu simples deviennent pour lui les plus
extraordinaires.
" C'est ainsi qu'un sorcier apprend à vivre de nouveau. Il savoure chaque
instant comme s'il était le dernier. Il ne se fourvoie pas en dégoûts ni ne
gaspille son énergie. Il n'attend pas d'être vieux pour réfléchir aux mystères
du monde. Il s'avance, il explore, il connaît et s'émerveille.
" Si vous voulez réellement laisser l'espace libre à l'inconnu, donnez lui
l'entrée de votre extinction personnelle. Acceptez votre destin comme le fait
inévitable qu'il est. Purifiez ce sentiment, en vous rendant responsable de
l'incroyable succès qu'est le fait d'être vivant. Ne suppliez pas la mort ; elle
n'est nullement condescendante avec ceux qui boitent. Invoquez-là, conscients
qui cous êtes venus en ce monde pour la connaître. Défiez-la, même si vous savez
que vous n'avez pas la moindre chance de pouvoir la vaincre quoi que nous
fassions. Elle est tellement gentille avec le guerrier alors qu'elle est sans
merci avec l'homme ordinaire. "
Après cette conversation, Carlos nous offrit un exercice en cadeau.
" Il s'agit de faire l'inventaire de tous ceux qui vous aimez ou encore tous
ceux pour qui vous avez de l'intérêt. Une fois cette liste mise en place,
organisée selon le degré de sentiments que vous avez pour ces gens, prenez
chacun d'entre eux et passez les par la mort. "
On put noter un murmure de consternation qui secoua les auditeurs. D'un geste
tranquillisant, Carlos ajouta :
" Ne soyez pas effrayés ! La mort n'a rien d'une danse macabre. Le macabre est
ce que nous ne pouvons affronter avec délibération.
" Vous devez réaliser l'exercice vers minuit, lorsque la fixité du point
d'assemblage est moins grande et que nous sommes plus disposés à croire aux
fantômes. C'est très simple : il faut évoquer la mort des êtres chers dans leur
fin inévitable. Ne pas penser à quand ou comment cela pourrait leur survenir.
Mais simplement, prenez conscience de ce qu'un jour ou l'autre, ils ne seront
plus là. Un par un, ils s'en iront, Dieu seul sait dans quel ordre et ce que
vous tenterez pour qu'elle soit évitée aura peu d'importance.
" Les évoquer de cette façon ne leur causera aucune nuisance, que du contraire !
Elle les relèguera dans une perspective appropriée. Le point d'assemblage de la
mort est prodigieux, elle restitue les vraies valeurs à la vie. "
J'avais pu désormais entendre maintes fois Carlos discourir au sujet de
l'énergie. Chaque fois il en expliquait des aspects distincts dont j'ai réuni
les plus significatifs dans ce chapitre pour apporter au lecteur un aperçu plus
cohérent.
Son enseignement, ou mieux, celui de la tradition des voyants à laquelle il
appartient repose sur le fait que l'Univers est duel et qu'il est constitué de
deux forces que les anciens voyants symbolisèrent au moyen de deux serpents qui
s'entrelacent. Ces deux serpents, cependant n'ont rien en commun avec notre
dualité classique du bien et du mal, Dieu et diable, positif et négatif ou
quelque autre type d'opposition qui pour nous fait cohérence. Mais il s'agit
plutôt d'une conformation inexplicable d'onde d'énergie que les toltèques
dénommèrent " le tonal et nagual . "
D'une façon très axiomatique, ils établirent que tout ce que nous pouvons
interpréter ou nous donner en représentation de quelque façon que ce soit,
représente le tonal, et tout le reste, l'innommable, est le nagual.
Pour expliciter encore qu'il ne s'agit pas de deux réalités antagoniques, mais
bien de deux aspects complémentaires d'une force unique qu'ils affublèrent du
nom " L'Aigle ", aspects complémentaires que les voyants comparèrent aux côtés
droit (le tonal) et gauche (le nagual) de notre corps physique. Et ils virent
que, tout comme la conformation de base des organismes est structurée quasi en
permanence au départ d'une symétrie bilatérale, ainsi les formes de l'énergie
comme elle se manifeste dans le Cosmos et subséquemment le mode selon lequel
nous la percevons.
La vie se forme lorsqu'une portion d'énergie libre de l'infini, que les anciens
appelaient " les émanations de l'Aigle ", se trouve encapsulée sous le couvert
d'une force extérieure, se convertissant ainsi en un nouvel être individuel
conscient de lui-même. Et ils virent que la perception du monde survient lorsque
entre en jeu ce qu'ils appelèrent " le point d'assemblage " de cette perception.
Malgré le fait que ce centre sélecteur des émanations est opératif pour chaque
être vivant dans l'Univers, la conscience délibérée de soi-même n'est accordée ,
sur cette terre et de façon complète qu'aux humains et à un ensemble d'espèces
dépourvues d'organisation physique que les anciens surnommèrent " les alliés ".
une interaction entre l'humain et ces êtres est non seulement réalisable mais
elle apparaît fréquemment au cours de nos rêves. Les sorciers la cultivent, car
la conscience inorganique, étant bien plus ancienne que la nôtre, est pleine de
quelque chose que tous nous désirons : la connaissance.
En se donnant le travail d'investigation des modes d'énergie, les sages du
Mexique Ancien se virent contraints de décrire à leurs contemporains ce qu'ils
avaient découverts. Dans leur ardeur de trouver les termes les plus adéquats
possibles, ils dirent que tout ce qui existe est ainsi divisé en clair et
obscur, à l'image du jour et de la nuit. De là découlèrent toutes les
descriptions binaires que nous pouvons mentalement concevoir. C'est une
obligation qui reflète la grande dualité cosmique.
Au travers de leur " voir ", ils détectèrent que le monde énergétique est
composé de zones étendues d'obscurité parsemées de points de lumière et ils
perçurent que les zones obscures correspondent à la partie féminine de l'énergie
alors que les zones claires correspondent au côté masculin. La conclusion
inévitable à laquelle ils aboutirent fut que l'Univers est féminin dans sa
presque totalité et que l'énergie claire, la masculine est une exception.
Par définition, ils associèrent l'obscurité avec le côté gauche, le nagual,
l'inconnu et le féminin et la clarté avec le côté droit, le connu et le
masculin.
Poursuivant leur observation, ils virent que l'acte de Création galactique est
apparu lorsque l'obscurité cosmique se contracte sur elle-même et que de
celle-ci émane alors une explosion de lumière, une étincelle qui se dilate,
donnant naissance à l'ordre du temps et de l'espace. La loi de cet ordre
implique que les choses ont une fin, laquelle implique que l'unique et pérenne
principe de l'Univers est l'énergie obscure, féminine éternellement créatrice
De cette même façon, l'humain est divisé en tonal qui représente la vigilance
diurne et le nagual, le monde de ses rêves la nuit.
Le reste de la sagesse des naguals découle de cette considération. Ils nous
enseignent que le rêve est une porte de Pouvoir parce que, en dernière instance,
ce qui nous alimente est l'énergie obscure, à laquelle nous retournons
périodiquement pour nous renouveler. En conséquence, ils appliquèrent toutes
leurs forces à perfectionner l'art de prendre conscience au sein même de l'état
de rêve. Ils appelèrent ce type spécial d'attention le "rêver " et ils
l'utilisèrent pour explorer l'énergie obscure délibérément pour entrer en
contact avec la source de l'Univers. De cette manière, l'observation initiale
des sages Toltèques se convertit en une connaissance pragmatique.
Une des affirmations les plus fréquentes de Carlos était relative au fait que
les jugements que nous portons sur toutes choses convertissent notre monde en
quelque chose de plus en plus prédictible et finalement jusqu'à ce que la
possibilité de visiter d'autres mondes en devienne un conte de fées.
" Pour l'homme moderne-nous dit-il un jour- tout ce qui existe tombe
automatiquement dans une catégorie déterminée. Nous sommes des machines à
étiqueter. Nous cloisonnons le monde et le monde nous cloisonne. Si un jour,
nous tuons un chien, nous devenons un tueur de chien pour toute notre vie, même
si plus jamais nous n'en aurons touché un seul. Et ces classifications se
transmettent en héritage !
Il mentionna une série d'appellations amusantes et expressives qui en leur temps
furent attribuées comme caractéristiques d'une certaine personne en particulier
mais qui furent ensuite imposées pratiquement à tous ses descendants. Il
soutenait que d'un point de vue énergétique, les gens sont ainsi marqués.
Il affirma que l'exemple le plus obvie de cette propension absurde de nous
classifier réside encore dans ce que les croyants appellent " le péché originel
" ou " le péché d'Adam et Eve " par lequel nous sommes tous pécheurs et que par
là nous nous comportons comme tels !
" Nous nous sommes convertis en geôliers perceptuels des autres. La chaîne de la
pensée humaine est puissantissime.
" Nous avons catalogué et organisés jusqu'à nos sentiments les plus profonds de
façon à ce qu'aucun ne nous échappe. Un exemple type est le mode selon lequel
nous quittons le temps réel pour tomber dans la répétition de stéréotypes. Nous
avons une collection de jours préfixés : la fête des mères, le jour des morts,
le jour des amoureux, les anniversaires de mariage et autres… Ce sont comme des
pieux auxquels nous amarrons notre vie pour ne pas nous perdre et nous allons
ainsi par le monde, retournant en permanence à nos descriptions, comme des bêtes
attachées par le berger. "
Il nous raconta qu'un jour, Don juan et lui
avaient atteint un petit village au nord de Mexico et qu'ils s'étaient assis
pour se reposer sur le banc du parvis d'une église.Soudain, accourut une dizaine
de jeunes qui portaient une poupée faite de chiffons et de paille, vêtue d'une
couverture et chaussée de sandales, tel un indien. Ils l'installèrent sur la
place du village et cette même nuit, ils y mirent le feu. Tout le monde but et
tous insultèrent l'effigie à tour de rôle, partie importante du rituel.
" Par de pareilles coutumes, les gens maintiennent vivant le symbole que ce soit
du traître ou d'une autre représentant à conspuer. Ils s'en souviennent,
l'alimentent, le gardent en leur enfer avec leur souvenir et après l'avoir
brûlé, l'année suivante ils le ressuscitent à nouveau pour le remettre à mort.
La fixité des conduites humaines se révèle en de pareilles routines.
Une personne du public lui demanda si ce qu'il affirmait au sujet de ces gens
était une métaphore ou une vérité. Il répondit : " Les sorciers affirment que
s'il y a mémoire, alors il y a conscience de soi, étant donné que le courant de
la pensée est un injection de vie. La vraie mort est l'oubli.
" L'idée que le temps court le long d'une ligne droite d'arrière en avant est
complètement primitive et va à l'encontre de l'expérience des sorciers ou encore
de la science moderne. Liée à une interprétation pareillement limitée du temps,
l'Humanité est prisonnière du tunnel du temps, dont le destin est la répétition
infinie du même.
" La réalité de notre condition est que nous sommes abrutis énergétiquement par
le fait de la fixité collective du point d'assemblage. "
" Une conséquence notoire de cette fixité est notre façon de nous spécialiser.
Nous nous préparons à une profession, par exemple, au lieu d'élargir nos
talents, nous devenons habituellement des individus sédentaires, lassés, sans
créativité et sans motivation. En quelques années, notre année vie devient tiède
mais loin de nous rendre responsables et de changer, nous rejetons la faute sur
les événements.
" Une des habitudes les plus graves que nous impose notre inventaire est de
raconter aux autres tout ce que nous faisons et tout ce que nous ne faisons plus
: ceci fait part intégrante de la socialisation. Nous voulons générer de nous
une image exclusive cependant cette image finit par nous modeler selon l'attente
des autres, nous modulant en imitations de ce que nous pourrions être. Une fois
que les schémas sont établis, nous nous devons de suivre les conduites quand
bien même elles nous répugnent ou que nous ne croyons pas en elles car toute
tentative de changement nous met la face contre le mur.
" La majorité des gens se sentent vides lorsqu'ils n'ont ni amour ni amis car
ils ont construit une vie sur une base superficielle de relations et il ne leur
reste pas de temps pour analyser leur destinée. Le pire est que, pour l'homme
ordinaire, l'amitié se base sur un échange d'intimités alors que une des
prémisses des relations mondaines promet que tout ce que nous disons sera un
jour utilisés ou retenu contre nous. Il est triste de constater que ceux qui
sont pour nous les plus importants sont aussi ceux qui nous donnent les pires
migraines !
" les sorciers soutiennent que parler de nous-même nous rend accessibles et
faibles alors qu'apprendre à se taire nous emplit de pouvoir. Un principe du
chemin de la connaissance est de rendre la vie tellement imprévisible qu'on ne
sait jamais soi-même ce qui va se passer.
" L'unique moyen de quitter l'inventaire collectif est de nous séparer de ceux
qui nous connaissent bien. Après un certain temps, les murailles mentales qui
nous emprisonnent de démontent un peu et finissent par céder. Se présentent
alors à nous des opportunités originales de changement et nous pouvons prendre
le contrôle de nos vies.
" Si nous étions capables de transcender l'interprétation, affrontant sans parti
pris la perception pure, nous perdrons l'impression d'un monde d'objets et à sa
place nous toucherions du doigt l'énergie comme le flux de l'Univers. En de
pareilles conditions, la chaîne de la pensée d'autrui n'aurait plus le moindre
effet sur nous et nous ne nous sentirions obligés à quoi que ce soit. En
conséquence, nos sens n'auraient aucune limite. Nous saurions ce qu'est " voir
".
Il définit :
" L'objectif des sorciers est de rompre la fixité de l'interprétation sociale
pour voir directement l'énergie. Voir est une expérience perceptuelle totale.
" Voir l'énergie telle qu'un fluide est une nécessité impérieuse sur le chemin
de la connaissance.Tous les efforts des sorciers y acheminent en ultime
instance. Il ne suffit pas au guerrier de savoir que tout est énergie, il doit
aussi le vérifier par soi-même.
" Voir est un sujet très pragmatique par ce que ses conséquences sont immédiates
et de grande portée dans nos vies. La plus dramatique d'entre elles vient de ce
que les sorciers apprennent à voir le temps comme une dimension objective. "
Il poursuivit en disant que l'énergie de l'Univers est ventilée sous forme de
couches. Tous les êtres conscients appartiennent à l'une d'entre elles et nous
pouvons être en syntonie avec l'énergie des autres bandes grâce à un phénomène
connu sous le nom d' " alignement de la perception ".
En certains points, les couches se croisent générant des vortex d'énergie où ont
lieu les événements de la plus haute importance pour les sorciers qui voient. En
ces points, les conditions pour l'alignement sont optimales et spontanées. Les
voyants parlent de passerelles, de ponts et de barrières dans l'espace, où les
coordonnées du temps s'annulent et la conscience du voyageur pénètre dans des
mondes étranges. Des êtres inorganiques en provenance de tous les coins de
l'Univers profitent de ces points pour passer la frontière jusqu'à la Terre,
tout comme nous pouvons faire de même.
" Ceci pourra vous paraître incroyable, mais je ne me serais jamais attendu à ce
type d'événement. Une fois, ils me conduisirent en un endroit au Nord de Mexico,
dans le désert et ils me montrèrent une aire de tourbillon pour l'intention
cosmique. Pendant des heures, nous luttâmes pour pénétrer dans l'endroit, mais
cela nous fut impossible. C'était vraiment comme s'il y avait là une barrière !
Nous lui demandâmes plus d'explications et il répondit :
" Jamais je ne pus résoudre ce problème. Mais pour un sorcier avec suffisamment
de pouvoir, qui sait quels usages il aurait pu en faire !
" en une autre occasion, je pus être témoin des effets les plus extraordinaires
de l'un de ces passages d'énergie. Je circulais en plein désert lorsqu'une
tourmente s'abattit sur la route, estompant complètement mon champ de vision.
Subitement, apparut un camion-remorque sur le côté. Le conducteur me fit signe
de rouler sur son flanc et pendant un long trajet j'avançai ainsi, protégé par
le camion. Finalement, la tempête cessa et nous nous arrêtâmes tous les deux.
Nous étions sur un chemin de pierre que je ne connaissais pas.
" Le conducteur du camion descendit et me salua. Je le reconnus : c'était un
chaman indien de la région avec lequel j'avais eu affaire précédemment. Il me
dit qu'en me protégeant de cette façon, il me rendait le cadeau que je lui avais
fait quelques années auparavant et qu'il était exclu pour moi d'essayer
d'identifier l'endroit où nous étions, car il s'agissait d'une cachette de la
seconde attention.
" Je fus étonné par ses paroles. Ce guerrier avait assez d'énergie pour me
transporter avec l'auto et tout le reste dans l'autre monde ! Après quelques
paroles, il me dit qu'il était temps de sortir d'ici, puisque la tourment avait
cessé. Je le suivis par un sentier inconnu et je me retrouvai à nouveau sur
l'autoroute. Du camion remorque, il n'y avait aucune trace. "
Ces anecdotes eurent pour effet d'exciter notre imagination au point que nous
nous empressâmes de lui poser mille questions. Cependant Carlos restait
imperturbable. Il nous dit que tel genre de phénomène survient bien plus
fréquemment que nous pourrions le croire et qu'on ne peut le raisonner mais
uniquement l'expérimenter.
L'autre effet bouleversant et très utile de voit l'énergie comme un flux est que
les sorciers perçoivent les sentiments des autres directement, comme des ondes
thermiques qui se détachent de nos masses lumineuses, sous l'impulsion des
émotions. De plus, ils détectent les sentiments qu'ignore de lui même celui qui
les possède.
" C'est comme si ils possédaient une vision infrarouge, ils peuvent s'orienter
là où leurs semblables ne voient qu'une impénétrable obscurité. Cela leur permet
de se tenir en garde contre la conduite d'autrui. C'est pour cela qu'il est
impossible de tromper un voyant et extrêmement difficile de le surprendre.
" Mais par-dessus tout, la vraie valeur du voir est qu'il nous aide à comprendre
l'intention.
" Une fois que nous sommes témoins que la totalité de l'existence est niveaux
d'énergie, nous voyons qu'il existe au-delà, un dessein ultérieur, une certaine
règle d'action qui organise tout cela. Les sorciers identifient ce dessein comme
une volonté suprême et impersonnelle avec laquelle ils réussissent à syntoniser
au travers du silence intérieur. Bien sûr, avec un tel outil à sa disposition,
un homme de connaissance combine les choses du monde de façon la plus appropriée
pour son énergie. Une énergie débordante et sereine est la marque du sorcier qui
voit. "
Il ajouta encore à ces mots que tous, nous avons reçu à la naissance la totalité
de notre énergie mais généralement nous mourons dans un état désastreux.
" C'est comme si nous étions nés avec une certaine quantité d'argent en banque,
certains un million, d'autres un peu moins et d'autres un peu plus. Peu importe
la différence, en général, la quantité est suffisante pour pouvoir nous aider à
mener une vie digne jusqu'à la fin. Cependant, par manque d'une culture
énergétique adéquate, la majeure partie des gens dépense insensément ce
patrimoine dès le départ et lorsqu'ils meurent, ils sont dans un état des plus
pitoyables.
" Toutefois, certains apprennent à économiser l'énergie et à multiplier leurs
bénéfices. Ils meurent aussi, mais avec un plus grand capital. Cela les conduit
bien plus loin.
" La différence entre mourir avec tous ces acquis, comme un guerrier plein de
pouvoir ou mourir pelé comme un vieux chien de rue, est le fruit de comment nous
traitons notre énergie. "
Il expliqua que le champ lumineux qui nous entoure est comme une boule
gigantesque de doux coton, un tissu dense de fibres qui diffus de l'énergie
comme un radiateur.
" Lorsque deux personnes entrent en relation, il existe alors un échange
d'émanations. Nos fibres de lumière interagissent, sans que nous le voulions ou
sans même que nous nous en rendions compte. Il existe une loi qui fait que
l'énergie flue d'où elle déborde vers là où il en manque. Comme nous passons
toute notre vie en interaction constante, il est normal finalement que nous
soyons moins nous-même et plus ce que les autres laissent ainsi en nous.
" Mais, les guerriers apprennent à violer la loi de l'échange énergétique au
travers d'exercices comme la récapitulation, dont le but est la récupération de
l'énergie. De cette façon, ils se rendent autosuffisants, recouvrant leur
capital et rendent scrupuleusement tous les " emprunts ". Comme il n'y a plus de
détérioration ou d'usure, on peut dire que leurs œufs lumineux sont thermiques.
" Pour se protéger de l'irradiation, les sorciers ont l'habitude d'adopter des
coutumes étranges. Certains utilisent des objets de pouvoir afin de dévier le
poids de l'attention d'autrui. D'autres ses séparent des gens et vivent en
ermites. Juan Tuma, lui, utilisait des lunettes noires " pour ne pas dissiper
l'énergie " par ses yeux.- la vraie valeur de cette précaution étant qu'ainsi il
créait une barrière entre lui et les autres et qu'il cessait d'être accessible.
" Le thème des échanges énergétiques est de la plus haute importance dans notre
vie et donna lieu à l'adage populaire : " dis-moi qui tu hantes et je te dirai
qui tu es ". Cet adage ne décrit pas uniquement un état d'affinité psychologique
entre deux personnes, mais encore un effet énergétique mesurable qu'un sorcier
peut percevoir. Si tu veux être toi-même, apprends à voyager seul.
" Le point crucial réside dans les interactions, selon que nous nous en libérons
ou que nous nous en rendons esclaves. Tout échange n'est pas indésirable. Les
guerriers cherchent la compagnie de ceux qui les aident à croître. Traiter avec
les sorciers nous oblige à être alertes et impeccables. En échange, les
relations ordinaires sont ruineuse, car elles exigent de nous un modèle de
conduite déterminé. Pensez seulement aux relations de couple, où les niveaux
d'exigence sont parfois si hauts que, parfois, ils minent la vie même de la
personne. "
Un des invités présents lui demanda ce qui se passe au niveau des échanges
d'émanations lumineuses lors des rapports sexuels.
Il répondit que, vu que la vie commence par un acte sexuel, nous pouvons
considérer que toute l'énergie dont nous disposons est de même origine. C'est
pour cela que la considération primaire dans l'utilisation de notre luminosité
est en relation étroite avec cette dimension fondamentale de l'être.
" Ce que nous devons savoir avant tout est que nos liens émotionnels avec les
gens sont la conséquence du mode sur lequel nous les avons établis. A ce moment
et une fois pour toutes nous avons défini notre disponibilité lumineuse. Dans le
cadre de l'énergie, nous sommes des unités scellées, nous sommes la somme de la
passion et du désir que nos parents accouplèrent au moment de nous concevoir.
Tout ce qui vint ensuite, que ce soit les dépenses ou les compromis, ou le
chemin de l'économie et de la récupération énergétique n'est qu'une manipulation
dans les limites de cette fourchette.
" Ici surgit l'importance d'un premier problème étant donné que les relations
sexuelles entre humains sont devenus des actes routiniers ? La socialisation
nous emprisonne de telle façon qu'elle s'immisce dans notre intimité
transformant la possibilité magique d'une union énergétique consciente en une
routine obscène aux conséquences indésirables. Et cela se reflète vivement sur
les enfants. "
Pour soutenir cette déclaration sévère, il nous raconta une blague sur un
individu qui dit à son épouse : "Chérie, le lundi je ne peux être avec toi parce
que je joue aux cartes avec des amis ; le mardi je vais au bowling, le mercredi
ils m'attendent à la gym". Il énumère ainsi tous les jours de la semaine et
leurs occupations respectives. Finalement, celle-ci répliqua : "Dans cette
maison, on se voit tous les jours à huit heures, que tu sois là ou pas !"
" Le problème n'est pas dans le fait de faire l'amour, mais dans le fait de le
faire par habitude. L'effet de toute routine est de dissiper l'énergie et on
constate cela de façon tragique dans la routine du sexe, parce que le résultat,
dans la plupart des cas, est que les enfants viennent au monde avec un déficit
grave en vitalité. Nous sommes tellement habitués à ce type de situation que
lorsqu'un enfant vient au monde avec tout son pouvoir, nous le considérons
anormal et nous le conduisons chez le psychiatre pour qu'il le calme.
Par le hasard selon lequel les couples qui se reproduisent, se choisissent, Don
Juan attribuait à la génération moderne le titre " enfants de l'aberration ".
Ils expliquait qu'il existait deux types de rencontre : l'abrutissante et
l'énergétique. Pour des questions sociales, il est difficile d'être le produit
d'une rencontre énergétique. Nous sommes presque tous le fruit d'un coït
routinier et selon les voyants, nous avons une énergie froissée, avec des plis,
comme si dès la naissance, nous étions déjà des petits vieux.
" Étant donné que nous ne pouvons changer cet héritage, c'est un travail de
sagesse que d'apprendre à économiser nos ressources.
" Selon, les sorciers, la principale fuite de l'énergie pour un homme ou une
femme réside dans la reproduction. Celle-ci est un grand choc, car elle affecte
de façon permanente notre luminosité. C'est pour cela que le fait d'amener des
enfants dans ce monde doit être délibéré et évalué avec le lus grand sérieux.
" Si nous sommes le produit d'un coït ennuyeux et qu'en même temps nous nous
soumettons à l'impulsion reproductive, le résultat en est une fragmentation
inévitable de l'unité de notre énergie. L'œuf lumineux des parents est comme un
barrage à trous par lesquels passe l'eau : les trous sont les enfants. Une
personne ne parviendra pas ainsi à accumuler suffisamment d'énergie pour changer
soi-même, à moins qu'elle n'applique dans sa vie les principes du chemin du
guerrier. "
Quelqu'un du public demanda comment se passent les échanges entre parents et
enfants.
Il répondit que couper le cordon ombilical du nouveau-né ne signifie nullement
que soit automatiquement coupé le lien avec les géniteurs. Le " cordon " de
lumière se maintient actif tout au long de la vie, comme un chalumeau
énergétique. C'est une vraie connexion, que les voyants perçoivent comme une
fibre qui sort du cocon lumineux des enfants jusqu'aux parents ; " Comme le
drainage n'a pas lieu de façon consciente, il n'est aucun moyen pour l'éviter.
Peu importe la quantité d'amour se témoignent enfants et parents entre eux, si,
du point de vue de l'énergie, rien que cet amour est un handicap pour la
luminosité qui a été échangée. C'est ainsi que les parents sont si exigeants
avec leurs enfants, cherchant à les mouler par tous les moyens afin qu'ils
deviennent comme eux. Les amener dans ce monde n'est pas une entreprise propre,
c'est un investissement.
" Les voyants purent voir comment, par la déprédation dont elle a été l'objet,
l'énergie des parents est déchirée et les fragments du tissu lumineux se
projettent jusqu'au dehors, comme s'il s'agissait d'une vieille chemise
effilochée, ou comme si ils avaient été éventrés et éviscérés. Un état des plus
horribles ! "
Les descriptions de Carlos, accompagnées de gestes significatifs et amples
eurent l'effet de mettre quasi tous les participants en état d'alarme. Je pus le
remarquer sur les visages de ceux que je trouvais dans mon entourage immédiat.
Avec une vois tremblante, l'un des assistants demanda comment un guerrier peut
boucher ces points de drainage.
Il répondit que l'unique possibilité que nous avons est d'annuler l'ordre de
socialisation en abandonnant père et mère et sans se retourner. Et pour les
enfants, il n'y avait d'autre moyen que de les manger.
" Si tu ne peux pas manger ton enfant, alors c'est lui qui te mangera "
Ces paroles eurent un impact sur l'assemblée. Certains s'en furent, excédés.
Sans afficher le moindre changement, Carlos nous raconta comment un jour il se
vit impliqué dans une rencontre extraordinaire avec un être conscient d'une
autre règne duquel il voulut libérer de sa condition d'esclavage. En résultat de
son imprudence, ils l'obligèrent à engendre un corps pour l'énergie étrangère.
" Lorsque sa mère accoucha, Don Juan prit la créature qui était une femelle et
l'emporta avec lui dans le désert. A son retour, il mit devant nous une brouette
de viande et nous dit : " Voilà votre fille, mangez-là ! Nous ne pûmes faire
autrement ; obligés par son regard imperturbable, la mère et moi nous exécutâmes
l'ordre.
" ce fut pour nous un acte monstrueux mais qui eut un effet appréciable : nous
rétablîmes en une fois notre intégrité lumineuse. En communiant ainsi à la chair
tendre, tous deux nous récupérâmes toute la délicatesse, toute la lumière que
nous avions projetée sur la créature et nous fermâmes nos trous. De cette façon,
nous en redevînmes complets.
" Quelques huit ans plus tard, Don Juan nous amena l'enfant. Il nous la présenta
comme le " Scout bleu " et nous dit qu'il l'avait cachée durant tout ce temps et
que ce que nous avions mangé était un porcelet. "
En entendant ces dernières paroles, un soupir de soulagement remua l'assemblée.
Carlos continua :
" Je ne peux pas dire que le retour de ma fille m'ait rien inspiré, amour,
consolation à savoir que tout avait été une blague, ou quoi que ce soit d'autre.
Mon énergie ne fut pas le moins du monde ébranlée.
Par curiosité, certaines personnes de l'assemblée voulurent savoir ce qui
s'était passé pendant les huit années pour la petite fille.
Il répondit :
" Ah ! Mon maître l'éleva dans le Nord du Mexique, avec les Yaquis. Il la
convertit en un être féroce. Elle n'était pas une créature normale, sons énergie
venait d'ailleurs. Elle utilisait les plantes de pouvoir sans discrimination.
Elle était si insoumise que pour la faire quitter Mexico et l'amener aux
Etats-Unis, il fallut l'amarrer et l'introduire sur le porte-paquets de l'auto
comme si c'était une valise. Nous, les parents physiques, nous ne pûmes jamais
la toucher. Elle ne se montrait un peu docile qu'avec Don Juan.
" Je me souviens qu'un jour, de sa propre volonté, la petite mit sa tête entre
mes genoux. Sa mère et moi nous nous regardâmes surpris, sans y croire. Tout
était en fait une manœuvre du nagual. L'enfant savait qu'elle était seule, que
jamais elle n'aurait des parents à parasiter. Elle avait été convertie en un
être à la mesure de sa vraie constitution.
" Nous sommes des êtres agressifs, territoriaux ; nous ne sommes pas des animaux
domestiques. Cette fillette est l'exemple vivant de ce que peut donner une
manœuvre de sorciers réussie dans le sens d'une recompression de notre énergie.
"
Lors d'une autre conférence, où il eut l'occasion d'apporter encore plus au
thème des coïts ennuyeux, la conversation dériva vers la manipulation de
l'énergie sexuelle. Il nous dit que la force génératrice qui fut déposée en nous
est transcendante et comporte beaucoup d'usages dont nous ne sommes pals
pleinement conscients. Il est pitoyable de voir que la majorité des gens ne
sache penser au sexe qu'en termes de plaisir corporel. C'est un peu comme un
sauvage, qui trouverait par hasard un livre très coûteux ; tout ce qu'il y
verrait ne serait que le matériel approprié pour allumer un feu.
" Nous dépensons la majeure partie de notre vie à nous préoccuper de savoir
comment nous verront les membres du sexe opposé. Ceci impliquant en premier
lieu, une attention constante à l'apparence physique. De la même façon,
fréquenter les lieux où vont les gens qui sont dans la même situation que soi,
donner des rendez-vous et investir tant et tant d'heures à parler de choses
superficielles mais avec l'esprit figé sur cet objectif très matériel, voilà une
inversion exagérée.
" Les sorciers savent que le fondement du sexe n'est pas le plaisir et encore
moins la reproduction. Et peu croient encore que le Pouvoir qui nous dirige se
fatigua à créer quelque chose d'aussi important que la force génératrice
uniquement pour nous offrir de brefs instants de distraction ou pour que nous
nous perpétuions comme des champignons sur la terre.
" Le sexe et ce qui l'entoure est beaucoup plus que cela, il nous connecte avec
le mystère de l'origine de toutes choses, car l'Univers naquit d'une explosion
unique qui perdure encore et qui s'exprime à chaque fois que nous faisons
l'amour. Si la source de ce que nous sommes est ce pouvoir germinal, alors le
centre de notre travail intérieur est la recanalisation de l'énergie sexuelle. "
En faisant un geste très expressif des mains, il exclama :
" rendez-vous compte de ce que vous possédez et ne le gaspillez pas ! Le sexe
vaut de l'or, réellement de l'or ! Notre destin cosmique est de répandre la
conscience et pour cela nous fûmes dotés d'une portion du pouvoir créateur de
l'Aigle. Le sexe fut créé pour rêver. "
Il affirma que, en théorie, l'échange sexuel d'un couple ne peut affecter la
disponibilité lumineuse de chacun des deux participants puisque l'homme prend à
la femme tout comme la femme prend à l'homme et le résultat de la balance est
neutre. En tout cas, ce qui n'est pas souhaitable dans l'opération de l'échange,
c'est que l'énergie se mélange et par cela sont générés des liens de dépendance
qui restreignent notre liberté et qui requièrent de longues années de
récapitulation pour être dénoués.
Cependant, en pratique, ce type d'échange est des plus exténuants pour notre
vitalité, parce que, lorsque nous faisons l'amour, le mouvement de l'énergie ne
nous enclot pas dans un système fermé ; il y a toujours une fuite quelque part.
" Avoir une relation sexuelle avec quelqu'un c'est mettre en jeu toute la chaîne
génétique qui lui donna naissance, et puisque les fibres de drainage nous
connectent avec nos progéniteurs, nous les êtres humains, nous ne sommes pas des
autonomies lumineuses mais des éléments terminaux. De telle sorte que, bien que
l'acte sexuel se passe entre deux individus, c'est le moule humain, la fixité
collective du point d'assemblage qui emporte la majeure part de l'énergie ainsi
animée.
" Cette fixité est responsable des sentiments de jalousie, de dépendance et
d'attachement qui lient les couples sexuels et qui fait que nous devenons des
impardonnables invertis, pervertissant jusqu'à la laideur un mot aussi noble que
le mot " amour ".
" L'attitude de l'homme ordinaire devant la possibilité d'aimer est celui d'un
calculateur froid et machinal : j'aime mes enfants parce qu'ils sont les
dépositaires de on énergie ; j'aime ma femme parce qu'elle lave mes vêtements,
cuisine et me baise ; j'aime mon chien parce qu'il garde la maison ; j'aime mon
pays parce que c'est là que je suis né ; j'aime mon dieu parce qu'il va me
sauver… "
Son visage se contracta en un geste disgracieux.
" Comme il est difficile de donner sans rien attendre en retour !
" L'amour quotidien finit par se transformer en dette lorsque l'autre nous
réclame l'attention qu'il nous donna. Et une dette de sentiments est tout
bonnement fatal !
" Pour de telles raisons, une des priorités du maître est de détruire les
schémas sexuels de l'apprenti. Ceci est un sujet crucial qui requiert un travail
de toute une vie, parce qu'il faut commencer tout de suite et parce qu'un groupe
de sorciers ne peut en aucune façon servir de prétexte à combler des carences
sexuelles. Si nous ne résolvons pas ce sujet comme homme et femme ordinaires,
nous aurons encore moins de possibilités d'affronter le chemin du guerrier.
" Les sorciers ont plusieurs façons de corriger l'apprenti. Certains n'ont aucun
scrupule à les soumettre à de vrais supplices, attaquant leurs faiblesses
jusqu'à ce qu'elles abdiquent. D'autres comme mon maître, sont beaucoup plus
délicats sur ce point et préfèrent travailler l'énergie de l'intérieur, en
permettant que l'apprenti prenne conscience par lui-même et réagisse
adéquatement. Peu importe la méthode si elle produit les résultats attendus.
" Le nagual Julian, par exemple, rassemblait une efficacité impitoyable et une
habilité terrifiante pour se transformer en ce qu'il voulait-non pas qu'il se
déguisait, mais que vraiment, il se transformait, bougeant son point
d'assemblage jusqu'à la position correspondant à la forme d'un animal ou d'une
autre personne. Une de ses personnalités favorites était celle d'une femme.
"Certaine fois, en tant que très belle femme, il séduisit son apprenti Juan
Matus, qui avait alors environ vingt ans et qui était fougueux comme un jeun
taureau. Quand tous les deux furent dans la chambre, il positionna son point
d'assemblage sur la position habituelle et fut de nouveau un homme, mettant le
jeune homme épouvanté en fuite loin de la maison.
" Pour une mentalité comme celle de Don Juan à cette époque, l'impact fut
dévastateur ; il tritura ses stéréotypes. Ce fut une farce grotesque mais
d'efficacité unique. Elle mit fin à sa propension à se livrer à la première
femme inconnue qui lui faisait des avances.
" Don Juan ne pardonna jamais à son maître cette grosse blague, mais avec le
temps il apprit aussi à rire de cette histoire. "
A ce stade de la conversation, Carlos suggéra un tour de questions. Un e des
participants l'interrogea spécifiquement sur le célibat, s'il était
indispensable ou non pour les sorciers et quels en étaient les avantages
éventuels.
Il répondit :
" Je ne suis a priori ni pour ni contre quoi que ce soit. Considérez que tout
dépend de la disposition congénitale d'énergie. Il y a ceux qui naissent avec la
passion nécessaire pour faire l'amour tous les jours alors que les autres ne
devraient même pas envisager la masturbation. Certains récupèrent leur totalité
lumineuse au travers de la discipline, d'autres ont l'apparence de passoire et
mourront incomplets. Vous pouvez comprendre que tous ces facteurs modifient et
déterminent la conduite des sorciers concernant le sexe.
" Ce qui caractérise le sorcier, c'est son refus d'obéir à l'ordre reproducteur
collectif, et sa capacité de choisir un usage responsable. Enfin, aucun d'entre
eux ne peut être pris au piège d'une classification sexuelle. Ils sont libres et
procèdent à chaque moment selon ce que leur indique le Pouvoir. Pour avoir cette
vision, ils ont besoin d'une sobriété que ne connaît pas une personne ordinaire.
"
Il expliqua qu'en général, les nouveaux voyants optent pour une position de
célibat et d'autonomie, parce qu'ils sont très avares de leur énergie et qu'ils
préfèrent la consacrer à l'accroissement de leur conscience. Les mondes dont ils
ont été témoins dans leurs voyages vers l'infini font en sorte que toutes les
autres choses, y compris l'acte sexuel, paraissent pâles et vides d'attraits.
" Don Juan disait que l'amour est pour celui qui ne connaît pas d'attachements.
"
répondant à un autre interlocuteur, il dit qu'il n'y avait pas à proprement
parler de " problème sexuel ", mais plutôt des individus avec leurs propres et
particuliers dilemmes à résoudre.
" Le voir comme un problème global est un piège parce qu'alors nous diluons
notre responsabilité et nous nous disculpons en alléguant que le reste des gens
est pareil à nous. Tout comme naître et mourir, procréer est un acte individuel,
que par le don de l'Aigle nous pouvons partager. Ce que nous demande les
sorciers est très simple : responsabilité.
" La société dans laquelle nous vivons est une école où on nous oblige à vivre
en suivant les ordres d'une épouvantable cruauté. Nous devenons vieux et faire
l'amour devient une parodie grotesque. Et cette société nous impose un drainage,
une conduite perfide qui nous bloque jusqu'à ce qu'il ne nous reste plus une
seule goutte de lumière.
" J'avais en exemple mon propre grand-père. Je ne peux pas les baiser toutes,
mais il faut que j'essaye quand même ! Il avait déjà un pied dans la tombe et
réagissait encore selon les préceptes établis qu'on lui avait appris. Il passa
la moitié de sa vie pour trouver une femme et l'autre moitié pour l'entretenir
et jamais il ne se rendit compte qu'il ne fit jamais un choix authentique.
" A la fin, sur son lit de mort, le vieux se lamentait avec l'idée que ses
amants ne le désiraient plus pour sa virilité mais bien pour son argent. Elle ne
m'aime pas ! pleurnichait-il et ses neveux le rassuraient : " Mais oui, elle
t'aime, papy ! " Ainsi mourut le latin lover, en criant : " Voilà que j'arrive,
ma Bohème ! "
" Il n'y aurait donc que les sorciers pour comprendre que ce n'est pas là tout
ce que nous pouvons accomplir en tant qu'êtres humains ? "
Il nous révéla qu'avant de se décider à pratiquer la vie du guerrier, il se
croyait séducteur et se comportait comme tel, sous l'impulsion du stéréotype du
latin lover macho.
"Il fut un temps où je séduisis une fille et que je la séduisis dans ma voiture.
Tous les deux, nous montrâmes tant d'ardeur que le pare-brise fut embué par les
baisers et les embrassades que nous nous donnâmes. Au sommet de mon excitation,
je découvris que la jeune fille était un homme !"
" Une autre fois, je tombai amoureux sincèrement d'une jeune femme mais je
soupçonnais qu'elle me trompait. Je changeai donc de voiture et je me postai en
guet près du coin de sa maison. Puis arriva l'autre. Lorsque je lui demandai des
explications, elle me dit : " Avec toi c'est de l'amour, avec lui ce n'est que
du sexe ! "
" Ce type de rencontres me décida finalement à me comporter avec plus de
sobriété dans mes élans amoureux. Malgré tout, la pression de mon stéréotype
était trop forte et je continuai à délivrer mon énergie au moule sexuel de ma
race jusqu'à ce que Don Juan me mit devant le choix définitif : soit je me
calmais soit j'abandonnais l'enseignement. "
Pour répondre à une autre question, il rappela que le meilleur moyen de diminuer
le drainage énergétique qui existe au travers de la sexualité et d'apprendre à
avoir des gestes magnanimes qui contrecarrent et dirigent la fixité de l
'attention.
" Nous avons reçu la vie en cadeau cosmique et c'est notre privilège de
réfléchir ce geste avec une totale indifférence. Grâce à son détachement, le
guerrier est en mesure de faire de son amour un chèque en blanc, inconditionnel,
une affection abstraite parce qu'elle n'a pas de lien avec le désir ! Quelle
merveille !
" Contrairement à ce que pense l'homme de la rue, la nature des sorciers est
techniquement passionnelle. Sauf que leur objet n'est pas charnel. Ils ont
compris que le lien qui lie toutes les choses est une onde de passion qui inonde
l'Univers et que elle ne peut être arrêtée, à moins que tout ne soit réduit à
rien.
" Au travers de leur voir, ils ont établi leur base en la pierre angulaire de la
conscience : l'état le plus puissant de l'attention individuelle. Leur amour est
une réalité subjuguante qui vibre dans chaque respiration, qui s'essaye en
chaque geste et acquiert un sens dans chaque mot ; une force qui les pousse à
explorer, à courir des risques et à évoluer, tirant le meilleur de soi à chaque
instant.
" Les sorciers ont découvert la forme d'amour la plus raffinée, parce qu'ils
s'aiment eux-mêmes. Ils savent que tout ce que nous donnons à l'extérieur est
une image de ce que nous avons à l'intérieur. Ils ont mis le pouvoir de la
passion au service de l'être, et elle leur donne le coup de pouce nécessaire
pour entreprendre la recherche de ce qui compte le plus : celle de soi-même.
Lorsque je révisai mes notes, je m'aperçus que l'autre thème auquel Carlos
faisait référence avec plus d'insistance dans ses conversations était celui de
la récapitulation. Il affirmait que c'était là l'exercice auquel les sorciers
s'adonnent la plus grande part de leur temps.
Il déclara un jour que, bien que le drainage énergétique auquel l'interaction
sociale nous expose, nous avons tous une option consistant en une
caractéristique scellée à notre constitution lumineuse qui nous permet de
recommencer tout à zéro à chaque moment pour récupérer notre totalité.
" Il n'est jamais trop tard -affirma-t-il ". Tant que nous sommes vivants il y a
toujours un moyen de vaincre l'un ou l'autre blocage. Le meilleur moyen de
récupérer les fibres lumineuses que nous avons dissipées consiste à les ramener
à nouveau à note énergie. Le plus dur est de faire le premier pas. Pour ceux qui
sont intéressés par l'économie d'énergie et sa récupération, l'unique chemin
ouvert est celui de la récapitulation.
" Un sorcier sait que si nous n'allons pas vers nos fantasmes, ce sont eux qui
viennent à nous. Pour cela il ne laisse rien en suspens. Il se raconte son
passé, cherche la conjoncture magique- le moment exact où il emmêla son destin
avec celui des gens- applique toute sa concentration sur ce point et dénoue les
lacets de l'intention.
" Les sorciers disent que nous passons notre vie comme enrôlés aux souvenirs.
Nous vivons notre existence, accrochés, endoloris par ce qui se passa il y a
trente ans en portant un fardeau qui n'a plus aucun sens. " Je ne lui
pardonnerai jamais ! " crions-nous, mais ce qui est certain c'est que c'est à
nous que nous ne pardonnons jamais !
" Les engagements émotionnels que nous contractons avec les gens sont comme des
détours que nous nous permettons au long du chemin. Il faut vraiment être sot
pour laisser notre patrimoine se défiler ainsi !
" L'unique moyen qui nous est offert pour redevenir complets est de défaire ce
détour, ramenant à nous cette énergie et dissipant la charge des sentiments. Et
la méthode la plus valide qui fut découverte par les sorciers est dans la
remémoration de notre histoire personnelle jusqu'à sa complète digestion. La
récapitulation te tire du passé et t'insère dans le présent.
" Nous ne pouvons pas évité d'être né de copulations ennuyeuses, et encore moins
d'avoir contré notre luminosité à de disperser à faire des enfants ou a
maintenir des relations exténuantes. Cependant, nous pouvons récapituler : en
annulant l'effet énergétique de ces précédents actes.
" Fort heureusement, dans le cadre de la conscience il n'existe aucune chose
comme le temps ou l'espace. C'est pour cela qu'il est possible de retourner au
lieu et au moment même où se passèrent les événements qui vont être revécus. Ce
n'est pas difficile, nous savons tous bien où cela nous fait souffrir.
" Récapituler est traquer nos propres routines, les soumettant à une
discrimination systématique et sans pitié. C'est l'activité qui nous permet de
visualiser notre vie en tant que totalité et non comme une succession éventuelle
de moments. Toutefois, et malgré que cela puisse sembler étrange, seuls les
sorciers récapitulent avec assiduité, le reste des gens le fait seulement par
hasard.
" La récapitulation est l'héritage des anciens voyants, la pratique basique,
l'essence de la sorcellerie. Sans elle il n'y a pas de chemin. Don Juan avait
l'habitude de parler des apprentis qui n'avaient pas récapitulé comme des "
radioactifs ". Don Genaro ne m'aurait pas donné la main et si par hasard il
l'aurait fait, il aurait couru se laver la main comme s'il avait été infecté. Il
disait que j'étais souillé de porcheries et que cela exsudait de chaque pore de
ma peau. Par cette parodie, il m'inculqua l'idée de ce que récapituler est un
acte élémentaire d'hygiène. "
Lors d'une autre conférence, Carlos fit référence à la stagnation lumineuse
qu'il décrivit comme une fixation de notre attention qui bloque le flux
d'énergie. Il dit que cela survient lorsque nous ne voulons pas affronter les
faits et que nous nous réfugions derrière des actions évasives. De même lorsque
nous laissons des actions pendantes et que nous contractons des engagements qui
nous lient.
La conséquence de la stagnation est que la personne cesse d'être elle-même.
D'être soumise ainsi à la pression de la chaîne de décisions qu'il a prises dans
sa vie il ne peut plus agir de façon délibérée et il se prend encore plus dans
le filet des circonstances. Cette situation peut conduire finalement à une
infirmité mentale ou physique et ne peut se solutionner qu'au travers de la
récapitulation.
Il nuança en disant que, dans son essence, récapituler consiste à faire une
liste des blessures causées par nos interactions. Le pas suivant est de faire
marche arrière jusqu'au moment ou eurent lieu les faits les événements pour
absorber de nouveau l'énergie qui nous appartient et rendre la leur aux autres.
" Le guerrier commence par rembobiner sa journée. Il reconstruit les
conversations, déchiffre les significations, se souvient des visages et des
noms, cherche les nuances, les insinuations, sépare ses réactions émotionnelles
et celles des autres. Il ne laisse rien au hasard, il ramasse les souvenirs de
la journée, un par un et les nettoie par la respiration.
" Il fouille et scrute des chapitres et des catégories complètes de sa vie. Par
exemple, les couples qu'il fit, les maisons dans lesquelles il vécut, les
écoles, les lieux de travail, les amis et les ennemis, les désagréments et les
moments de bonheur et ainsi de suite. L'idéal est d'accomplir le travail en
ordre chronologique depuis le souvenir le plus récent jusqu'au plus ancien qu'il
est possible d'évoquer. Mais pour débuter il est plus facile de procéder par
thème.
" Une forme très rentable de l'exercice, accessible à tous est la récapitulation
fortuite. On peut se rendre compte qu'on est constamment en train de
récapituler. Tous les souvenirs qui forment notre dialogue interne peuvent être
catalogués comme tels. Différemment, nous les évoquons de façon involontaire. Au
lieu d'observer en silence, nous les jugeons, nous interagissons avec eux
viscéralement. C'est pitoyable. Un guerrier profite de l'opportunité, parce que
ces souvenirs qui semblent venir du hasard, sont des avertissements de notre
côté silencieux.
Il poursuivit en disant que pour récapituler il ne faut pas de conditions
spéciales. On peut pratiquer l'exercice en permanence en quelque lieu et en
quelque moment que ce soit où l'on s'y sente disposé.
" Les guerriers récapitulent quand ils marchent, quand ils se baignent, qu'ils
sont au travail ou à table, chaque fois que c'est possible ! L'important est de
le faire ! ". La question de la posture n'est pas importante. Celle-ci n'est pas
vraiment définie ? La seule requête à satisfaire est celle d'être à l'aise, pour
que le corps physique ne demande aucune attention et n'interfère ainsi pas dans
les souvenirs.
"Vraiment, les sorciers, prennent cet exercice au sérieux. Certains utilisent
pour le pratiquer, des caisses de bois, des cercueils, des armoires ou des
grottes ? D'autres se fabriquent une chaise dans les plus hautes branches d'un
arbre, creusent un trou dans la terre et le recouvrent avec des branches. Une
bonne pratique peut aussi se résumer à être assis dans un lit, dans la pénombre,
avant que de nous endormir. Tout ce qui peut nous isoler de l'environnement peut
nous aider à récapituler sérieusement.
" Une fois que nous avons retenu un événement et recréé chacun de ses détails,
il faut inhaler pour récupérer l'énergie que nous y avons laissé et exhaler les
fibres que les autres déposèrent en nous. La respiration est magique, car elle
est une fonction de la vie. "
Carlos nous expliqua que ce type de respiration doit être accompagné d'un
mouvement latéral de tête que les sorciers appellent " ventiler l'événement ".
Faut-il inhaler de gauche à droite ou de droite à gauche ? Il répondit " Cela
n'a pas d'importance ! C'est un travail énergétique, il n'a pas de modèle fixe.
Ce qui compte c'est l'intention. Aspirer lorsqu'on veut récupérer quelque chose
et expirer lorsqu'on veut renvoyer ce qui n'est pas " nous ". Si on peut
pratiquer l'entièreté de notre histoire, nous cesserons de vivre attachés à une
chaîne de souvenirs et nous nous focaliserons sur le présent. Les voyants
décrivent cet effet comme regarder les choses telles qu'elle sont ou encore voir
le temps objectivement. "
Certains demandèrent ce qu'il fallait faire avec les souvenirs lorsqu'ils sont
ainsi ramenés à la mémoire, fallait-il les examiner avec une certaine méthode
psychanalytique ou quelque chose du genre. A cela, il dit : " Il n'y a rien à en
faire de particulier. Les souvenirs cherchent leur emplacement et la luminosité
se réorganise par elle-même lors de la respiration. Toi, ne fais que d'en avoir
l'intention, montre-toi disponible et l'Esprit te dira comment le faire.
" La récapitulation part de l'intérieur, elle se soutient elle-même. Faire taire
le mental et alors le corps énergétique prend la relève du contrôle, faisant ce
qui pour lui est se faire plaisir. Tu te sentiras bien, confortable, cool, loin
d'être fastidieux, cela te reposera. Ton corps le percevra comme un ineffable
bain d'énergie. "
" Il faut cependant que tu aies l'attitude correcte. Ne confonds pas l'exercice
avec une question psychologique. Si tu as besoin d'interprétations, alors cours
chez le psychiatre ! Lui, te dira que faire pour redevenir l'idiot que tu étais.
Moins encore dois-tu essayer d'en tirer une leçon. Les histoires avec une morale
n'existent que dans les contes pour enfants.
" La récapitulation est une forme spécialisée de traque et vous devez
l'emprunter comme un chemin de haute stratégie. Il s'agit de comprendre et de
mettre de l'ordre dans nos existences, en les voyant telles qu'elle sont, sans
remords, reproches ou félicitations, avec un détachement total et un esprit de
légèreté, voire d'humour, parce que rien dans notre historie n'est plus
important qu'autre chose et toutes les relations finalement sont éphémères.
" L'important est de commencer vu que l'énergie que nous récupérons dès la
première intention nous donne ensuite la force pour poursuivre la récapitulation
d'aspects de plus ne plus intriqués de notre vie. Ainsi, nous allons d'abord
revisiter le détour le plus fort là où sont les sentiments les plus déchirants.
Ensuite, nous irons revisiter les souvenirs tellement profonds que nous les
croyions à jamais oubliés alors qu'ils sont encore là !
" Au départ, récapituler peut nous donner un certain travail, parce que notre
esprit n'est pas accoutumé à la discipline. Mais, ensuite, après avoir fermé les
blessures les plus douloureuses, l'énergie se reconnaît et nous deviendrons des
accros de l'exercice.
De cette façon, chaque particule de lumière que nous pouvons récupérer nous aide
à en gagner encore plus.
" A partir du moment où vous serez disposés à déstructurer volontairement la
trame de votre historie personnelle, vous aurez fait le pas décisif. "
Répondant à une autre question, il dit encore que la récapitulation n'a pas de
fin, elle dure jusqu'au dernier jour et plus encore.
" J'étire chaque jour mes fibres en me remémorant chaque nuit se qui se passa le
jour précédent. Ainsi la liste des événements est-elle sans cesse actualisée.
Mais une fois par an, je me dédie à un exercice plus complet et total qui
m'éloigne du monde pendant quelques semaines.
Il nous avertit encore que s'il n'est pas quotidien, nous devons voir cet
exercice comme une routine.
" Si nous ne récupérons pas la totalité de notre énergie, jamais nous ne
parviendrons au pouvoir de nos décisions ; il y aura toujours un bruit de fond,
un ordre étranger. Et sans le pouvoir de ses décisions, un homme n'est rien.
" Mettre à jour les événements est idéal, parce qu'il nettoie les blessures du
passé et décongestionne les circuits énergétiques. Ainsi, nous rompons la fixité
du regard d'autrui, nous démasquons les modèles de la conduite des gens et plus
rien ne peut nous induire en erreur. Tu deviens un être souverain ; tu décides
de ce que tu veux être et ce que tu veux faire de toi-même. "
D'autres questions fusèrent concernant les effets de la récapitulation sur la
conscience.
Il répondit que l'exercice a deux effets principaux.
A court terme, il coupe court à notre dialogue intérieur. Quand un guerrier
réussit à stopper son dialogue, il retisse des liens avec l'énergie. Cela le
libère de l'obligation de se souvenir et aussi de la charge des sentiments,
laissant un résidu énergétique qu'il peut réinvestir et amplifier pour dépasser
les barrières de la perception. Le guerrier comme ce alors à apprécier la source
et non plus l'interprétation. Il parvient alors de première main au consensus de
sorciers, qui est la description d'une réalité inconcevablement intégrée.
" Il est normal qu'un guerrier parvenu à cette étape, rie de tout, parce que
l'énergie donne de la joie. Grâce à sa récapitulation, il est content, épanoui,
il saute comme un enfant. D'un autre côté, il commence à devenir une personne
redoutable car à force d'avoir sa luminosité de plus en plus intacte et sa vie
limpide, les décisions ne sont plus pour lui d'aucun obstacle il décide de ce
qui lui est nécessaire au moment où il le décide, ce qui va ennuyer tous les
autres.
" C'est pourquoi à ce stade, le guerrier a besoin d'une dose de sobriété et de
prudence, pour ne pas encourir des risques non nécessaires, mettant en danger sa
sécurité et celle des autres.
" L'autre effet de la récapitulation est que cela fonctionne comme une
invitation à ce que l'Esprit vienne et établisse sa demeure en nous. En d'autres
termes, nous remémorer de notre passé est la méthode efficace pour unifier le
corps physique et énergétique qui pendant des années furent séparés. "
Il poursuivit en disant que le sorcier a réussi à recompacter la plus grande
part de son énergie, il est alors dans les conditions pour s'offrir la prouesse
perceptuelle de tenter d'offrir une copie de son expérience vitale pour faire
une farce à la mort.
" Tel est l'objectif final de la récapitulation : se créer un double et se
préparer à partir. Il ne faut pas être sorcier pour comprendre l'importance de
tout cela. Mourir endetté est une pitoyable façon de mourir. Par contre, avoir
un double) offrir à l'Aigle est la garantie de poursuivre plus avant.
" La lutte des sorciers est héroïque. Par la récapitulation impeccable du
contenu de leur vie, ils reprennent les fibres d'énergie qui drainaient leur
attention et ils rendent à ceux qu'il sont connus toute l'attention qu'ils leurs
cédèrent. De cette façon, ils atteignent un équilibre qui leur permet de partir
avec toute leur conscience. Leurs souvenirs, cohérents, propres et intégrés,
fonctionnent comme un être indépendant qui servira de ticket au change de leur
conscience. L'Aigle prend cet effort comme un paiement comptant et il se met de
côté parce que la réplique lui suffit à satisfaire sa demande.
" Les voyants voient ce moment comme un explosion d'énergie qui aligne la
conscience encapsulée du sorcier avec la totalité des émanations extérieures et
son point d'assemblage s'élargit de façon infinie comme un tourbillon de
lumière. "
Lors d'une autre de ses conférences, Carlos parla d'une méthode dessinée par les
nouveaux voyants et qui peut aider à l'exercice de la récapitulation.
" Une des tâches des sorciers est d'analyser constamment les insinuations de
l'Esprit. Pour lui, ils prennent l'habitude de tenir un carnet des événements
mémorables, une cartographie des occasions dans lesquelles l'intention intervint
en leurs vies, les obligeant à prendre des décisions de façon volontaire ou
involontaire. "
Il expliqua que l'avantage de cette technique est qu'en écrivant, nous nous
détachons un peu des choses et nous réussissons à les focaliser avec plus
d'objectivité.
" Il ne s'agit pas de décrire notre routine quotidienne, mais d'être attentifs
aux rares moments où l'intention se manifesta.
Ce sont là des conjonctures magiques parce qu'elles produisirent des changements
et nous mirent face à la sensation de notre existence.
Il nous donna quelques exemples de pareils événements.
" Bien que les signes de l'Esprit soient de l'ordre le plus personnel, il est
des événements ordinaires qui en général marquent la vie des gens, comme naître,
choisir une carrière, nouer son destin avec celui d'une autre personne et avoir
des enfants. De la même façon, les accidents graves, parce qu'ils établissent un
nœud avec la mort. Pour ceux qui ont la chance de rencontrer le conduit de
l'Esprit sous la forme d'un nagual, c'est sans doute l'événement le plus
mémorable d'entre tous.
" Les interventions de l'intention sont des précurseurs, souvenirs très
significatifs pour un guerrier et on peut les utiliser comme points de repères
d'où partir pour explorer les épisodes de l'histoire personnelle. Il faut juste
avec la souplesse et la lucidité pour les sélectionner et les synthétiser en
extraire le côté personnel et y laissant l'essence magique. De cette façon, ils
se transforment en ce que les nouveaux voyants appellent " les noyaux abstraits
de la perception " : une matrice d'intention qu'un guerrier à le devoir de
déchiffrer.
L'une des caractéristiques de Carlos était son imprévisibilité. Parfois il
survenait ponctuellement à ses rendez-vous alors que d'autres fois il avait un
retard d'au moins une heure. Le système avait ses avantages ; les moins
intéressés se levaient et disparaissaient alors que les plus engagés
s'obligeaient à cultiver la patience.
Ce soir-là, le rendez-vous avait lieu sur le Campus universitaire de Mexico..
Parmi d'autres questions, on lui demanda s'il croyait en Dieu.
En guise de réponse, il nous en enjoignit de ne pas confondre les mots avec le
message religieux.
" Les sorciers-dit-il-se fient à leur expérience. Ils ont changé le " croire "
en " voir ". Ils parlent de l'Esprit, non pas parce qu'ils " croient " en son
existence, mais parce qu'ils l'ont vu. Cependant, ils ne l'imaginent pas comme
un père amoureux qui vole au-dessus de nos têtes, là tout au-dessus. Pour eux,
l'Esprit est quelque chose de beaucoup plus direct et immédiat, un état de
conscience qui transcende la raison.
" Tout ce qui vient à nos sens est un signal. Il faut juste avoir la vitesse
nécessaire pour faire taire le mental et capter le message. Au travers de ces
indications, l'Esprit nous parle avec une voix très claire. ";
L'un d'entre nous fit remarque que, bien qu'il s'agisse d'une métaphore, l'idée
d'écouter l'Esprit ou de parler avec lui avait des allures excessivement
religieuses.
" Cette vois n'est pas une métaphore ! C'est littéral ! Parfois il s'agir de
mots, d'autres fois, d'un murmure ou d'une scène déployée devant nous, comme un
film. C'est ainsi que l'Esprit nous transmet ses ordres, qui peuvent se résumer
en une unique expression : " Aies l'intention ! Aies l'intention ! "
" la voix de l'Esprit nous parle à tous pareillement, mais nous ne nous en
rendons pas compte. Nous sommes trop occupés avec nos pensées et au lieu de
faire silence et d'écouter, nous préférons recourir à toutes sortes de
subterfuges. C'est pour cela qu'existent les " attracteurs ".
La question de savoir ce que c'était que ces attracteurs lui fit donner une
réponse :
"un attracteur est un rappel de l'attention, une manière d'accéder à un autre
niveau de conscience. Nous pouvons utiliser n'importe quelle chose pour être en
syntonie avec l'esprit, parce que finalement il est derrière tout ce qui existe.
Cependant certaines choses nous attirent avec plus de force que d'autres.
" Ordinairement, les gens ont leur oraisons, leurs prières et leurs amulettes ou
ils élaborent des rituels privés ou collectifs. Les sorciers de la vieille garde
étaient férus de mysticisme : ils utilisaient l'astrologie des oracles et des
exhortations, des baguettes magiques et toutes autres choses susceptibles de
déjouer la vigilance de la raison.
" Mais, pour les nouveaux voyants, ces procédés sont gaspillage et occultent un
danger : ils peuvent dévier l'attention de la personne qui, au lieu de se
focaliser sur l'Esprit, s'accroche au symbole. Les guerriers actuels préfèrent
les méthodes moins ostentatoires. Don Juan recommandait l'intention directe du
silence intérieur. "
Il insista à nouveau sur ces derniers mots et précisa que la sorcellerie est
l'art du silence.
" Le silence est une passerelle entre les mondes. Si nous faisons taire notre
mental, émergent alors les aspects incroyables de notre être. A partir de ce
moment, la personne devient le véhicule de l'intention et tous ses actes
commencent à suinter le pouvoir.
" Durant mon apprentissage, mon benefactor me montra des prodiges inexplicables
qui me stupéfièrent, mais en même temps qui éveillèrent mon ambition : moi aussi
je voulais ces pouvoirs ! Fréquemment, je lui demandais comment je pouvais
apprendre ces trucs, mais il mettait un doigt sur ses lèvres et il ne me
laissait que regarder. Ce ne fut que plusieurs années plus tard que je pus
apprécier pleinement la magnifique leçon de ses réponses. La clé des sorciers
est le silence. "
L'un des auditeurs lui demanda qu'il définisse plus ce concept.
Il répondit :
" Je ne peux le définir. C'est quand tu le pratiques, que tu le perçois. Si tu
essayes de le comprendre, tu le bloques. Il ne faut pas voir cela comme quelque
chose de difficile et de complexe, ce n'est rien qui soit étranger à notre
monde, il faut juste faire taire le mental.
" On pourrait dire que le silence est comme un quai où arrivent les barques ; si
le quai est occupé, il n'y a place pour rien de nouveau. Telle est ma vision du
sujet, mais, sincèrement, je ne sais comment en parler. "
Il expliqua que le silence mental n'est pas uniquement l'absence de pensées.
Mais il s'agit plutôt de suspendre les jugements, de témoigner sans interpréter.
Il continua en disant qu'entrer dans le silence peut se définir selon le mode
paradoxal des sorciers, comme " apprendre à penser sans paroles ".
" Pour beaucoup d'entre vous, tout ce que je dis n'a pas de sens, parce que vous
êtes habitués à vous référez en permanence à votre mental. Le plus ironique là
dedans, c'est que d'abord et avant tout, les pensées ne sont pas nôtres, elles
résonnent au travers de nous, ce qui est différent. Et, comme elles nous
harcèlent dès que nous raisonnons, nous finissons par nous habituer à elles.
" Si on demande au mental, il nous dira que la proposition des sorciers est une
nécessité dans la mesure où rien de leur monde n'est démontrable par la raison.
Et, plutôt que de nous conseiller de vérifier honorablement cette proposition,
elle nous ordonnera de nous cacher derrière un mur solide d'interprétations.
Quand bien même, si vous voulez vous donner une opportunité, il n'y a qu'une
seule porte de sortie : " Déconnectez votre mental ! " La liberté jaillit sans
penser.
" Je connus des gens qui réussirent à stopper leur dialogue intérieur et qui
n'interprètent plus, ils sont pure perception ; jamais ils se désillusionnent ou
regrettent quoi que ce soit car tout ce qu'ils font prend sa source au centre de
leur décision. Ils ont appris à gérer leur mental avec autorité et ils vivent
dans l'état le plus authentique de liberté. "
Il poursuivit en disant que le silence est notre condition naturelle.
" Nous sommes nés du silence et là nous retournerons ce qui nous contamine, ce
sont les idées superflues qui se faufilent en nous à partir de notre vie
collective.
" Nos parents, les primates ont des coutumes sociales très enracinées, dont
l'objectif est de diminuer les niveau de tension au sein du groupe. Par exemple,
ils passent beaucoup de temps à se caresser à se flairer ou à s'épouiller.
" Ces coutumes sont génétiques et sont toujours vivantes, elles sont là
présentes en nous, en vous et en moi. Il y a que nous les humains, nous avons
appris à leur substituer des échanges de paroles. Chaque fois que nous en avons
l'opportunité, nous tranquillisons l'autre en parlant ensemble de quelque chose.
Après des millénaires de vie en groupe, nous avons intériorisé ces échanges à un
tel point, que quand bien même nous serions endormis ou éveillés, notre mental
ne reste jamais tranquille, il est toujours en train de parler avec lui-même.
" Don Juan affirma que nous sommes des animaux prédateurs et que, à fore de nous
apprivoiser nous avons fini par nous convertir en ruminants. Nous passons notre
vie en régurgitant une liste interminable d'opinions à propos de n'importe quoi.
Les pensées nous viennent en grappes, en file indienne, jusqu'à remplir tout
l'espace mental. Ce bruit n'est d'aucune utilité car il est totalement
profitable à l'élargissement de l'ego.
" Etant donné qu'il va à l'encontre de tout ce qui nous fut enseigné depuis
l'enfance, le silence doit être intentionné avec un esprit de combat. A ce
moment, vous pouvez compter sur un grand avantage : l'expérience des traqueurs.
Les sorciers de maintenant nous proposent de passer dans ce monde-ci sans
susciter l'attention, en traitant chacun de façon identique. Un guerrier
traqueur se rend maître d'une situation, en bien ou en mal par ce qu'il y a
quelque chose d'effectivement terrible que d'agir sans le mental. "
Nous lui demandâmes quelques exercices pratiques pour parvenir à ce fameux
silence.
Il répondit qu'il s'agissait là d'un sujet plus privé étant donné que les
sources du dialogue intérieur se nourrissent de notre histoire personnelle.
" toutefois, après des milliers d'années de pratique, les sorciers ont observé
que, dans le fond, nous sommes touts pareils et qu'il existe des situations
communes qui nous rendent silencieux.
" Mo maître me transmit diverses techniques pour parvenir à me taire qui bien
sûr se résument en une seule : " l'intention ". Le silence " s'intentionne "
crûment, avec effort Il s'agit d'insister encore et encore. Cela ne signifie pas
que nous devions réprimer nos pensées mais que nous apprenions plutôt à les
contrôler.
" Le silence commence avec un ordre que l'on se donne à soi-même, un acte de
volonté qui se convertit en commandement de l'Aigle. Cependant, nous devons
tenir compte que pendant que nous nous imposons le silence, nous ne serons pas
vraiment parvenus parce que ce sera une imposition. Il faut apprendre à
transformer la volonté en intention.
" Le silence est tranquille, c'est un " se rendre ", " se livrer " un
laisser-aller. Il produit une sensation d'absence, comme celle qu peut ressentir
un enfant qui regarde un feu. Quelle merveille que de se souvenir de ce
sentiment, savoir que l'on peut l'évoquer à volonté !
" Le silence est la condition fondamentale du chemin. Je passai de nombreuses
années à batailler pour y parvenir et tout ce que je réussis à obtenir fut de
m'enfoncer dans ma propre tentative. Au-delà de la conversation habituelle qui
depuis toujours avait lieu dans mon mental je commençai à m'incriminer de ne pas
avoir compris ce que Don Juan attendait de moi. Tout changea en un jour où
contemplant des arbres distraitement, le silence se rua d'eux comme un traqueur,
arrêtant mon monde et me précipita dans un état paradoxal, nouveau, mais connu
tout à la fois.
" La technique d'observer, ou pour dire mieux encore, de contempler le monde
sans idées préconçues, fonctionne très bien avec les éléments. Par exemple, avec
les flammes, les chutes d'eau, les formes des nuages ou les couchers de soleil.
Les nouveaux voyants appellent cela " tromper la machine " parce qu'en essence,
cela consiste à apprendre à intentionner une nouvelle description.
" On doit lutter énormément pour parvenir à ce stade, mais après qu'il survient,
ce nouvel état de conscience survient naturellement. C'est pareil que de mettre
le pied derrière la porte, elle est déjà ouverte et le propos sera d'accumuler
assez d'énergie pour passer de l'autre côté.
" il est important que notre intention soit intelligente. Il est inutile que
nous nous efforcions de parvenir au silence si d'abord nous ne créons pas les
conditions favorables pour qu'il apparaître. De toute façon, pour pouvoir
s'exercer à observer les éléments, une guerrier est obligé de faire autre chose
de très simple mais de très difficile : mettre de l'ordre dans sa vie.
" Nous vivons tous dans une chaîne d'intensité que nous appelons le temps. Tout
comme nous divisons son début, nous ne cessons de penser à sa fin. Lorsque nous
sommes jeunes nous nous sentons éternels et lorsque nous vieillissons, il ne
nous reste qu'à regretter le temps perdu. Mais c'est une illusion, le temps ne
se perd pas, nous nous perdons nous-mêmes !
" La sensation que nous avons du temps est une tromperie qui nous conduit à
dépenser notre énergie avec toutes sortes d'engagements. Lorsqu'un homme se
connecte avec le silence, il revalorise le temps. Une autre façon de le définir
est donc de dire que le silence est une conscience aigue du présent.
" Une méthode infaillible pour parvenir au silence est le ne-pas-faire, une
activité qui nous programmons avec notre mental, mais qui à la qualité de faire
taire nos pensées une fois qu'il est mis en marche. Don Juan appelait ce type de
technique : " enlever une épine à l'aide d'une autre "
Il donna comme exemple de ne-pas-faire : écouter dans l'obscurité, traquant la
priorité de nos sens et à nous obliger à dormir lorsque nous fermons les yeux ;
converser avec les plantes, observer les ombres, les distances entre les
feuilles des arbres.
" Toutes ces activités sont des plus efficaces pour faire taire notre dialogue
intérieur malgré qu'elles aient un défaut : nous ne pouvons les pratiquer durant
longtemps. En effet, il arrive qu'après un certain laps de temps, nous nous
sentons forcés à récupérer nos routines ? Un ne-pas-faire dans son exagération
perd automatiquement de son pouvoir et en devient un " faire ".
" Si ce que nous souhaitons est d'accumuler du silence, avec des effets
durables, le meilleur ne-pas-faire est la solitude. Joint à cela l'économie
d'énergie et l'abandon de tous ceux ou ce qui semble bien établis, apprendre à
rester seul est le troisième principe pratique du chemin.
" Le monde du guerrier est le plus solitaire qu'il y ait. Même lorsque plusieurs
apprentis se rassemblent pour voyager sur les routes du Pouvoir, chacun sait
qu'il est seul et qu'il ne peut espérer rien de l'autre ni qu'il ne dépend de
personne. Le plus qu'il puisse faire est de partager le chemine avec ceux qu'il
accompagne.
" Etre seul requiert un grand effort, parce que cela nous impose à l'ordre
génétique de la socialisation. Au début, l'apprenti doit être forcé à la
solitude par son maître, au moyen de tous les pièges nécessaires. Mais avec le
temps, il apprend à s'en accommoder. Il est normal que les sorciers cherchent le
silence dans la solitude de la montagne ou du désert ou qu'ils vivent seuls
pendant de longues périodes. "
Quelqu'un fit la réflexion de l'horreur de cette perspective.
Carlos répliqua :
" Il est bien aussi horrible de devenir vieux comme un enfant pleurnichard !
" Une des ironies de la vie moderne est que, alors qu'augmentent les
possibilités de communication, nous nous sentions plus solitaires. L'existence
de l'homme commun est d'une désolation déchirante. Il cherche la compagnie, mais
il ne va pas à sa propre rencontre. Son amour a été dévalué, sons rêve est pure
fantaisie. Sa curiosité est devenue un intérêt très personnel, seuls lui restent
les attachements.
" A l'opposé, la solitude des guerriers est comme la retraite des amoureux, de
ceux qui cherchent l'alcôve pour pouvoir écrire des poèmes à leur amour. Et leur
amour est partout, parce que il est cette Terre sur laquelle il n'y a pas si
longtemps il a posé le pied. C'est pourquoi, où qu'il aille, le guerrier se
dédie à sa romance. Il est naturel que parfois, il fuie ses affaires avec le
monde ; le silence intérieur est solitaire. "
Carlos continua en disant que les sorciers antiques utilisaient fréquemment des
plantes de pouvoir pour cesser le dialogue intérieur. Mais les guerriers actuels
préfèrent les conditions moins risquées et plus contrôlées.
" Nous pouvons obtenir les mêmes résultats que ceux produits par les plantes en
nous jetant la tête contre le mur. Affronter des situations limites comme le
danger, la peur, la saturation sensorielle et l'agression quelque chose en nous
réagit immédiatement, le mental se tient en alerte et suspend automatiquement
son babillage. Se mettre délibérément dans cette situation, c'est traquer.
" Malgré tout, la méthode préférée des guerriers est la récapitulation. La
récapitulation stoppe le mental de façon naturelle.
" Le combustible principal de nos pensées sont les questions en cours, les
attentes et la défense de l'ego. Il est très difficile de rencontrer une
personne dont le dialogue intérieur soir sincère ; en effet, nous y dissimulons
ordinairement nos frustrations. C'est ainsi que le contenu de notre mental
devient une ode au Moi.
" Récapituler met fin à tout cela. Après un certain temps d'effort soutenu,
quelque chose cristallise là dedans. Le dialogue habituel nous rend incohérent,
mal à l'aise ; il ne nous reste d'autre remède que de le stopper.
" Il est normal qu'un apprenti, à ce stade, affronte un feu croisé. D'un côté,
il y a l'homogénéisation du point d'assemblage et de l'autre, d'énormes
parenthèses de silence qui se faufilent dans son mental, le fragmentant.
" Lorsque l'inertie propre du dialogue intérieur s'épuise, le monde se
renouvelle. L'onde d'énergie est ressentie comme un vide insupportable qui
s'ouvre sous les pieds. Pour ce motif, le guerrier peut vivre pendant des années
une instabilité mentale. Ce qui peut juste le réconforter en pareille situation,
c'est de maintenir clair le propos de la voie qu'il suit et de na pas perdre, en
aucune circonstance, sa perspective de liberté. Un guerrier impeccable ne perd
jamais la raison.
" Si en appliquant ces techniques, on en vient à sentir que le mental se mute en
une vois inhabituelle qui lui susurre des choses dans l'oreille, cela est normal
et il ne faut rien craindre : on ne devient pas fou, on entre dans le domaine
des sorciers. "
On lui demanda encore si le mouvement du point d'assemblage attire aussi le
silence, à quoi il nous répondit :
" C'est réciproque. Le silence intérieur induit des déplacements du point
d'assemblage, qui sont cumulatifs. Une fois atteint un certain seuil, le silence
peut de lui-même mouvoir le point d'assemblage à une grande distance, mais pas
avant. "
Il expliqua que la force du consensus collectif possède son inertie propre et
qu'il varie de personne à personne, selon des caractéristiques énergétiques. La
résistance de la description du monde peut aller d'une seconde à une heure ou
plus mais elle n'est pas éternelle. La vaincre par une intention soutenue est ce
que les guerriers appellent " atteindre le seuil du silence ".
" Cette rupture se sent physiquement, comme un claquement à la base du crâne ou
comme un son de cloche. Dès ce moment, ce n'est plus qu'une question de quantité
de force accumulée.
" Il est de ceux pour qui le dialogue s'arrête en quelques secondes et qui
immédiatement prennent peur et se posent alors des questions pour se décrire à
eux-mêmes ce qu'ils ressentent.
Les autres apprennent à rester dans cet état pendant des heures ou des jours,
même lorsqu'ils accomplissent des activités quotidiennes utiles. Prenez mes
livres par exemple, je les ai écrit dans un état de silence, selon les exigences
de Don Juan. Cependant, les sorciers avec de l'expérience vont plus loin : ils
peuvent entrer de façon définitive dans l'autre monde.
" Je connus un guerrier qui vivait pratiquement en permanence là-bas. Lorsque je
luis demandais quelque chose, il me répondait ce qu'il voyait, sans accorder de
l'importance à la cohérence avec la question que je lui avais posée. Il vivait
au-delà de ma syntaxe. De mon point de vue d'apprenti, bien sûr, il était
simplement fou
" Bien qu'il soit indéfinissable, nous pouvons évaluer le silence par ses
résultats. Son effet final, celui que cherchent avec avidité les sorciers, est
qu'il nous syntonise avec une dimension magnifique de notre être, celui qui nous
donne un accès immédiat à un savoir instantané et complet non composé de
raisonnements, mais de certitudes. Les anciennes traditions décrivent cet état
comme " le royaume céleste " mais les sorciers préfèrent lui donner un autre
nom, moins personnel : " la connaissance silencieuse ".
" On peut dire qu'un homme qui domine le silence intérieur a nettoyé son lien
avec l'Esprit et le Pouvoir descend à torrents sur lui. Un claquement de doigts
et hop ! le monde est autre. Don Juan se référait à ce stade comme celui du "
saut mortel de la pensée ", parce que nous partons du monde de tous les jours,
mais jamais plus nous ne reviendrons y sombrer. "
L'étrange pourvoir de fascination qu'exerçaient sur moi les conférences de
Carlos, jusqu'à ce que soit devenue insupportable l'idée d'en manquer une seule,
devint pour moi une souffrance. J'eus l'occasion de lui expliquer le fait et il
commenta ainsi :
" Te voilà bien attrapé ! Don Juan incitait toujours ceux qui l'entouraient à
entretenir une histoire d'amour avec la connaissance. "
Je ne comprenais pas et lui demandai d'expliquer plus encore.
" C'est un désir pur de savoir, et non une sensation de nonchalance, un
intéressement vif à ce que l'Esprit vient te raconter sans rien attendre de lui.
Ce n'est que l'entretien d'une romance passionnée avec lui qui puisse nous
donner la force de ne pas nous tirer en arrière lorsque les signaux pointent en
direction de l'inconnu.
" Lorsque son chemin ne correspond plus aux attentes humaines, lorsqu'il est
conduit à des situations qui défient la raison on peut enfin dire qu'un guerrier
ha élevé une relation intime avec la connaissance.
" Tu as eu une chacune extraordinaire, celle de faire taire ton mental pour u
moment et permettre que le Pouvoir te fasse signe. Mais ce n'est pas encore
assez, tu dois maintenant t'ajuster à son message, pour que ta vie soit celle
d'un guerrier. Et plus avant, ton travail consistera à cultiver un lien honnête
et limpide avec l'infini. "
DEUXIÈME PARTIE
Dialogue de guerriers
1
J'eus un jour l'occasion d'exposer à Carlos combien il m'était difficile de
comprendre les postulats de la sorcellerie et je lui demandai quelques
définitions pour orienter quelque peu ma rationalité. Il me répondit que cela
n'était ni possible ni utile, vu qu'il ne vivait déjà plus dans une réalité de
consensus ordinaire.
" Moi même, je ne me comprends plus " m'assura-t-il avec une absolue sincérité.
Il rappela que " comprendre " c'est fixer notre attention en un point spécifique
d'où les choses peuvent se voir comme expliquées. Plus ce point est accepté par
la généralité des gens et plus vrai il nous semble.
" Cependant, l'Univers n'est pas raisonnable, son essence est au-delà de toute
description. La sécurité et le sentiment commun sont des îlots qui flottent sur
une mer sans fond, auxquels nous nous accrochons uniquement par peur.
" Si tu poursuis plus loin le chemin de la connaissance, tu découvriras vite que
les explications sont un placebo, mais que jamais elles n'accomplissent leurs
promesses. Pour chaque chose qu'elles nous annoncent, elles génèrent ainsi une
myriade de contradictions. En réalité, nous ne comprenons jamais rien ; le
véritable enseignement est physique et il survient après des années de lutte.
Telle est la nature des leçons d'un nagual.
" C'est donc ainsi que les sorciers ont découvert qu'il existe une forme de
compréhension des choses qui ne les raisonne pas et qui est très pragmatique.
Une heure de pratique équivaut à des années d'explication et produit des
résultats réels et permanents. Au fur et à mesure que tu deviens le témoin du
pouvoir, l'obsessive pression de ton mental pour être valorisé sera annulé et en
lieu et place renaîtra en toi l'esprit enfantin de l'aventure et de la
découverte. A ce stade, on ne pense plus, on agit.
Il me demanda ensuite jusqu'à quel point mon intérêt pour la connaissance des
sorciers de l'ancien Mexique était sincère.
Je l'assurai que ma sincérité ne comptait pas de doutes et que j'étais disposé à
réaliser tout effort, sauf transgresser mes principes, basés sur l'honnêteté et
sur les bonnes actions.
Il me serra la main avec effusion
" Tu es le candidat idéal ! -s'exclama-t-il, mais je ne sais si c'était pour de
vrai ou pour plaisanter.
A ma surprise, il affirma que mes principes qui n'étaient pas les miens, mais de
toute personne intelligente et normale, étaient une base très bonne pour
commencer le travail.
" C'est ton matériel de base ? Mais seulement il faut maintenant que tu
convertisses tout cela en intention inflexible, parce que si tu te complais
uniquement dans les bonnes intentions, cela ne te servira à rien.
" Je peux t'aider à élucider les croyances des voyants de l'Ancien Mexique au
travers d'une combinaison d'études et d'expériences.
Prenant mon silence comme un accord, il continua à me décrire un programme
d'action que je devais incorporer dans mon quotidien, basé sur trois points :
stopper mon dialogue intérieur au départ d'une intention pure, rassembler mon
énergie par la réorganisation de ma vie et détacher les amarres de mon mental
pour rêver. Il dit encore que ce programme était dessiné pour m'aider à
fluidifier un peu plus les fixations collectives et m'encourager à contracter un
engagement pratique avec les postulats des sorciers.
J'acceptai sa proposition et je me disposai à l'écouter. Cependant Carlos était
tout autre chose qu'un bon instructeur. Lorsque j'avais lu ses livres, j'avais
eu l'occasion de m'arrêter, de relire une phrase ou de laisser en suspens. Mais,
être à ses côtés et son impatience et son torrent permanent de paroles
m'accablaient. De plus, il me donnait l'impression qu'il évitait par tous les
moyens que nous établissions une relation humaine.
Lorsque je lui fis comprendre que cette méthode ne fonctionnait pas, il me
répondit qu'il s'agissait d'une stratégie délibérée de chasseur. A ses dires, il
était en train de traquer les routines de mon mental au travers de ce qu'il
appelait la " saturation conceptuelle ".
Je lui demandai bien sûr d'expliciter. Et il me répondit :
" La raison se sature lorsqu'on lui donne suffisamment de travail. Don Juan
avait l'habitude de dire que les concepts étrangers, comme ceux que manient les
sorciers doivent être répétés jusqu'à épuisement, pour qu'ils puissent ainsi
gagner un lieu définitif dans notre conscience, accablé par le poids de tant de
propos triviaux.
Ce qui nous effraie dans les leçon des sorciers c'est que, bien que nous ne le
voulions pas, nous sommes en permanence en train d'évaluer tout ce qui ainsi
vient jusqu'à nous. Lorsque l'objet de cette analyse est une proposition
irrationnelle, il faut montrer beaucoup de force pour ne pas tomber dans le
préjugé.
" Si tu veux connaître le côté magique du monde, sois impeccable avec tes
raisonnements. Ne leur permets pas de s'ajuster, emmène les jusqu'à leur limite,
au point même de la rupture. Dans de pareilles circonstances, ton mental n'aura
que deux options : s'imposer, t'obligeant à abandonner l'apprentissage, ou bien
se taire, te laissant en paix. "
"Comment progresse ta récapitulation ?"
Sa demande me prit au dépourvu ? Je lui répondis que pas encore je n'avais déjà
essayé l'exercice étant donné que j'attendais des conditions favorables à la
maison.
Il me lança un regard très sérieux, comme fait de reproches, et commenta que
pour les sorciers, la totalité du chemin se résume dans son premier pas.
" Cela signifie que les conditions idéales sont celles du moment présent et
immédiat " Puis se radoucissant, il me dit encore.
" C'est ce qui se passe pour tous au début. Observer notre vie est un exercice
perturbateur, parce qu'il exige que nous allions jusqu'au fond et il est facile
de remettre cela à plus tard. Cependant, si nous insistons, après un certain
temps d'observation aigue, nous commencerons à découvrir que ce qui pour
toujours nous semblait des formes évidentes et correctes de penser n'étaient en
réalité que des croyances implantées.
" Les idées auxquelles nous avons recours avec ferveur constituent la matière la
plus dense de notre contamination mentale. En général, toutes partent d'une
erreur de syntaxe. Sion change la façon de parler, elles n'ont plus de sens et
alors leur sont substituées d'autres idées. C'est ainsi qu'existent tant de
systèmes de croyances de par le monde.
" A partir du centre de la connaissance silencieuse nous savons tous cela et
nous sommes très peu souvent disposés à pratiquer nos croyances. Nous pouvons
passer notre vie à parler d'amour du prochain ou encore tendre l'autre joue,
mais qui ose vraiment passer à l'acte ? On voit alors fleurir les guerres pour
des motifs religieux et par lesquelles les gens se tuent pour leur façon plus
particulière de prononcer le nom de Dieu.
" Les sorciers savent que les croyances basées sur des idées sont fausses. "
Il m'expliqua que le point de départ de nos convictions est habituellement
quelque chose qu'on nous a dit sur un ton impératif ou persuasif lorsque nous
étions enfants, avant que nous n'ayons un bagage d'expériences pour pouvoir
comparer, ou encore par le fait de la propagande massive et subliminale à
laquelle l'homme actuel se voit soumis.
Fréquemment, elles proviennent aussi d'un choc émotionnel subit et profond,
comme celui dont souffrent ceux qui se laissent emmancher par une hystérie
religieuse. Ce type de croyances est plus généralement associatif.
" Étant donné que dans le noyau de chacune de nos actions coutumes ou réactions
se cache une croyance, alors le devoir initial sur le chemin de la connaissance
sera de faire l'inventaire de toutes les choses dans lesquelles nous avons
déposé notre foi. "
Il me suggéra que je consacre un nouveau cahier pour cet exercice ou je pouvais
annoter toutes mes croyances. Il m'assura qu'il mer servirait pratiquement en me
dessinant la carte de mes motivations et attachements.
" A chaque moment, dit-il, tu dois chercher la source de tes croyances et
analyser chacune d'entre elles en profondeur. Détermine quand et pourquoi elles
surgirent, ce qui existait avant cette croyance et comment tu te sentais et
combien cela a changé ta foi avec le fil des années. L'intention n'est pas que
tu justifies quoi que ce soit, mais que tu rendes tout plus limpide. Cet
exercice s'appelle 'traquer les croyances'
Il me promit que le résultat de ma pratique me servirait à me libérer des "
convictions de seconde main " et il s'empressa de dire que dans le monde des
sorciers est seul valable l'expérimentation directe.
CROIRE SANS CROIRE
J'acceptai sans peine l'exercice car il me semblait inoffensif.
Pendant quelques semaines je me consacrais à cataloguer tout ce à quoi je me
sentais mentalement identifié. J'espérais que mon inventaire soit simple et
clair, mais très vite je fus surpris de voir qu'il se transformait peu à peu en
une liste interminable de modèles de pensées, parfois pas très cohérents entre
eux.
Par exemple, une de mes croyances favorites était que, seules les choses
démontrables sont vraies ; en même temps je soutenais qu'il existait une réalité
suprême, un être divin transcendant au-delà de toute forme d'expérimentation.
Malgré tout ce que j'essayai, je ne pus concilier cette contradiction.
Sans le champ des "je-ne-crois-pas-que" j'eus aussi bien des surprises. Je
découvris ainsi comment une simple suggestion avait bloqué tout un large
éventail de possibilités. Lorsque je commençai à investiguer les raisons pour
lesquelles il m'était honnêtement pas possible d'accepter les affirmations de
Carlos au sujet des autres mondes réels et complets perceptibles par le biais du
rêve, je me souvins que lorsque j'étais très petit et que j'avais quelque
cauchemar, ma mère avait l'habitude de me répéter la ritournelle d'un conte pour
enfants qui disait ; " Les rêves, ne sont que des rêves. "
Lorsque nous nous rencontrâmes à nouveau, je lui racontai superficiellement le
résultat de mes recherches. Carlos me dit que c'était suffisant et qu'il y avait
là assez de matériel pour pouvoir passer à la seconde partie de l'exercice. Il
me suggéra que je sélectionne la plus importante de mes croyances, celle qui
servait de base à toutes les autres, et de cesser d'y croire pendant un moment.
Je devais procéder de la sorte pour chacune d'entre elles, selon leur degré
d'importance.
" Je t'assure que ce n'est pas difficile, ajouta-t-il, observant mon visage
déconcerté. Et par-dessus tout cela ne fera aucun tort à ta foi. Rappelles-toi,
c'est seulement un exercice. "
Je protestai. D'un ton résolu, je lui dis que la base de mes principes était ma
certitude de ce que Dieu existe et que je n'étais pas disposé à mettre en doute
ou à analyser ce sujet.
" Tu n'es pas sûr ! cria-t-il ! Ta conviction la plus enracinée est que tu es un
pécheur et c'est pour cela que tu te justifies ! Tu peux te tromper, gaspiller
ton énergie, te laisser aller à la colère, à la lascivité, aux caprices et à la
peur ; depuis le début jusqu'à la fin, tu restes humain ! Dieu te pardonne
toujours !
" Ne te fourvoies pas. Où tu choisis ta croyance ou c'est elle qui te choisit.
Dans le premier cas, elle est authentique, elle est ton alliée, elle te soutient
et se laisse manipuler par ta volonté. Dans le second cas, elle t'est imposée et
elle ne vaut pas la peine. "
Je répliquai que ce qu'il me demandait, jouer avec ma foi avec la même
désinvolture de celui qui change de chemise, était non seulement pour moi une
attitude blasphématoire et mercenaire, mais encore que sa pratique se
terminerait probablement par me laisser dans un état de confusion interne.
Il fit ce commentaire :
" Tu ne dois pas être clair pour entrer dans le monde des sorciers !
" Notre idée de ce que la vérité donna la main à la clarté est un piège, parce
que l'Esprit est quelque chose de trop inaccessible pour être compris avec notre
fragile mental humain. Comme tu le sais bien, l'essence de la religion n'est pas
la clarté, mais bien la foi ! Cependant la foi ne vaut rien, comparée à
l'expérience !
" Les sorciers sont pratiques : de leur point de vue, ce en quoi nous croyons ou
en quoi nous cessons de croire est absolument sans fondement. Ce qui compte ce
n'est pas l'histoire que nous nous racontons mais bien l'Esprit. Quand on a du
pouvoir, le contenu du mental est secondaire. Un sorcier peut être athée ou
croyant, bouddhiste, musulman ou chrétien et tout autant cultiver
l'impeccabilité, laquelle automatiquement le conduira au pouvoir. "
Ses phrase m'irritèrent plus que de raison.
En me rendant compte de cela, je fus surpris de constater à quel point les
doctrines catholiques avaient pénétré en moi pendant mon enfance. Maintenant que
Carlos mettait cela en doute, je sentais comme si il me dépouillait de façon
injustifiée de quelque chose de valeur.
Il remarqua mon dilemme et se mit à rire.
"Ne confonds pas les choses- me dit-il. Les religions ne sont pas un remède mais
une conséquence de l'état pitoyable de conscience dans lequel est en permanence
l'être humain. Elles sont remplies de bonnes intentions, mais peu de gens
s'accomplissent en elles. Si leurs engagements signifiaient quelque valeur
réelle, le monde serait plein de saints, non de pécheurs !
" A partir du moment où elles se massifient, toutes les idéologies, y compris le
nagualisme, se convertissent en mafias culturelles, en écoles pour endormir
l'humain. Pour autant que leurs projets soient subtils et plus ils essayent de
les valoriser par une corroboration personnelle, ils en arrivent à conditionner
nos actions à une certaine forme de récompense ou de châtiment et ainsi, ils
pervertissent l'essence même de la recherche. Si le pilier de ma foi est un
salaire, quel mérite ai-je ?
" Les sorciers aiment la pureté de l'abstrait. Pour eux, la validité du chemin
du cœur n'est pas tant où il nous conduit mais avec quelle intensité nous le
parcourons. La foi a une certaine valeur dans la vie ordinaire, mais cependant
elle ne sert à rien contre la mort. Notre unique espérance face à l'inévitable
est le chemin du guerrier.
" Cette capacité de manipuler les attaches mentales est appelé par les sorciers
" croire sans croire ". Il sont perfectionné cet art jusqu'au point d'avoir pu
s'identifier sincèrement avec n'importe quelle idée, la vivre, l'aimer et s'en
défaire si c'était nécessaire, sans remords de conscience. Et dans cette liberté
de choix ; il est des questions de guerriers comme par exemple ; " pourquoi
m'accepter comme pécheur, si je peux être impeccable ?
Après une certaine résistance, je fus d'accord avec Carlos de ce qu'il ne
pouvait y avoir aucun mal à soumettre mes croyances à une secousse.
A ce que je pus en être le témoin, l'effet principal de la technique de " croire
sans croire " fut de mettre en évidence l'incroyable fragilité de mon catalogue
d'idées, prêt à se désintégrer au moindre coup. Je compris pourquoi Don Juan
affirmait que le monde dans lequel nous vivions était un tissu magique, la magie
du " premier anneau de pouvoir ".
Comme base pour le silence mental, Carlos me suggéra de lutter contre ce qu'il
appelait ma " condition domestique ", c'est-à-dire, mon appartenance à un milieu
social. Il mentionnait là, disait-il, un premier pas vers la liberté.
"Poser le tissu du jugement sur nos interactions signifie analyse à nouveau une
montagne de choses que nous avons toujours considérées comme allant de soi, en
commençant par notre rôle sexuel e en terminant par les engagements familiaux,
religieux et civiques que nous avons contracté par habitude. Il ne s'agit pas de
juger ni de détromper quoi ou qui que ce soit ? Observer, de soi-même a un effet
considérable sur les choses. "
Je lui demandai qu'il m'expliquât comment l'acte passif de témoin pouvait
modifier les choses.
Il me répondit que l'attention n'est jamais passive, aussi ténue qu'elle puisse
être, parce qu'elle est formée d'une même matière conforme à celle de l'Univers.
Le seul acte de l'exercer implique un transfert d'énergie.
" Tout comme la vitesse appliquée à un objet lui ajoute de la masse, ainsi la
focalisation de l'attention ajoute de la réalité aux choses et cette réalité a
une limite, au-delà de laquelle le monde que nous connaissons se désintègre.
" Le secret des prodiges des sorciers réside dans la canalisation de
l'attention. Peu importe comme ils l'appliquent, que ce soit pour le bien ou le
mal, ce qui change est l'intention, et non pas la force de la focalisation. Pour
les nouveaux voyants, la magie de la sorcellerie n'est pas en ses résultats,
mais dans ses modes d'accès. Et, dans ce sens, ta meilleure intention en tant
qu'apprenti est de faire taire ton mental. "
Lorsque je revins le voir, je lui confessai que, malgré que j'aie consacré un
certain temps à suivre son conseil, je ne percevais aucun avancement substantiel
quant à l'obtention réussie d'un état de paix intérieure. Que du contraire,
j'avais constaté que mes pensées étaient dans un état plus agité et plus confus
qu'auparavant.
Il m'expliqua que cette sensation est une conséquence naturelle de la mise en
pratique.
" Comme tout débutant, tu tentes de classifier le silence comme un élément
supplémentaire de ton inventaire de croyances.
" L'objectif de ton inventaire fut de te rendre conscient du poids que sont nos
a préjugés. Nous utilisons presque toute notre énergie disponible pour soutenir
un schéma du monde, et cela nous y parvenons au travers de suggestions
conscientes ou inconscientes.
" Lorsqu'un apprenti se libère de cette prison, la sensation qui en découle est
qu'il lui semble tombé dans un océan de paix et de silence. Peu importe que tu
parles, que tu chantes, pleures ou médites, cette sensation est permanente.
" Il est très difficile, au début du chemin, d'envisager le silence comme
pratique, vu que lorsque nous détectons l'absence de pensées, surgit une petite
voix de traverse qui nous félicité du succès. Et ceci rompt immédiatement
l'état.
" Le problème existe parce que l'on confond l'objectif des sorciers avec un
idéal. Le concept de " silence " est trop mince pour un mental comme le tien,
drillé comme il est à faire des classifications. Il est clair que l'on t'a
expliqué le silence en termes auditifs, comme un absence de bruit. Mais ce n'est
pas cela.
" Ce que les sorciers veulent est beaucoup plus simple. Ils cherchent à résister
aux suggestions, et rien que cela. Si tu réussi à te rendre maître de ton mental
et que tu penses avec justesse, sans a priori ni fausses convictions, tu pourras
annuler la partie domestique de ta nature- réussite suprême. Sinon, tu ne
comprendras même pas de quoi s'agit l'exercice.
" Une fois que nous apprenons à les contourner, sans nous appesantir sur elles
ni leur prêter aucun type d'attention, les commandos du mental resteront à
l'intérieur un certain temps puis disparaîtront. Ainsi il ne s'agit pas de les "
extirper " de là, mais plutôt de les tuer d'ennui.
" Pour atteindre ce stade, tu dois secouer ton inventaire d'idées. Je t'ai
demandé que tu commences par tes croyances, mais cela aurait été pareil pour une
liste de relations et d'affects, pour les éléments plus parlants de ton histoire
personnelle, pour tes espoirs, tes objectifs et préoccupations, ou tes goûts,
préférences ou aversions. Il est important que tu prennes conscience de tes
schémas de pensées.
" La magie de tout inventaire se base sur l'ordre de ses composantes. Quand nous
secouons cet ordre, quand il manque une pièce ou l'autre, que toujours nous
avons de toute façon empruntée, tout le schéma commence à se démanteler. De la
même façon il en ira pour les routines du mental-change un seul paramètre- et
rapidement il y aura une porte ouverte là où il y avait un mur- et cela change
tout. Le mental est ébranlé.
" C'est cela, cette activation extraordinaire de ton dialogue intérieur dont tu
es en train de faire l'expérience. Avant tu ne t'en rendais pas compte,
maintenant tu sais que c'est là. Un jour, cette présence sera tant pesante que
tu feras quelque chose pour y remédier ? Ce jour-là, tu cesseras d'être un homme
ordinaire et tu deviendras un sorcier. "
2
Lorsque au cours d'une conférence, il expliquait les méthodes des naguals pour
aider leurs apprentis, l'une des personnes présentes, l'interrompit pour lui
dire bien en face :
" Carlos, tu dis que sans nagual, il n'y a pas de liberté, mais toi, tu as eu un
maître ! Que pouvons-nous, nous autres qui n'avons pas cette chance ? "
Il éclata :
" Ce n'est pas exact ! Vous avez toute l'information nécessaire ! Que
voulez-vous de plus ? Vous voulez tout recevoir gratuitement, sans aucun effort
? Si vous croyez seulement qu'un autre va faire le travail à votre place, alors
vous êtes cons ! "
Avec un ton de reproche, il se moqua de cette flemmardise humaine qui nous
permet d'espérer que d'autres fassent les choses à notre place pour qu'ensuite
nous en profitions le plus possible. Il qualifia cette propension comme étant "
l'antithèse même de la conduite du guerrier ".
" Tout ce dont un homme a besoin, c'est de la plus petite opportunité d'être
conscient des possibilités découvertes par les sorciers. Un sorcier n'attend pas
qu'on vienne et qu'on lui donne la main pour traverser, il s'avance et dit : "
Je le peux ! Je peux le faire tout seul ! "
LES MAÎTRES NE MANQUENT PAS
A une autre occasion, je pus lui demander :
" Carlos, qu'est-ce qui détermine qu'un homme ordinaire puisse avoir accès à la
connaissance des sorciers ? "
" L'intention-me répondit-il-. L'intention de ce qu'un homme peut avoir à offrir
à l'Esprit, intention que celui-ci acceptera, mettant sur son chemin les moyens
requis pour son évolution. Dans des temps passés, l'unique moyen disponible
était d'être signalé directement par le biais du nagual. Aujourd'hui, l'homme
ordinaire a la possibilité de s'orienter au travers des publications.
"Pour avoir l'intention d'accéder au monde des sorciers, il faut y être préparé.
Une rencontre imprévue avec le Pouvoir ne conduira à rien, sauf à un choc brutal
pour le chercheur, qui alors jurera par tous les dieux que la sorcellerie est
œuvre du diable, ce qui bien sûr est pure fausseté.
" Cependant, une préparation mal conduite, qui fomente l'importance personnelle
au lieu d'augmenter l'étonnement et le désir d'apprendre, se convertit en un
capharnaüm presque complet pour l'apprenti. Lorsqu'il vient au nagual, saturé de
croyances sur à peu près tout, il n'y a pour lui plus aucune chance d'aller de
l'avant.
" C'est donc pour cela que l'impératif suivant pour mettre le pied sur le chemin
de la connaissance est la plus profonde honnêteté. Il faut vider le port pour
que puisse parvenir le navire en reconnaissant qu'au fond, nous ne savons rien.
Une fois que l'on parvient à ce degré de préparation, ce n'est plus qu'une
question de chance. L'Esprit détermine qui sera élu et qui ne le sera pas.
" La réponse de l'Esprit est imprévisible. Elle survient de la forme la plus
imprévue, et en termes quasi les plus incompréhensibles pour la raison. Il ne
nous reste que d'être attentifs aux signes, en nous disposant délibérément sur
le chemin. Quand l'intention de l'homme scelle une alliance avec l'Esprit, il
est inévitable que le maître apparaisse. "
Je lui demandai si le nagual pouvait être considéré comme un maître du style des
instructeurs orientaux.
C'est avec emphase qu'il me répondit ceci :
" Non ! Il n'y a pas de comparaison, pour une raison très simple : un nagual ne
choisit jamais ses apprentis. C'est l'esprit qui détermine, au travers
d'augures, qui peut ou ne peut pas faire partie d'une lignée.
" Un vrai maître est un guerrier impeccable qui a perdu la forme humaine et qui
entretient un lien très clair avec l'abstrait. C'est pourquoi il n'accepte pas
de volontaires.
" Les systèmes d'enseignement basés sur le désir spontané du chercheur ne
conduisent pas loin, d'abord parce qu'ils ne sont pas orientés vers la
réalisation, mais plutôt par les intérêts de l'ego. Tout ce que peuvent faire
les suiveurs, c'est d'imiter et cela ne conduit à rien. Ce n'est pas pour autant
qu'il manque de maîtres.
"après des années d'apprentissage, j'ai acquis la conviction que l'unique chose
que requiert un chercheur est l'opportunité d'être conscient de ses possibilités
et un engagement à mort avec ce propos. "
Je fis observer que ses affirmations étaient contradictoires par les références
continues qu'il entretenait dans ce que, sans Don Juan, il n'aurait rien réussi.
Il répliqua :
" Les sorciers établissent une différence entre les concepts de " guide
spirituel " et de " maître nagual ". L'un est un individu qui s'est
professionnalisé à diriger des troupeaux et l'autre est un guerrier impeccable
qui sait que son affaire se réduit à servir de lien avec l'Esprit. Le premier te
dia ce que tu veux entendre et te donnera à voir les miracles que tu veux voir,
parce que tu l'intéresses comme acolyte ; tandis que l'autre sera guidé par les
ordres d'un Pouvoir impersonnel. Son aide n'est aucunement altruiste, mais
uniquement un moyen de payer un vieux tribut à l'esprit de l'homme.
" Le nagual n'est pas une personne bénévole ; il ne vient pas pour nous être
agréable mais pour nous réveiller, et il le fera à coup de bâtons s'il le
fallait, parce qu'il n'a aucune compassion. A intervenir ainsi dans la vie de
son apprenti, il peut produire une condition d'agitation telle dans son
intérieur, que son énergie latente se remette en action. "
La conversation en arriva à la tendance qu'ont les êtres humains de se comporter
de façon imitative, ce qu'il qualifiait d' " affaire de primates ".
" Notre plus grande opportunité, et à la fois, notre plus grand désavantage
réside dans la connaissance silencieuse qui sommeille en chacun d'entre nous.
Sou le couvert du bruit du mental, nous avons tous la sensation qu'il existe
quelque chose d'indéfini, quelque chose qui nous conduit à nous accrocher à ce
qui nous permet d'apaiser la pression de l'inconnu. Fréquemment, un tel
sentiment nous mène au fanatisme car il existe toujours de ceux qui sont
disposés à profiter de la foi d'autrui.
" Alors, tous les maîtres sont des fraudeurs ? "
" Ce que j'ai vu, c'est que la majeur partie d'entre eux sont aussi endormis que
leurs suivants, cependant ils ont appris à le dissimuler. Imagine une planète où
tous les habitants seraient aveugles. Parmi eux, circule le mythe de ce que "
voir " serait possible, mais personne ne l'a vérifié. Un jour arrive et l'un
d'entre eux dit : " oui, je vois ! Que peuvent donc dire les autres ?
Croire ou cesser de croire et il y aura toujours ceux qui conçoivent des
espoirs. Peu importe que le maître soit aussi aveugle, il lui est plus facile de
profiter de la situation.
" L'Aigle ne demande pas que tu lui fasse des révérences mais seulement que tu
te remplisses de conscience. Tomber à genoux devant l'inconnu est complètement
inutile, mais alors, devant un être humain, c'est le comble de l'idiotie.
" Le singe que nous portons à l'intérieur de nous brigue quelque chose qui le
guidera, a besoin de croire qu'il existe des entités supérieures qui peuvent
magiquement résoudre ses problèmes. Comme les enfants, nous sommes toujours en
attente que l'autre vienne et porte la charge. Delà naissent les cultes qui, par
essence, sont des façons de se défaire de la responsabilité de notre propre
croissance et de la déposer dans les mains des autres.
" On nous a trompés. On nous a dit que nous étions spéciaux parce que nous
sommes rationnels, mais rien n'est plus certain. L'être humain s'arrache les
cheveux pour obéir et meurt de crainte lorsque le quittent ses précieuses
croyances. Nous sommes comme des poissons lave vitres, toujours bouche ouverte,
dévorant quelque type de détritus que l'on nous lance. Et de la même façon, nous
délaissons la connaissance de la source de vie et de connaissance que nous
détenons dans notre intérieur.
" je vais te raconter une histoire très ancienne et bien connue, mais toujours
nouvelle. Les dieux, un jour pensèrent qu'il fallait cacher la sagesse pour
qu'elle ne soit plus à portée de l'humain. Où ? Dans les montagnes ? Il les
escaladerait. Dans l'océan ? il finirait par la trouver. L'espace sidéral, la
Lune et les étoiles furent également écartés : ils seraient un jour explorés.
Finalement, les dieux parvinrent à la conclusion qu'il serait mieux de la cacher
dans le propre intérieur de l'homme, parce que là, personne n'irait la chercher.
" Que fit alors l'homme ? Au lieu de scruter à l'intérieur de lui-même en
parfaite honnêteté, il chercha un maître.
" Se rendre responsable de sa propre existence est une anomalie, une violation
des lois, un état de passion non ordinaire, une lutte qui demande toute une vie.
C'est l'unique processus qui renouvelle nous énergie. Je ne sais pas si tu
parviendras à comprendre ce détail : se connaître soi-même est une intention de
guerrier ! Personne ne peut le faire à ta place ! "
3
Sur un banc, presque caché derrière un kiosque à journaux, se tenait assis un
individu. Il attira mon attention, mais d'une façon tellement subconsciente que
j'en vins à réagir déjà à vingt mètres de distance.
Je me retournai ; l'individu m'observait en souriant. C'était Carlos.
Il m'embrassa avec effusion et commenta qu'une rencontre de cette nature devait
être pris augurée comme un présage.
- "Maintenant oui, je suis tout à toi - s'exclama-t-il - Questionne-moi !"
Je saisis l'occasion. Lors de diverses causeries, Carlos avait affirmé
catégoriquement que les plantes hallucinogènes ne sont pas recommandables pour
un chercheur de la connaissance. Toutefois, dans ses premiers livres il avait
plus précisément écrit tout le contraire, précisant même des exercices plus
étendus sur leur utilisation, en ce citant lui-même comme exemple même du
pouvoir de ces plantes.
Ce sujet m'intéressait vivement, déjà que je n'avais jamais éprouvé dans ma
chair propre les incroyables aspects de la perception qu'il décrivait pour
lesquels j'étais d'une grande curiosité. De sorte que, profitant de son allant,
je lui demandai de me clarifier la contradiction.
Après avoir entendu ma question son enthousiasme fut refroidi. Il était visible
que ce sujet l'affectait profondément.
Après quelques secondes de réflexion, il me raconta que son changement de
perspective avait été déterminé par un signal de l'esprit.
" En 1971, après avoir publié mon second livre, je reçus une visite désagréable.
Les agents du gouvernement des Etats-Unis s'approchèrent de moi ils lors d'une
de mes présentations et m'informèrent que j'étais en train de me convertir
malgré moi en une idole de la jeunesse consommatrice de drogues, et qu'ils
expulseraient du pays à moins que je ne modifie mon attitude."
"Au premier abord, je considérai qu'il ne valait pas la peine de prendre cette
menace au sérieux. Mais je fis ensuite quelques enquêtes et fus assez éberlué
par la situation. Beaucoup d'étudiants prenaient les enseignements de cadeau
Juan comme une autorisation académique pour se doper. Mon nom était cité sous
toutes les latitudes comme étant celui d'une autorité en matière de drogues.
Cependant, je ne voulais être le saint patron de rien du tout ! "
"Je m'en fus avec ce dilemme, rencontrer Don Juan, qui rit très fort de
l'affaire, me rappelant que l'un principes du traqueur est de n'affronter
personne, et encore moins des gens plus puissant que lui. 'Tu t'es mis toi-même
des bâtons dans les roues les jambes et tu dois t'en sortir tout seul. Je te
suggère que tu te centres sur ton apprentissage, le reste après tout, qu'importe
?'
Ce conseil me décida à avoir une attitude plus prudente lors des publications
suivantes ".
"D'un point de vue personnel je n'approuve ni désapprouve rien, puisque je suis
personne pour juger ce genre de choses d'autant plus que mon apprentissage fut,
en outre, le résultat de telles techniques. Toutefois, je ne puis pas, à
l'attention d'un public, stimuler l'utilisation des plantes, parce que mes
livres sont accessibles à tous types de gens qui chacun les interprète à sa
manière."
-"Sans vigilance particulière, les plantes de pouvoir peuvent produire des
résultats regrettables, puisqu'elles déplacent le point d'assemblage avec
brusquerie et de manière erratique, ce qui , à long terme, finit par détruire la
santé la santé, la raison, et parfois même la vie de l'utilisateur.
On m'a même informé que le père d'un étudiant me cherchait avec une arme pour me
tuer en m'imputant le décès de son fils, qui avait expérimenté des drogues."
"Le sujet des plantes est très délicat. Si tu veux le comprendre, tu dois
abandonner la vision folklorique que presque tout le monde a adoptée sur les
sorciers. Les véritables guerriers toltèques ne sont fanatiques ni du dopage ni
de rien d'autre; leur conduite est strictement dictée par l'impeccabilité."
"Je leur ai déjà expliqué que Don Juan utilisa ces plantes avec moi seulement au
début de mon apprentissage, et parce que j'étais exceptionnellement coincé dans
mes routines. Plus je me montrais entêté et davantage de plantes il
m'administrait. De cette manière réussit à décoincer la fixation de mon point
d'assemblage du minimum nécessaire pour que je puisse recueillir les prémisses
de son enseignement.
Toutefois, et malgré sa prudente conduite, cela me coûta très cher et c'est bien
là une des principales causes par lesquelles ma santé est aujourd'hui tellement
détériorée."
"Les plantes de pouvoir ont une limite et un sorcier la rencontre très vite.
Elles sont un stimulant initial, mais ne peuvent pas se transformer en base du
travail, parce qu'elles n'ont pas capacité ferme de nous emmener à des mondes
complets, ce que cherche le voyant."
"Voulez-vous dire que le mouvement qu'ils induisent sur le point d'assemblage
n'est pas suffisamment ample ?"
"Au contraire, elles produisent un choc profond y dépassant les limites. Un
sorcier accompli et droit peut manier cela, mais pas un apprenti. S'il les
emploie pour casser les limites de sa perception, l'aspirant se verra tenté de
classifier tout ce dont il est témoin comme fruit d'une hallucination ; du début
à la fin tout cela au départ d'une plante ! De cette manière, il n'atteindra
jamais le degré de compromis suffisant pour fixer son point d'assemblage en une
nouvelle position. Les plantes t'emmènent rapidement et facilement à l'autre
monde, mais elles ne permettent pas là-bas d'y traquer ; cela est leur limite."
"La meilleure manière de déplier les ailes de notre perception est l'utilisation
du rêve. Comme méthode, le rêve est tout aussi simple, mais moins risqué, plus
vaste et, surtout, beaucoup plus naturel."
"L'objectif de l'apprenti est de prendre les rênes de son point d'assemblage.
Une fois qu'il parvient à le déplacer, il est obligé de répéter ces mouvements
sans aide externe, à force de discipline et d'impeccabilité. On peut alors dire
que le guerrier a trouvé un allié."
LE PIÈGE DE LA FIXITÉ DU POINT D'ASSEMBLAGE
Lors d'une de ses conférences, Carlos expliqua que rien n'est plus fragile que
la fixité du point d'assemblage. Il soutenait que l'art d'être d'accord est
tellement spécial, que cela nous coûte vingt ans d'entraînement quotidien.
Seront appelés " adultes " ceux qui réussiront et " fous " ceux qui n'en
parviendront pas.
" Toutefois, rien n'est plus facile pour nous que de déplacer vers de nouveaux
univers. Pour cela, il nous suffit de revenir à ce que nous fûmes "
Il nous expliqua que la fixité du point d'assemblage consomme d'énormes
quantités d'énergie et produit une vision statique du monde. L'énergie engagée
selon cette modalité se disperse dans toute notre luminosité et finit par se
pelotonner sur ses bords, où elle forme des masses denses qui y créent un reflet
du Je. Dans ces conditions, bousculer la fixation en devient une tâche ardue.
" Pour rompre le piège de la fixité, il est bon, en principe, d'appeler quelques
recours à l'aide.
" Dans la majorité des cas, seule une impulsion provenant de l'extérieur peut
provoquer chez une personne le mouvement du point d'assemblage Quand nous avons
beaucoup, mais beaucoup de chance, cette impulsion nous vient par le biais d'un
coup d'un nagual.
" Un fois occasionné le déplacement initial, le guerrier doit lutter pour toute
la maîtrise de son attention et il doit le faire par l'exercice de l'intention
et la pratique du rêve. Rêver est un exutoire pour la race humaine et c'est
uniquement ce qui donne à notre existence sa dimension appropriée. "
Carlos démontrait une grande habileté pour mener les conversations jusqu'à leur
côté pragmatique. Malgré l'acuité extraordinaire de son intellect, il lui
répugnait que ses conversations dérivent sur le plan des spéculations. Plusieurs
fois, je pus être le témoin de sa façon ingénieuse et catégorique à se
débarrasser des interlocuteurs trop rigides en les affrontant à propos de leurs
résultats
En ce qui me concerne, pour faire taire mes attaques de ratiocination, sa
méthode consistait à tout la réduire à une proposition immédiate et selon lui,
peu difficile : le contrôle des rêves.
Et pourtant, le rêve était pour moi l'aspect el plus dur de son enseignement. En
premier lieu, parce que je ne parvenais pas à établir la différence entre les
concepts de " rêve " et " rêve ", qui pour un sorcier, sont complètement
différents.
Deuxièmement, parce que l'idée de développer mon attention dans le sommeil, au
lieu de le faire dans l'éveil était contraire à tout ce que j'avais pu apprendre
dans mes recherches philosophiques.
Ces deux considérations, trop précipitées à mon goût, firent en sorte que
j'esquivais le rêve, sans jamais me le proposer comme une possibilité
authentique et à portée de main. Chaque fois que je l'écoutais parler de ce
sujet, j'étais rempli d'appréhension et je me justifiais, déduisant dans ma tête
que ce topique était irrationnel, et même qu'il ne valait pas la peine d'être
mis en analyse.
Ce soir-là il me demanda comment avançait ma pratique. Je lui confessai que mes
préjugés avaient empêché de l'envisager avec décision et, par l'occasion, je
n'avais obtenu aucun résultat positif.
Il commenta ainsi :
"Qui sait, tu n'es pas né sous la chance. Mon maître me disait que chaque être
humain apporte avec lui sa prédisposition de naissance. Nous ne sommes pas tous
de bons rêveurs, certains ont une propension plus grande que d'autres qui sont
plus à l'aise avec la traque. Ce qui importe, c'est que d'insister.
Mais ses mots ne me consolèrent pas. Je commençai par lui expliquer que mon
incrédulité paraissait bien plus être la conséquence d'un blocage mental
implanté dans ma très jeune enfance.
Il ne me laissa pas poursuivre ; en faisan t un geste impératif de la main, il
expliqua :
" Tu n'as pas fais assez. Si tu te fais la proposition de ne plus manger ou de
ne plus prononcer une seule parole jusqu'à ce que tu rêves, tu verras bien ce
qui se passera ! Quelque chose en toi s'assouplira et le dialogue cessera et …
hop !
" Tiens compte que, pour toi, rêver n'est pas une option, mais quelque chose de
basique. Si tu n'y parviens pas, tu ne peux pas poursuivre le chemin. "
Alarmé par ces paroles, je lui posai la question :
" Mais, que dois-je faire pour y parvenir ? "
" Vouloir y parvenir ! Me répondit-il. Ce n'est pas plus compliqué. Tu es en
train d'exagérer la difficulté de l'exercice. Le rêve est ouvert à tout le
monde, voire, à son premier degré, c'est à peine s'il demande le minimum de
délibération pour qu'on ne puisse apprendre à écrire à la machine ou à conduire
une automobile. "
Je lui répliquai qu'il me semblait difficile de comprendre comment le maniement
de nos rêves pouvait nous conduire à l'éveil interne.
Il observa :
" Tu mélanges les mots. Lorsque les sorciers parlent de rêve et d'éveil, ces
termes n'ont rien à voir avec les états physiologiques que tu connais. Je n'ai
pas d'autre moyen que celui d'utiliser ton langage, parce que sinon tu ne me
comprendrais pas. Cependant, si tu n'y mets pas du tien et ne laisse de côté les
significations quotidiennes en essayant de pénétrer dans la sensation de ce que
je te dis, alors jamais tu ne sortiras de ton état de suspicion.
" je ne peux que te garantir que, une fois que tu te défais de la flemmardise
qui t'empêche d'affronter ce filet et que tu te lances dans le rêve directement,
sans plus d'hésitation, ton embrouillement mental se verra de lui-même éclairci.
Je m'excusai auprès de lui pour mon entêtement et je lui demandai qu'il élucide
à nouveau l'acception de ce type de rêve.
En lieu et place de me fournir l'explication théorique que j'attendais, Carlos
m'offrit tout pareil.
" Imagine donc un croyant impénitent, de ceux qui ne se sentent autorisés à rien
faire sans demander la permission aux dieux ? Une fois qu'il s'endort, que se
passe-t-il avec ses convictions ? Où s'en vont-elles ?
Je ne sus que lui répondre.
Il poursuivit alors :
" Elles s'éteignent comme la flamme d'une bougie au vent. Dans le rêve, tu n'es
pas maître de toi. Tes visions sont des bulles isolées, sans connections entre
elles et sans le souvenir de toi. Par a priori, la force de l'habitude te fera
toujours accroire que tu rêves de toi-même, mais tu peux très bien être aussi
vaillant que couard, jeune ou vieux, homme ou femme. En vérité, tu es seulement
un point d'assemblage qui se déplace au hasard, sans rien de personnel.
" Pour l'homme ordinaire, la différence entre être éveillé et dormir est que
dans le premier état, son attention coule en toute continuité et dans le second,
de façon désordonnée ; cependant, dans les deux expériences, le degré de
participation de la volonté est minimal. Pour la personne qui s'éveillé,
celle-ci va qui comme d'habitude revêtir sa personnalité qui se pose sur lui
comme une chemise pour accomplir ainsi ses tâches habituelles. Et au moment de
s'endormir, elle se déconnecte à nouveau, parce qu'elle ne sait pas qu'elle peut
en faire autre chose.
" La vigilance quotidienne ne nous laisse pas place pour nous arrêter et nous
laisser nous demander si ce monde que nous sommes en train de percevoir est bien
aussi réel qu'il y paraît. Pareillement, elle dit cela du rêve ordinaire ; tant
qu'il dure, nous l'acceptons comme un fait indiscutable ; jamais nous n'en
doutons : ou encore, dit de façon plus pratique, jamais nous ne nous proposons
de nous souvenir pendant un rêve de quelque ordre ou accord conclu pendant la
veille.
" Mais il existe une autre façon de susciter l'attention et ce résultat nous ne
pouvons plus l'appeler " rêve " ou " veille " parce qu'il provient d'un usage
délibéré de l'intention. Ce qui se passe alors est une prise de conscience, et
ce, que nous soyons endormis ou éveillés, car c'est quelque chose qui transcende
les deux états.
Cela est le vrai éveil : nous dédouaner de notre attention ordinaire !
" L'enseignement des toltèques emphatise le rêve. Peu importe comment ils le
décrivent, son résultat est de convertir le chaos perceptif du rêve ordinaire en
un espace pratique, où nous pouvons agir intelligemment. "
" Un espace pratique ? "
" C'est cela même. Un rêveur se souvient de soi-même en toute circonstance. Il a
toujours en mains un assignat, un pacte avec sa volonté qui lui permet d'aligner
en une microseconde l'intention du guerrier. Il peut soutenir sa vision, quelle
qu'elle soit, et revenir à elle quand il le veut, autant de fois qu'il le
souhaite pour pouvoir l'explorer et l'analyser. Mieux encore, il peut donner des
rendez-vous dans ces visions avec d'autres guerriers ; ce que les sorciers
appellent " Traquer en rêve ".
" Cette technique nous permet de nous proposer des objectifs et de donner des
suites aux actions, tout comme nous pouvons le faire dans le monde quotidien.
Nous pouvons résoudre des problèmes et apprendre des choses. Ce que l'on y
apprend est cohérent et fonctionne. On ne peut pourtant expliquer comment nous
vient cette connaissance, mais on ne l'oublie jamais. "
Je voulus savoir de quelle connaissance il parlait. Ce à quoi il me dit :
" La vie s'apprend en la vivant. C'est pareil en rêve, sauf que nous y apprenons
à rêver. De plus, au long de ce chemin, s'accrochent parfois d'autres habilités.
Don Juan, par exemple, avait l'habitude de se servir de son corps de rêve pour
trouver des trésors occultes, des choses enterrées pendant la guerre. Il
convertissait le produit de ces opérations en différentes titres valeurs : des
pétrolières ou des plantations de tabac… "
Je dus sans doute laisser passer sur mon visage une vague de stupéfaction mêlée
d'incrédulité, parce qu'il s'exclama :
" Tout cela n'est pas si extraordinaire ! Nous pouvons tous réaliser de tels
exploits ; il n'est même pas difficile de comprendre comment cela se peut !
Imagine que quelqu'un t'enseigne une langue nouvelle pendant que tu dors. Avec
pour résultat que tu apprennes cette langue et que tu puisses t'en souvenir une
fois éveillé. De la même façon, si tu es témoin de quelque chose dans tes rêves,
comme celui d'un objet perdu ou encore un événement qui se passe ailleurs, tu
pourras aller et vérifier par toi-même ; si c'est comme tu en rêvas… alors
c'était un rêve.
" L'apprentissage dans le rêve est un recours très utilisé par les sorciers.
J'appris énormément des plantes de cette façon et je me souviens encore de tout
cela. "
En me tapant délicatement sur l'épaule, il me conseilla :
" Ne va pas déprécier tes acquis ? Tout ce que l'Esprit a posé en nous a un sens
de transcendance. Cela signifie que les rêves sont là pour être utilisés ; si ce
n'était ainsi, ils n'existeraient pas. Les techniques que je t'ai décrites ne
sont pas des spéculations, tu devras les vérifier personnellement. L'art de
rêver est mon message au monde. Mais personne n'en tient vraiment compte ! "
Je perçus le ton de tristesse avec lequel Carlos me fit cette dernière
observation et rapidement je pris conscience à nouveau de l'insupportable
timidité de mon imagination. Pendant des années, inlassablement, il nous avait
stimulés pour que nous accroissions notre vision, non dans un intérêt égoïste,
mais par son plaisir de transmettre un état supérieur de conscience. Tandis que
moi, je ne faisais que de me complaire à retourner dans mes croyances empruntées
et mes doutes habituels !
Je voulus me rendre solidaire de lui. Je me lever du banc avec l'intention de
lui serrer la main. J'étais sur le point de lui promettre quelque chose, mais il
m'évita.
" C'est mieux que tu ne dises rien. Ne perds pas ton temps ! Peut-être que tu
destin n'est pas d'être une brillant guerrier volant, mais tu n'as aucune
excuse. Comme tous les autres tu es pareillement habilité à rêver. Si tu n'y
parviens pas, c'est parce que tu ne le veux pas. "
Lors d'autres conférences, il expliqua qu'un état de conscience déterminé qui
implique une position inhabituelle du point d'assemblage est, techniquement, un
rêve. Il affirma que l'avantage du rêve par rapport aux autres états quotidiens
de l'attention réside dans le fait que nous pouvons y couvrir un plus grand
spectre sensoriel et que nous pouvions mieux synthétiser l'information que nous
y recevons. Le résultat en est une plus grande clarté sur nos processus
perceptuels.
" Et surtout, dit-il, le rêve nous permet d'accéder à des événements critiques
de notre passé comme la naissance ou la petite enfance ou encore met à découvert
des situations traumatiques des états altérés de conscience. Un sorcier ne peut
mettre de côté des expériences aussi cruciales ! "
Tout à la fin de sa conférence, il donna une définition qui me paraissait très
importante, car elle s'adressait à un thème que je trouvais particulièrement
sensible. Il affirma :
" Le rêve n'est ^pas quelque chose d'impossible, c'est juste un type de
méditation profonde. "
Pendant des années, j'avais pratiqué quelques exercices que l'on appelait "
méditations ". De telles pratiques était assez différentes de ce que Carlos nous
proposait tant dans leurs formes que dans leurs résultats. C'est ainsi que,
lorsque j'en eu l'opportunité, je lui demandai qu'il veuille bien établir la
distinction entre méditation et rêve.
Il finalisa ainsi :
" Ce que tu me demandes est difficile, parce qu'il n'y a pas moyen de méditer
sans rêver, les deux termes décrivent le même phénomène. "
" Et bien alors, pourquoi est-ce que mes exercices ne m'ont-ils pas apporté tout
ce que tu racontes ? "
" Ce serait mieux si c'est toi qui y réponds. A mon avis, ce que tu as pratiqué
jusqu'à présent n'a pas été une méditation, mais rien qu'un peu
d'autosuggestion. C'est commun de voir que les gens confondent ces deux choses
qui, pour un sorcier, n'ont rien à voir l'une avec l'autre.
" La pacification du mental n'est pas une méditation mais un endormissement. Par
contre, le rêve est quelque chose de dynamique, c'est la conséquence d'un
processus de concentration soutenue qui équivaut à mener une vraie bataille
contre notre manque d'attention. S'il n'était uniquement que le résultat de
l'atténuation des sensations, ses pratiquants ne s'appelleraient pas des "
guerriers ".
" Un rêveur peut être l'incarnation de la férocité ou s'apparenter au calme le
plus profond, mais rien de cela n'importe réellement, parce qu'il ne s'identifie
pas avec ses états mentaux. Il sait que toute sensation, quelle qu'elle soit,
n'est pas autre chose qu'une fixation du point d'assemblage.
" Le rêve survient lorsque nous réussissons un certain équilibre entre notre vie
quotidienne e seulement après avoir rendu meut le dialogue intérieur. Le terme "
rêve " n'est pas le terme le plus approprié pour décrire un exercice de
conscience qui n'a rien à voir avec le contenu du mental. Cependant je l'utilise
par respect à la tradition de ma lignée. Je sais que les anciens appelaient cela
d'une autre façon.
" Les grands sorciers rêvent au départ de l'état de veille avec la même facilité
qui s'ils devaient le faire au départ du sommeil, parce que pour eux, il ne
s'agit pas de fermer les yeux et de ronfler, mais d'atteindre les autres mondes
qui sont là-bas.
" de ce point de vue de la volonté, la différence entre le rêve et la veille
quotidienne d'un sorcier est que son corps énergétique obéit à d'autres lois
peut réaliser des prouesses comme traverser un mur ou se transporter aux confins
de l'Univers en un clin d'œil. De telles expériences sont complètes et
cumulatives et il n'est que ceux qui ne les ont pas vécues qui devront se
référer à des catégories logiques pour les expliquer.
" Mais ce type de manifestations, quoique appréciables n'est pas l'objectif du
rêve. Le rêve est essentiel pour toi parce que l'accès au nagual survient quasi
exclusivement dans cet état.
Je le lui demandai pourquoi.
" La raison est évidente. Les personnes qui ont une tendance naturelle au rêve
et qui possèdent un excédent d'énergie, sont plus qualifiées pour rencontrer
d'autres rêveurs plus avancés, que ce soit de façon accidentelle ou parce qu'ils
le cherchent volontairement. Parfois, ces compagnons de voyage acceptent de
porter la charge de les instruire plus profondément dans cet art. A partir du
moment où un apprenti commence à briller par lui-même, il est inévitable qu'il
attire l'attention d'un nagual.
" Les naguals sont comme des aigles, toujours en guet.
Et lorsqu'ils détectent un accroissement de conscience, il se lancent en piqué,
par ce qu'un rêveur volontaire est très rare. Pour un maître il est plus facile
de stimuler un effort déjà commencé que d'en créer un au départ de rien du tout.
"
Carlos me raconta qu'il maintenait le contact avec beaucoup de guerriers en
divers parties du monde par le biais du rêve
Il poursuivit, ajoutant que l'autre raison pour laquelle le rêve est la porte de
la connaissance, est que sa pratique permet de solutionner des problèmes dérivés
de l'apprentissage, comme un manque de clarté et d'attention du débutant, ses
suspicions quant aux activités de son instructeur et le danger intrinsèque de
quelques unes des techniques.
" Cet art adoucit la nature obsessive des émanations de l'Aigle, lesquelles
pourraient détruire l'équilibre psychologique et la volonté de l'apprenti. "
" Et alors-demandai-je-, que pouvons-nous faire, nous qui ne rêvons pas afin
d'accéder à cet enseignement ?
Il parut être peiné par ma demande ? Il grogna :
" Tu n'a pas touché la bonne cible ! La vraie question devrait être : Que
dois-je donc faire, moi, pour rêver ?
" Un guerrier ne peut pas tout le temps aller de par le monde en laissant des
points d'interrogation à chaque pas. Si tu ne peux pas ingénument considérer tes
rêves comme une partie de ta vie, si tu ne peux pas les visualiser comme des
avenues du Pouvoir, si non plus tu ne peux comprendre ce qu'ils sont ni à quoi
ils servent, alors tu as beaucoup de travail devant toi. "
" Dans notre sphère de perception, il existe une force diverse de celle que nous
appelons " soi-même " qui est détectable au travers du rêve. Cette force peut en
arriver à se rendre auto consciente, absorbant les principes de notre
personnalité et se comportant en indépendance. La sensation d'avoir affaire avec
elle, produit en nous une sensation inqualifiable, parce qu'il s'agit d'un être
inorganique.
" Non organique ? "
" C'est cela même ! Nous appelons " organique " l'attention quotidienne parce
qu'elle s'appuie sur un corps composé d'organes, n'est-ce-pas ?
J'acquiesçai.
" Comment pourrions nous alors appeler un corps qui perçoit et qui agit lorsque
tu dors ? "
" Je dirais que c'est une apparence " répondis-je prudemment.
" D'accord ! C'est un être inorganique ; il aune apparence mais pas de masse.
Pour toi c'est uniquement une projection mentale. Toutefois, du point de vue de
cet être, c'est notre côté physique qui vit dans un monde imaginaire. Si tu
possédais l'énergie et la concentration nécessaire pour prendre conscience de
ton autre " moi " et que tu puisses lui demander ce qu'il pense de ton monde
quotidien, il te répondrait qu'il lui paraît assez irréel, presque un mythe. Et,
tu sais quoi ? Il aurait raison !
" Notre être rêvé se voit beaucoup d'applications. Il peut se transporter en un
temps nul à l'endroit où tu désires vérifier des choses. Il peut en outre se
matérialiser, créer un double visuel, quelque chose que d'autres personnes
peuvent voir, qu'elles soient endormies ou éveillées. Mais cependant, malgré son
apparence, il n'a pas de fonctions corporelles. Un être humain le voit comme une
personne, mais un animal le verrait sous une autre forme.
Je lui demandai : "
" Comment savez-vous tout cela ? "
" C'est tellement simple ! je le constate en permanence, parce que mon double de
rêve reçoit toute mon attention. Lorsque je veux savoir quelque chose de lui ou
du monde dans lequel il se meut, je le lui demande et il me le dit. Toit aussi,
tu peux le faire, ce n'est pas si difficile. Tu peux entrer en contact avec ton
énergie cette nuit même, alors que tu t'endors. "
" Comment ? "
" Il y a différentes manières. Par exemple, cherche un miroir dans tes rêves,
pose-toi devant lui et regarde-toi dans les yeux ; tu verras quelle surprise
t'attend !
J'avais déjà lu certaines choses sur le double dans ses livres, mais mes
préjugés m'empêchaient d'approcher de ce sujet avec le mental ouvert et à
l'intérieur de moi il existait une grande confusion entre des concepts tels que
" œuf lumineux " et champ magnétique qui entoure les êtres vivants, le " corps
d'énergie " et le double des rêves. Je lui demandai s'il s'agissait de la même
chose ou s'il existait des différences entre ces appellations.
Ma question le surprit :
" Mais, n'aurais-tu rien compris ? Nous sommes en train de parler de la
conscience, non d'objets physiques. Ces entités, de même que l'unité perceptive
de ce que nous nommons " corps physique " sont des descriptions de la même
chose. Tu n'as pas un corps énergétique, tu es cette énergie ! Tu es un point
d'assemblage qui assemble des émanations, et rien qu'un seul point ! Tu peux
avoir différents rêves et apparaître dans chacun d'eux avec une apparence
différente, que ce soit un humain, un animal, ou un être inorganique, ou bien tu
peux même rêver que tu es diverses personnes en même temps, mais tu ne peux pas
en fragmenter la prise de conscience !
Il me rappela que nous confondions la description de nos véhicules de conscience
avec le sentiment d'être et que c'était là un fait commun pour tout le monde et
particulièrement pour ceux qui ont un dialogue intérieur robuste et
intellectuel.
" Un jour, je me rendis près d'un maître oriental et notre conversation en vint
à parler du rêve. L'homme se disait expert et il s'affubla d'un : " j'ai sept
corps de rêve ! Stupéfait par cette révélation, je ne sus que répondre. Je lui
révélai : " Don Juan ne m'en a enseigné qu'un seul.
En disant cela, Carlos baissa la tête et la mit sur ses bras, comme s'il était
très affligé, mais il ne faisait que cacher une rire cynique.
Je lui demandai :
" Alors, quand tu parles du double de rêve ou de corps d'énergie, tu fais
référence à la même chose ? "
" Pratiquement. Tu peux approcher le premier au travers du rêver et le second
par le biais de la traque (ou guet). Dit autrement, le corps énergétique est le
double du rêve avec le contrôle volontaire de la part du rêveur ; cependant les
deux sont une seule et même chose. La différence est dans le comment on parvient
à y accéder.
" Les anciens sorciers moulèrent leur corps de rêve à force de volonté et ils
tentèrent de reproduire le corps physique dans ses plus petits détails. C'est de
là que vient cette tradition de l'appeler " double ". L'idée comporte un sens
très pratique, puisque nous sommes tellement habitués à nous voir d'une certaine
forme que, au début, il est très commode pour le rêveur de se considérer
soi-même en termes physiques.
" Mais, les nouveaux voyants disent que conduire cette intention jusqu'à ses
fins ultimes est un gaspillage inutile, parce que cela nous force à investir de
grandes quantités d'attention en des détails qui ne trouveraient peut-être
jamais un usage pratique. Ils ont appris à se voir comme ce qu'ils sont
réellement : des bulles de lumière. "
Je lui demandai si, dans le nagualisme classique des préhispaniques, la faculté
des sorciers de se convertir en animal consistait à avoir l'intention de se voir
avec des corps d'animaux.
Il me regarda comme s'il paraissait dire : "Élémentaire ! "
" Le rêve est l'utilisation délibérée du corps énergétique. L'énergie est
plastique et si tu lui appliques un pression constante, elle finira par adopter
la forme que tu veux. Le double est le nagual, l' " autre ", le sceau du
nagualisme. Lorsque tu le maîtrises, tu ouvres le chemin pour être ce que tu
veux, de l'être libre jusqu'à la bête. "
" Évidemment, pour réussir une conversion aussi spécialisée que l'animal il ne
faut pas tenter cela de façon improvisée, il existe des procédures. Le double se
manie à travers la fixation du point d'assemblage en de nouvelles positions. Une
telle fixité est de nature obsessive et doit être évoquée par des méthodes de
sorciers. Par exemple, si tu t'obstines à vouloir devenir un faucon et que tu en
as l'intention inflexible, tu le deviendras ! Chacun trouve ce qu'il cherche.
Cela est le truc des naguals, manier ses obsessions.
" toutefois, nous devons savoir que les personnes qui se focalisent sur des
objectifs ne sont pas exclusivement éprises de liberté et de sobriété, mais
elles restent attachées, ce qui peut les conduire à la folie ou la plus laide
vulgarité. En vérité, c'est ce que nous faisons tous, nous avons choisi d'être
des hommes et nous le sommes ! L'obsession mal canalisée est un esclavage.
" Le problème de beaucoup de naguals du Mexique actuel vient de ce qu'ils ont
oublié les possibilités abstraites. Il est de sorciers qui préfèrent se
transformer en dindons et décident de le rester. Que faire d'autre ? Beaucoup
n'ont pas l'idée qu'ils peuvent faire autre chose avec leur énergie que se
procurer des sensations fortes et faire l'étonnement des autres.
" Une telle décadence de l'enseignement est ce qui a engagé les voyants de la
lignée de Don Juan à acquérir l'intention de la liberté selon le mode le plus
impersonnel qu'il soit, abandonnant toutes les positions capricieuses du point
d'assemblage dont ils héritèrent de leurs ancêtres. Le propos de liberté est
absolument limpide et vaut bien tous les autres réunis. D'en avoir l'intention,
les nouveaux voyants ont restauré la pureté du nagualisme. "
Je lui demandai quel sens pouvait avoir l'effort énorme que signifie
indubitablement se préparer un double dans le cadre du rêve.
Il répondit à cela que pour la majorité des sorciers, cet effort est une autre
option, la porte du royaume de la conscience, une prise de conscience qui leur
permettra de tenter au moment définitif, le pas dans la tierce attention. En
conférant autonomie et consistance à leur double, ils se préparent tout
doucement à rester conscients après leur mort. Lorsque ce corps est complet et
que vient le moment, la conscience abandonne définitivement la coquille humaine,
le corps physique s'étiole et meurt, mais le sentiment d'être continue. "
4
Peu à peu, les histoires de Carlos commençaient à faire effet sur moi. Un jour,
je m'assis en tentant d'estimer sérieusement la quantité d'efforts que
j'investissais à soutenir mon histoire personnelle. Non pas dans la forme
grotesque dans laquelle elle se manifeste habituellement en autosuffisance et en
appels d'attention, mais bien en son aspect subtil, lié avec les idées
fondamentales que j'avais sur le monde.
Ces sensations de réflexion ne me conduirent à aucune certitude. Que du
contraire, je commençai à constater combien tout entier l'édifice idéologique
dans lequel je vivais et que toujours j'avais tenu pour sensé, se démantelait.
Lorsque je racontai cela à Carlos, il le prit comme un phénomène naturel.
" Tu es en train d'apprendre à te traquer toi-même. C'est ce que tu aurais dû
faire depuis que tu as acquis la raison. "
J'avais lu l'art de la traque, une stratégie de chasse par laquelle nous nous
rendons compte d'être la propre victime de nos routines. Nous pouvons appliquer
cette stratégie à la vie ordinaire ; par exemple aux affaires. Mais nous pouvons
aussi traquer nos propres démons internes que sont le doute, la flemmardise et
l'apitoiement sur soi-même.
Profitant que nous avions quelque temps libre avant qu'il ne commence sa
causerie, je lu demandai qu'il m'en dise plus à ce sujet. Mais, à mon plus grand
étonnement, il me dit qu'il ne pouvait pas le faire tant que je ne me serais pas
engagé à mort dans l'enseignement.
" Pourquoi ? "
" Parce que tu finirais par te retourner contre moi. L'apprentissage du rêve ne
blesse pas, le pire qui puisse survenir est de ne pas croire qu'une telle chose
soit possible. A l'opposé, la traque, le guet comme le pratiquent les sorciers ;
est très offensif vis-à-vis de la raison Beaucoup de guerriers évitent de parler
de la traque, parce qu'ils n'ont pas la trempe pour la supporter. Dans sa phase
initiale, l'apprenti se trouve sous un feu croisé et se sent frustré, il ne
parvient pas à se défaire de son ego.
" La traque est comme une monnaie, elle a deux faces. D'un côté il n'y a rien de
plus facile et de l'autre côté, c'est une technique très difficile, mon pas
parce qu'elle est complexe, mais parce qu'elle concerne des aspects de soi-même
que normalement les gens ne veulent pas aborder.
" La traque induit des mouvements minuscules, mais très solides, du point
d'assemblage : ce n'est pas comme le rêve, qui le bouge profondément, mais
revient comme un ressort et qui se remet en place immédiatement là où il était.
Lorsque tu traques, tout est parfaitement égal à ce qu'il était auparavant,
comme par exemple s'occuper des choses quotidiennes et des critères qui leur
sont appliqués. Si dans une pareille circonstance, tu es ainsi forcé par ton
instructeur, le plus probable est que tu en seras offensé ou blessé dans ton
amour-propre et que t'éloigneras le l'enseignement. "
Il me répondit que, traditionnellement, la traque est enseignée en état de
conscience accrue et qu'elle est laissée pour la fin.
" Ce n'est pas quelque chose qui se dit en face, il faut le capter entre le
lignes. Cette partie de l'enseignement appartient aux enseignements pour le côté
gauche. Elle demande beaucoup d'années pour se souvenir de quoi cela consiste et
autant d'années pour pouvoir conduire à la pratique.
" Au niveau où tu te trouves pour l'instant, il ne t'est juste possible que de
l'envisager et de l'aborder avec les méthodes du rêve. Si à un moment, tu sens
que tu touches à des sujets trop personnels ou que tu es assailli de doutes,
regarde tes mains ou utilise tout autre invocation que tu aras choisie.
L'attention des rêves t'aidera à ébranler ta fixité. "
Malgré ses réticences, une autre fois, Carlos lui-même accepta de répondre à mes
questions sur le thème de la traque, que toujours nous maintînmes dans les
limites de considérations théoriques.
Profitant de sa bonne volonté, je lui demandai qu'il m'explique l'utilité
pratique de l'art de la traque.
Il affirma :
" La traque est l'activité centrale d'un chasseur d'énergie. En plus que de
l'appliquer avec des résultats stupéfiants aux relations avec les gens, elle est
dessinée principalement pour affiner celui qui la pratique. Manipuler et dominer
les autres est une tâche ardue, mais il est incomparablement plus difficile de
nous dominer nous-même. C'est pour cela que la traque est la technique qui
distingue le nagual.
" La traque peut être définie comme l'habileté à fixer le point d'assemblage en
de nouvelles positions.
" Le guerrier qui traque est un chasseur. Mais, à la différence du chasseur
ordinaire qui a la vue fixée sur des intérêts matériels, le guerrier poursuit
une proie plus grande : son importance personnelle. Cela le prépare à affronter
le défi de traiter avec ses semblables quelque chose que le rêve à lui seul ne
peut résoudre. Les sorciers qui n'apprennent pas à traquer deviennent des
grincheux. "
Mon " Pourquoi ? " fusa.
" Parce qu'ils n'ont pas la patience pour résister aux stupidités des gens.
" La traque est pour nous naturelle, cela est dû à une caractéristique de notre
héritage animal : pour survivre, nous avons tous développé des habitudes de
comportement qui moulent notre énergie et nous adaptent à l'environnement. En
étudiant ces routines, un observateur attentif peut prédire avec exactitude le
comportement d'un animal ou d'un être humain à un moment donné.
" Les guerriers savent que toute forme d'habitude est une assuétude. Tu peux
être attaché à la consommation de drogues ou aller à l'église chaque dimanche ;
la différence est dans la forme, pas dans le fond. De la même façon, lorsque
nous nous accoutumons à penser que le monde
est raisonnable ou que les choses en lesquelles nous croyons sont l'unique
vérité, nous sommes devenus des victimes d'une habitude ne nous permettant de
voir que ce qui est pour nous alors, familier.
" Les routines sont des modèles de conduite que nous suivons de façon mécanique,
alors qu'elles n'ont aucun sens. Pour traquer, il faut se défaire de l'impératif
de la survie.
" Dû au fait qu'il est maître de ses décisions, un guerrier traqueur est une
personne qui a déterré de sa vie tout vestige d'assuétude. Il lui faut seulement
récupérer l'intégrité de son énergie pour être libre. Et comme il a la liberté
de choisir, il peut adopter des formes calculées de conduite que ce soit avec
les gens ou avec d'autres entités conscientes.
" Le résultat de cette manœuvre n'est pas une participation habituelle, mais une
traque, parce qu'elle consiste à étudier les conduites des autres. "
Je lui requis qu'il donne plus de sens à sa réponse.
Il répondit alors ;
" De ton point de vue, il n'y a aucun sens à y trouver. La liberté n'obéit pas à
la raison. Toutefois, tout ton être frémit lorsque tu romps tes routines par ce
que tu démasques le mythe de l'immortalité. "
Il fit signe aux gens qui rentraient du travail et me dit encore :
"Que crois-tu qu'ils sont allés faire ? Ces gens sont allés vivre leur dernier
jour ! Le plus triste c'est que probablement peu d'entre eux le savent. Chaque
jour est unique et le monde n'est pas uniquement comme on nous l'a dit. Annuler
la force de l'habitude est une décision qui se prend en une fois. A partir de
cet acte, le guerrier se transforme en traqueur."
"et il ne peut exister le cas d'un guerrier qui ferait de cette proposition
quelque chose de quotidien ?"
" Non, Ceci est quelque chose que tu dois bien comprendre parce qu'au contraire
ta recherche de l'impeccabilité perdra sa fraîcheur et tu finiras par la trahir.
Briser des routines n'est pas la finalité du sentier mais seulement le moyen. Le
but est d'être conscient. En tenant cela en compte, une autre définition de la
traque serait : une attention inflexible sur un résultat total.
" Ce type d'attention appliqué à un animal a pour résultat qu'il devient une
pièce de chasse. Si nous l'appliquons à une autre personne, il produit soit un
client, un disciple ou encore un amourachement. Et appliqué à un être
inorganique, nous avons alors ce que les sorciers appellent " l'allié ".mais si
nous appliquons la traque sur nous-même,on peut considérer qu'il s'agit là alors
d'un art toltèque,parce qu'alors il produit un acte précieux ; ma conscience. "
En dépit de ses explications, la dimension pratique de la traque n'était
toujours pas pour moi d'une limpide clarté et restait un des aspects les plus
obscurs de son enseignement. Avec les années, je réussis à accomplir certains
exercices, comme la récapitulation et le silence mental, je pus aussi rêver.
Mais en ce qui concernait la " traque " je n'obtenais que des résultats ambigus,
ou alors je devenais vraiment ridicule.
Carlos était bien au courant de mes efforts, parce qu'à un moment il m'appela et
me dit :
" Ne te compliques donc pas la vie. Tu ne fais que caricaturer l'enseignement ?
Si tu veux vraiment traquer, observe-toi. Nous tous, sommes d'excellents
chasseurs, la traque est notre don naturel. Lorsque la faim nous exacerbe, nous
nous affinons ; les enfants pleurent et réussissent à obtenir ce qu'ils désirent
; les femmes roulent les hommes et les hommes se trompent entre eux, se dupent
avec leurs affaires. Traquer est réussir à te débarrasser de ta faim.
" Si tu prends conscience du monde dans lequel tu vis, tu comprendras qu'y
maintenir son attention est un type de guet. D'autant plus que nous l'apprenons
depuis bien avant que ne se développe notre discrimination, nous le prenons
alors comme un fait naturel et pratiquement jamais nous nous interrogeons à son
propos. Alors que, toutes nos actions, même les plus altruistes, sont dans le
fond, imbibées de l'âme du chasseur.
" L'homme ordinaire ne sait pas qu'il traque parce que son caractère a été
infléchi par la socialisation. Il est si convaincu que son existence est
importante de telle sorte que ses actions sont au service de son importance
personnelle et non à l'accroissement de sa conscience. "
Il ajouta que l'une des caractéristiques de la propre importance est qu'elle
nous vole.
" Les personnes' importantes ' ne sont pas fluides, elles roulent des
mécaniques, elles se donnent de grands airs avec leurs attributs et manquent de
la grâce et de la vitesse nécessaire pour pouvoir s'éclipser. Elles ont une
luminosité trop rigide et elles ne pourront la rendre plus flexible que
lorsqu'elles n'auront plus rien à défendre.
" La méthode des sorciers consiste à se focaliser d'une manière nouvelle sur la
réalité dans laquelle nous vivons. Plutôt que d'accumuler des informations, ce
qu'ils cherchent c'est plutôt à recompacter l'énergie. Un guerrier est quelqu'un
qui a appris à se traquer et n'est plus encombré par l'image pesante qu'il doit
montrer aux autres. Personne ne peut le remarquer s'il ne le désire pas, parce
qu'il n'a pas d'attachements. Il est au-dessus du chasseur car il a appris à
rire de lui-même.
Il me raconta comment son instructeur, Doña Florinda Matus lui apprit à devenir
discret.
" Alors que justement, par la vente de mes livres, je devenais un homme riche,
elle m'envoya frire des hamburgers dans un restaurant routier ! Pendant des
années j'ai travaillé avec mon argent en vue, sans même pouvoir y toucher. Elle
disait que cela m'apprendrait à ne pas perdre la perspective adéquate. Et
j'appris la leçon !
" Plus tard, j'eus encore une nouvelle occasion d'être invisible. J'avais
apporté des cactus à la maison d'un ami et je me mis à les planter. Voilà
qu'apparurent deux reporters du Times qui avaient trouvé ma piste en me suivant
et me prenant pour un paysan, me demandèrent où était le propriétaire de la
maison. " Frappez donc là " leur dis-je en leur montrant la porte. Mon ami
répondit à leurs questions : " Non, je ne l'ai pas vu… " et les reporters s'en
allèrent en se demandant où diable avait bien pu passer le fameux Castaneda.
Il poursuivit en disant que le problème de l'importance personnelle est un sujet
personnel, chaque guerrier devant adapter l'enseignement à ses conditions
propres. C'est de là que les techniques de la traque sont extrêmement flexibles.
Mais l'entraînement est le même pour tous et se réduit à se débarrasser des
routines superflues pour acquérir la discipline suffisante afin de reconnaître
les signes de l'esprit. Ces eux réussites constituent de vrais exploits de
caractère.
" Le vrai moyen d'acquérir ce degré de discipline est d'avoir affaire activement
avec un petit tyran. "
Répondant à mes questions, il m'expliqua qu'un petit tyran est quelqu'un qui
nous rend la vie impossible. En des époques passées, ce type de personne pouvait
nous blesser physiquement et même nous prendre la vie ; aujourd'hui il n'existe
pratiquement plus de tyrans de cette trempe. Toutefois, selon l'importance
personnelle que nous nous concédons, tout ce qui est en position de force pour
nous faire souffrir pourra jouer ce rôle à merveille. Loin de fuir, nous devons
l'affronter, non pas le petit tyran lui-même, mais là, notre propre stupidité.
" Le petit tyran est nécessaire dans la mesure où la majorité d'entre nous, nous
sommes trop lâches pour pouvoir changer de nous-mêmes. Ce tyran " misérable "
ébranle la fixité de notre " Je ", en permettant qu'affleurent nos faiblesses.
Ils nous font voir la vérité-celle qui est que nous nous croyons importants-et
il est disposé à nous le démonter par ses actions.
Apprendre à traiter avec lui est l'unique moyen vraiment efficace pour affiner
la traque.
" Un petit tyran est tellement important pour la pratique, que l'obsession d'un
apprenti sera de le trouver et d'entrer en relations avec lui. Une gratitude
sincère sera l'unique sentiment qui emplira le guerrier qui aura ainsi trouvé
chaussure à son pied. "
Je lui demandai où je pouvais rencontrer une personne avec ces caractéristiques,
et il m'expliqua que les petits tyrans abondent, ce qui n'est pas fréquent c'est
le cran nécessaire pour aller à leur recherche, s'atteler à eux par le biais de
la traque et provoquer leur colère, et tout en restant à ses côtés, mettant en
place une machinerie stratégique démolisseuse.
" Nous passons notre vie à fuir les situations qui nous procurent de la douleur,
nous irritent, nous déconcertent ou nous font peur. De cette façon, nous perdons
un des héritages les plus valables que l'Esprit a posé sur notre chemin. "
" Mais avant tout, ne les vois pas comme des ennemis : les petits tyrans sont
des alliés involontaires de ta propre cause ? Ne perds pas de vue que la
bataille ne se fait pas pour l'ego mais pour l'énergie. L'importance est de
gagner et non que l'autre perde. Un petit tyran ne sait pas cela et c'est là sa
faiblesse.
" Dans mon cas, j'eus le privilège de traiter avec plusieurs de ces personnes,
bien que jamais je ne pus rencontrer quelqu'un de cette qualité exquise que ceux
que rencontra mon maître. "
Il me raconta, qu'au début de son apprentissage, son principal obstacle pour
aborder l'art de la traque était l'impatience. En une certaine occasion et pour
l'aider, Don Juan exigea de lui qu'il lie une amitié avec une certaine personne
qui vivait dans une maison de retraite pour personnes âgées.
" Lorsque je fis sa rencontre, il résultat que ce petit vieux fastidieux avait
l'habitude de raconter à tous comment en sa jeunesse, dans les années vint, il
avait été témoin d'un succès particulier. Il était en train de consommer dans un
café italien lorsque tout à coup d'une automobile qui s'arrêta devant la porte,
en sortirent des individus armés de mitrailleuses et qui tiraient en direction
de l'établissement. Grâce à sa bonne étoile, mon ami put se cacher sous une
table et en sortir intact.
" Cette anecdote semblait constituer l'unique trésor de la vie de cet ancien. Le
désagréable de l'histoire, c'est que pour qui le connaissait, le vieux souffrait
d'amnésie et oubliait constamment à qui il avait raconté son histoire. Je dus le
souffrir en permanence pendant plusieurs années. Chaque fois que j'arrivais, il
s'accrochait à mon bras et me demandait : " T'ai-je déjà raconté comment je fus
attaqué par des gangsters ? "
" J'avais de la peine pour lui, parce que d'une certaine façon, il me faisait
penser à mon propre et incertain futur. Mais à la fin il m'excéda ; je revins
près de Don Juan pour le lui dire : " Nagual, je ne le supporte plus ! Ce brave
vieux est vraiment trop exaspérant. Quel est donc votre objectif à vouloir que
je lui rende visite ? "
" Mais Don juan fut inflexible : il m'ordonna à partir de cet instant que
j'aille le visiter chaque jour ou que je renonce à mon apprentissage.
" Alarmé par cette menace, je mis les bouchées doubles à ma patience et
j'obtempérai. Parfois je fantasmais, pensant que ce petit vieillard n'était pas
la personne dont il avait l'apparence. Cela me donna de l'entrain pour continuer
ma tâche. Un certain jour, à l'arrivée à la maison de retraite, on m'informa de
la mort de mon ami. "
5
L'HOMOGÉNÉISATION DE LA PERCEPTION
Ce soir-là, Carlos nous parlait de certaines caractéristiques de la perception.
Il nous racontait que nous, les êtres humains, nous avons hérité des dinosaures
de la propriété de voir le ciel de couleur bleue. Au change, nos parents les
primates le voient de couleur jaune.
En répondant à une demande qui lui fut formulée, il décrivit le monde dans
lequel nous vivons comme un 'conglomérat' d'unités d'interprétations. "
En voyant que cette définition du monde paraissait obscure à ses auditeurs, il
nous expliqua :
" L'être humain appartient au groupe des primates. Sa grande chance est qu'il
puisse parvenir à des expressions uniques de conscience, par sa capacité
d'attention et d'analyse. Toutefois, la perception pure se voit toujours
interférée par la forme selon laquelle nous interprétons. Dit avec d'autres
mots, notre réalité se moule à la description.
" Le but des sorciers est de percevoir tout ce qui est humainement perceptible.
Rien que de pouvoir sortir de notre condition biologique, nous sommes des singes
sublimes! "
Il ajouta encore que, pour perfectionner notre prise de conscience, le chemin de
l'attention est tout ce que nous avons.
J'eus l'opportunité de parler avec lui plus tard dans la soirée et je lui
demandai qu'il scinde s'il le voulait bien ses affirmations en propos plus
petits.
A la suite de cela, il me dit que, dû à notre conditionnement biologique, nous
fonctionnons tous comme des unités de perception et il ne nous est possible
d'effecteur un miracle de l'attention : " l'homogénéisation perceptive. "
-" Que signifie donc 'unités de perception' ? "
-" Cela signifie que, en tant qu'êtres autonomes que nous sommes, notre
perception pourrait l'être aussi. Cependant elle ne l'est pas, vu que, en nous
mettant d'accord avec nos semblables, nous percevons tous la même chose. Cette
extraordinaire faculté, qui débuta par un consensus volontaire orienté pour la
survie, finit par nous attacher à nos propres descriptions. "
Il affirma que le flux des émanations de l'Aigle est constamment neuf et
déconcertant, parce que nous ne le voyons pas, étant donné que nous vivons à
trois pas de distance du monde réel : la sensibilité innée, l'interprétation
biologique et le consensus social.
Ces trois pas sont simultanés, mais ils sont plus rapides que ce que nous
pouvons déterminer consciemment ; pour cela, ils résultent dans le fait que nous
percevons le monde comme nous le percevons.
Je lui demandai qu'il me donne des exemples de ces affirmations.
Il me dit alors :
" Imagine seulement qu'à ce moment, tu sois témoin d'une conjonction
d'émanations
de l'Aigle, automatiquement celles-ci sont transformées en quelque chose de
sensoriel, avec des caractéristiques lumineuses, sonores, mouvement etcetera.
Interviendra ensuite la mémoire qui va t'obliger à donner à cela une
signification et que tu les reconnaisses par exemple, comme une personne.
Finalement, ton inventaire social va classifier et comparer avec touts ceux que
tu connais : cette classification va te permettre de l'identifier. Rends-toi
compte qu'une fois là, tu es à bonne distance du fait réel qui, est
indescriptible et unique à la fois.
" La même chose se passe avec tout ce que nous voyons. Nous nous rendons compte
que c'est le résultat d'un grand processus de filtrages ou d'écrémages comme le
disait Don Juan. Nous écrémons tout, nous modifions tout de telle sorte que du
monde qui nous entoure,il nous reste bien peu de l'original. Une pareille
situation, même si elle nous permet de vivre dans de meilleures conditions, nous
asservit et met en esclavage notre propre création et nous rend prévisibles.
" En homogénéisant nos points d'assemblage, nous permettons seulement le passage
de ce qui ne va pas à l'encontre de notre idée préconçue du monde. Nous sommes
comme des chevaux, qui, après avoir appris un chemin, ne peuvent plus profiter
de leur liberté ; tout ce qu'ils font sera de répéter un modèle. Cette
homogénéité est terrifiante, trop extrême. Alors tu te mets à penser : Il doit y
avoir quelque chose au-delà !
Il rapporta encore que toute idée préconçue, comme par exemple quelque chose
d'aussi simple que de nommer les choses, nous maintient sujets à la raison et
nous forçant à créer des mécanismes de jugement.
" Par exemple, lorsque tu dis :
-' Je crois en Dieu '
en réalité, tu es en train de dire :
-' On m'a raconté certaines idées et j'ai choisi de les adopter ; alors
maintenant, je tue pour elles' C'est ainsi que ce n'est pas toi qui décides !
C'est l'autre, le jugement implanté.
" L'idéal serait que tu détermines toi-même ta vie à partir de ton expérience.
Si ta croyance t'enlève quelque chose, alors attention ! Tout ce qui ne te rend
pas libre, te met en esclavage.
" Se focaliser en un aspect déterminé de l'inventaire humain comporte deux
effets : ils nous rend spécialistes dans un domaine mais, en même temps, il
fossilise nos conduites énergétiques qui ne réagissent déjà plus qu'à certains
stimuli, saturant notre moi d'idées et d'opinions.
" Un guerrier ne peut pas se donner le luxe de suivre les modes des gens et
encore moins d'être réactionnaire, puisque sa liberté signifie l'exercice
d'autres alternatives. "
Il aurait fallu qu'il m'explique à quelles autres alternatives il faisait
allusion mais il se contenta de me donner une tape sur l'épaule en me disant
qu'il était déjà trop tard.
" Une autre fois… " me dit-il.
LES PRÉDATEURS DE LA CONSCIENCE
La poursuite de notre entretien n'eut cours que bien des années après. Cette
fois-là, Carlos amena à l'une de ses causeries une concept entièrement neuf, qui
éveilla les controverses les plus passionnées.
" L'homme, dit-il, est un être magique, il a la capacité de voler dans l'Univers
pareillement à des millions d'autres consciences qui y existent. Mais à un
moment donné de son histoire, il perdit sa liberté. Maintenant son esprit n'est
plus le sien, mais une intrusion. "il affirma que les êtres humains que nous
sommes, sont remplis d'un complexe d'entités cosmiques qui se dédient à la
prédation et que les sorciers appellent " les prédateurs ".
Il dit encore que ce sujet avait été tenu secret par les anciens voyants, mais
que, de par l'invite d'un augure, il était temps désormais d'en divulguer le
contenu. L'augure était une photographie qu'avait prise un de ses amis, chrétien
bouddhiste. Su cette photo, apparaissait nettement l'image d'un être obscur
flottant au-dessus d'une multitude de fidèles réunis sur le site des pyramides
de Teotihuacan.
" Mes compagnons et moi-même déterminèrent qu'il était temps d'informer le monde
de notre vraie condition en tant qu'êtres sociaux et ce, malgré toute la
suspicion qu'une telle information pourrait générer au sein du public. "
Lorsque se présenta l'opportunité, je lui demandai qu'il me dise quelque chose à
propos des " prédateurs " et ensuite, il me raconta l'un des aspects les plus
terrifiants du monde de Don Juan : nous sommes prisonniers d'êtres venus des
confins de l'Univers, qui nous utilisent avec le même dédain que celui que nous
avons vis-à-vis de notre volaille.
Il entérina :
" La portion du monde à laquelle nous avons accès est un champ d'opérations de
deux formes de conscience radicalement opposées. Celle d'une part à laquelle
appartiennent les plantes et les animaux, homme y compris est une conscience
blanchâtre, jeune et génératrice d'énergie. L'autre est une conscience
infiniment plus ancienne et parasitaire, possédant une quantité énorme de
connaissances.
" En sus des hommes et des autres êtres qui habitent cette terre, il y a dans
l'Univers une gamme immense d'entités inorganiques. Elles sont présentes parmi
nous et à certains moments, elles sont visibles. Nous les appelons fantômes ou
apparitions.
" L'une de ces espèces que les voyants décrivent comme d'énormes silhouettes
volantes de couleur noire, vint un jour de la profondeur du Cosmos et rencontra
un oasis de conscience sur notre planète. Elle s'est spécialisée à nous 'mettre
à ses ordres'.
- "Cela est incroyable " m'exclamai-je.
" Je le sais, mais c'est la plus pure et la plus terrifiante vérité ? Tu ne t'es
jamais questionné sur les fluctuations permanentes de l'énergie et des émotions
des gens ? C'est le prédateur qui vient périodiquement prélever son aliquote de
conscience. Il nous laisse suffisamment pour que nous puissions rester vivant et
parfois même n'en tiennent même plus compte. "
- " Que voulez-vous dire ? "
- " Que parfois, après leur passage, la personne tombe gravement malade, jusqu'à
en mourir. "
Je ne pouvais en croire mes oreilles.
- " Voulez vous dire par là que nous sommes dévorés alors que nous sommes encore
vivants ? "
Il sourit.
- " Bon, ce n'est pas qu'ils nous 'mangent' littéralement mais ce qu'ils font
est un transfert vibratoire. La conscience est l'énergie et ils peuvent
s'aligner avec nous. De par leur nature, ils sont perpétuellement affamés et que
nous, par nature, nous exsudons de la lumière, le résultat de cet alignement
peut être donc décrit comme une prédation énergétique. "
- " Mais, pourquoi font-ils cela ? "
- " Parce que sur un plan cosmique, l'énergie est la monnaie la plus forte et
tous la recherchent et nous sommes une race vitale, riche d'aliment Chaque chose
vivante mange une autre et c'est toujours le plus puissant qui gagne. Qui a dit
que l'homme était le sommet de la chaîne alimentaire ? Cette vision peut
seulement être celle d'un être humain. Pour les êtres inorganiques, nous sommes
une proie.
J'intervins pour lui dire qu'il m'était inconcevable que des entités plus
conscientes que nous parviennent à un tel degré de rapine.
Il répliqua :
" Mais que crois tu que tu fais, quant tu manges une laitue ou un beefsteak ? tu
manges de la vie ! Ta sensibilité est hypocrite. Les prédateurs cosmiques ne
sont ni plus ni moins cruels que nous. Lorsqu'une race plus forte en consomme
une autre, inférieure, elle aide à ce que son énergie évolue.
" J t'ai déjà dit que dans l'Univers il n'y avait que la guerre. Les
confrontations entre humains ne sont qu'un reflet de ce qui se passe là au
dehors. Il est normal qu'une espèce essaye d'en consommer une autre : le propre
d'une guerrier n'est pas de se lamenter à ce sujet mais de chercher à survivre.
- " Et comment alors, nous consomment -ils ? "
- " Au travers de nos émotions, incessamment occasionnées par notre dialogue
intérieur. Ils ont dessiné l'environnement social de telle forme que nous sommes
en permanence, projetant des ondes d'émotions qui sont immédiatement absorbées.
Par-dessus tout, ils aiment les attaques de l'ego ; pour eux c'est là une
bouchée exquise. De telles émotions sont identiques en n'importe quel endroit de
l'Univers où ils sont présents et ils ont appris à les métaboliser.
" Certains nous consomment par la luxure, la peur ou la colère ; d'autres
préfèrent les sentiments plus délicats, comme l'amour et la tendresse. Mais tous
sont intéressés par la même chose. Leur voie d'attaque normale est la tête, le
cœur ou le ventre, là où nous conservons emmagasinée notre énergie. "
- " S'attaquent-ils aussi aux animaux ? "
- " Ces êtres utilisent tout ce qui est à leur disposition, mais ils préfèrent
la conscience organisée. Ils drainent les animaux et les plantes au moyen de
leur attention qui n'est pas aussi fixée que la nôtre. Ils attaquent aussi la
plupart des êtres inorganiques, sauf que ceux-ci les voient et les esquivent,
comme nous faisons pour les moustiques. L'humain seul tombe complètement dans
leur piège. "
- " Comment est-il possible que tout cela se passe sans que nous nous en
rendions compte ? "
- " Parce que nous héritons tout naturellement de l'échange avec ces êtres comme
s'il s'agissait d'une condition génétique. Lorsque naît une créature, la mère
s'offre en nourriture sans même s'en rendre compte, car son esprit est lui aussi
complètement sous la domination. Quand on la baptise, on signe encore plus la
convention. Dès ce moment, tout le monde s'efforce pour inculquer à la créature
des modes de conduite acceptables, pour la dompter, encercler son côté guerrier
et la convertir en une brebis docile.
" Lorsque un enfant détient encore assez d'énergie pour repousser cette
mainmise, mais pas assez suffisamment cependant pour entrer sur le chemin du
guerrier, il devient un rebelle ou un délinquant.
" L'avantage des prédateurs volants prend racine dans la différence entre les
deux niveaux de conscience. Ils sont des entités très vastes et puissantes ;
l'idée que nous en avons est équivalente à celle que peut avoir de l'humain, une
fourmi. "
" Indubitablement leur présence est douloureuse et elle peut se mesurer de
différentes manières. Par exemple, lorsque nous faisons face à des attaques de
rationalité ou de méfiance, ou quand nos sentons qu'on nous vole nos propres
décisions. Les fous peuvent le sentir très facilement, trop, dirais-je même, parce
qu'ils sentent physiquement comment ces êtres se posent sur leurs épaules,
générant des paranoïas. Le suicide est le sceau des prédateurs volants, leur
esprit est potentiellement homicide. "
-" Vous dites qu'il s'agit d'un échange : mais, que gagnons-nous avec un pareil
despote ? "
- " En échange de notre énergie, les prédateurs nous donnent le mental, les
attachements et l'ego. Pour eux, nous ne sommes que des esclaves, ou encore une
espèce d'ouvriers non salariés. Ils élurent une race primitive et lui donnèrent
la faculté de penser, laquelle nous fit évoluer, mais encore nous a civilisés.
Si nous n'avions leur influence, nous serions encore cachés dans des grottes ou
faisant des nids au sommet des arbres.
" Les prédateurs volants nous dominent au travers de nos traditions et de nos
coutumes. Ils sont les maîtres des religions, les créateurs de l'Histoire. Nous
écoutons leur voix à la radio et nous lisons leurs idées dans les livres. Ils
manipulent tous nos moyens d'informations et nos systèmes de croyance. Leur
stratégie est magnifique. Par exemple, il exista un jour un honnête homme qui
parla d'amour et de liberté ; ils convertirent cela en auto compassion et en
servilité. Ils font ave tout la même chose, même avec les naguals. C'est pour
cette raison que le travail d'un sorcier est solitaire.
" Durant des millénaires, les prédateurs volants ont ourdi des plans pour nous
collectiviser. Il y eut une époque en laquelle ils se firent tellement
audacieux, qu'ils, qu'ils purent se montrer en public et que les gens en firent
des représentations de pierre. C'étaient des temps obscurs, Ils pullulaient
partout. Et maintenant leur stratégie est devenue tellement subtile que nous ne
savons même plus qu'ils existent.
" Parle passé, ils nous fourvoyaient par la crédulité ; aujourd'hui ils y
parviennent par le matérialisme. Ce sont eux qui sont responsables de
l'aspiration de l'humain actuel à ne plus penser par lui-même ; vois toi même
combien moins encore peuvent parvenir au silence ! "
- " Pourquoi changèrent-ils de stratégie ? "
- " Parce qu'en ce moment même, ils sont en train de courir un grand risque.
L'Humanité est en contact plus rapidement et chacun peut être informé. Ou ils
nous remplissent la tête et nous bombardent jour et nuit par tous type de
suggestions, ou alors on se rendra compte de leur présence et tout le monde sera
avisé. "
- " Que se passerait-il si nous parvenions à repousser ces entités ? "
- " Nous récupérerions en une semaine toute notre vitalité et nous serions à
nouveau brillants ? Mais, en tant qu'être humains ordinaires, nous ne pouvons
envisager cette possibilité parce qu'elle impliquerait que nous allions contre
tout ce qui est socialement acceptable. Fort heureusement, les sorciers ont une
arme redoutable : la discipline.
- " La rencontre avec les êtres inorganiques est graduelle. Au début nous les
remarquons. Puis un apprenti finit par les voir dans ses rêves et ensuite en
veille, chose qui peut le rendre fou s'il n'apprend pas à vivre comme un
guerrier. Après qu'il s'en est rendu comte, il peut les affronter.
" Les sorciers manipulent l'esprit étranger en se faisant chasseurs d'énergie.
C'est à cette fin que mes compagnons et moi-même avons dessiné les exercices de
Tenségrité, qui ont la vertu de nous libérer de l'esprit du prédateur volant.
" Dans ce sens, le sorcier est un opportuniste. Il profite de l'impulsion qu'ils
lui donnèrent et dit à ses prédateurs : 'Merci pour tout, et on ne se reverra
plus ! L'accord que vous fîtes dans le passé n'est plus un accord qui me
concerne désormais' en récapitulant sa vie, il ôte littéralement le pain de la
bouche de ses prédateurs. C'est comme si nous allions au magasin après un achat
pour rendre la marchandise en disant qu'il faut qu'on nous rende notre argent !
Les êtres inorganiques n'aiment pas cela mais ils ne peuvent rien y faire.
" Notre avantage est que nous sommes pour eux des proies prévisibles , que de
nourriture alors pour ceux-là ! Un état d'être d'alerte complète, qui n'est pas
autre chose que discipline crée des conditions telles dans notre attention,que
nous cessons d'être savoureux pour ce type d'êtres. Et dans ce cas, ils font
demi-tour et nous foutent la paix. "
Lors d'une autre audience, Carlos expliqua que la raison est un sous-produit de
l'esprit étranger et qu'il ne faut pas trop lui faire confiance. Cette
affirmation violenta mes schémas mentaux.
Lorsque je lui demandai plus de détails il m'expliqua que ce que repoussent les
sorciers n'est pas la capacité à raisonner pour parvenir à des conclusions, mais
comme la raison vient s'imposer dans notre vie, comme si elle était l'unique
alternative.
" La rationalité fait en sorte que nous nous sentons comme un bloc solide, et
que nous pouvons ensuite concéder la plus grande importance à un concept comme
celui de " la réalité ". Lorsque nous affrontons des situations peu ordinaires,
comme celles qui assaillent les sorciers, nous disons : " Ce n'est pas
raisonnable ! Et il y paraît alors comme nous l'avons tous décidé.
" Le monde de notre mental est despotique, mais fragile. Après des années d'un
usage continu,le je devient tellement pesant que c'est presque une question de
lieu commun que de se reposer pour pouvoir continuer.
" Un guerrier lutte pour rompre la description du monde qu'on lui a insufflée
afin d'ouvrir un espace au nouveau. Sa guerre est livrée contre le Je . Grâce à
elle , il cherche à être en permanence conscient de son potentiel. Comme le
contenu de la perception dépend de la position du point d'assemblage, un
guerrier cherche de toutes ses forces à ébranler la fixité de ce point. Au lieu
de livrer un culte à ses spécialisations, il prête attention à certaines
prémisses du sentier des sorciers.
" Ces prémisses déclarent que, en premier lieu, il n'est qu'une condition de
plénitude énergétique qui puisse nous permette de traiter adéquatement avec le
monde. Deuxièmement, la rationalité est une conséquence de la fixation du point
d'assemblage dans l'aire de la raison, et ce point se déplace lorsque nous
réussissons à faire taire le dialogue intérieur. Troisièmement, il y a dans
notre champ lumineux d'autres poins aussi pragmatiques que la rationalité.
Quatrièmement, lorsque nous réussissons à parvenir à une vision qui inclut la
raison avec son centre jumeau-la connaissance silencieuse-les concepts de vérité
et de mensonge cesse d'être opératifs et il devient clair que le vrai dilemme de
l'homme est d'avoir de l'énergie ou de ne pas en avoir.
" Les sorciers raisonnent à l'envers des gens. Pour eux, ancrer l'attention est
folie et la laisser fluer est sensation. Ils appellent voir la fixation du point
d'assemblage en des zones non habituelles. Ils considèrent que être raisonnable
est un impératif commun, mais ils savent que la rationalité n'est pas sagesse.
La sagesse est un acte volontaire, alors qu'être raisonnable c'est fixer notre
attention dans un consensus collectif. "
- " Est-ce alors que les sorciers sont opposés à la raison ? "
- " Je t'ai déjà répondu que ils s'opposent à la dictature. Ils savent que le
centre de la raison peut nous conduire fort loin. La raison absolue est
impitoyable, elle n'a pas de demi-teintes ; pour cela les gens la craignent.
Lorsque nous pouvons la focaliser avec inflexibilité, nous générons l'obligation
d'être impeccables, parce que l'être n'est pas raisonnable. Faire les choses
avec impeccabilité c'est faire tout le plus humainement possible et même plus.
De la même façon, la raison, elle aussi ébranle le point d'assemblage.
" Pour agir dans les préceptes du chemin du guerrier, un propos clair est
nécessaire, la valorisation de la tâche et une intention inflexible. Si tu
regardes à ton alentour, tu verras que la majeure partie des gens 'de raison'
n'est pas vraiment centrée sur ce point, mais se tient à sa périphérie. "
- " Pourquoi ? "
- " Parce que l'énergie leur fait défaut. Leurs trous les empêchent d'être
pleinement objectifs. Leur attention fluctue, et par elle leur perception est un
résultat hybride, ambigu. Ils flottent comme une barque sans gouvernail au
milieu du courant, à la merci de leurs émotions et sans apercevoir ni la lisière
de la raison pure, ni celle de l'abstrait.
" Ce dont a besoin un guerrier d'aujourd'hui est une condition d'accroissement
énergétique soutenu, afin que son attention puisse fluctuer entre la raison et
la connaissance silencieuse. Pouvoir se mouvoir ainsi le rend plus sage que
jamais, sans toutefois en faire un être rationnel. Quelle que soit la position
où il se fixe, il sera toujours apercevant l'autre point : ainsi sa vision
acquiert perspective et profondeur. Les sorciers décrivent cette condition comme
être double ou perdre la raison."
" Nous pouvons parvenir à la connaissance silencieuse tout comme nos maîtres
nous apprirent à parvenir à la raison : par l'induction. C'est tout comme
dominer les deux côtés d'un pont. De l'un on peut voir la raison comme un tissu
de consensus qui transforme l'interprétation collective en un sens commun par
les douanes de la perception. Et de l'autre, on peut avoir l'intuition de la
connaissance silencieuse comme une noirceur insondable et créatrice qui s'étend
bien au-delà du seuil de la non compassion. Passé ce seuil, les anciens
parvinrent à la source de la connaissance pure.
" Être double c'est réaliser une connexion avec soi-même, fluer entre deux
points. C'est quelque chose de pratiquement indescriptible, mais un apprenti
l'expérimente assez tôt sil a une réserve suffisante d'énergie. A partir de là,
il apprend à traiter avec la raison comme un être libre, sans révérences ni
soumissions. Il acquiert alors ce que Don Juan appelait : intensité,
c'est-à-dire, la capacité d'emmagasiner de l'information en un bloc perceptuel.
"
Le concept d' "intensité "me semblait complètement obscur et c'est pour cela que
je lui demandai plus d'explications. Il me répondit que la perception se compose
de contenu et d'intensité. Les situations extrêmes, comme par exemple une
conscience aigue d'un danger, la proximité de la mort ou l'effet des plantes de
pouvoir génère une grande intensité.
Un sorcier apprend à considérer ces expériences comme un mouvement du point
d'assemblage.
Il ajouta encore que e chemin de la connaisse propose un changement de valeurs
dans la manière où nous comprenons notre interaction sociale en tant qu'espèce,
en soustrayant notre énergie de la vie quotidienne et en la concentrant sur des
situations qui impliquent une intense expérience vécue.
" Il s'agit de revenir à l'homme merveilleux, au pouvoir, à ce qui a été rêvé,
lui rendant l'étonnement et la capacité de créer ? Seule cette rupture libérera
l'être lumineux de notre uniformité perceptuelle. "
LES MOUVEMENTS DU POINT D'ASSEMBLAGE
Lors d'une autre conversation avec un petit groupe d'amis, Carlos nous expliqua
qu'un autre effet du déplacement du point d'assemblage est que les choses
acquièrent des formes nouvelles, le brillant des apparences cède la place à un
brillant plus profond et plus essentiel, et les êtres vivants adoptent la forme
d'énormes et ronds champs de lumière.
Il prétendit que la configuration lumineuse de l'homme ou de la femme est le
portrait de son existence. Les voyants voient chaque détail, et ainsi
déterminent si une personne est ou non préparée pour l'apprentissage.
" La majorité des gens maltraitent leurs tonals ; en conséquence, leurs fibres
tombent comme les plis d'un vieux rideau. Ces fibres " fatiguées " opèrent comme
une glu, épuisant le cours naturel de l'énergie. Don Juan les appelait "
tonal-cloches " parce qu'ils ont justement cette forme, sont obscurs et donnent
l'impression de peser énormément. Lorsqu'ils se meuvent, ces champs lumineux
rampent ou font des sauts brefs comme si ils étaient en train d'arracher quelque
chose ou comme si la personne s'était glissée dans un déguisement d'ours trop
grand pour elle.
" Chez les guerriers, par contre, les plis sont tendus. Leurs cocons sont quasi
sphériques et regorgent de vigueur ; la partie inférieure est compacte comme une
pelote de caoutchouc dense et rebondit, il se décolle de la terre. Lorsqu'ils
avancent, ces globes ne rampent pas avec peine, mais ils sautillent avec
jubilation et parfois ils planent pendant un bon bout de chemin. Don Juan les
appelait précisément ainsi : " les planeurs " et il affirmait que c'était un
vrai plaisir que de tomber sur l'un d'entre eux dans la rue.
" Mais il n'y a que les voyants qui peuvent redessiner leur luminosité de telle
façon que ils peuvent se détacher complètement de la terre et voler. Certains
parviennent ainsi à rompre leurs limites, ce qui résulte qu'on les perçoit comme
si ces guerriers avaient brisé la peau qui emprisonnait leur énergie, mettant à
nu le resplendissant noyau central. Ce sont des sorciers voyageurs et ils ne
dépendent plus de leur corps physique pour être conscients et pour agir.
" La tâche de l'apprenti est de parvenir à centrer son corps énergétique au
travers d'actes impeccables et de force qui conduisent le mouvement du point
d'assemblage. Avant tout, il doit donner de la mobilité à son énergie,
permettant qu'elle flue de façon naturelle. C'est alors que ses fibres s'étirent
et commencent à briller d'une nuance ambrée.
" La perception prend place en un point d'intense lumière blanche qui est fixée
généralement, rigidement fixe dans une zone très spécifique que les sorciers
appellent 'la bande humaine'. Ce point articule les émanations que nous recevons
de l'extérieur avec celles qui sont dans notre champ lumineux, comme le ferait
une antenne radio qui reçoit des ondes et qui les transforme en sons.
A notre surpris, il assura que voir ce point est d'une assez grande facilité et
qui survient au cours des premières étapes du chemin.
" Il suffit qu'ils se suggestionnent de la bonne façon. Un apprenti ne dira
jamais : "Je suis un bon à rien. Je ne vois rien du tout." Mais que du contraire
il dira… "Il me semble que je vois… mais oui, voilà… c'est là !". Si nous
répétons cette intention encore et encore, tôt ou tard, le point d'assemblage
fera irruption dans notre champ perceptif et ce sera le premier pas pour le
mouvoir délibérément. "
Un des participants lui demanda comment nous pouvons être témoins de notre
propre perception.
Il expliqua que, étant donné que nous n'avons pas d'autre façon de percevoir que
par le travers du point d'assemblage, l'unique forme de comprendre ce propos
serait de dire que le point devrait se percevoir lui-même. Ce que nous voyons
est le résultat de son fonctionnement. C'est pour cela que nous avons la
sensation soudaine qu'une flamme jaillit là où les émanations s'alignent avec
celles de l'extérieur. Il déclara aussi que nous pourrions décrire ce phénomène
avec les termes propres à l'audition, comme un claquement électrique qui dénonce
l'alignement.
" Il est important que tout se vérifie par soi-même, parce que cela nous met
au-delà du mental et nous remplit de connaissance silencieuse. Le seul fait de
le voir produit un impact qui ébranle la fixité du point d'assemblage. "
Il poursuivit en disant qu'un sorcier avec de l'expérience réussit à déplacer
son attention très loin de la bande humaine d'émanations, tant à l'intérieur des
émanations de son cocon qu'au delà même de celui-ci. Ce possible amplifie
considérablement l'éventail de sa perception.
" Certains partent en voyage dans le royaume des êtres inorganiques ; cet
alignement est de loin le plus gratifiant pour l'énergie et fait en sorte que le
voyageur revient à la maison, renouvelé.
D'autres ont plutôt tendance de se submerger dans la zone basse, le domaine de
la bête, le coin le plus sordide de la conscience. Pour les êtres humains, c'est
un endroit dangereux, parce que résider dans ces endroits plus longtemps que
nécessaire peut produire des lésions physiques. "
On lui demanda où se trouvait le 'moi' au moment où le point d'assemblage se
déplace dans les zones inférieures du cocon.
Sa réponse fut :
" Apparemment, on pourrait penser que le point d'assemblage tombe dans son
inventaire de choses raisonnables mais ce n'est pas ainsi qu'il en est. Ils ne
le voient pas comme un objet solide ou comme un membre supplémentaire du corps
amis nous n'avons pas un point d'assemblage, nous le sommes !
" Tant qu'un guerrier est coincé dans les limites de la forme humaine, la
translation la plus éloignée qu'il puisse accomplir est une zone de vide
interprétatif que les voyants dénomment comme les limbes. C'est un espace réel
dans la frontière de l'autre monde, une zone de transition pour parvenir à
l'autre attention.
" Ces mouvement s'accumulent t vont en condensant notre pouvoir personnel,
jusqu'à ce que finalement ils se cristallisent en une espèce de matrice
lumineuse nommée par Don Juan 'les positions de rêve'. En explorant ces
positions, l'expérience individuelle d'in sorcier se libère du sillon humain et
devient pratiquement illimitée.
" Le mouvement du point d'assemblage n'obéit pas uniquement à l'intérêt d'avoir
de visions stupéfiantes, mais bien avant tout, au fait que chaque déplacement
contrôlé libère des quantités énormes d'énergie. L'idéal en sera que le guerrier
applique son intention inflexible et allume son champ énergétique comme s'il
n'était qu'un gigantesque point d'assemblage, pour être témoin de tout en une
fois. C'est alors que le point est propulsé jusqu'en haut et que le voyageur se
convertit en une rafale de lumière et jamais plus il ne retrouvera sa forme.
Ceci consistera le plus grand défi, l'union de notre conscience avec l'infini. "
6
LA SURVIE DU POINT D'ASSEMBLAGE
Bien qu'il abordât fréquemment le thème de la mort, Carlos évitait de parler de
ce qui survient après que la personne est décédée. Cette fois-là, il me parut
que c'était la bonne pour obtenir son opinion.
- " Nagual, que se passe-t-il lorsque nous mourons ?
- " Cela dépend -répondit-il--. La mort touche chacun d'entre nous, mais ce
n'est pas la même chose pour tout le monde. Tout dépend du niveau énergétique. "
Il m'assura que pour une personne ordinaire, courante, la mort est la fin de son
voyage, le moment où elle doit rendre à l'Aigle toute la conscience qu'elle a
obtenue de son vivant.
- " Si nous n'avons pas autre chose que notre force vitale à offrir, et bien ,
c'est vraiment terminé. Ce type de mort efface un quelconque sentiment d'unité.
"
Je lui demandai si c'était là son opinion particulière ou une connaissance plus
traditionnelle des voyants. A quoi il me répondit :
- " Ceci n'est pas une opinion ; j'ai été de l'autre côté et je sais. J'ai vu
des enfants et des adultes, errant dans l'au-delà, et j'ai observé leurs efforts
pour se souvenir d'eux-mêmes. Pour ceux qui dissipèrent leur énergie, la mort
est comme un rêve fugace, plein de bukkes de souvenirs chaque fois plus
évanescentes et puis, plus rien.
- " Vous voulez dire que, lorsque nous rêvons, nous sommes voisins d'un état de
mort ? "
- " Non pas seulement lorsque nous rêvons, mais en permanence, nous y sommes.
Mais, comme la vitalité de notre corps demeure encore intacte, nous pouvons
faire demi-tour. Mourir est littéralement, un rêve.
" Vois, quand une personne ordinaire rêve, elle ne peut focaliser son attention
sur rien du tout, elle ne le désire pas plus que sa mémoire fragmentée,
alimentée par les expériences qu'elle a acquises tout au long de sa vie. Si
cette personne meurt, la différence est que son rêve s'élargit et qu'elle ne se
réveillera plus. C'est le rêve de la mort.
" Le voyage de la mort peut t'emporter dans un monde virtuel d'apparitions, où
tu y contempleras la matérialisation de tes croyances, de tes 'ciels' et
'enfers' privés, mais tu n'iras pas plus loin. De telles visions iront
disparaissant avec le temps, à mesure que s'affaiblira l'impulsion de la
mémoire.
- " Et que se passe-t-il avec l'âme de celui qui meurt ?
- " L'âme n'existe pas, ce qui existe, c'est l'énergie. Une fois que disparaît
le corps, il ne reste seulement que une entité énergétique alimentée par la
mémoire.
" Certains individus sont tellement oublieux d'eux-mêmes qu'ils meurent même
sans s'en rendre compte. Ils sont comme des amnésiques, des personnes qui ont un
blocage du point d'assemblage et qui ne peuvent pas aligner les souvenirs, qui
n'ont pas de continuité, qui s'établissent en permanence au bord du rien.
Lorsqu'elles meurent, ces personnes se désintègrent quasi instantanément puisque
l'impulsion de leur vie ne peut les retenir que peu d'années.
" Toutefois, la majorité des gens tarde un peu à se désintégrer, entre cent et
deux cent ans. Ceux qui ont eu une vie pleine de signification, peuvent résister
jusqu'à mille ans. Le terme s'éloigne encore plus pour ceux qui réussirent à
créer des liens avec des masses de personnes ; ceux-là peuvent retenir leur
conscience pendant des millénaires entiers. "
- " Comment y parviennent-ils ? "
- " Au travers de l'attention de leurs aficionados. La mémoire crée des liens
entre les êtres et ceux qui s'en sont allés. C'est comme s'ils restaient
conscients. C'est pour cela, le culte des personnalités historiques est
tellement pernicieux. C'était là l'intention de ceux qui, dans les temps
anciens, se firent momifier : faire la cohésion de leur nom avec l'Histoire.
Ironiquement, c'est le pire mal que peut leur infliger leur énergie. Si vraiment
tu voulais châtier quelqu'un, enterre-la dans un cercueil de plomb ; sa
confusion n'aura pas de fin.
" Peu importe ce qu'il ou elle aura fait ou comment cette personne aura vécu,
toute personne ordinaire et courante n'a pas la moindre opportunité d'aller plus
loin. Pour les sorciers qui vivent face à l'éternité, cinq années ou cinq
millénaires ne sont rien. Pour cela ils affirment alors que la mort est une
désintégration instantanée. "
Je voulus savoir si les personnes décédées pouvaient faire demi-tour pour se
connecter avec les vivants.
- " Les relations entres les habitants des diverse sphères de la conscience ne
peuvent se rendre perceptibles qu'au travers de l'alignement du point
d'assemblage. La mort est une barrière perceptive finale. Les vivants peuvent
nous diriger au royaume des morts par leur rêve, mais c'est là un type
d'intention que ne se permet pas un guerrier, parce qu'il dilapide seulement son
énergie Ce qui est très différent par contre, c'est de prendre contact avec des
sorciers qui sont partis. "
- " Pourquoi ? "
- " Parce que pour ceux qui réussirent à se faire un double énergétique, ils
retrouveront leur individualité par leurs techniques. "
- " Comment pouvons-nous entrer en relation avec ce type de conscience ? "
- " Rêvant. Toutefois, il est très difficile qu'un sorcier parmi ceux qui s'en
allèrent, fixe son attention sur ce monde-ci, à moins qu'il n'ait une tâche
spécifique à y accomplir et plus difficile encore qu'un homme ordinaire puisse
supporter ce contact.
" L'interaction avec ces êtres est des plus gratifiante pour les guerriers, mais
peut en terrifier plus d'un, parce qu'un sorcier inorganique n'est pas un
fantôme, mais une source intense d'énergie auto consciente et implacable, capable
d'endommager ceux qui l'approchent sans précautions. Ce type de contact peut
être encore plus dangereux que l'interaction avec un sorcier vivant. "
- " Et en quoi consiste le danger ? "
- " C'est la nature de l'énergie. Si tu crois que les sorciers sont des gens
aimables, tu te trompes, ce sont des naguals !
" Il y a dans notre constitution, un trait de caractère très macabre, qui nous
pousse à user l'environnement à tout prix. C'est là quelque chose de naturel,
nous ne pouvons pas l'éviter. Ce trait se magnifie dès son départ parce que plus
aucune inhibition ne va le contrecarrer. Quand un sorcier devient inorganique,
il régresse à ce qu'il a toujours été : une émanation du prédateur cosmique. "
Je lui demandai si une personne ordinaire a quelque possibilité de survivre à la
mort.
Il me répondit qu'il existe toujours cette possibilité qu'est le chemin du
guerrier.
- " Si tu veux comprendre cela, tache de ne pas le voir comme blanc et noir.
Regarde le bien en termes de mouvements du point d'assemblage. Le défi du
guerrier est de fixer son attention, en luttant pour maintenir la conscience de
son individualité même après son départ.
" Lorsque nous atteignons un certain seuil de perception, nous voyons que la
mort physique est un défi. Ainsi, tout comme il existe deux formes de 'vivre',
il est aussi deux formes de 'mourir' ; soit comme un guerrier impeccable soit
comme un idiot inconscient. Cette différence fait tout. "
- " Voulez-vous dire que ce qui se passe après la mort dépend de notre
préparation ? "
Percevant l'intention de ma question, il me répondit :
- " Oui, mais pas de la façon que tu désires l'interpréter L'idée que être bon
ou d'obéir à certains ordres facilitera les choses est une tromperie qui nous
est inculquée par l'ordre social. L'unique préparation qui vaille la peine est
constituée des rigueurs du chemin du guerrier, qui nous apprend comme économiser
l'énergie et à nous rendre impeccables.
" Car, tout comme il y a deux formes de vivres et de mourir, il existe deux
types de gens : ceux qui se croient immortels et ceux qui sont déjà morts. Les
premiers chérissent des espérances et les derniers, n'en ont pas. Un guerrier
est quelqu'un qui sait que sont temps déjà est terminé, mais qui pourtant
poursuit en luttant, pace que c'est là sa nature. Si tu regardes dans ses yeux,
tu y verras le vide. "
- " Mais alors, en quoi consiste réellement l'alternative du sorcier ? "
- " Il n'y a qu'une seule possibilité pour l'homme pour pouvoir s'éloigner de sa
fin : le maniement de l'énergie. Ce travail consiste à rêver, traquer et
récapituler les trois techniques se fondent pour donner un seul résultat : ce
complément qu'est le corps énergétique.
" Dans un sens général, la durée de notre existence dépend en grande partie du
comment nous traitons notre énergie. Nous laissons la vie, on peut le dire
ainsi, 'embourbée' dans les affaires quotidiennes, nous vivons en épuisant les
choses que nous voyons ou que nous touchons, et pour cela nous mourons. Mais si
nous rappelons à nous toute cette force vitale par le moyen de la
récapitulation, la mort ne pourra plus être la même, parce que nous pourrons
conter sur notre totalité.
" Du point de vue du voyant, un guerrier qui a récapitulé sa vie, ne meurt plus.
Son attention est tellement compacte, qu'elle est devenue une ligne continue et
cohérente, elle ne se disperse plus. Sa récapitulation ne se termine jamais,
elle se poursuit toute l'éternité, c'est le travail du retour sur les pas,
d'aller en même temps que soi-même et d'être complet.
" Ainsi, comme nous avons besoin d'une certaine quantité d'expérience pour
fonctionner en tant qu'individu, le sorcier a besoin de suffisamment de pratique
dans la seconde attention pour être vraiment un sorcier ; sinon, il ne sera pas
préparé lorsque arrivera son heure et qu'il partira vers l'infini en sorcier
incomplet.
" Malgré tout, un guerrier qui s'efforce durant toute sa vie, d'approcher les
paramètres de l'impeccabilité, a une seconde chance. Il peut grouper les
événements de son existence et reprendre l'énergie qu'il y avait dispersée pour
passer dans le monde du nagual. "
Je lui demandai ce que faisait un sorcier dans ce monde.
- " Pour la majorité des gens, mourir c'est entrer dans une dimension aux
aspects insolites pareils à ceux dont nous sommes témoins dans les rêves
ordinaires.
Là-bas, il n'y a pas de séquence linéaire et les concepts de temps, d'espace et
de gravité n'y sont pas d'application. Imagine alors tout ce que peut faire un
guerrier qui a le contrôle de son double de rêve dans une voyage de cette nature
! Comme tu pourras le comprendre, c'est là un exploit de la conscience.
" Un sorcier est quelqu'un qui passe sa vie à s'affiner au travers d'une
discipline ardue. Lorsque vient son heure, il affronte sa mort comme une
nouvelle étape sur le chemin. A la différence de l'homme commun, il ne tente pas
de pallier à sa peur avec de fausses espérances.
" Le guerrier part pour son voyage définitif, plein de jouissance, et sa mort le
salue et lui permet de conserver son individualité comme trophée. Sa sensation
d'être est affinée à un tel degré, qu'il se transforme en énergie pure et
disparaît par le feu du dedans. De cette façon, il réussit à étendre son
individualité à des milliards d'années. "
- " Des milliards d'années ? "
- " Oui, c'est ainsi. Nous sommes les fils de la terre, elle est notre source
ultime. L'option ultime des guerriers est de s'unir à la conscience de la terre
pour tout le temps qu'elle sera vivante. "
Un peu avant de connaître Carlos, influencé par mes lectures orientales, je
m'étais solidarisé avec la doctrine de la réincarnation. Elle me paraissait une
alternative logique à la croyance chrétienne de la résurrection des corps.
Toutefois, lors de l'une de ses causeries, Carlos fit observer que les dogmes du
christianisme et des religions de l'Orient étaient pareillement suspectes parce
qu'elles se basaient sur un dénominateur commun : la peur de la mort.
Son commentaire me rendit perplexe. C'était là une façon de voir complètement
nouvelle un sujet qui m'avait toujours fasciné.
Lorsque je lui demandai son opinion à ce sujet, Carlos essaya de dévier mon
intérêt vers un autre sujet, comme s'il ne valait pas la peine de parler de
celui-là. Ensuite, changeant de tactique, il me dit que toutes mes croyances sur
la survie de la personnalité étaient le résultat des suggestions sociales.
- " On t'a dit que tu avais le temps, que tu aurais une seconde chance…
mensonges que cela !
" Les voyants prétendent que l'être humain est comme une goutte d'eau qui se
détacha de l'océan de la vie et qui a commencé à briller pour son propre compte.
Cette lueur est celle du point d'assemblage de la perception. Mais, le cocon
lumineux une fois dissous, la conscience individuelle se désintègre et se fait
cosmique, comment pourrions-nous faire demi-tour ? Pour les sorciers, chaque vie
est unique, alors comment attendre qu'elle se répète ?
" Tes idées reposent sur la haute opinion que tu as sur ton unité. Mais, comme
tous les autres, tu n'es pas un bloc solide, tues fluide. Ton 'Je' est une somme
de croyances, un souvenir, rien de concret ! "
Je lui demandai alors à quoi on pouvait attribuer le fait que les religions
propagent alors ainsi ce type de doctrine.
Il éclaira mon trouble en me répondant :
- " Il est facile de le comprendre, ce sont des réponses à la peur ancestrale de
l'être humain. Chaque culture génère ses propres propositions explicatives, mais
il n'y a que les voyants qui allèrent au-delà des croyances, corroborant ces
aspects des émanations de l'Aigle par eux-mêmes. "
Il m'expliqua q'existent dans le Cosmos des arborescences énergétiques
auxquelles nous sommes tous adhérents comme le sont les grains d'un chapelet.
Nous sommes cycliques, nous sommes le résultat d'un sceau lumineux et à chaque
fois que naît un nouvel être, il incarna la nature de ce modèle. Mais cette
chaîne qui nous unit n'est pas de nature personnelle, elle n'implique pas de
transfert de mémoire ou de personnalité ou de quoi que ce soit d'autre.
" Pour survivre à la mort, il faut être un sorcier. En satisfaisant l'Aigle avec
une réplique de ce qu'ils ont vécu, les sorciers réussissent à maintenir allumée
la flamme de leur conscience individuelle pour des éternités. Mais c'est là un
exploit. Est-ce que par hasard, la réussite maximale d'un guerrier est d'être un
cadeau ? "
Je lui rapportai que des études récentes avaient démontré que certaines
personnes dans des circonstances spéciales, étaient capables de se souvenir
d'événements d'une vie passée.
Il prétendit qu'il s'agissait là d'une interprétation erronée des faits.
" C'est sûr que quelqu'un qui peut entre en syntonie avec des émanations
déterminées d'expériences de vie qui eurent lieu eu d'autres temps peut sentir
qu'ils a vécu, non pas une mais plusieurs vies. Mais tout cela est juste un
alignement parmi des millions d'autres alignements possibles. "
Ce soir là il vint en claudiquant à la réunion. Nous lui demandâmes ce qui
s'était passé et il nous raconta que, en quittant l'hôtel, un une fraction de
seconde, son gros orteil du pied gauche commença à briller et à brûler d'une
grande chaleur.
" Je dus bouger rapidement, parce que mon point d'assemblage avait commencé un
début d'alignement ! "
Émotionné par son étrange expérience, il entérina en nous parlant de l'exercice
final des sorciers par lequel ils brûlent du dedans et entrent avec ' leurs
chaussures et tout le reste' dans la conscience pure.
Un de ceux qui assistaient à la causerie lui demanda pour quoi, si le passage à
la conscience pure est l'objectif final des sorciers, il avait dû s'efforcer de
retenir à tout prix son je individuel au lieu de profiter de l'aubaine.
Ébauchant le plus acerbe des sourires, Carlos nous raconta que cette demande lui
faisait se souvenir d'un de ses parents, d'origine portugaise qui se consacrait
à embarquer des gens pour le Brésil en leur promettant la Terre Promise. L'homme
gagnait ainsi une petite fortune d'autant plus qu'il faisait de la propagande
sur les bontés du Brésil mais lui-même n'y était jamais allé.
" Et de même, moi, je suis là, en train de vous embarquer et de vous convier au
départ ! "
Après que nous ayons bien ri de son anecdote, Carlos changea l'expression de son
visage. Sur un ton bien plus formel, il nous expliqua que les guerriers ne se
peuvent pas sous l'influence de l'importance personnelle et que les décisions ne
sont plus les leurs.
" Don Juan disait que certains hommes de connaissance, après toute une vie de
lutte impeccable, décident de rester, alors que d'autres se dissolvent comme des
souffles jusqu'à l'infini.
" Ce qui fait que certains guerriers luttent pour retenir leur moi est quelque
chose d'étranger à leur intérêt personnel. Appartenir à une lignée de pouvoir
implique des liens d'une telle nature que notre personnalité s'annule, qu'elle
n'est plus qu'un minuscule détail dans une structure d'énergie que les nouveaux
voyants appellent " La Règle ".
" En ces circonstances, et si on parlait de propriété, il n'existe pas non plus
pour le sorcier, de choix individuel. Au maximum, il ne peut qu'accepter son
destin et s'astreindre aux commandements de la règle : toute autre chose le
mènerait à son extinction. "
7
LES VOYANTS DE L'ANCIEN MEXIQUE
Au départ, l'une de mes inquiétudes était sujette aux sources historiques de ce
que racontait Carlos. Jusqu'à quel point les enseignements de Don Juan
étaient-ils le produit d'une tradition millénaire d'hommes de connaissance et à
quel point avaient-ils été influencés par les formes occidentales de pensée ?
J'avais tenté à diverses occasions de corroborer tout ce que Carlos nous avait
raconté avec ce qu'il restait de l'antiquité préhispanique, mais je dois avouer
que j'en restais souvent frustré. J'étais bien disposé à le questionner en
termes d'anthropologie la plus orthodoxe. Toutefois, il me paraissait impropre
d'aborder un sujet aussi délicat en public et je postposais mes questions de
rencontre en rencontre.
Ce soir-là, je lui rapportai ce qui se passait dans ma tête. Il le prit
affablement et me dit que c'était là un doute qui assaillait quasi tous ses
auditeurs, parce qu'on nous avait décrit les habitants de l'ancien Mexique comme
des peuplades primitives.
Il ajouta que mes soupçons au sujet de ses dires était attendus et que c'était
normal que je ne me représente pas le problème de façon ingénue puisque il
s'agissait à mon endroit de tenter de rencontrer des définitions d'expériences
qui ne tombaient pas dans le cadre de la syntaxe des langues modernes.
" J'ai commis une erreur semblable à celle de mon maître. Pour Don Juan, toute
chose qui ne servait pas l'objectif de l'enseignement était une perte de temps.
Chaque fois que j'essayais de trouver une relation entre ses paroles et ce que
racontaient les livres d'histoire il arrêtait simplement de parler et me
tournait le dos.
" Un jour, je lui demandai le pourquoi de ses réticences à ce sujet et il me
répondit : 'Derrière ton intérêt professionnel se cache un doute professionnel.
Si tu ne t'en défais pas, tu ne comprendras jamais la moelle de ce que je suis
en train de te dire. Je sais quelle est l'origine de l'information que je te
transmets, c'est pourquoi il n'est pas nécessaire de la corroborer.
" Ensuite, il me parla d'une époque dans laquelle les sorciers se déplaçaient à
de grandes distances dans le monde pour échanger des résultats de leur recherche
de l'Esprit avec des collègues de toutes autres latitudes cela n'était pas comme
aujourd'hui, les sorciers se mouvaient en rêve en toute liberté et rien n'était
plus respecté que la condition de voyant.
" Les connaissance qu'ils accumulèrent et que les hommes ne peuvent assigner à
personne en particulier, sont universelles. Mais l'organisation de leurs
principes ajustés sur ce que aujourd'hui on appelle 'nagualisme' ou le ' Sentier
du guerrier' eut définitivement lieu dans l'Ancien Mexique.
" Au départ de leurs premières observations, les anciens voyants parvinrent à la
plus profonde compréhension des vérités universelles qu'aient pu réussir
l'homme.
Le pouvoir de leur attention eut tant de force qu'elle est encore active
aujourd'hui, générant des potentialités qui affectent certains territoires du
Mexique et du Sud des États-Unis, et suscitant des concentrations d'énergie que
l'on rencontre difficilement sous d'autres latitudes.
" Ces sorciers furent en partie aidés par une configuration particulière du
champ lumineux de la terre, dont l'épicentre tourne autour de la Vallée de
Mexico. Ils voient cette particularité comme un entonnoir ou pli de lumière par
où les émanations de l'Univers extérieur s'assemblent avec celles de la planète,
produisant un niveau élevé de conscience.
" Don Juan pensait que cette formation était naturelle et les anciens en
profitèrent au maximum afin d'accroître leur pouvoir. Mais, à l'analyse, j'étais
arrivé à la conclusion contraire : les anciens fixèrent leur attention sur cette
zone du monde, et la planète en tant que totalité répondait à cette intentions,
créant un gigantesque catalyseur d'émanations cosmiques. Quelle que soit la
façon dont nous tentons l'interprétation, le fait est identique : c'est là le
centre, et tout peut y arriver ! "
Tandis que nous contemplions les ruines de ce que fut jadis le plus grand temple
des Aztèques, Carlos me surprit par une déclaration extravagante. Il me dit
qu'en cet endroit, situé en plein cœur de la tribune capitaliste, s'enracinait
le " protecteur de Mexico", lequel pouvait être décrit comme une entité
inorganique de la forme d'un tube de lumière de la hauteur d'un bâtiment de
vingt étages.
Je le regardai, essayant de percevoir s'il me faisait une farce, mais ses yeux
reflétaient bien le plus grand sérieux. A partir de là, la conversation aborda
un thème qui pour moi était digne d'un grand intérêt : l'énigme des cultures
préhispaniques.
Il affirma que, tout comme aujourd'hui, nous emplissons des livres pour
transmettre la connaissance, les sorciers anciens la conservaient dans les
positions du point d'assemblage. Et ils utilisaient des sculptures de pierre, de
bois ou de céramique comme catalyseurs du mouvement relatif à ces points. De
telle sorte que leur savoir adopta la forme d'œuvres d'art magnifiques, car pour
eux la connaissance n'était pas uniquement qu'information, mais avant tout une
vision sublime de la vie.
" Le pouvoir de cette vision nous est aujourd'hui parvenu. Tous les naguals que
j'ai connus furent toltèques, c'est-à-dire, des artistes complets. Ils unirent
le contrôle impeccable de leurs émotions à une sensibilité esthétique élevée que
leur conféraient leurs expériences avec la conscience. Le résultat fut une
capacité exceptionnelle de communiquer des sensations et pour élucider les
expériences dans lesquelles les autres hommes s'enlisent en finissant par
balbutier des incohérences.
" Quelques naguals de ma lignée recoururent aux arts plastiques, d'autres, au
théâtre, la musique ou la danse. Il y en eut quelques uns dont la prédilection
fut les histoires de pouvoir ou contes capables de déclencher les mêmes effets
sur tous les auditeurs, parce qu'ils ne se basent pas sur les arguties de la
raison, mais sur le prodige du fait d'être conscient. Aujourd'hui nous donnons à
ces histoires le nom de mythes, et évidemment nous ne les comprenons pas.
Carlos dit encore que, en prenant comme critère de jugement, l'expression
artistique, l'obsession des sorciers du Mexique ancien pour transmettre la
connaissance à qui les entourait n'avait pas son pareil en un autre lieu de la
terre. Le consensus auquel ils parvenaient avec leurs disciples comporte en
effet, bien des paramètres différents de notre consensus occidental, car pour la
réalité pré hispanique il est des aspects que nous considérerions comme anormaux
étant donné qu'ils donnent à voir avec des champs d'énergie qui ne sont plus
usités.
Il me donna comme exemple de l'un de ces champs, l'importance emphatique du
rêve, un intérêt absorbant issu des préhispaniques dont les restes se perçoivent
encore aujourd'hui dans les tribus les plus isolées du pays.
Il conclut en disant que, par la faute de synchronie entre les émanations
alignées par les anciens et les intérêts modernes, il est quasi impossible de
désocculter la barrière interprétative qui nous sépare de ces cultures. C'est
donc ainsi que, en tant qu'hommes ordinaires, jamais nous ne comprendrons
complètement leurs créations artistiques.
" Fort heureusement, un sorcier compte sur des instruments particuliers parce
qu'il a appris à rendre son assouplir son point d'assemblage. De cette façon il
peut connecter son attention avec le moule de la conscience d'autres époques et
il sait ajuster son intérêt avec l'intérêt des sorciers qui s'en allèrent.
" Don Juan était une expert en cultures préhispaniques. Pour lui, les pierres
antiques n'avaient aucun secret. Parfois il m'emmenait parcourir les salles du
Musée Anthropologique avec l'objectif de me stimuler pour que je parvinsse par
moi-même à vérifier ce consensus particulier. "
Poursuivant, Carlos me raconta l'une de ces visites au cours de laquelle il fut
lui-même témoin des modalités particulières qu'utilisaient les sorciers pour
contempler le passé.
- " Ce matin-là, nous avions discuté de thèmes historiques, moi, tentant de le
convaincre du sérieux de mes théories et lui se moquant ouvertement de moi. Je
me sentais de très mauvaise humeur.juste avant que d'entrer au Musée, il
manipula ma luminosité et me fit changer d'état de conscience ? Sa manœuvre fut
effective, les œuvres d'art prirent vie.Tout était là, l'œuf lumineux, le rêve,
le chemin du guerrier, le mouvement du point d'assemblage… C'était terrible !
" En même temps que je vérifiais l'authenticité de ses enseignements, il me fit
poussa à faire un rapide et complet jugement sur ma position en tant
qu'investigateur. Je compris que, dans une grande mesure, les institutions
académiques m'avaient programmé, no pas pour recouvrir impartialement
l'information, mais pour corroborer une description déterminée du monde,
celle-là même qui m'empêchait de me livrer totalement à la connaissance. Aussi,
quand je devais faire un travail sur le terrain, je n'étais pas plus un
chercheur impartial de la vérité qu'un ambassadeur d'une autre forme de vie.
Cela générait une bagarre inévitable qui, parfois se traduisait en pertes de
confiance et autres suspicions.
" Laissant derrière moi l'expérience au Musée et revenant à ma vision
habituelle, je ne pus plus ni comprendre, ni retrouver mon état antérieur
d'euphorie. Étrangement, cependant, ma vision académique commença à changer.
J'appris à voir les choses telles qu'elles sont, sans voile conceptuel.
Jusqu'alors, j'avais été un investigateur au service d'un système consensuel, à
savoir, la culture occidentale. Très vit, je finis par me sentir de plus en plus
en conformité avec l'idée que, sous la peau de l'anthropologue,il y avait un
homme très ordinaire à qui il incombait de rencontrer son destin. "
Je lui demandai qu'il me donne quelque exemple concret à propos de
l'interprétation par les sorciers des vieux monuments. En réponse, il me confia
:
- " As-tu seulement vu les Atlantes de Tula ? "
Je luis répondis affirmativement et il m'expliqua que ces impressionnantes
figures de l'époque Toltèque étaient une description du clan du nagual. Il
affirmait que les seize prêtres en bas-relief que l'on peut trouver sur les
quatre colonnes derrière les statues représentent le groupe complet des
guerriers, divisé en quatre équipes, une pour chaque point cardinal.
" Ce sont des voyageurs cosmiques et leur mission est de fluer avec l'énergie de
l'infini ? Chacune de leurs fonctions fut symbolisée par les objets qu'ils
emportent avec eux. Ces prêtres sont un clan en plein vol, une image de
l'objectif final du chemin, qui est celui d'atteindre la tierce attention. "
Longtemps encore, il continua en interprétant de son point de vue divers objets
archéologiques. Son récit était tellement graphique qu'il me donnait la
perception de me promener avec lui par les sentiers millénaires d'une cité
préhispanique. Je pouvais distinguer ici les énormes et impénétrables têtes
Olmèques et là encore au bout de la place centrale, la chaleur humaine des
riantes figurines huastèques
Carlos affirmait que la simple contemplation de certaines pièces archéologiques
dans un état de silence mental suffisait pour que l'attention de l'observateur
se projette sur la position de ces artistes antiques. De là le fait que
certaines pièces fonctionnent vraiment comme des pièges de l'attention.
"Beaucoup d'entre elles furent dessinées avec cette intention. Leur finalité
n'était ni ornementale, ni symbolique. Chacune de leurs proportions ou dessins
contient une véritable charge explosive d'états animiques et de flux d'énergie.
Ces pièces sont, pour ainsi dire, de véritables catapultes pour le point
d'assemblage. Jamais, l'investigation professionnelle ne pourra les déshabiller
complètement, parce que ce que leurs créateurs désiraient sans doute le moins
était de les ajuster à des critères raisonnables. Pour nous aligner avec elles,
nous devons tenter de défier le connu et percevoir selon les critères de la
connaissance silencieuse."
Il affirma que par leur intentionnalité, les créations de l'antiquité
préhispanique sont un vrai dépôt de seconde attention, une oasis de pouvoir au
sien de la stérilité sèche que la civilisation actuelle a déléguée à l'homme.
"En m'enjoignant à répandre de par le monde l'héritage du Mexique ancien, Don
Juan a commencé à m'emmener dans un voyage de retour aux racines afin de valider
des aspects jusqu'à aujourd'hui occultes de l'enseignement, et à rendre à
l'homme sa vraie dimension d'être.
"En tant que chercheurs actuels de la connaissance, nous pouvons bénéficier
amplement de l'intention des Anciens Voyants aux fins de poursuivre leur travail
par des rénovations énergiques.
Avec une certaine timidité, je lui demandai si nous pouvions nous donner
rendez-vous dans un Musée ou autre lieu archéologique où il aurait pu me
transmettre pratiquement les Clés des Anciens. Mais il ne prit pas le propos
avec plaisir. Il me répondit d'un ton plutôt énervé :
- "Tout ce que tu veux découvrir sur ton pays, vas-y et découvre-le par
toi-même ! Tu es mexicain et tu es plus à même que quiconque de récupérer le
message Toltèque. C'est là une de tes tâches, ton engagement devant le monde. Si
tu es tellement faible que tu ne peux l'assumer, alors quelqu'un d'autre le fera
à ta place."
LES ANTENNES DE LA SECONDE ATTENTION
Il fut une fois, où alors que nous prenions le café dans un restaurant du
centre, je lui fis un commentaire au sujet du contraste apparent entre le mode
enthousiaste avec lequel il parlait de l'Ancien Mexique, en contraste avec
l'avertissement qu'il faisait dans l'un de ses livres quant au danger qui existe
à visiter les ruines ou encore à collectionner des objets de cette époque. Je
lui rappelai les récits effrayants qu'il avait racontés à propos de ses
compagnons apprentis, qui se virent en plein marasme de par leur propension à
marauder parmi les reliefs archéologiques.
Il me répliqua que mon appréciation était équivoque.
" Ce qui se passe, c'est que je confonds pas la connaissance silencieuse des
nouveaux voyants avec la focalisation culturelle des anciens, parce que ce ne
sont pas les mêmes choses. Les anciens vivaient dans la seconde attention, ils
étaient fascinés par ses détails intrigants et ils tentaient de les reproduire
dans leur vie quotidienne dans les édifices ou les sculptures. De cette façon,
ils extraient de grandes pièces de cette obscure fascination et les déposait à
la portée des masses.
" Mais Don Juan disait que quelle que forme de représentation de la connaissance
est un subterfuge, un moyen de s'empêcher la véritable connaissance silencieuse.
Malgré la prodigieuse quantité d'information qu'ils parvinrent à extraire de
l'autre côté, la propension des anciens finit par leur coûter un prix exorbitant
: leur liberté.
" Par conséquent, l'une des priorités d'un nagual moderne sera d'informer ses
apprentis à ce propos, et ce, au moins pendant les premières étapes du chemin,
afin qu'ils ne se laissent pas attraper par le côté extérieur de la
connaissance.
" Il est, de plus, une raison pour laquelle Don Juan insistait parmi nous pour
que nous ne dépensions pas notre temps à le consacrer à ce qui n'est pas. A
cette époque, la majorité de ses apprentis n'avaient pas encore perdu la forme
humaine, ce qui signifie que nous nous sentions poussés à classifier la
connaissance en la systématisant trop hâtivement. Cela n'était pas valide avec
les antiquités de Mexico, parce que ce qui nous est resté est, par trop,
fragmentaire. Il faudrait encore beaucoup de travail pour conclure et c'est un
travail risqué qui peut se retourner contre l'investigateur. "
- " Pourquoi ? "
- " Comme déjà je te l'ai dit, ces créations ce sont pas innocentes ? Le
problème avec elles est la passion qu'elles éveillent en nous. Les anciens
furent des maîtres de l'obsession. Leurs œuvres étaient remplies de trucs, et,
tout fonctionne encore aujourd'hui avec la même puissance qu'au premier jour,
parce que la fixité de l'attention d'un sorcier ne s'épuise pas dans le temps. "
Il ajouta que la tradition de sagesse de Mexico fut dessinée à propos par des
hommes de pouvoir dans un acte suprême d'altruisme. Ce fut là l'intention de
sauver notre liberté essentielle, mais elle fonctionna peu de temps. Au fur et à
mesure qu'elles furent contaminées par des rituels et des croyances superflues,
leurs créations finirent par se convertir en agents de fixation du point
d'assemblage de cette société.
" Ces œuvres sont d'énormes concentrations d'intention, mais les connaissances
qu'elles conservent ne sont pas pures, mais bien mêlées avec l'importance
personnelle de leurs créateurs et cela ne vaut pas la peine de se focaliser sur
elles par la traque. Plus particulièrement, les pyramides sont de puissants
capteurs d'attention. Elles peuvent rapidement nous conduire à des états de
silence mental, mais peuvent aussi se monter contre nous. Il est un parfois
préférable de s'abstenir de les contempler plutôt que de s'aventurer sans
défense dans les domaines des anciens voyants.
" Tenant en compte ma propension morbide, Don Juan avait été jusqu'à m'interdire
d'aller dans les musées ou sur les sites archéologiques de mon propre chef. Il
disait que ces sites ne sont fiables uniquement qu'en compagnie d'un sorcier. Un
jour, tandis que nos cheminions parmi les ruines de Tula, j'eus une expérience
vraiment désagréable et je compris qu'il avait raison. "
- " Que se passa-t-il donc ? "
- " Quelque chose me secoua d'horreur. Je pus voir que les pyramides exsudaient
d'énormes champs d'énergie ondulante comme une mer sans fond qui enveloppait
complètement les visiteurs. Un événement qui aurait pu satisfaire certains
sorciers, mais pas nous. "
Je lui demandai si ce phénomène étai lié plus particulièrement aux pyramides
mexicaines ou si alors cela se présentait ailleurs sur la terre.
Il me répondit que la fixité du point d'assemblage n'est pas une caractéristique
locale. Elle apparaît partout où existe la conscience. Mais sur la terre, il n'y
a que la société humaine qui convertisse une partie considérable de son énergie
à créer des objets symboliques, non utilitaires, dont la finalité exclusive est
de générer des états d'attention.
" De fait, si ce n'était pour leur caractéristique d'être des accumulateurs
extraordinaires d'énergie, ces monuments n'existeraient pas. Ils sont dans ce
monde, mais ne sont pas d'ici. Ce sont des agents de l'autre côté, des antennes
de la seconde attention. Leur dessein et leur construction furent dirigés
personnellement par des êtres inorganiques à toutes les époques et en toutes les
latitudes.
Pour citer un exemple relatif à son affirmation, il me raconta qu'une fois,
alors qu'il voyageait en Italie, il alla voir une sculpture renommée.
" A peine, l'approchai-je que je fus captivé par sa beauté. J'observai que ceux
qui passaient par là ne pouvaient pas moins que projeter leurs sentiments sur la
statue. Le climat émotionnel était si fort, qu'il ne me fut pas difficile de
percevoir que ces sentiments se projetaient comme des fibres jusqu'à une ombre
qui vibrait derrière la sculpture.
" Apparemment, je ne fus pas le seul qui se rendit compte du phénomène. Là-bas,
un touriste qui se sentait agressé prit une pierre et la lança contre la statue.
Et j'applaudis ! Ces choses sont des centres de fixation de l'Humanité. Ils
conditionnent l'attention, ils l'attachent. "
Je fis remarquer qu'il était pitoyable que les créations les plus magnifiques de
l'homme étaient précisément les véhicules de sa fixation.
Carlos répondit que je prenais les choses à l'envers. Il déclara que le problème
n'était ni dans ces monuments ni en l'intention qui leur donna existence, ni
même dans les entités inorganiques qui l'utilisent comme capteurs, mais bien en
nous-même.
" Ces oeuvres appartiennent à une autre modalité d'attention : elles ont la
faculté de mouvoir le point d'assemblage et cela donne du repos à notre fixité.
Mais il n'y a rien de plus obsessif que la seconde attention et l'alimenter avec
un enthousiasme démesuré peut nous mettre dans un état de soumission énergétique
total.
" Toutefois, cela ne signifie pas que l'on puisse lutter contre ces sites. Il
existe deux façons qui nous permettent de contrecarrer leur charge d'intention :
les laisser de côté ou cultiver notre impeccabilité.
" Un guerrier réussit à sortir intact de toute situation concevable. Lorsque
nous coupons l'attachement qui nous lie avec notre forme humaine, plus rien
d'extérieur ne peut nous affecter. Alors, les monuments de l'Ancien Mexique se
révèlent dans toute leur splendeur et en même temps se positionnent dans leur
vrai lieu : celui de la compréhension silencieuse. "
8
Lors des mois qui suivirent notre première rencontre, mon engagement avec Carlos
se maintenait au fait d'assister à ses conférences et à lire ses livres. Mais il
ne se passa pas très longtemps avant que la magie de ses enseignements ne
commence à m'attirer avec leur force propre.
Cette situation me fit faire face à un dilemme dont je suppose qu'il est monnaie
courante pour tout qui devient apprenti du nagualisme : d'une part je pouvais
analyser les idées étranges sorciers à la lumière des connaissances académiques,
assimilant uniquement celles que je pouvais comprendre et vérifier. De l'autre
côté, il restait toujours la possibilité d'accepter les paroles de Carlos au
pied de la lettre en reléguant mes préjugés jusqu'à ce que moi-même j'aurais eu
mûri un critère appuyé par l'expérience.
Lorsque je lui communiquai ce dilemme, il se réjouit et me dit que les deux
opinions que je me proposais avaient toutes deux un important point commun : la
pratique. Ainsi, peu importait à laquelle des deux propositions j'adhérai du
moment que je sois inflexibles dans mes conclusions.
Je tentai de lui demander quelque explication qui m'aurait servi d'appui pour
conforter dans mon esprit ses postulats, mais il m'interrompit d'un geste :
- " Un guerrier ne s'avance pas vers la connaissance. Il ne s'investit pas par
routine et ne se livre pas au sentiment de ne pas comprendre. Lorsqu'il veut
savoir quelque chose, il l'expérimente. "
Je lui fis remarquer que le mot " expérience " pouvait avoir un contenu très
différent selon celui qui l'énonce. Pour lui, il s'agissait d'une façon
d'envisager la vie ; pour moi de la nécessité de comprendre le phénomène au
niveau intellectuel.
Je pus percevoir que Carlos réprimait un sourire ironique. D'un ton très
aimable, il m'expliqua que le savoir et les exercices des sorciers ne sont pas
difficiles à comprendre et à pratiquer par soi-même. Ce qui leur donne
l'apparence d'être étriqués, c'est le fait qu'ils furent dessinés par une
culture étrangère et pour des personnes qui avaient une autre compréhension du
monde. Il attribua ma méfiance initiale à ma formation rationaliste et non pas à
quelque empêchement énergétique.
Il ajouta que la science moderne n'a pas réussi à pénétrer dans l'enseignement
Toltèque parce qu'elle ne possède pas la méthodologie appropriée et no parce que
les principes du sorcier et du scientifique seraient intrinsèquement
incompatibles.
" Malgré toutes ses bonnes intentions, les investigateurs sont incapables de
mouvoir par eux-mêmes leur point d'assemblage dans ce cas, comment
pourraient-ils comprendre ce que disent les sorciers ?
" Le manque d'énergie est une grave barrière entre l'homme commun et le sorcier,
car, sans le pouvoir nécessaire, la corroboration des phénomènes de la
sorcellerie est impossible. C'est comme si deux personnes tentaient de
communiquer ensemble en des langues étrangères. En général, ce sont les sorciers
qui sont les moins bien lotis dans cet échange.
" Il fut d'autres époques où l'on menaçait les gens de perdre leur âme s'ils
écoutaient le féticheur, aujourd'hui en endoctrine l'homme moderne en lui
faisant croire que cette vision est antiscientifique ? La vérité est tout autre.
La pratique des principes du guerrier, loin d'endommager notre clarté mentale,
nous apporte des outils valides pour manipuler la connaissance. Il en est ainsi
parce que de tels principes, en étant acheminés jusqu'à leur lieu énergétique,
s'appuient jalousement sur deux postulats scientifiques : expérience et
vérification.
" Contrairement à ce que beaucoup pensent, la nécessité de corroborer n'est pas
exclusive de la culture occidentale mais tout autant un impératif de la
tradition Toltèque. Le nagualisme, en tant que système idéologique ne se base
pas sur des dogmes mais sur l'expérience personnelle de générations entières de
pratiquants. Il serait absurde de considérer que toutes ces personnes, pendant
des millénaires, auraient déposé leur confiance en de simples " on-dit ".
" Comme le point de départ est l'expérimentation, on peut dire que le nagualisme
est une forme de croyance, voire une science. "
Cette affirmation me fut quand de même difficile à avaler.
Certains topiques de l'enseignement de Carlos étaient d'une inégalable valeur
pratique ; par exemple, ses constants conseils afin que nous contrôlions
l'importance personnelle, que nous acquérions une vision claire du privilège de
vivre en l'instant présent et adoptions les principes stratégiques du chemin du
guerrier.
Mais, d'autres points de ses causeries allaient bien au-delà de ma faculté de
compréhension. Je ne pouvais simplement pas accepter que, dans un espace
parallèle à ce monde, il existât un Univers de lois qui n'ont rien à voir avec
notre logique quotidienne, peuplée par des entités conscientes que mes sens ne
pouvaient pas voir.
A l'expression de mon visage, Carlos dut remarquer que je n'étais pas
complètement d'accord avec ses mots, parce qu'il rapporta :
- " Pour toi, corroborer, c'est expliquer, alors que pour les sorciers, c'est
être témoin de l'indescriptible sans subterfuges ni trucs mentaux. Tu crois que
ce qu'approchent tes sens est la limite de l'Univers, mais tu n'arrêtes pas de
dire que tes sens sont très mal entraînés.
" Je ne suis pas là pour t'inviter à croire, mais t'inviter à croire, et je
t'assure que voir est une preuve suffisante à tout ce que je dis. Cependant, je
ne peux témoigner de l'essence énergétique du monde à ta place : tu dois y
parvenir par toi-même et trouver dans tes potentialités innées le moyen de les
faire apparaître.
" La différence entre le voyant et le scientifique contemporain c'est que, pour
le premier, ce qui est en jeu c'est sa propre vie, alors que pour le second,
tout ce qu'il peut perdre si quelque chose ne tourne pas rond dans ses
investigations, c'est son temps. Les méthodes des deux sont différentes, mais
tout identiquement rigoureuses.
" Un sorcier ne peut être satisfait à moins que de vérifier les histoires qu'on
lui a racontées. Tout comme il existe des niveaux dans l'instruction
scientifique, l'apprenti en sorcellerie découvre au fur et à mesure qu'il y a
certaines étapes définitives dans l'accroissement de sa perception et il ne se
lasse point de les approcher jusqu'à périr dans sa tentative. C'est pourquoi,
comme méthode d'investigation le nagualisme est complètement fiable.
" Mon instructeur me démontra que la marque des nouveaux voyants est leur
capacité de synthèse. Ce sont des sorciers abstraits- Carlos emphatisa ses mots
en accentuant chacune des syllabes. De fait, leur concentration est plus
rigoureuse que la concentration scientifique, parce que les voyants s'engagent
dans une entreprise colossale que l'homme de science n'essaye même pas d'énoncer
: la vérification de notre interprétation de la réalité du consensus dans lequel
nous vivons. Sur cette base, tu peux comprendre que la sorcellerie est le
meilleur allié de la pensée formelle.
" Un jour prochain, on pourra rompre le gel et la science découvrira qu'elle
partage une grande vocation avec le nagualisme : la passion pour la vérité.
Alors, les deux modes de recherche se donneront la main et cesseront d'être des
focalisations antagoniques pour se transformer en une même intention à pénétrer
le mystère. "
Alors que nous nous disions au revoir, je fis remarquer à Carlos que ses paroles
étaient à l'extrême de ce que pense la majorité des gens ordinaires au sujet de
la sorcellerie.
Il haussa les épaules comme s'il disait :
" Mais de cela, qu'est-ce qu'on s'en fout !"
Après un certain temps de pratiques, les enseignements de Carlos finirent par
laisser sur moi leur empreinte. Ce qui au début semblait être une suspicion,se
transforma rapidement en une vérification stupéfiante des états de conscience
qui étaient en dehors de mes paramètres mentaux. Soudain, je me cis possédé par
l'urgente nécessité de comprendre, non avec la raison, mais avec la totalité de
mon corps. Je parvins à un point où les ciments de ma quotidienneté finirent pas
se démonter, il me fut évident que la perception des sorciers englobe des mondes
d'expériences de ces choses dont jusqu'alors je n'aurais pas eu la moindre idée.
Durant tout ce processus, je traversai une profonde crise d'identité, en
laquelle je me comportai souvent comme un chercheur excité et sans a priori, et
d'autres fois comme un sommet de résistance mentale. Je pus me rendre compte que
ces vagues émotionnelles étaient à mettre sur le compte des conversations avec
Carlos. Après l'avoir écouté, je passais des semaines dans une activité fébrile,
essayant de rêver et pratiquant toutes les techniques que j'avais lues ou
auxquelles j'avais prêté l'oreille. Mais petit à petit, mon enthousiasme initial
allait en retombant et je revenais au sentiment incommode de n'avoir encore rien
compris.
Face au chaos des sensations nouvelles qui me saturaient, je découvris qu'il ne
me restait qu'un bastion : la raison. Plus que jamais, je tentai de me
convaincre moi-même de ce que, en ultime instance, seul, un enseignement qui
peut s'expliquer peut-être valide. Malgré toutes les préventions de Carlos à
l'encontre des trompeurs que peuvent être le propos raisonnables, j'étais prête,
mais tout seul, à transiger ce point si je pouvais être témoin de quelque fait
de poids qui, vraiment aurait défié les lois naturelles.
Ce matin-là, nous avions rendez-vous dans un restaurant en face de l'hôtel ou il
était descendu. Nous étions pratiquement seuls dans ce local, mis à part un
cireur de chaussures qui dormait dans un coin et le barman qui nous regardait
d'un air las. Considérant qu'il s'agissait là du moment adéquat, je lui demandai
:
- " Peux-tu me prouver ton enseignement par un acte de pouvoir ? "
Il me regarda avec étonnement, comme si il aurait pu s'attendre à tout sauf à
cela, et il prit quelques secondes avant que de répondre :
- " Malheureusement, je ne peux rien essayer d'expliquer à ton mental. Il est
trop complet.
" Pour avaliser le nagual, il faut posséder de l'énergie libre, et pour cela,
l'unique recours que je connaisse est l'impeccabilité. Dans le monde de
l'énergie, tout a son prix, ainsi que cela dépend de toi. Je ne peux pas faire
taire ton mental, mais toi, si tu peux le faire, tu vérifieras ce que je te dis
par toi-même. "
Je lui demandai ce que je pouvais faire aces les doutes qui inévitablement
surgissaient en mon intérieur.
Il me répondit :
- " L'incertitude est l'état naturel des victimes ; au change, la confiance et
l'audace sont propres aux prédateurs. C'est toi qui décides.
" Le principal est que tu te rends compte de ce qu'il n'existe pas quelque chose
comme les enseignements de Castañeda. Je tente seulement d'être direct et d'agir
au départ de mon silence- un parcours que je te recommande, par ce qu'il met fin
à la folie. Je ne suis pas un nagual puissant comme Don Juan et je suis encore
moins ton benefactor. Mais voilà, j'ai été témoin d'actes qui te laisseraient
muet de surprise, et je ne vois aucun inconvénient à te les raconter. Mais ces
histoires en vont rien te dire à moins que tu ne baisses la garde et que tu
permettes qu'elles pénètrent en toi.
" Si tu veux vérifier les histoires de pouvoir, tu dois t'ouvrir à l'expérience.
Ne campe pas dans tes interprétations, parce que, parce que, malgré toutes nos
études en tant qu'hommes ordinaires et courants, nous ne savons en réalité que
peu de choses sur le monde.
" Toi, comme n'importe lequel des apprentis, tu as un champ énorme où
t'entraîner. Par exemple, tu as tes haut et bas émotionnels, tes drainages
énergétiques. Travaille là-dessus et tu verras comme les choses peuvent changer.
Là, tu passes huit heures chaque nuit comme une plante sans te rendre compte de
rien. Explore cela, prend le contrôle et essaye de chercher. Si tu élucides les
secrets de ton sommeil, tu finiras pas voir ce que je vois et il n'y aura plus
de doutes dans ton esprit. "
Nous nous tûmes un instant, mais Carlos rompit le silence.
- " Souviens toi que les doutes sont le son de nos trucs mentaux. Rien de bien
profond.
Je lui rétorquai que quand même, pour le peu que j'avais vécu et appris dans la
vie, je savais que le doute était la base de tout vrai raisonnement.
Mais, lui, avait une théorie très différente qu'il argumenta ainsi :
- " Nous passons tellement de temps à accumuler des porcheries, que cela nous
est très difficile d'accepter quelque chose de neuf. Nous sommes disposés à
perdre des années de vie en remplissant des formulaires ou en discutant avec des
amis, mais si on nous dit que le monde est unique et qu'il est plein de magie,
nous nous sentions méfiants et nous courrons nous réfugier dans notre catalogue
d'idées préconçues.
" Un animal de guet, par contre, luttera toute sa vie pour perfectionner ses
techniques de chasse, maintiendra en permanence prêt son sentiment d'opportunité
et ne se laissera pas étourdir par les apparences des choses. Il est prudent et
patient. Il sait que sa victime peut surgir de quelque fourré et que la moindre
défaillance peut faire la différence entre rester vivant ou périr. Il n'y là
aucun doute possible.
" Un guerrier ou un chasseur, n'est pas un cynique opportuniste. Ou il accepte
pleinement le défi de la connaissance avec tous ce que cela peut entraîner, ou
ses propres succès le conduiront à faire demi-tour jusqu'à une condition plus
horrible que celle de l'homme ordinaire. "
Je sentis dans ses paroles un reproche à peine voilé. J'essayai de me justifier
mais il m'interrompit.
- " C'est vrai que tu t'es mis à la pratique En de telles circonstances, ton
esprit s'inquiète. Mais le côté douloureux de ton inquiétude disparaître lorsque
tu reconnaîtras que ce qui te préoccupe est un doute implanté.
" Comme tout le monde, tu as été entraîné pour passer toute l'information que tu
reçois par le filtre de la raison. Tu me rappelles un chien qui vivait dans un
hospice de vieillards. Quand quelqu'un par compassion lui tendait une miette, il
était tant ému qu'il ne pouvait pas en profiter avec tranquillité. C'est comme
cela pour toi. Tu es tant imbu de science, tu penses que tu lui dois quelque
chose, que tu ne peux pas lui être infidèle. Voilà déjà que tu n'essayes plus de
rêver et tu ne peux plus jouir du côté magique du monde.
" Tu t'es fixé un paramètre trop trompeur pour tes vérifications et qui est la
raison. Ce que je te propose c'est que tu substitues ce critère par un autre,
plus fiable et par dessus tout beaucoup plus large. La sagesse. Je t'ai déjà dit
que les sorciers entrevoient une grande différence entre les deux concepts. Pour
que tu le comprennes mieux, pense, par exemple à l'histoire du monde qui fut
écrite en partie par des personnes très sages qui, sans aucun doute, allèrent à
l'encontre du sens ordinaire et qui étaient à l'opposé de ce qui en ce moment là
paraissait raisonnable.
" Si tu vas au-delà de notre monde, tu verras que c'est pareil. L'Univers n'est
pas raisonnable, mais peut s'affronter avec énergie et sagesse. Quand tu
apprends à les utiliser, alors tu y pourvois, sur un mode de base, sans paroles.
Qui a besoin de paroles lorsqu'il s'agit d'être témoin ?
" je suis d'accord avec toi dans ce que, d'un point de vue quotidien, les
concepts de la sorcellerie sont un terrifiant non-sens. Mais il y a une
dimension profonde dans notre conscience où ne nous conduisent pas les appeaux
du mental et un guerrier ne se lasse d'aller à sa rencontre. Une fois là-bas, il
découvre que la propre raison, lorsqu'elle est exercée avec une rigueur
inflexible et dans sa totalité, conduit automatiquement à la sorcellerie, parce
que son essence est la sobriété, le détachement , la non compassion.
"Une fois qu'il est maître de la raison et ne se laissant pas manipuler par
elle, le sorcier peut essayer le prodige du parler, mettant en paroles
l'insondable énigme de l'existence. Mais c'est un art si difficile qu'on ne put
l'aborder que sous le couvert d'un grand excédent d'énergie.
" Etre un guerrier est une lutte interminable pour être impeccable. Le truc des
sorciers est qu'ils savent que toute l'énergie que nous misons sur notre
esclavage est aussi celle qui peut nous libérer. Nous devons seulement la
recanaliser et alors les histoires de pouvoir finiront pas se matérialiser sous
nos yeux.
" Ne vas pas pour autan lutter contre ton incertitude, vois avec elle,
utilise-là comme un stimulus pour vérifier et mets-la au service de tes intérêts
énergétiques. Vérifie tout, ne laisse pas une seule histoire de pouvoir ne
rester qu'un mythe. Jette toi intimement dans la connaissance mais
compromets-toi en guerrier, pas comme un esclave de la raison ! "
Il me désigna une fille qui passait dans la rue portant un enfant de neuf mois à
son épaule. Le visage de l'enfant était empreint d'une curiosité insatiable, qui
jaillissait en bulles de ses yeux noirs et ronds comme des petits miroirs
d'obsidienne, avides de regarder de tous les côtés.
Carlos continua :
- " L'engagement d'un guerrier avec l'Esprit consiste en un retour à notre
nature originelle. C'est un pacte que tous nous scellons par le simple fait
d'être nés.
" L'impulsion d'en être le témoin naît avec l'homme mais il est brutalement
mutilé dès les premières années, comme tu finiras par le découvrir ? Il faut que
tu nettoies ton intérêt de tout préjugé et que tu reviennes à la curiosité pure
de cet enfant. Un guerrier est obligé de vérifier toute la connaissance qui
arrive à sa porte, à en faire l'expérience dès le début, peu importe d'où elle
provient. Et ensuite, il doit avoir le discernement nécessaire pour sélectionner
et récolter ce qui est utile. "
- " Dois-je aussi appliquer ce sentiment de discernement au chemin que tu
prêches ? "
Il parut être peiné par ma demande, il me répliqua catégoriquement :
- " Je t'ai déjà dit qu'il n'y a pas u chemin de Castaneda, tout comme il n'y en
a pas un de Bouddha ou de Jésus-Christ ! N'as-tu pas encore compris qu'il n'est
pas besoin de maîtres ? Je ne suis pas là à te vendre une marchandise, cela ne
m'intéresse pas que tu sois d'accord avec moi. Je suis juste en train de te
montrer la direction, par la plus grande affection impersonnelle. Va et vérifie,
si c'est cela que tu cherches et sinon, reste dans le doute. "
Au moment de nous dire au revoir, Carlos me conseilla de ne pas trop prêter
attention à mes inquiétudes.
- " Elles sont symptomatiques. Quelque chose en toi est en train de céder et
c'est normal que ta forme humaine se défende. Très vite, le lien avec le nagual
va te secouer et tu auras alors besoin plus que jamais de sagesse. Qui sait les
regrets que tu auras de m'avoir demandé un signe ! "
Cela me coûte énormément d'écrire sur un concept aussi personnel que la
"vérification des postulats des sorciers", parce que parvenir à être d'accord
avec eux n'est pas du même ordre que de fournir des explications cohérentes, que
du contraire c'est s'investir dans des engagements pratiques minimums, pour
aller en construisant une nouvelle forme de consensus à partir de là. Les
éléments de ce nouveau langage, vrai dialogue entre sorciers, ne se cimente pas
dans nos raisonnements, mais dans nos bénéfices énergétiques.
Selon ce que m'expliqua Carlos, la validation d'un topique aussi irrationnel que
" le mouvement du point d'assemblage " ne peut se faire qu'au travers de
prémisses de pouvoir. Etant donné que toute intention d'explication n'est
seulement que la fixation de notre point d'assemblage en un lieu spécifique,
alors il n'est donc pas possible de corroborer ce mouvement qu'en déplaçant le
point et à observer ce qui se passe.
Confronté a la logique brumeuse de son argument, je lui demandai :
- " Cela signifie-t-il qu'il n'est pas possible de vérifier les affirmations des
sorciers depuis l'extérieur ? "
- " Que du contraire-me répondit-il-les effets du Pouvoir en peuvent être vécus
que de l'extérieur, parce qu'une fois que l'attention flue, nous cessons d'être
un " je " rigide et isolé et nous fusionnons avec la totalité qui nous entoure.
Pour cela, nous disons que le mystère du monde n'est pas au dedans mais au
dehors. Ou dit autrement, la solution n'est pas mentale, elle est pratique ! "
Je lui demandai ce qu'avait de pratique un topique aussi vague que le mouvement
du point d'assemblage.
Il me répliqua que ce mouvement était vague pour moi, parce que je n'avais pas
un contrôle sur mes états de conscience. Il me donna comme exemple
l'apprentissage de la lecture et de l'écriture et qui peut paraître sans
importance pour un sauvage, mais qui en arrive à se convertir en une nécessité
vitale pour l'homme civilisé. Il soutenait que cet exemple donnait seulement une
pâle image de l'urgence que vient à être le contrôle du point d'assemblage pour
le sorcier.
Je voulus savoir comment il était possible qu'un sujet de cette importance
passa^t aussi inaperçu dans la vie de l'immense majorité des gens.
Il me répondit que le mouvement du point d'assemblage est si naturel et en même
temps si sophistiqué comme peuvent l'être parler ou penser. Si jamais on ne nous
enseigne comment le faire, jamais nous n'y parviendrons. Il m'assura que la clé
pour atteindre ou se perdre dans les réussites extraordinaires s'enracine dans
le consensus.
" Pour vérifier les faits, d'abord il faut être d'accord avec leur
significations. Le mal est que pour la majorité des gens, être concordance
signifie être rigide, ne pas quitter la définition officielle. Il faut avoir
énormément l'envie de savoir pour explorer d'autres zones de consensus.
" Les sorciers ont expérimenté qu'il y a deux façons d'être en concordance. Le
premier est le consensus collectif ; il part de la raison et peut t'emmener très
loin, mais inévitablement finira par te précipiter dans un paradoxe. Le second
est le consensus induit par le mouvement du point d'assemblage et peut seulement
être corroboré par ceux qui partagent des circonstances similaires.
" Un consensus basé sur l'expérience individuelle a l'avantage sur celui
reposant sur des explications, par ce que le vécu des sensations est complet en
soi-même ; par contre, la raison seule, fonctionne par le biais de
comparaisons-positives et négatives, vraies, fausses etc…
" Le premier effet de pénétrer dans le consensus des sorciers est que ces
dualités que nous avons toujours acceptées comme quelque chose d'évident cessent
d'être opératives, ce qui bien sûr est fortement déconcertant pour la raison.
Avec le temps, les sorciers apprennent que, dans un monde dans lequel il n'y a
pas d'objets solides mais bien des êtres qui fluent entre divers états de
conscience, il n'est pas nécessaire de faire la séparation entre la vérité et le
mensonge.
" Don Juan disait que la vérité est comme la pierre angulaire d'un édifice,un
homme sensé ne devrait pas s'employer à la bouger ! Quand nous nous livrons à
des définitions, il s'agit d'une imposition d'un mental étranger et il faut en
terminer avec lui. Don Juan parlait de la substitution du consensus de la raison
par celui de l'expérience en ces termes : croire sans croire. Pour les sorciers,
cela redéfinit complètement le concept de la corroboration.
" Ils ne cherchent pas des définitions, mais des résultats. Si une pratique
réussit à élever notre niveau de conscience, peu importe comment nous pouvons
l'expliquer ! les moyens qui nous conduisent à agir pour économiser et accroître
notre énergie n'ont aucune importance, parce que une fois en possession de notre
totalité, nous entrerons dans un nouveau champ d'attention où ne nous importent
plus les concepts et où les choses s'y démontrent par elles-mêmes.
" Peut-être considères-tu que ces affirmations sont une autorisation pour
l'irresponsabilité. Mais un guerrier comprend le véritable message : la réalité
est un faire, et un faire s'évalue à ses fruits.
" Tout qui jugera un sorcier au départ du point de vue quotidien, rapportera
qu'il est un menteur inconsidéré, parce que les deux mondes ne sont pas en
accord. Et si le sorcier tente d'expliquer l'inexplicable avec des mots
empruntés, il s'enliser inévitablement dans des contradictions et paraîtra soit
plaisantin soit dément. C'est pour cela que j'ai dit, que du point de vue de la
quotidienneté, le monde du nagual est une fraude.
" En réalité, tous les 'ismes' sont identiques et le nagualisme n'en est pas
l'exception. Mais à la différence des défenseurs de la raison, intéressés à
rencontrer des suiveurs dans la forme de leur consensus, le sorcier ne te dit
pas que sa vision du monde est la vraie : il te dit : 'Je crois parce que je
crois, et toi aussi tu peux le faire' Ce geste de volonté est en soi quelque
chose de très puissant et provoque, comme une avalanche, des événements de
pouvoir.
" Si tu y réfléchis sérieusement tu finiras par conclure que les enfants ne
croient pas en la magie du monde par ingénuité. Ils croient parce qu'ils sont
complets et qu'ils voient ! C'est pareil pour les sorciers. Les histoires
fabuleuses que l'on t'a racontées n'appartiennent pas au plan de la réalité dans
lequel toi et moi nous sommes en train de converser juste à ce moment, mais
pourtant elles eurent lieu !
" Le nagualisme est comme quelqu'un qui hérite d'une histoire et d'une carte
pour un trésor, mais n'y croit pas que l'on soit ainsi venu te transmettre un
secret. Mais tu est soit tellement prêt ou tellement ingénu que tu prends
l'histoire pour certaine et tu t'appliques à déchiffrer la carte. Tu t'aperçois
que la carte est codifiée par diverses clés, ce qui t'amène à apprendre diverses
langues à explorer des lieux difficiles, à remuer la terre,à escalader des
montagnes, à descendre dans des ravines ou à plonger dans des eaux profondes.
" Finalement, après des années de recherche, tu parviens à l'endroit où tu
aurais dû trouver le trésor et oh, la déception ! tu ne rencontres qu'un miroir.
Etait-ce donc un mensonge ? Bon, tu te vois, sain, fort, cultivé, plein
d'aventures et riche d'une grande expérience. En vérité, ton trésor, tu l'as
acquis !
" En tenant compte qu'il n'y a ni vérités, ni mensonges pour le flux de
l'énergie, un guerrier choisit de croire par prédilection, pour l'émotion de
l'aventure et ainsi il apprend à focaliser le monde au départ d'un autre point
de vue : celui du silence. C'est alors que se révèle l'immense trésor de
l'enseignement. "
9
UNE NOUVELLE ÉTAPE DE LA CONNAISSANCE
Après qu'il eut terminé la présentation de son nouveau livre, nous sortîmes
marcher quelque peu le long de l'Avenue des Insurgés. C'était une nuit un peu
froide et étonnement clair. L'air était limpide.
Alors que nous nous promenions, Carlos me raconta que ce qu'il ne pouvait
supporter dans ce type d'activités était la quantité d'adulateurs qui s'y
retrouvaient et le fait qu'ils l'obligeaient à trinquer au champagne. Sa
technique était de se promener avec une coupe pleine pendant tout l'événement,
sans en boire une goutte, de cette façon, ils cessèrent de l'inviter.
Il affirma que sa carrière littéraire commença par un défi. En une occasion, Don
Juan lui proposa et ce , afin d'utiliser les montagnes de notes qu'il avait
accumulées, d'écrire un livre. Au début, il considéra que c'était une blague, vu
qu'il n'était pas écrivain. Toutefois, Don Juan le lui ordonna comme un exercice
de sorcellerie.
A partir de là, il commença à prendre goût à son travail et comprit finalement
que les livres étaient pour lui une avenue à sa vraie mission en tant que nagual.
Je lui demandai s'il ne craignait pas que la divulgation de l'enseignement au
sein de tout public ne finirait pas par le compromettre.
- " Non, répondit-il- ce qui dégénère le savoir, c'est son hermétisme, par
contre, le mettre à la disposition des gens le renouvelle. Il n'est rien de plus
sain pour l'énergie que fluer, couler, et cela appartient, en première instance,
à la connaissance des sorciers. Nous sommes des récipients temporaires de
pouvoir, nous n'avons pas le droit de le retenir. De plus, ce savoir a un sens
pour ceux qui le pratiquent et qui obtiennent l'énergie nécessaire pour le
corroborer. Le reste n'a pas d'importance.
" Je fis mon entrée dans le monde du nagual au moment exact où il se fit une
rupture ? Cela m'obligea à affronter la décision la plus dramatique de ma vie :
publier les enseignements. L'entre-deux de la situation me fut difficile et
pendant des années, je vécus avec le trauma de ne pas comprendre ce que j'étais
en train de faire. Il y eut même des personnes qui m'écrivirent des lettres
menaçantes au nom de la tradition ; les sorciers de la vieille garde ne
désiraient pas perdre leurs prérogatives. "
Je lui fis remarquer combien il était extraordinaire de sa part d'avoir rompu de
façon frontale avec la tradition millénaire de l'hermétisme.
- " Je n'ai rien rompu ! - répliqua-t-il- L'ordre de l'Esprit fut clair et je ne
fis pas autre chose que de le suivre.
" Au début de mon apprentissage je fus préparé à prendre les risques de la
lignée. Un jour cependant, tout changea. Les guerriers du clan virent que ma
structure énergétique était distincte de celle du nagual Juan Matus, et ils
interprétèrent le fait comme un ordre sans appel. Comme le dicte la règle, ils
mirent en mes mains la lourde responsabilité de terminer la lignée.
" Durant des siècles, les clans de guerriers avaient agi comme une éponge,
absorbant l'expérience pour corroborer les principes sophistiqués du chemin de
la connaissance. L'unique issue qui me restait, fut de livrer cette connaissance
au monde.
" Le cycle de mes livres est un commencement, une humble intention de mettre à
la disposition de l'homme moderne des fragments de connaissance qui durant des
générations se maintinrent occultes. Le moment des corroborations viendra après
et à ce cycle s'ensuivront d'autres cycles, parce que, une fois que
l'enseignement des sorciers est dans les mains du public, il sera inévitable que
certains commencent à se questionner et à expérimenter la perception découvrant
ainsi tout le potentiel duquel nous sommes capables. "
Je lui demandai quelle avait été la réaction de Don Juan et de ses compagnons
quand ils surent que les secrets du groupe avaient été révélés.
A quoi il répondit ainsi :
" J'ai un jour raconté, comment, en une occasion, près avoir porté une copie de
mes livres à Don Juan, il me l'avait retournée avec un commentaire dédaigneux.
Ce n'est que la moitié de la vérité. Le fait est qu'il en était l'auteur, de ces
textes. Non pas qu'il les avait écrits lettre après lettre -se pressait-il à
dire- mais qu'il y jouait son joker e il supervisa chacune de mes affirmations.
Avec le temps, je découvris que la stratégie de Don Juan avait été soigneusement
calculée.
" Le plan du nagual est d'une hardiesse suprême et d'une simplicité géniale. Il
introduisait publiquement les connaissances des voyants, non pas pour les grâces
académiques, mais pour l'élévation du niveau de conscience de la masse ; et il
l'introduisit à travers même les propres institutions qui auraient pu le lui
refuser autrement. Il savait qu'exposer ses enseignements en un format mystique
ou religieux ne serait pas aussi bien reçue qu'une présentation avalisée par la
science. C'est pour cela qu'il exigea que mon premier livre soit une thèse
post-doctorale.
" L'opération du nagual Juan Matus inaugure une nouvelle étape dans la
transmission du savoir, une étape sans précédent. Jamais auparavant, les secrets
du mouvement du point d'assemblage n'avaient à ce point été à la disposition du
public ! "
LE RENDEZ-VOUS EST AVEC LE RÊVE
Lorsque je lui racontais que j'avais fréquenté certains groupes de tradition
mexicaine à la recherche des clés de la connaissance antique, Carlos le prit
pour une blague et se mit à rire. Observant ma réaction déconcertée, il me
demanda de ne pas interpréter son rire d'une façon trop personnelle. En fait,
par mes propos, il se souvenait lui rappelaient son propre passé, lorsqu'il
était arrivé à Mexico en étudiant d'anthropologie en quête d'informations.
Il m'expliqua que, selon, les enseignements de Don Juan et par ce qu'il l'avait
lui-même pu vérifier, il est deux types de tradition : formelle et énergétique.
L'une n'a rien à voir avec l'autre.
- " La tradition formelle s'appuie sur le secret et la conservation de routines,
elle transmet des allégories et produit des pasteurs de troupeaux. La tradition
énergétique manipule des réalisations concrètes, comme voir ou le mouvement du
point d'assemblage ; sa force est le renouvellement et l'expérimentation et elle
produit des guerriers impeccables.
" Un guerrier se dédie à sa tâche et ne gaspille pas son énergie à tout vent.
Les coutumes sociales ne l'accaparent pas, peu importe qu'elles soient
contemporaines ou qu'elles aient des millénaires de tradition. De plus, le
secret ne fait pas partie de ses intérêts de traqueur.
Je lui répliquai que, selon mon avis, l'existence d'une connaissance ancestrale
en diverses traditions de la terre se justifie par le fait que les techniques
consacrées au travail de la conscience ne peuvent pas se divulguer par
l'intermédiaire de livres, mais de bouche à oreille. L'interaction avec un
maître de sagesse doit être personnelle.
Il commenta :
- " Tu as lu cela quelque part ? Non ? "
Tous deux nous nous-mêmes à rire.
Il me dit que la connaissance vraiment utile est très simple et n'a pas besoin
de beaucoup de mots pour être racontée.
" Il n'est pas nécessaire d'en faire un chahut et eu importe comment elle se
transmet. Si c'est selon une forme orale, pourquoi pas mais tout autre moyen est
tout aussi valable. L'important est de se convaincre soi-même de ce qu'il n'y a
pas de temps pour les sottises, parce que la mort est à nos talons. Hors de
cette vérité, un guerrier n'a pas besoin de grand-chose d'autre, car le
sentiment de l'urgence l'incitera à économiser son énergie et l'énergie
accumulée lui permettra de découvrir sa totalité. "
Je lui dis alors que selon ce que j'en avais lu, la divulgation de la
connaissance secrète est une activité propre des sorciers 'noirs' ; alors que
les ' blancs' transmettent ce qu'ils savent avec mesure, parce qu'ils sont
conscients que le savoir entraîne un certain danger pour ceux qui ne sont pas
préparés à le recevoir.
Carlos secoua la tête avec dénégation.
- " Mais que se passe-t-il donc avec toi ?- me demanda-t-il ! Ce qui nous
détruit, c'est l'ignorance et non le savoir ! Il n'est rien dans les profondeurs
de la connaissance qui pourrait porter préjudice aux authentiques intérêts de
l'homme !
" Tu pars d'une idée erronée, mais très ordinaire : qu'il y a deux types de
connaissance, celle de 'l'extérieur' et celle de 'l'intérieur'. Par contre, les
voyants prétendent que la connaissance est une, et que ce qui ne te conduit pas
directement à la liberté ne vaut pas la peine. Pour eux, c'est tout le contraire
de tout ce que tu racontes : le fétichisme obscure des anciens était associé à
des secrets tandis que la transparence est typique des nouveaux voyants. "
- " Alors Carlos, nierais-tu l'existence d'un certain savoir initiatique au sein
de la tradition mexicaine ? "
Au lieu de me répondre, Carlos exigea que je lui définisse le terme initié. Cela
me mit en difficulté car, en réalité, je n'avais pas une idée très claire de
cette notion. En faisant un effort, je lui expliquai que les initiés sont des
personnes qui, grâce à leurs méritent, se sont vues les dépositaires d'un
certain savoir traditionnel que ne possède pas le reste de leurs semblables.
Alors pendant que je parlais, Carlos acquiesçait avec gravité. Quand j'eus
terminé, il commenta ainsi :
- " Cette définition est un portrait de l'importance que tu te concèdes à
toi-même. "
Il affirma que classifier les êtres humains par ce qu'ils savent est l'une des
plus grandes clauses de l'inventaire collectif, c'est comme faire une
distinction entre les fourmis d'une colonne parce que certaines sont plus
foncées que les autres.
" Le plus marrant est que, en fait, les humains, nous les divisons en deux
groupes : ceux qui dissipent leur énergie et ceux qui la conservent. C'est
derniers seront appelés, aux choix : sorciers, Toltèques, initiés. Cela n'a pas
d'importance, qu'ils aient un maître ou non. Leur réalité lumineuse est telle
qu'ils sont à un pas de la liberté. Ce que personne ne peux leur apprendre, les
guerriers l'obtiennent d'eux-mêmes en écoutant les commandements silencieux de
l'esprit.
" S'ouvrir au Pouvoir est un processus naturel. Nul homme ne peut dire à un
autre : 'C'est bien, tu es ouvert !' à moins que ce soit un farceur. Il existe
encore moins un raccourci qui nous mènerait automatiquement à la liberté. Les
secrets initiatiques sont les symboles de l'arrogance des anciens, des clés sans
porte qui ne conduisent nul part. Perd ta vie en les poursuivants et à la fin,
lorsque tu les auras, tu découvriras leur nullité.
" Tu crois que ce qui différencie la connaissance ce situe dans le mode selon
lequel elle se transmet. N'as-tu pas enfin pensé que les deux voies sont une
même chose, parce que toutes deux appartiennent à notre consensus quotidien.
Quelle importance y a-t-il donc dans la manière de recevoir l'information ? Ce
qui importe, c'est qu'elle te convainque pour que tu agisses !
" La méthode des sorciers est l'épargne systématique de l'énergie. Ils affirment
que comme ce qui les différencie des hommes n'est pas ce qu'ils savent mais bien
plutôt combien d'énergie ils possèdent, la vraie forme de transmission du
savoir, réside dans des états de conscience accrue. Le rendez-vous des sorciers
n'est pas avec un livre ou une cérémonie, mais bien avec le rêve. Lorsqu'un
guerrier apprend à capter l'expérience au travers de ses rêves, peu importe sous
quel équipage se présentera l'enseignement puisque sa perception est pure et
qu'il peut la corroborer par son voir. "
LA MASSIFICATION DE L'ENSEIGNEMENT
En d'autres conversations il me raconta que, malgré le fait que par beaucoup
d'aspects ils étaient antithétiques, il est quelque chose que les anciens et les
nouveaux voyants n'ont pas remis en cause : la nécessité d'occulter la
connaissance. Ils convertirent la langue Toltèque en une jungle de métaphores,
où n'importe quoi pouvait être dit avec quasi n'importe quelle combinaison de
mots. Et ce furent eux qui, de même, se plongèrent les sociétés préhispaniques
sous une charge insupportable de rituels, de procédures et de mots de passe.
Tout cela, au lieu de renforcer la sorcellerie, l'affaiblit.
- " L'héritage du secret pèse encore sur les groupements de connaissance, bien
que j'aie essayé de la secouer. "
Je lui demandai à quoi se devait cet intérêt des sorciers à cacher
l'enseignement.
Il me répondit que chaque cycle de voyants a ses propres raisons à cela.
- " Les anciens partirent de la compréhensions de ce que nous sommes
transitoires, mais ils se laissèrent corrompre avec les idées séductrices de
survie. Comme résultat, ils récoltèrent un plein de suffisance et chutèrent dans
l'exclusivisme.
" C'étaient comme les pyramides qu'ils construisaient : aussi évidentes et
voyantes qu'inaccessibles et hermétiques. Ils s'amusaient à maintenir à distance
les gens du peuple qu'ils considéraient comme indignes et ignorants. Mais, en
même temps, ils étaient incapables de se priver d'une cour de suiveurs. Cette
contradiction provoqua de grandes guerres pour la maîtrise du troupeau et
détruisit une grande partie de leur vrai savoir.
" L'importance personnelle et ses désagréables parents, le secret de
l'exclusivité sont alimentés par la fixité du point d'assemblage. Pour cela, le
grand intérêt des anciens fut de générer des traditions rigides, pour ainsi
réaliser la stabilité maximale au sein de leurs sociétés. En réalité, leur
intérêt pour l'Esprit était très mitigé de par leur ambition de pouvoir
personnel.
" Les nouveaux voyants ne poursuivirent pas ce jeu et mirent au premier plan, la
fluidité du point d'assemblage. Ils avaient observé que, lorsque ce point se
déplace, l'idée du secret se transforme en une stupidité, parce que le règne de
l'énergie n'a pas de limites rigides entre les êtres conscients. En conséquence,
ils accordèrent toute son importance à détricoter les spéculations et à insister
sur le côté pratique du chemin.
" Toutefois, très tôt ils entrèrent en contact avec une amère réalité, celle que
les gens du commun ne les comprenait pas, que du contraire, ils en avaient peur
et essayaient de les détruire partout où ils pouvaient les localiser.
L'hermétisme des nouveaux voyants ne fut pas motivé par ces sentiments de
supériorité qui ébranlèrent leurs prédécesseurs mais pour des raisons de
stratégie. Ils endurèrent une persécution extrême et ils se virent obligés de se
protéger.
" C'est donc une ironie historique que de constater que, malgré la légitimité de
leurs mobiles, la stratégie des nouveaux voyants ait, avec le temps, déclenché
les mêmes effets que l'arrogance des anciens. Après des siècles d'hermétisme,
toutes leurs énergies se consacrèrent à occulter l'enseignement et beaucoup
finirent par oublier ce qu'ils avaient si bien caché.
" De nos jours, la modalité de notre époque est exponentiellement changeante ;
par conséquence, change aussi quelque chose qui semblait inchangeable : le mode
de transmission des enseignements. Les naguals d'aujourd'hui sont obligés de
redessiner de nouveaux canaux pour l'énergie ce qui signifie qu'ils doivent
jeter à terre les coutumes les plus enracinées.
- " Pourquoi ce changement ? "
- " Parce que les circonstances ont précédé désormais la tradition ? Maintenir
occulte la connaissance n'est plus d'une exigence vitale. Il y a ceux qui
pourraient te critiquer de l'avoir divulguée, mais personne ne te tuera plus
pour cette raison. C'est pour cette raison que, continuer à saquer et censurer
des portions du savoir s'est montré complètement catastrophique pour l'objectif
total de la sorcellerie car si elles ne font pas intégralement partie d'une
véritable traque, ces portions nourrissent en nous un sentiment très enraciné
d'une importance personnelle.
" Ma première mesure en tant que nagual fut d'en terminer avec l'hermétisme de
mes prédécesseurs brûlant les secrets. Le choix des guerriers actuels est la
liberté. Aujourd'hui, nous pouvons dire ce que nous voulons, laissant libre
choix à celui qui nous écoute de prendre ou de laisser. Cela a immédiatement
généré cette conséquence extraordinaire dont ne purent profiter les naguals
antérieurs : la massification des pratiques.
" La massification est notre valvule de sécurité. Tu peux tromper l'esprit des
gens, car de toute façon que ce soit au début ou à la fin, l'esprit n'est pas le
leur. Mais tu ne peux pas prendre pour du vent la masse lumineuse de centaines
ou de milliers d'intentions focalisés de façon collective sur l'objectif de la
liberté.
" La masse est énergie et l'énergie nous permet de rompre la stagnation de
l'attention.
" Au travers de la pratique collective des passes magiques, je fus témoin d'une
véritable manifestation énergétique partout dans le monde de quelque chose qui,
pour la première fois, me permit de croire en la faisabilité de ma tâche. Mes
compagnes et moi fûmes ainsi tant émotionnés par ce qui se passait, que nous
n'eûmes pas les mots pour le décrire."
Durant des années, Carlos avait enseigné à des petits groupes de pratiquants
quelques mouvements qu'il appelait 'passes magiques' parce que, selon lui, elles
servaient à empêcher que l'énergie ne stagne et ne forme des 'grumeaux'.
Quelques noms pour quelques une d'entre elles : roulement de tambour, coups de
foudre à droite et à gauche, la dynamo.
Il disait que Don Juan les pratiquait à quelque heure du jour et où que ce soit
qu'il se trouvait. La plupart du temps, c'était avant ou après une manipulation
d'objet pesant ou lorsqu'il était resté trop longtemps dans une même position.
Le sujet m'intéressait, vu que je pratiquais déjà, personnellement quelques
postures orientales et j'avais une grande inclination pour les exercices
physiques. C'est pourquoi, à la première occasion, je lui demandai où il avait
appris les passes magiques.
Il me répondit.
- " C'est un héritage des anciens voyants. "
A cette époque, il ne se laissait pas trop voir en lieu public. Mais petit à
petit, son hermétisme s'assouplit et finirent par l'approcher de grands groupes
de personnes. A cause de la divulgation, Carlos commença à changer le dessin des
passes, les rendant plus compliquées et les divisant en catégories. Il finit par
les nommer d'un nom issu de l'architecture : Tenségrité qui, selon son
acception, est la combinaison de deux termes : la tension et l'intégrité.
Dès le premier instant, il y eut quelques détracteurs, des personnes aigries
qui, sans cesser de vanter le côté pratique de ces exercices, commencèrent à
propager l'idée selon laquelle le nagual les avait tirés de sous sa manche.
Lorsque je commentai mon inquiétude à ce sujet, il fut catégorique :
" La Tenségrité est mon intention ! Un nagual a de l'autorité et ceci est mon
cadeau au monde.
" Don Juan et ses guerriers enseignèrent à leurs apprentis beaucoup de
mouvements spécifiques qui nos emplirent d'énergie et de bien-être et nous
aidèrent à nous secouer du joug de l'esprit étranger. Mon job fut de les
modifier légèrement, pour les rendre moins personnels et les adapter à la
généralité des gens, afin qu'ils soient utiles à d'autres groupes de
pratiquants. "
Il me dit encore que la méthode qu'il avait choisie au début d'enseigner les
passes magiques sous une forme restreinte, fut dans un certain sens un échec car
ceux qui se mirent à les pratiquer étaient trop peu nombreux pour accumuler une
'masse énergétique' suffisante. C'est pour cela donc, que dans une nouvelle
étape, il avait créé un système capable de créer un impact sur la conscience des
multitudes.
" Mes compagnes et moi-même nous allons ouvrir une porte dans l'énergie. Cette
fissure est tellement puissante qu'elle perdurera pendant de nombreux siècles et
ceux qui s'en approcheront pour regarder seront entraînés dans l'autre monde.
Avec la Tenségrité, ma prétention est de préparer les intéressés pour qu'ils
supportent cette transition. Ceux qui n'auront pas la discipline nécessaire,
périront dans l'intention.
" L'idée de divulguer les enseignements est le résumé de trente années de
pratique et d'expérimentations. En tant qu'homme et en tant que nagual, j'ai
fait tout ce que j'ai pu pour que tout cela fonctionne, étant donné que je sais
que la masse conséquente de beaucoup de guerriers ainsi réunis peut provoquer un
bouleversement dans la modalité de notre époque ? "
10
En de maintes occasions, Carlos avait prétendu que la lignée de Don Juan se
terminait avec lui. Cependant lorsqu'il s'agissait d'en savoir plus à ce sujet,
il me répliquait que, pour l'instant il ne pouvait pas me fournir plus de
détails.
- " Je ne peux savoir avec exactitude quel sera le dessein du pouvoir. Qui
suis-je donc pour déterminer pareille suite ? je sais que la forme
traditionnelle de la lignée à laquelle j'appartiens finira avec moi ; mais, s'il
y aura lieu de poursuivre dans le futur sous une autre forme ou non ne sera
déterminé que par une force supérieure. "
Il me dit qu'il avait attendu des années les signes pour la continuité et plus
concrètement, les personnes qui auraient présenté les caractéristiques
lumineuses pour être le nouveau nagual n'apparaissaient pas. En conséquence, il
avait décidé d'agir d'une façon impeccable, comme s'il avait été le dernier
nagual sur la terre de là son urgence à tout raconter.
- " Profites-en !-me dit-il- Je suis en train de liquider tout ce qui me fut
donné. "
Avec tristesse, je luis demandai ce que signifiait qu'à partir de lui se
terminerait la transmission de l'enseignement.
- " Non, ce n'est pas cela. Mon destin est de fermer une ligne, rien que cela.
Je suis sûr que l'Esprit trouvera la forme de poursuivre vers l'avant, car le
courant de la connaissance ne peut se tarir.
" L'extinction d'un lignage de sorciers ou la naissance d'un autre sont des
incidents constants dans le va-et-vient de l'énergie. Je sais qu'il existe
divers clans de guerriers qui vivent aujourd'hui, se préparant pour le saut
final et je peux aussi prévoir le commencement d'un nouveau cycle, correspondant
à la rénovation des paradigmes culturels pour le prochain millénaire."
Ce matin-là, Carlos me demanda que je choisisse bien mes questions car il avait
peu de temps devant lui pour pouvoir converser avant que de monter dans l'avion.
Je lui racontai que j'avais relevé quelque part dans ses livres des dires sur
les cycles des guerriers qu'il appelait anciens et nouveaux voyants, mais que la
différence entre eux m'échappait complètement.
Il affirma que j'avais choisi là un bon sujet de conversation rien que par le
fait de comprendre cela correctement était basique pour éviter les erreurs des
anciens.
Il m'expliqua que, comme pour tout en ce monde, el chemin des sorciers est
évolutif. Pour cela, un nagual est obligé de faire référence aux enseignements
de façon toujours nouvelle. En conséquence de cette stratégie, le nagualisme en
tant que système total de pratiques, se divise en castes et en cycles.
" Dès que commença l'aventure de l'homme à la recherche de l'Esprit jusqu'à ce
jour, il y eut au moins trois castes de sorciers ; ceux des premiers temps, les
anciens voyants et les nouveaux. Les premiers sorciers qui vécurent il y a très
longtemps étaient très différent de nous. Nous comprenons à peine aujourd'hui
leur vision du monde, mais nous savons qu'ils survécurent à des conditions très
difficiles qu'aucun de nous aujourd'hui ne pourrait endurer.
" Les anciens voyants furent un raffinement de cet étape originale. Ils
s'adaptèrent à la terre américaine et ils surent y créer de véritables
civilisations. Ce furent des hommes téméraires qui utilisèrent l'intention à un
niveau incompréhensible pour nous. Ils étaient enivrés de puissance. Ils
pouvaient mouvoir des pierres gigantesques, voler ou se transformer à volonté.
Ils vivaient conjointement aux êtres inorganiques et ils créèrent une culture à
cette mesure, replète d'histoires fabuleuses.
" Les légendes les décrivent avec précision. Ces sorciers sont les héros de
notre mythologie. Ce qu'ils cherchaient était de vivre à tout prix ! Et ils y
parvinrent !
" Les anciens commencèrent à mouvoir leur point d'assemblage en consommant des
plantes de pouvoir. Ensuite, leurs maîtres inorganiques leur dirent comme faire
les choses. Eux seuls avaient besoin de leur intérêt pour comprendre ce qu'est
ce monde et cet intérêt les entraîna à créer les techniques les plus
extraordinaires pour l'exploration de la conscience.
" Cependant, ne vas pas croire que les anciens n'étaient que des hommes
d'action. Ils se montrèrent aussi penseurs profonds, qui développèrent l'art de
comprendre jusqu'aux limites de l'attention. Comparés à eux, nous sommes des
bêtes. L'homme d'aujourd'hui n'est pas intéressé par la raison pour laquelle il
est vivant et pour cela il n'a pas la paix, il ne se rencontre pas lui-même.
Nous avons beaucoup à apprendre de ces précurseurs qui recueillirent des
réponses pour le cul-de-sac sans issue dans lequel nous sommes tombés. "
- " Quel cul-de-sac ? "
- " Notre vision du monde des objets. Cette vision n'a pas été très utile, mais
en même temps, c'est là la pire des calamités. L'intérêt de l'homme actuel est
celui d'un animal de proie ; utiliser, posséder, anéantir. Mais cet animal s'est
domestiqué lui-même, se condamnant à vivre dans un inventaire matériel. Étant
donné que chacun des objets qu'il utilise a une longue histoire, l'homme moderne
vit perdu parmi sa propre création.
" Par contre, l'intérêt des anciens était la relation entre l'infini et l'être
qui va mourir. Ils parvinrent à leur propre vision. Ils n'avaient pas perdu de
vue le fait que nous sommes des voyageurs à un arrêt de gare. "
Je lui demandai alors pourquoi, si leur vision était correcte, vint le moment où
le cycle des anciens fut remplacé par le cycle des nouveaux voyants.
Il me répondit que voir n'est pas une garantie de l'impeccabilité.
- " Les anciens ne purent exclure de leur pratique une grande dose de
l'importance personnelle. Comme ils profitaient du pouvoir sur leurs semblables,
jamais ils ne parvinrent à se focaliser avec clarté sur le propos de la liberté
totale. Bien qu'ils fussent des voyants inégalables, il leur fut impossible de
prévoir que leur enthousiasme à découvrir le monde allait finir par les ancrer
dans des engagements que très vite ils ne purent plus délier.
" La majorité des sorciers actuels sont des héritiers des anciens voyants. A ne
pas connaître les principes du guerrier, ils ont dévalué la connaissance. Ils se
sont transformés en conteurs, en herboristes ou guérisseurs ou en danseurs et
ont perdu la maîtrise du point d'assemblage. Souvent même ils ne se souvinrent
même pas que ce point existe.
" Les nouveaux voyants tentèrent de mettre un frein à tout cela ; ils
profitèrent de la vision des anciens mais ils furent plus sages et plus modérés.
Ils cultivèrent l'intention inflexible et consacrèrent toute leur attention au
chemin du guerrier. De cette façon, ils changèrent l'intention globale des
pratiques. En complétant leur énergie, certains d'entre eux parvinrent à
envisager un objectif plus élevé que l'aventure dans la seconde attention et
imaginèrent la possibilité d'être libres.
" Par leur voir, les nouveaux voyants découvrirent quelque chose d'horrible :
l'enthousiasme des anciens servait de nourriture à certaines entités conscientes
suceuses d'énergie. Au début, le contrat entre ces êtres et les humains
paraissait très bon ; nous leur donnions une partie de notre énergie en échange
d'un outil qui alors était très neuf : la raison. Mais avec le temps, nous
conclûmes que ce contrat était une escroquerie. La raison ne sert qu'à
inventorier les choses et non à les comprendre. De plus, elle laisse un
sous-produit désagréable que les voyants voient comme une membrane qui ceint
notre luminosité : l'importance personnelle.
" Pour les nouveaux voyants, ce résultat était intolérable, ils s'assignèrent un
but que jamais les anciens voyants n'auraient pu envisager : la possibilité de
nous fondre directement avec l'univers, sans passer par le médiateur
inorganique.
" Les nouveaux voyants étaient des sorciers pragmatiques, passionnés par la
vérification. Dans leur élan à effacer de leurs pratiques tout vestige de l'ego,
ils se convertirent en personnes méfiantes. Leur méthode fut l'élimination, ils
supprimèrent tout ce qui ne tendait pas directement à leur objectif de liberté
totale. Le résultat fut qu'ils réussirent à fixer leur intension sur l'intension
même, ne faisant qu'un avec elle. Malheureusement, cette méthode les obligea à
sacrifier d'énormes portions de connaissance.
" Leur intention était tellement féroce qu'elle les fit se refermer sur
eux-mêmes. Ils remplirent l'enseignement de secrets. Comme les relations
sociales n'étaient pas primordiales en vue de leurs objectifs, ils s'isolèrent
de la société et créèrent de minuscules petits groupes. Presque tous s'en
allèrent vivre à la montagne, dans la forêt ou le désert où ils sont encore
aujourd'hui, acquérant des caractéristiques ethniques. Cela, ne les a sûrement
pas aidés à raffiner l'art de la traque ; mais finalement à transformer leur
recherche de liberté en un objectif rhétorique."
" Les anciens et les nouveaux voyants représentent deux positions extrêmes face
à un même défi, un résultat de l'adaptation des sorciers à des circonstances
historiques très concrètes. Mais aujourd'hui les temps ont changé.
" Par le dessein de l'Aigle, au moins l'un des lignages de ces nouveaux voyants
a réussi à recanaliser sa tâche. Nous, les derniers vingt-sept naguals de ma
lignée avons essayé de récupérer l'esprit audacieux des anciens en maintenant en
même temps la sobriété de la vision des nouveaux. De cette façon, nous sommes
parvenus à réunir l'énergie suffisante pour instaurer une adaptation nouvelle et
équilibrée des enseignements.
" Selon Don Juan, il y a actuellement des changements massifs dans l'énergie qui
provoquent le surgissement d'un nouveau cycle de guerriers. Pour les
différencier de leurs prédécesseurs, je les ai appelés les voyants modernes ou
voyants du nouvel âge. "
Avant que de poursuivre son récit, Carlos me déclara que, pour lui, le concept
de nouvel âge n'a rien à voir avec le mouvement mystique contemporain qui porte
un nom semblable, mais qu'il est bien plutôt l'extension de l'antique croyance
préhispanique qui se succèdent par ères l'une après l'autre dans l'histoire du
monde.
Je lui demandai pourquoi dans ses livres il n'avait rien mentionné sur cette
nouvelle caste de guerriers.
Il me répondit :
- " Mes livres décrivent une phase de mon apprentissage relatif à mon benefactor
et à ses compagnons. Bien qu'ils eussent conceptualisé le nouveau cycle comme
étant une nécessité énergétique, cela ne faisait pas encore question dans leur
vécu immédiat. Ils se rendaient compte que leurs propres actions, en me
permettant de stimuler la divulgation de la connaissance cassait beaucoup la
'règle des nouveaux voyants'. Mais ils me laissèrent le choix de trouver les
termes adéquats pour décrire ce qui se passait. "
- " A partir de quel moment surgirent ces voyants ? "
- " Les voilà seulement qu'ils apparaissent. "
- " Tout débuta à la conquête de Mexico. Les nouveaux voyants interprétèrent ce
changement comme un signal et ils comprirent qu'il était temps de réviser la
tradition. Mais les choses en seraient restées là s'il n'y avait eu la
manifestation en notre lignée d'un être qui se dénommait le provocateur de la
mort. Il conférait aux nouveaux voyants le sens de l'aventure et de la
fascination pour l'inconnu. Le contact avec cette entité a été déterminant pour
nous tous "
Avidement, je lui demandai qu'il m'en dise d'avantage sur ce provovateur, un des
personnages les plus extraordinaires et le plus incompréhensible de son œuvre.
Il eut cette répartie :
" Le provocateur est une entité à la conscience suprême. Il naquit il y a
environ dix mille ans, mais ne s'introduisit physiquement ans dans le lignage
qu'à l'époque du nagual Sebastian, en l'année 1723. "
- " Ce provocateur de la mort est une personne ?
- " Ce fut un homme à une autre époque, lorsque la soif de savoir était vive et
que l'être humain s'abandonnait à son amour pour la Terre. Il est l'exemple
typique de cette mentalité. Si tu parlais avec lui, tu comprendrais que nous
partageons un même anneau de compagnonnage, un intérêt pour l'accroissement de
notre conscience. Mais tu verrais aussi des choses plus rares ? Il vit dans une
autre vision. Son sens du " je " est tout différent du nôtre, parce qu'il
enserre une gamme de sensations plus ample. Il n'a ni sexe, ni âge, ni
nationalité, ni langue définie. Il n'a pas d'amis ni de parents, pire encore il
n'a pas de semblables. Il passe par le monde comme un fantôme et la majeure
partie de sot temps il reste profondément terré dans une niche profonde du rêve.
" Son apport à notre lignée, tant du point de vue des techniques que des
connaissances théoriques, a été monumental. Ce guerrier connaissait tous les
arts des anciens et beaucoup plus encore ! O peut dire que ce fut à partir de sa
présence que germa le cycle des voyants modernes.
" Le second signe de ce que d'autres temps de changements étaient proches fut la
présence extraordinaire dans la lignée d'un étranger ; le nagual Luhan. Comme tu
le sais, Luhan était chinois. Malgré qu'il eut reçu une éducation supérieure
dans son pays, son caractère aventurier le fit marin et il vécut une existence
erratique tout autour du monde, jusqu'à ce qu'un jour il eut la chance d'aboutir
sur le chemin du pouvoir.
" Le jeune Luhan avait débarqué qu port de Veracruz et il se promenait pour se
distraire lorsque un incident fortuit fit qu'il qu'en sortant 'un bar, il vienne
à chanceler et à tomber nez à nez avec le nagual Sebastian, qui ne lui laissa
pas le temps de réagir. Cet incident, inhabituel dans la vie d'un sorcier, fut
pris comme un signe.
" Tu peux imaginer le désarçonnement des nouveaux voyants ! L'Esprit avait parlé
de façon évidente et avait ordonné que les secrets forclos par beaucoup de
générations fusent déposés dans les mains d'un étranger. De cette façon, Luhan
fut accepté comme le nouveau nagual et sa maîtrise des arts martiaux finit par
se convertir en patrimoine du lignage.
" Mais la confirmation de ces signes advint deux siècles après, lorsque un autre
nagual dont la configuration lumineuse n'était absolument pas conventionnelle,
vint à aboutir dans les mains de ce vieux extraordinaire, Don Juan Matus. Ni
lui, ni moi nous le sûmes à ce moment-là, mais le destin de la connaissance des
nouveaux voyants était scellé.
Lors de l'une des dernières tables de conversation que nous fréquentâmes, Carlos
caractérisa les voyants d'aujourd'hui comme étant des guerriers qui se
démarquent pour leur franchise. Ils détestent les attitudes furtives qui
traditionnellement ont distingué les sorciers et ils ont renoncé à toute
doctrine qui ne soit pas transparente comme du cristal et qui ne s'appuie sur
une vérification immédiate.
" Une autre particularité qui les identifie c'est que, à la différence de leurs
prédécesseurs, ils sont collectivement orientés vers la liberté. Les anciens
voyants s'offrirent la liberté comme un but théorique, quelque chose qui était
au-delà de leurs possibilités concrètes. Quant à eux, les nouveaux voyants, ils
la virent exclusivement comme un engagement individuel. Pour les voyants
actuels, être libre est le propos collectif du groupe de pouvoir, l'essence de
ses actions et sa raison d'être.
" Les guerriers modernes sont inflexiblement engagés les uns envers les autres.
Ils ont sacrifié leurs intérêts en tant qu'individus sur les autels du clan.
Leur lien de pouvoir les engage à se stimuler et à se défier de façon
continuelle, afin de ne pas baisser la garde et leur promesse de guerriers se
base sur la proposition de partir tous ensemble dans la tierce attention. Si
proches qu'il sont ainsi de la liberté, ces guerriers sont plus indépendants et
plus autonomes que leurs prédécesseurs.
" Mais, le plus remarquable chez eux, est la capacité de révision. Nous, les
chercheurs de connaissance, nous sommes en ce moment, obligés d'examiner le
contenu de tout ce qui fut dit dans le passé, adaptant le savoir traditionnel à
la modalité de l'époque, afin que le chemin du guerrier soit enfin vraiment
compris pas les gens.
" La technique pour que cette révision ne soit pas une dérive capricieuse passe
par Voir. Voir la nature lumineuse du monde nous permet de choisir, sans
possibilité d'erreur, les symboles les plus appropriés pour transmettre les
idées.
" Une part de mon devoir de nagual a été de réviser la nomenclature. Les mots se
perdent. Don Juan lui-même utilisait des termes, qui selon mon point de vue,
étaient déjà archaïques, parce qu'ils étaient liés à l'antiquité de Mexico et
non avec le monde actuel. Toutefois, par manque de temps, je n'ai pas dédié
suffisamment d'attention à ce sujet. C'est une tâche que je laisse à ceux qui
désirent l'assumer.
" L'étape du savoir inaugurée par mies livres rompt en deux le cours du
nagualisme. Elle est venue emphatiser l'intention, la recherche de la sagesse,
la sobriété et le sens du groupe de pouvoir, l'abolition de la servitude à
l'hermétisme et la révélation publique des passes magiques.
" Le but des voyants actuels est aujourd'hui, plus que jamais, la liberté totale
; mais pour réussir, il est important d'utiliser des stratégies toujours plus
fines. Nous avons déjà la chance de vivre dans une société où l'on ne persécute
plus ouvertement les sorciers. C'est notre devoir, alors de chercher des champs
nouveaux pour l'entraînement de nos potentialités.
" En accord avec Don Juan, le meilleur de ces champs d'entraînement qui en même
temps offre la garantie pour que les stratégies de divulgation et d'adaptation
fonctionnent correctement, est l'intellect. L'ignorance est aujourd'hui
intolérable, le temps des 'sorciers des bois' est passé. Les sorciers de la
vielle garde resteront attachés dans leurs traditions et perdront leur ticket
pour l'éternité : nous, ceux d'aujourd'hui nous ne voulons spas que nous arrive
la même chose.
" C'est pourquoi, la règle pour les voyants du nouvel âge consiste ne une
préparation, c'est là un signe distinctif. Il ne faut pas seulement se préparer
aux arts de la sorcellerie, mais bien encore, cultiver son mental afin de tout
savoir et de tout comprendre. L'intellect est aujourd'hui le réconfort des
Toltèques, tout comme jadis, l'était l'affection pour les rituels.
" Don Juan déclarait que chaque guerrier de ce nouveau cycle devait avoir au
moins un titre universitaire afin de profiter des armes qu'a créées la science
moderne et les diriger contre la désinformation. Cela élèvera les niveaux de
survie du clan et, dans le futur, c'est bien là quelque chose qui aura encore
plus de poids."
2
- "Pourriez-vous me décrire la tâche que vous laissa le nagual Juan Matus en
recommandation ? "
Il me regarda d'un air très surpris.
Habituellement, Carlos cachait ses réponses entre les mots, ou petit à petit
émaillant sa conversation. Mais cette fois, il changea de tactique.
Il me dit que ma question était tellement peu attendue, qu'il n'avait pas
d'autre choix que de la considérer comme un présage. Mais la réponse le
compromettait d'une façon si personnelle qu'il ne pouvait la transmettre que
dans un lieu approprié. En conséquence, il me donna rendez-vous pour nous voir
le jour suivant au Café Tacuba, un des restaurants préférés de Don Juan.
Après le déjeuner, il me dit d'un ton solennel que je devais faire taire mon
dialogue intérieur, parce que nous allions visiter un endroit où était enterré
un fameux guerrier de l'Antiquité. Il ajouta que le jour suivant, était parfait
pour cela, parce que l'aurore aurait cerné la ville d'un brouillard obscur.
" Et comme tout a été 'gauche', nos présages viendront par la gauche. "
Au début, son effort pour me suggestionner me fit sourire. Mais au fur et à
mesure en direction de la Place Zócalo, j'avais de plus en plus d'appréhensions.
Nous entrâmes par la petite porte du portail latéral de la fameuse cathédrale de
Mexico et nous pénétrâmes dans la gigantesque salle principale. Immédiatement,
Carlos s'approcha du bénitier, y trempa ses doigts et se signa. La familiarité
de ses mouvements attira mon attention tant il agissait comme si il était
habitué à assister à la messe.
Observant ma curiosité, il m'expliqua qu'un guerrier se devait de respecter
toutes les conventions et particulièrement celles d'une Institution comme l'Église
Catholique qui servit de sanctuaire aux sorciers pendant des siècles.
Nous nous assîmes sur les bancs de la nef centrale et nous restâmes en silence
pendant quelques temps. L'ambiance était très tranquille, il y avait peu de gens
en mouvement à cet instant. Je remarquai que sa posture était bien droite et que
ses yeux,ni ouverts ni fermés, paraissaient se perdre dans les enchevêtrements
des enjolivures du retable principal. Une légère odeur de bougies parvenait
jusqu'à notre banc ainsi qu'une rumeur de voix enfantines qui s'essayait à un
chant choral ; c'était peut-être un magnétophone.
Peu à peu je m'y plongeai, jusqu'à ce que je perde la notion de l'endroit. Sa
voie me fit sursauter :
- " La tâche dont je fus chargé par mon maître et ma mission en tant que nagual
pour l'époque qui commence est de bouger le point d'assemblage de la terre.
Je m'attendais à tout sauf à ça. Pendant quelques secondes mon mental ne réagit
pas ; je n'avais simplement pas la moindre idée de ce que Carlos était en train
de ma raconter. Quand, subitement, la monstruosité de sa tâche fit un choc avec
mon centre de raisonnement et je me découvris en train de penser que, soit
Carlos était en train de plaisanter, soit qu'il était en train de parler de
quelque chose qui m'était incompréhensible.
Pour augmenter mon trouble, il semblait être au courant de mes pensées parce
qu'il consentit d'un léger mouvement de tête et murmura :
- " C'est ainsi. Il faut nécessairement être fou pour s'engager de cette façon,
et encore plus fou de croire que ce soit possible de le réaliser. "
Je lui demandai comment il était possible qu'un homme se fixe un défi pareil. Il
répondit :
- " Tout comme l'autre monde comporte une unité mobile- les êtres inorganiques-,
la Terre possède aussi la sienne, et c'est nous. Nous sommes les enfants de la
Terre. Le mouvement du point d'assemblage d'un nombre suffisant de guerriers peu
ébranler la modalité de l'époque et c'est cela sur quoi je travaille pour
l'instant. "
Il m'expliqua que le point d'assemblage de la Terre a changé plusieurs fois dans
le passé et le fera encore dans le futur. Dernièrement il a dérivé de façon
soutenue jusqu'à la position de la raison.
- " Et ça, c'est magnifique, parce que, une fois qu'il s'y fixe, l'Humanité aura
une opportunité de se mouvoir de l'autre côté et beaucoup d'hommes et de femmes
deviendront conscients. Le défi pour les voyants du futur consistera à maintenir
cette focalisation durant le temps qu'il lui sera nécessaire pour être fixée,
devenant une position permanente de la planète, un nouveau centre auquel on
pourra recourir à n'importe quel moment et ce, tout naturellement.
" La refocalisation de l'attention de la Terre est un produit de l'action
combinée de plusieurs générations de naguals. Les nouveaux voyants la conçurent
comme une possibilité et découvrirent qu'elle faisait partie de la règle, la
couvrir de leur intention et déterminèrent qu'était venu le moment de s'y
adonner. "
- " Quel est le résultat de ce mouvement ?
- " Ébranler la fixité de la planète est l'unique porte de sortie du dramatique
état d'esclavage dans lequel nous avons été réduis. Le sillon de notre de notre
civilisation n'a pas d'issue parce que nous sommes isolés dans un point éloigné
du Cosmos. Si nous n'apprenons pas à voyager par les avenues de la conscience,
nous parviendrons à un tel état de désespoir et de frustration, que l'Humanité
finira par s'autodétruire. Notre option actuelle est, soit le chemin du
guerrier, soit l'extinction.
" Toutefois, je ne peux pas moi-même assurer des effets globaux de ma tâche. Le
point d'assemblage de la Terre est très grand et possède une inertie énorme. Ma
mission est de mettre l'étincelle à la mèche, mais cela prendra du temps pour
qu'elle enflamme toute la poudre. En réalité cette tâche n'est pas seulement la
mienne mais celle de tous les voyants à venir.
" La connaissance du point d'assemblage est un cadeau exceptionnel que l'Esprit
a offert à l'homme moderne et il est un catalyseur pour le changement de
modalité de cette époque. Ce n'est pas une utopie mais une possibilité qui
attend à deux pas d'ici.
" Je ne tiens pas à spéculer sur les probabilités qu'il y a de sortir vainqueur
de ma tâche, mais j'insiste parce que c'est tout ce qui me reste à faire.
Personnellement je n'ai pas de doute. Je considère que le futur est lumineux car
appartenant à la conscience ce qui signifie pour les sorciers, que le futur
appartient au nagualisme."
Après m'avoir conté sa tâche, Carlos se redressa et quitta le banc où nous
étions assis en s'approchant de la balustrade qui gardait l'entrée de la crypte
située derrière l'église. Je le suivis.
En me signalant l'escalier du menton, il me dit
- " Tu dois descendre là-bas. A l'intérieur tu y verras un cercle sur le sol ;
il correspond au centre exact de la coupole principale de l'église. D'après la
tradition c'est le site original où est enterré Cuauhtemoc, le dernier empereur
aztèque. "
Je lui demandai quelle exactitude historique on pouvait conférer à cette
information.
Il me dit alors qu'il ne savait pas mais que de toute façon, cette catacombe
était un lieu intéressant.
- " Tout ce que je te demande c'est que tu t'arrêtes un instant au centre de ce
cercle avec les yeux fermés pour que tu entres en syntonie avec l'énergie de
l'endroit. C'est un endroit de pouvoir des anciens sorciers qui t'aidera dans
ton devoir. "
Me serrant la main brièvement, il ajouta qu'il ne pouvait m'accompagner cette
fois-ci parce qu'on l'attendait ailleurs, et, qu'il me souhaitait bonne chance.
Sans me donner le temps de réagir, il fit demi-tour et s'en alla.
L'attitude de Carlos à me demander que je descende dans la crypte alors que lui
s'en allait abruptement me laissa sans trop savoir que faire. Avec une certaine
méfiance, je me dirigeai vers l'étroit escalier et je sentis une buée humide et
froide. Avec une appréhension tout à fait illogique, je me mis à descendre les
marches de pierre qui menaient à la porte d'entrée.
La catacombe était vide. Son air lugubre, son insuffisante illumination, son
odeur d'humide et de poussière centenaire, son silence compact attirèrent mon
attention. Tandis que j'explorais les tombes appartenant à quelques familles
privilégiées du vieux Mexico, un frisson me courut ans le dos. Je serais bien
sorti de là en courant si je n'avais eu à finir l'exercice que Carlos m'avait
ordonné.
Tout en essayant de contrôler mon imagination excitée, je me positionnai à
l'endroit qu'il m'avait indiqué : un espace circulaire délimité par
l'intersection de deux passages, je fermai les yeux et fis un effort pour faire
taire mon mental. Après un moment je pus constater que mon dialogue intérieur
s'était tu de lui-même.
Je ne sais pas combien de temps s'écoula. Assez vite, je me sentis observé.
J'ouvris les yeux en un éclair, à temps pour voir qu'à une certaine distance
d'où j'étais se tenait un homme avec un sombrero, avec des traits indigènes et
un regard pénétrant. L'homme était grand, fort et assez vieux ; il avait une
apparence paysanne et il était vêtu d'une chemise blanche à liquettes, des
huraraches (sandales de peau) et un morral (petite besace typique des indiens).
Lorsqu'il vit que je l'avais découvert, il se défila rapidement jusqu'à une
enceinte située au bout de l'allée, appelée la crypte des Évêques. Ses pas ne
firent pas le moindre bruit.
Malgré que je me sente très effrayé, ma curiosité me poussa en avant et me
préparant psychologiquement à la confrontation avec l'étrange personnage, je
franchis la courte distance qui nous séparait, sept à huit mètres environ.
Lorsque je pénétrai dans la crypte, ma surprise fut totale. Il n'y avait
personne en vue. Comme je pus le vérifier par une rapide inspection, l'enceinte
n'avait pas d'autre sortie, ni aucun endroit où aurait pu se cacher une
personne.
Alors, je pris peur. J'eus la chair de poule et je courus vers l'extérieur comme
une âme qui trompe le diable.
TROISIÈME PARTIE LA RÈGLE DU NAGUAL A TROIS POINTS
INTRODUCTION
Très tôt, une tendance réfléchie de mon caractère me conduisit à chercher une
explication à propos de qui je suis et quel était mon but dans la vie. En
reposant sur cette recherche, à un certain moment un camarade scolaire
m'entretint de ce que Carlos Castaneda allait donner une entretien privé chez
l'un de ses amis, et que je pourrais y venir si je voulais. Je pris plaisir à
l'invitation, parce que je cherchais une telle occasion depuis longtemps.
Castaneda était un célèbre anthropologue, auteur de plusieurs livres au sujet de
l'ancienne culture Mexicaine concernant les sorciers. Il y raconte que, étant
encore étudiant à UCLA (Université de Californie), il fut amené à effectuer un
travail de terrain parmi les Indiens Yaqui, dans le nord de Mexique de façon à
en apprendre plus au sujet des plantes médicales qu'ils utilisent
habituellement.
Lors de l'un de ces voyages il rencontra un vieux sorcier ("qui collecte les
plantes : un herboriste") qui avait la réputation d'être un sorcier qui se
présenta comme Juan Matus. Au gré du temps qui passait le vieil homme le prit
comme son apprenti et l'introduisit dans une dimension complètement inconnue à
l'homme contemporain : la sagesse traditionnelle des vieux voyants Toltèques,
communément connue comme "sorcellerie" ou "nagualisme."
En une douzaine de livres, Carlos raconte les rapports apprenti-maître qui
durèrent treize ans. Pendant ce laps de temps, il fut soumis à une formation
ardue qui l'engagea personnellement à corroborer les fondations de cette culture
étrangère. Les expériences acquises pendant son érudition finir par faire
succomber le jeune anthropologue à la fascination de la connaissance et il fut
littéralement absorbé par le système de croyances qu'il étudiait. Ce résultat
l'éloigna fortement de ses objectifs originaux.
"Nagualisme" est le nom donné par les sorciers du Mexique préhispanique à leur
système de croyances. En accord avec l'histoire, ces hommes étaient profondément
intéressés par leur relation particulière avec l'Univers, à point tel qu'ils
s'étaient donnés pour tâche de prospecter jusqu'en ses limites, la perception
par le biais de l'usage de plantes hallucinogènes qui leur permettaient de
changer de niveau de la conscience. Après avoir pratiqué pendant des
générations, quelques uns apprirent à "voir", ce qui veut dire, percevoir le
monde, non comme une interprétation, mais comme un flux d'énergie constant.
Le nagualisme consiste en un éventail de techniques conçues pour modifier la
perception journalière et produire des phénomènes psychiques et physiques
d'intérêt extraordinaire. Par exemple, la tradition mexicaine affirme qu'un
nagual est capable de devenir un animal, parce qu'il a appris comment se rêver
dans une forme différente de l'être humain. Derrière cette croyance populaire,
existe sans aucun doute le fait que les sorciers explorent leur subconscient
dans le but d'éclairer par le dessus cet environnement inconnu de notre
existence.
Pendant des milliers d'années le nagualisme fut considéré comme une pratique
socialement acceptée, autant que le sont pour nous la religion ou la science. Le
temps aidant, le postulat gagna en abstraction et synthèse et devint une sorte
de proposition philosophique dont les praticiens furent nommés Toltèques.
Le Toltèques ne sont pas ce que nous appelons ou comprenons communément comme
"sorciers ", c'est à dire des individus utilisant des forces surnaturelles pour
créer du dommage à d'autres gens, mais des hommes et femmes extrêmement
disciplinés et intéressés aux aspects complexes de l'être conscient
Dans ses livres, Carlos, avec beaucoup de talent, adapta la connaissance des
naguals à notre temps, la sortant de son atmosphère rurale et la rendant
accessible aux occidentaux. Commençant par les enseignements de Don Juan, il
définit les prémisses et les prémices du chemin du "guerrier" c'est à dire de
celui qui possède comportement impeccable, contrôle, discipline et endurance.
Une fois incorporés, ces principes emmènent les praticiens vers d'autres
techniques plus complexes dont l'objet est de percevoir le monde d'une autre
façon.
Une fois ce voyage accompli, l'étudiant est en passe de se mouvoir dans
l'environnement de ses rêves avec conscience et volonté, tout comme il le fait
dans sa vie journalière. A cette technique sont ajoutés ce que Don Juan dénomme
comme "l'art de la traque" ou l'art de jouer avec ses comportements, et
l'exercice quotidien de la "récapitulation", qui consiste à examiner les
événements de notre histoire personnelle pour en trouver son intrigue cachée.
Rêver et récapituler rendent possible la création du double énergétique, une
entité pratiquement indestructible, capable d'agir selon son propre chef.
Une des découvertes les plus remarquables de ces voyants Toltèques réside dans
le fait que nous, êtres humains, possédons une configuration lumineuse ou champ
d'énergie qui entoure notre corps physique. Ils virent aussi que quelques-uns
d'entre nous se présentent avec une configuration spéciale divisée en deux
parties. Ceux qui la possèdent sont appelés naguals ce qui veut dire, " gens
dédoublés". De par cette conformation particulière, le nagual a de plus grandes
ressources que la plupart des gens. Les Toltèques virent aussi que par suite de
ce double et de l'existence d'une énergie exceptionnelle, ces gens sont des
chefs naturels.
A partir de ces découvertes, il fut inévitable que les voyants s'établissent
selon les mandats de l'énergie en organisant des groupes harmonieux dont les
participants se complétaient entre eux. Les guerriers de ces groupes étaient
engagés dans la recherche de nouveaux niveaux de conscience. Avec le temps, ils
se rendirent peu à peu compte de ce que derrière leurs pratiques et formes
d'organisation existait une règle impersonnelle.
Dans ce sens, la règle est la description du dessein et des moyens par lesquels
diverses conformations lumineuses de l'espèce humaine peuvent s'unir afin
d'intégrer un seul organisme appelé " clan du nagual ". Le but de ces groupes
est la liberté totale, l'évolution de la conscience au point de pouvoir voyager
au sein de l'océan de l'énergie cosmique en percevant tout ce qui nous est
accessible.
Il existe une section spéciale de la règle qui décrit comment s'entrelacent les
diverses générations de guerriers formant des lignages et comment les lignages
se rénovent après un certain temps.
Carlos eut l'occasion de vivre une de ces étapes de rénovation. Toutefois,
lui-même ne comprenait pas ce que cela signifiait, jusqu'à ce qu'il reçoive un
message qui l'oriente vers la divulgation de l'enseignement.
Lorsque je le connus, il montrait encore une grande réserve devant un public et
il tentait toujours de se maintenir à distance des gens. Notre relation naquit
principalement par le travers de discussions publiques qu'il entretenait en
privé avec de petits groupes de conversations.
Il exigea que je passe inaperçu en présence de tous les autres afin d'avoir main
basse sur le contrôle de mon histoire personnelle. Peu de temps après, il me
confia que cette mesure était riche d'un sens plus profond car c'était là un
engagement avec l' Esprit et je devais exécuter ma tâche quatre ans après son
départ.
Lorsque je m'enquis de la raison de cette requête, il me dit qu'il savait que
tout son travail serait obstrué par des détracteurs qui essayeraient de détruire
le plan dessiné par Don Juan pour une révolution de la conscience. Mon rôle
serait d'être témoin du message que je reçus.
Un jour, après une conversation publique, dans le salon privé d'un restaurant,
où il nous avait tous invités à manger, Carlos me demanda que je l'accompagne en
un autre endroit. Quelques instants plus tard, nous partîmes tous deux, laissant
la plupart des invités en une discussion animée.
Sur notre chemin, nous dûmes traverser une grande avenue. Pour m'éloigner du
trafic des automobiles, je courus jusqu'à un îlot triangulaire pour piétons au
milieu de la rue, croyant que Carlos me suivrait. Mais lorsque j'arrivai là, je
le vis qui attendait encore de l'autre côté de la rue.
Arriva alors une événement imprévu : une magnifique bourrasque de vent se défila
dans l'avenue, tellement puissante que je dus m'accrocher à un poteau métallique
qui servait de signalisation. Avant même que je pus me protéger, un nuage de
poussière me couvrit et pénétra dans ma gorge et sous mes paupières, me faisant
tousser et me laissant un petit moment aveuglé.
Lorsque je repris tous mes sens, Carlos était à mes côtés, me regardant avec un
visage rayonnant de joie. Il me tapa sur l'épaule et fit un commentaire quelque
peu étrange :
- "Je sais ce que je vais faire avec toi !"
Comme je le regardais interrogativement, il m'expliqua :
- " C'était le même vent, il allait derrière toi. "
Ses paroles me rappelèrent du jour où je le rencontrai pour la première fois,
lorsqu'une bourrasque automnale nous obligea à fermer précipitamment les
fenêtres de la pièce où avec un groupe d'amis je l'attendais.
- " Ce jour-là, tu le vis comme un vent fort, mais je savais que c'était
l'Esprit donnant des coups sur ta tête. Ce fut un signal, et maintenant je sais
par quel moyen il te signala à moi. "
Je lui demandai qu'il m'explique son affirmation énigmatique mais la réponse fut
tout aussi obscure :
- "Je suis héritier d'une certaine information. C'est un aspect de
l'enseignement qui me concerne tellement profondément que moi-même je ne peux
pas correctement l'expliquer à d'autres. Il faut que ce soit dit par le biais
d'un messager. Il y a peu, alors que j'observais comment l'esprit te faisait
valdinguer au bord de l'Avenue, je sus que ce messager ce serait toi."
J'insistai pour qu'il m'en dise plus mais il me confia que ce n'était ni le
moment ni le lieu adéquat.
Quelques temps plus tard, alors que nous marchions dans le parc d'Alameda et sur
le point d'atteindre le Palais des Beaux-Arts presque, il me fit signe, nous
pouvions nous asseoir sur un banc miraculeusement laissé libre, sur un des côtés
du square. C'était un banc en fer forgé. Son emplacement, bien situé face à la
porte principale d'une vieille église construite avec blocs de lave rouge et
noire, avait cette qualité de bloquer légèrement mon dialogue intérieur et de
m'emmener vers une oasis de sérénité parmi l'agitation de la circulation des
voitures et les gens qui passaient par là.
Pour ce que je vis, Carlos avait collationné à cet impact avec une fonction
didactique ou d'ancrage. Il me raconta que j'étais assis sur le banc favori de
Don Juan ce qui m'émouvait beaucoup. En frottant ses mains, il m'assura que le
moment était propice.
- "Sais-tu ce qu'est la règle ?" -me demanda-t-il.
Bien que j'en eusse lu quelque chose à ce sujet dans l'un de ses livres, je n'en
avais pas compris grand-chose. Je niai donc d'un signe de tête.
Il continua :
- " C'est le nom que les voyants donnent au moyen de conduire à la sorcellerie,
un genre de lettre de navigation ou un livre de bord, un "cahier de charges"
contenant les devoirs d'un guerrier au sein de ses pratiques.
"Après l'avoir mise en évidence avec précision, les sorciers de l'ancien Mexique
aboutirent à la conclusion que, tout autant que tous les êtres vivants possèdent
un modèle biologique défini qui leur permet de se reproduire et d'évoluer, nous
avons aussi un modèle (un patron) concernant l'énergie responsable à notre
développement en tant qu'êtres lumineux.
"La règle est la matrice hors de laquelle les moules d'une espèce extraient leur
énergie. Vous pouvez le comprendre comme le plan évolutif de chaque existence
vivante, non seulement terrestre, mais de appartenant à n'importe quel coin de
l'Univers où existe la conscience. Personne ne peut se détacher d'elle. La seule
chose que nous pouvons faire, c'est d'en ignorer l'existence, ce qui dans ce cas
nous fera passer au travers de l'existence en ignorant ce que nous sommes
vraiment : une masse vivante au service d'un but que nous ne pouvons pas
comprendre."
" En termes de sorciers, la règle est une esquisse des commandements de l'aigle
: une équation qui met en corrélation l'efficacité des actes avec l'économie
d'énergie. Pratiquement et dans ce contexte, une telle combinaison ne peut
produire une autre chose qu'un guerrier."
"La règle se suffit à elle-même et couvre toutes les facettes du chemin du
guerrier. Elle décrit comme est créée et entretenue une aventure avec le Nagual,
de quelle façon les générations y sont connectées pour faire une lignée et
comment il les conduit à la liberté. Mais, pour être à même de l'utiliser comme
une clef de pouvoir, tu dois le vérifier par toi-même".
- "Comment peut-elle être vérifiée ?"
- "La règle même va de soi pour le sorcier-voyant. Pour un débutant comme toi,
le meilleur moyen d'en être le témoin consiste à détecter son intrusion dans ta
vie quotidienne ".
Je lui demandai comme les hommes en arrivèrent à concevoir l'existence de cette
matrice.
Il me répondit :
- "Elle a toujours existé. Cependant, les voyants en sont les découvreurs et les
gardiens."
"La règle est à l'origine de l'ordre universel. Sa fonction et son but sont
inconnus, pas parce que les voyants ne savent pas mais parce qu'ils ne le
comprennent pas. Des centaines de générations de sorciers ont donné leur vie vit
dans l'optique d'élucider et de développer des propositions pratiques pour
chacune de ses unités conceptuelles."
"Au commencement, chacun pensait détenir une faible lueur de cette structure,
parce que personne ne savait ce qu'elle était vraiment. Pour les voyants de
l'ancien Mexique le contact débuta avec les autres entités conscientes sur cette
terre, beaucoup plus vieilles et plus expérimentées qu'eux-mêmes, c'est ainsi
qu'ils acquirent des portions de la règle. Un jour, ils comprirent que toutes
ces aliquotes s'adaptaient parfaitement les unes aux autres comme en un puzzle.
Alors, ils en découvrirent ce qu'ils appellent la carte et s'initia la lignée
des anciens voyants.
"Au travers de leur voir, ils vérifièrent la plupart des bribes concernant les
rêveurs. Ils éprouvèrent toutes les combinaisons et déterminèrent leurs effets
sur la conscience. Ils organisèrent les exercices du rêver en sept niveaux de
profondeur et ils pénétrèrent jusqu'aux lieux les plus intimement inexplorés et
inconnus de l'Univers. Petit à petit, ils développèrent le design du clan du
nagual, une structure dans forme de pyramide extrêmement stable et capable
d'exprimer avec transparence les dessins du pouvoir."
"Mais il existe quelque chose que ces anciens ne vérifièrent pas: la règle pour
les traqueurs. Ils connaissaient la traque comme une possibilité latente qu'il
ne valait pas la peine d'explorer pratiquement."
- "Pourquoi ?"
- "Parce que, en une époque ou être sorcier était le sommet de l'échelle
sociale, la traque en tant qu'art n'en avait pas de raison d'être. Cela aurait
été un mauvais investissement. Mais, lorsque la modalité fit en sorte que les
sorciers furent en voie d'extinction, la traque prit une autre importance.
"Ce ne fut pas avant l'apparition des Toltèques que la deuxième grande partie de
la règle révéla son extraordinaire contenu. Ne survécurent que les lignées qui
étaient capable de l'appliquer; les autres furent dissoutes, perdues dans un
tourbillon qui signifiait la fin du règne des anciens voyants. L'incorporation
de la traque détermina la naissance des nouveaux voyants. Avec eux, la règle du
nagual était totalement élucidée."
- "Quand cela survint-il ?"
- "L'ère des nouveaux voyants commença approximativement il y a cinq mille
années et atteint son apogée dans les temps de Tollan. Par la traque, la
contribution fondamentale de ces guerriers à la sorcellerie fut la notion de
"l'impeccabilité".
- "Le but de la règle du nagual est de générer des groupes (ensembles-entités)
ce qui signifie, des organismes auto-conscients capables de voler à travers
cette l'immensité-là. De tels organismes sont construits sur base d'un groupe de
guerriers qui ont harmonisé leurs intentions individuelles. Le but de ce dessein
est de perpétuer la conscience selon une dimension non humaine ".
- " Non-humaine ? "
- " C'est exact. Une dimension dont la personnalité n'est plus l'objectif n'est
plus la personnalité ".
- "Les êtres humains sont incapables d'entrer et rester longtemps au sein de la
conscience cosmique, cette étape que Don Juan a appelé "la troisième attention".
Ou nous partons là et oublions, ou nous restons et nous fusionnons avec cette
mer insondable. Mais le pouvoir qui nous gouverne a trouvé le moyen d'ignorer
pareille limitation et a ainsi créé des organismes dans lesquels les entités
individuelles fonctionnent comme des membres."
"Dans ces organismes la profondeur est produite par un type d'attention
radicalement nouveau, une intention orientée d'explorer l'inconnu et
d'investiguer par équipes ce ne que l'on ne peut pas savoir. Les sensations
d'individualité n'ont plus de centre pour en rendre compte, parce qu'elles sont
substituées par quelque chose de beaucoup plus intense : vivre au-dedans du
tout, en un état d'énergie qu'aucun homme commun ne peut même imaginer. Il n'y a
pas de routines, il n'y a aucun moi, il n'y a aucune ignorance, et il n'y a
aucune interprétation. Ce type d'organisme n'est seulement qu'une étape sur la
route infinie de la conscience, mais, pour nous en tant qu'êtres humains, cette
étape est définitive."
Je lui demandai alors comment fonctionnait la conscience d'un tel organisme
Il mit en parallèle le corps physique.
- "Bien que d'une façon très confuse, chacune de nos cellules est consciente de
son unité et, à l'intérieur de certaines limites, peut agir avec indépendance.
Cependant, son intention individuelle est subalterne à un but supérieur qui est
de conformer le groupe que nous appelons "je".
- "Lorsque l'exploit incroyable de se rendre compte du but global finit par être
intégré dans notre raisonnement, nous pouvons alors seulement jeter un coup
d'oeil furtif une ligne évolutionnaire supérieure. Nous percevons la possibilité
d'être intégré avec notre énergique réciproque dans une vie de la façon dont les
buts sont très distants de ceux qui sont ceux de notre vie journalière, tout
comme la conscience d'une cellule pourrait avoir d'une intégralité. Les nouveaux
voyants appellent cette formation "le clan du nagual "
- "Qu'est-ce que cette énergie réciproque ?"
- "Elles proviennent d'êtres humains possédant des caractéristiques lumineuses
qui en complètent d'autres ou sont complétées par d'autres"
- "L'énergie est récurrente; elle produit des modèles-patterns que nous
partageons tous. En général, on peut dire qu'il y a quatre matrices lumineuses
de base avec douze variantes, synthétisées par l'homme nagual et la femme nagual.
Dans la mesure où un tonal tend vers l'idéal lumineux de sa catégorie, paraît un
niveau de conscience supérieur."
"Quand les modèles idéaux se trouvent l'un l'autre, ils ont tendance à se
combiner. Les sentiments d'attirance entre êtres humains peuvent être expliqués
par suite de la coalition de leurs moules-(configurations) d'énergie.
Normalement une telle coalition est très partielle, mais quelquefois il se passe
une vague soudaine et inexplicable de sympathie; un voyant dirait qu'a eu lieu
un acte de réciprocité d'énergie."
" Les guerriers d'un clan se combinent d'une telle façon que leur relation
produit de grands résultats en termes de gain et d'accumulation du pouvoir."
"Il est difficile de trouver les corps lumineux caractéristiques disponibles
pour la réalisation nagualique; l'ordinaire étant juste un tonal déformé par la
vie mondaine. Mais, quand un nagual est capable d'intégrer ce type d'organisme
(de corps, de clan), l'énergie de ses guerriers peut être fusionnée. Ils
sacrifient leur individualité à l'autel d'un objectif supérieur. Revenir à leur
isolement antérieur n'est plus possible, ce retour serait une mort inévitable.
On peut dire qu'un clan (organisme, corps nagualique) n'est pas formé par des
individualités, alors qu'il est un seul organisme vivant, sans plus aucun
dessein humain.
- "Quel est le niveau de conscience de chacun de ses membres ? " -
"C'est une Conscience TOTALE. Chacun d'entre eux connaît les histoires
pertinentes de pouvoir à leur spécialité et ils savent que leur fonction est
partie d'un but qui les transcende."
"Le rapport entre la règle et le groupe existe aux travers des tâches. Par
exemple, quand les femmes des rêveurs d'un groupe reçoivent l'ordre de
poursuivre l'énergie dans l'espace jusqu'à donner avec les possibles candidats
mâles une nouvelle génération de sorciers, elles se concentrent sur cette tâche
comme une voie royale vers la liberté. Elles n'ont pas d'autres intérêts. Si
elles faillent à la discipline qu'exige cette intention, le résultat peut être
chaotique."
Il me donna un exemple de l'impact d'un intérêt personnel présent au sein de la
tâche du sorcier.
" Peu après le début de mon apprentissage, et bien que personne ne m'ait demandé
de le faire, j'offris une aide à Don Juan pour constituer un nouveau clan.
Chaque fois qu'une belle fille s'intéressait à moi, je voyais en elle une
énergie réciproque possible et j'essayais de faire à Don Juan un boniment qui
faisait l'éloge de ses qualités.
"Au commencement, les guerriers pensaient que je plaisantais. Mais, chacun
savait et ils en eurent vite assez, et un jour que je voulus de leur présenter
ma nouvelle "femme nagual", je ne les trouvai plus, tous avaient déménagé. C'est
ce sentiment d'isolement qui m'aida à retrouver une certaine sobriété."
"Le clan est un être auto conscient qui nous surpasse magnifiquement. Participer
à son intention est quelque chose de si exceptionnel qu'aussitôt qu'un apprenti
entrevoit sa totalité, la position ou l'existence de l'ego fond tout simplement.
Cela n'implique pas qu'automatiquement il devienne impeccable; il doit faire
encore bien des efforts pendant des années pour tempérer son caractère et
extirper sa propre importance tout autant que l'obsession de pouvoir.
"Seuls l'homme et la femme nagual ont une vision totale de la fonction du groupe
(clan). En poursuivant l'analogie, je pourrais te dire qu'ils sont ses cellules
nerveuses, les unités qui commandent le processus de la perpétuation. Les autres
membres servent de support et supportent les tâches concrètes du redoublement du
groupe."
"Le travail du nagual est sans limite. Il doit dominer la traque et porter l'art
du rêve à la perfection, il doit apprendre comment voir et comment développer au
maximum sa capacité de manipulation, il doit donner un exemple de sobriété pour
maintenir la cohésion du groupe. S'il se permet un tant soit peu de s'écarter de
ses émotions, le résultat est la désintégration."
Je lui demandai pourquoi.
"Parce que le clan-groupe nagualique est un organisme de masse critique. Si l'un
de ses composants échoue, le dysfonctionnement qui en résulte cause un
effondrement subit et il est alors nécessaire de tout recommencer. C'est pour
cette raison que le nagual est obligé de demander aux guerriers le maximum
d'eux-mêmes et de préparer les tâches pour que chacun d'entre eux participe à la
création du groupe avec optimisme et confiance. Le lubrifiant du groupe est
l'impeccabilité de chacun de ses membres, et son combustible, le désir ardent de
liberté totale."
- "Combien de guerriers peuvent intégrer un groupe ?"
- "L'ordre normal d'un clan est quadripartite, afin que la règle ait la forme
pyramidale. La formation et la croissance sont portées par cette structure de
base essentielle. Comme dans les pyramides, l'architecture du groupe est
composée d'une base avec quatre points; à chaque point trois guerriers y sont
intégrés: un rêveur femme, un traqueur femme et un assistant mâle. Les points
sont connectés l'un à l'autre par des messagers et au-dessus de tous il y a le
couple nagual.
"La règle est manifestée à un homme ou une femme double par une vision et ils
doivent accepter d'être considérés comme naguals. Partant de cette acceptation,
les naguals doivent réunir leurs guerriers petit à petit en suivant toujours les
signes de l'esprit. Leur capacité de mener est naturelle et incontestable, parce
que comme êtres doubles, ils reflètent chacun des types de leur clan."
"On peut définir les naguals comme un homme et une femme d'énergie
extraordinaire impliquée dans un acte de fécondation d'une portée infiniment
plus haute que puisse connaître tout être humain. Tandis qu'ils restent
ensemble, ils se présentent ordinairement à la société comme mari et femme.
"La capacité du nagual homme est d'utiliser les mots les plus appropriés pour
dire des choses correctement, avec clarté intellectuelle, facilité et beauté.
Parmi les voyants de la lignée à laquelle a appartenu le groupe de Don Juan, le
"présage" désignant cette place était celle de l'être sur le point de mourir.
Tous les meneurs, excepté-moi, furent rencontrés en de telles et semblables
conditions."
- "Pourquoi est-ce que votre cas était différent ?"
- "Parce que, pour parler correctement, je suis un nagual excédentaire. Je ne
suis pas venu continuer la lignée, mais la sceller."
- "Et quelle est la règle pour femme nagual?"
- "La femme nagual est la lumière qui guide l'effort entier, la vraie mère. La
chose normale est qu'elle part avant le groupe, et qu'elle est reste en
fluctuation entre la première et la seconde attention, visitant les apprentis
pendant le rêve. Elle travaille comme un phare et, si nécessaire, elle peut
revenir de la deuxième attention semer une nouvelle génération de voyants."
"De leur côté, les guerriers féminins sont de deux types différents, traqueurs
et rêveurs. Elles ont deux types de fonctions : servir comme portiers et comme
gardiens. Les portiers appartiennent au chemin du Sud, elles sont la passoire ou
le filtre qui laissent passer ou non les apprentis. Elles déterminent si un
guerrier reste ou quitte les permissions et elles ont la plus grande liberté
dans la façon de disposer des membres de l'équipe.
Aussi, sont-elles les invocateurs des réunions de pouvoir.
"Les gardiens sont une sorte de version extérieure des portiers; il y en a un
blanc et un noir. Elles ont la charge de tout superviser pour la bonne fonction
du groupe ce qui signifie qu'elles doivent être alertées avant toutes attaques
possibles de l'extérieur et sont aussi prêtes à résoudre les problèmes internes.
Parmi les nouveaux voyants, toutes ces fonctions sont sous la responsabilité des
femmes."
- " Pourquoi est-ce ainsi ? "
- " Parce que les femmes ont plus de mobilité et d'énergie que les hommes.
L'univers entier est pratiquement de nature féminine, et les équipes de
sorcières y voyagent comme si c'était leur propre maison. Cette capacité de
circuler sans interférences au travers de l'énergie sombre leur donnent à être
les batteries d'un groupe."
"De l'autre côté, nous, les hommes nous sommes ensuite détectés parce que notre
énergie est claire et c'est un blâme. Aussi, comme nous n'avons pas été faits
pour donner naissance, nous n'avons pas d'organe spécialisé pour rêver. Excepté
le nagual, les éléments masculins n'ont pas beaucoup d'éclat à l'intérieur d'un
clan."
"De cette façon, la règle établit que quatre guerriers sont consacrés à
l'organisation, l'exploration et la compréhension afin qu'ils fixent leurs
points d'assemblage en des positions très spécifiques de l'énergie. Leur
présence est apte à stabiliser un groupe et neutraliser les explosions
fréquentes de pouvoir qui allument les guerriers femelles. Si ce n'était pas
ainsi pour celles-ci, la structure se volatiliserait aussitôt que les femmes
auraient atteint un certain niveau d'efficacité. C'est pourquoi les hommes
travaillent comme des ancres; ils fixent le groupe peu à peu jusqu'à ce qu'un
maximum de pouvoir ait été obtenu.
"De par à sa forme, Don Juan a nommé le clan : 'organisation du serpent'. C'est
un concept qu'il a hérité des vieux voyants, à cause des taches carrées que le
serpent à sonnettes a sur sa peau. Il affirmait que la tête de l'animal, avec
ses yeux fixes et hypnotiques, représentait le couple nagual. La poitrine
correspond aux guerriers féminins des rêveurs dont la fonction est d'inhaler les
visions et les distribuer parmi le groupe. L'estomac, aux traqueurs féminins,
capables de digérer toute situation concevable. La queue est formée des
assistants qui sont responsables de donner de la mobilité au groupe. C'est une
disposition très fluctuante."
- "Y a t-il des clans qui existent sous d'autres formes ?"
- "Dans une grande mesure, les guerriers sont le résultat de la manipulation
implacable du nagual. Vous pouvez comprendre que, après quelques années de cette
constante contrainte, la forme d'un groupe, et l'ombre illuminante qui va
s'alimentant à l'énergie de chacun de ses composants, devient très spécifique.
C'est pour cette raison que tant de lignées de sorciers existent. Mais toutes
ont; fondamentalement, le type de réceptions pyramidales que je vous ai
décrites, depuis que l'expérience eut démontré que c'est là la formule la plus
stable."
- "Quel est le but du clan du nagual?"
- "Du point de vue de l'Aigle, explorer, vérifier et accroître la règle. Chaque
génération de guerriers doit laisser une empreinte, parce que la règle est
cumulative. L'héritage de la lignée consiste en une série de positions du point
de l'assemblage auxquelles les groupes suivants viendront ajouter leurs propres
acquisitions. Il est obvie que les lignages prennent de fameux chocs lorsque le
naguals mettent bas leurs découvertes.
"L'intérêt de base de tous les organismes est de se reproduire. Par conséquent,
une bonne définition consisterait à dire que la règle est l'esquisse d'un
processus reproducteur. Ce qui cherche à être reproduit est la perpétuation de
la conscience, quelque chose qui, à partir d'un certain point, ne peut être
réalisé par des simples individus. Les ressources que chaque guerrier acquière
personnellement pendant sa formation sont secondaires.
"D'un point de vue de sorciers, l'objectif du groupement est de forcer le pas à
un autre niveau d'attention, parce que sans l'énergie de la masse il n'y a pas
de vol."
- "Est-ce que vous signifiez que les guerriers solitaires n'ont pas ces
possibilités ?"
- "Non. ce que je veux dire c'est qu'un groupe peut obtenir énormément plus.
"Vous pouvez imaginer que vous vivez dans une colonie de chenilles grégaires en
état de métamorphose. Soudainement, un des rejetons fait de l'éclat et part dans
une explosion momentanée de lumière et couleur. La sensation qu'il nous laisse
est celle d'une chenille disparue. Mais de l'autre côté, sa vraie vie en tant
que papillon aura commencé pour elle. En outre, il est bien plus vraisemblable
qu'une chenille isolée finisse dans l'estomac d'un oiseau.
"De la même façon, l'objectif ultérieur des guerriers est le saut définitif dans
la troisième attention, la liberté de toutes les formes d'interprétations
possibles. La quantité d'énergie nécessaire pour cela ne peut être seulement
disponible qu'au travers d'une masse critique spécialement consentante de façon
à générer les dispositifs adéquats pour compacter l'énergie.
"Cependant, comme beaucoup de clans sont incapables d'atteindre leur plénitude
d'énergie, les naguals ont construit une oasis habitable au sein de la seconde
attention, une intention énorme construite en un point lointain du rêver, et où
les voyants entrent seul ou par petits groupes. Je l'appelle "le dôme" de
l'intention, parce qu'à le voir, il a cette forme, mais Don Juan a préféré
l'appeler 'le cimetière du naguals '."
- "Pourquoi est-ce qu'il l'a nommé ainsi ?"
- "Parce que séjourner dans cet espace implique la mort littérale du sorcier.
Dans un sens non moins allégorique, il s'agit bien d'un cimetière. Bien que ceux
qui choisissent cette destination aient accompli l'expansion de la conscience
pour une période énorme de temps, ils doivent la laisser aller quand le moment
arrive.
"Donc, pour beaucoup de sorciers, l'objectif immédiat du clan est habituellement
le dôme des naguals, espérant être capables de l'utiliser comme un port où ils y
accumulent des vivres pour une grande expédition. Il n'est pas nécessaire que le
groupe entier en arrive là d'un bloc. En certaines occasions les guerriers
choisissent de s'y rendre un par un. Dans ce cas, ils peuvent revenir
partiellement, pendant aussi longtemps que le nécessitera la complétion de
l'intégralité du groupe en tant que structure d'énergie.
"Comme tu le comprendras, les défis dans lesquels les guerriers sont impliqués
pendant leur existence humaine sont à peine des préludes; les choses terribles
viennent plus tard. Ne te demandes pas à quoi ils se consacrent entre-temps
pendant qu'ils restent dans ce monde; cela vous semblerait une histoire
féerique. La chose importante c'est que toutes leurs activités soient gouvernées
par la règle."
Je lui dis alors qu'en y pensant bien, le but de la règle pour le groupe
pourrait être interprété comme l'équivalent des connaissances préhispaniques de
ce que dans d'autres cultures on a appelé "lois divines" soit, une série de
plans régulateurs conçus pour sauver l'homme.
Il me répondit :
- "Ce n'est pas la même chose, parce que cela ne vient pas d'un être suprême. Le
mécanisme de la règle est impersonnel, il n'a ni gentillesse ni compassion. Il
n'a pas d'autre cible que sa propre continuité.
"Emportés par les analogies, les anciens voyants firent l'erreur d'identifier la
règle avec leurs interprétations particulières, et ils en sont arrivés à
l'adoration ainsi qu'à la construction des temples en leurs honneurs (leurs lois
ou leurs dieux ou leurs interprétations). Les nouveaux repoussèrent tout cela. À
travers l'exploration de la traque, ils dépoussièrent l'essence de la
sorcellerie et redécouvrirent l'objectif de liberté totale qui ne ressemble à
rien de connu parmi les objectifs religieux. Cela effaça en eux la fascination
du moule humain, mais il y eut un effet secondaire que je t'ai déjà expliqué :
l'enthousiasme sauvage des vieux fut substitué par des attitudes furtives et
malhonnêtes.
"L'effet de la traque sur les groupes finit par trahir les mobile initiaux. Avec
le temps, la liberté totale finit par être pensée uniquement dans une forme de
rhétorique. Presque toute la lignée des sorciers de Don Juan a préféré le vol
vers la deuxième attention. Excepté le nagual Julián Osorio, aucun d'eux ne
voulait être privé de l'aventure et de l'extase à visiter le dôme des naguals,
construit par d'intention, dans une des étoiles de la constellation Orion."
"La règle est définitive, mais son design et sa conformation sont en évolution
constante. Cependant, contrairement à ce que les évolutionnistes disent à propos
des adaptations de la vie apparaissant au hasard de l'accumulation de mutations
génétiques, les voyants savent qu'il n'y a pas de causalité dans la règle. Ils
voient comme un ordre de l'aigle, selon une forme d'onde d'énergie, qui secoue
les lignées du pouvoir de temps en temps produisant de nouvelles étapes dans
sorcellerie.
"Une façon de plus exacte d'en faire référence, suppose que toutes les variantes
possibles de la règle sont contenues dans une matrice antérieure, et ce qui va
changeant avec le temps est le niveau de connaissance que les sorciers ont de
cette intégralité et l'emphase qu'ils développent pour certaines portions. De
telles périodes de changement sont périodiques et elles sont représentés par le
nombre trois."
- "Pourquoi trois?"
- "Parce que les vieux Toltèques ont associé le nombre trois avec le dynamisme
et la rénovation. Ils ont découvert que les formations ternaires annoncent des
changements inattendus.
- "La règle a disposé ainsi pour que, de temps en temps, un type spécial de
naguals apparaisse dans les lignées dont l'énergie n'est pas quadripartite, mais
plutôt à seulement trois compartiments. Les voyants les appellent "naguals à
trois points".
Je me renseignai au sujet de la différence entre ceux-ci et les autres.
Il me répondit :
- "Leur énergie est volatile, ils sont toujours dans mouvement, pour cette
raison il leur est difficile d'accumuler le pouvoir. Du point de vue de la
lignée, leur composition est défectueuse; ils ne peuvent être de vrais naguals.
Pour leur compensation, il ont ce manque de timidité et de réserve qui
caractérisent les naguals classique ; enfin ils possèdent une capacité
exceptionnelle à improviser et communiquer.
- " On pourrait dire que les naguals à trois points sont comme l'oeuf du coucou
qui est incubé dans le nid d'autre oiseau. Ce sont des opportunistes, mais ils
sont indispensables. Contrairement aux naguals à quatre points dont la liberté
est de passer inaperçu, ceux-là ont des personnalités disponibles. Ils
divulguent les secrets et se concilient la fragmentation de l'enseignement, mais
sans eux les lignées du pouvoir auraient été éteintes depuis longtemps.
" Parmi les nouveaux voyants, la règle veut qu'un nagual s'en va en laissant la
descendance un nouveau clan. Quelques-uns, de par leurs surplus d'énergie
énormes, sont capables d'aider à l'organisation d'une seconde voire même d'une
troisième génération de voyants. Le nagual Elías Ulloa, par exemple, vécut assez
longtemps pour créer le groupe de son successeur et même d'influencer le
suivant. Mais cela ne signifiait pas que la lignée fourchait; tous ces groupes
faisaient partie de la même ligne de la transmission.
" De l'autre côté, le nagual à trois points est autorisé à transmettre sa
connaissance selon une forme radiale qui porte à la diversification des lignées.
Son oeuf lumineux exerce un effet de désintégration sur le groupe qui casse la
structure linéaire de transmission et fomente un désir de changement et d'action
parmi les guerriers, ainsi qu'une une intense disposition à être impliqué avec
leurs compagnons."
- "Est-ce ce qui s'est passé avec vous ?"
- "C'est cela. Dû à ma configuration lumineuse, je n'ai pas de problèmes à
laisser des foyers de connaissance là où je vais. Je sais que j'ai besoin d'une
quantité énorme d'énergie pour accomplir ma tâche, et que je peux l'obtenir
seulement d'une certaine masse. Pour cette raison je suis disposé à diffuser la
connaissance à transformer et à redéfinir les paradigmes."
LA PART DE LA RÈGLE CONCERNANT LE NAGUAL A TROIS POINTS
- "Comme tu le sais, mon maître fut mis en contact avec la règle du nagual à
trois points, quand il essaya d'analyser certaines anomalies à l'intérieur du
nouveau clan. Il semblait que je n'étais pas synchronisé avec le reste des
apprentis. Alors il me consacra assez d'attention qui me fit voir que je
masquais ma configuration énergétique."
- "Est-ce que vous signifiez que la vision de Don Juan était une méprise ?"
- "Bien sûr que non! Ce qu'il eut du mal à comprendre était dans son Voir. Voir
est forme finale de la perception; il n'y a pas d'apparences, il est impossible
de confondre. Cependant, dû a la pression qu'il projeta sur moi pendant des
années; mon énergie lutta pour se mouler sur la sienne. C'est très commun parmi
les apprentis. Comme il était divisé en quatre compartiments, j'ai commencé à
manifester une charge d'énergie semblable dans mes actions.
"Quand finalement je fus capable de supprimer son influence (chose qui m'a pris
dix années de travail ardu) tous les deux nous avons découvert quelque chose
d'étonnant : mon oeuf n'avait seulement que trois compartiments; cela ne
correspondait pas à une personne ordinaire qui habituellement en a deux mais ne
correspondait pas non plus au nagual commun. Cette découverte fit un grand choc
dans le groupe des voyants, néanmoins tout cela annonçait à tous annoncent un
changement profond pour la lignée.
"Alors Don Juan revint à la tradition de son prédécesseur et nettoya un aspect
oublié de la règle. Il me dit que la sélection d'un nagual ne peut pas être
considérée de toute façon comme un caprice personnel, parce qu'à travers tous
les temps, c'est l'esprit qui choisit le successeur d'une lignée. Par
conséquent, mon anomalie d'énergie faisait partie d'un ordre. Face à toutes mes
questions urgentes, il m'assura qu'en temps opportun, un messager m'expliquerait
la fonction de ma présence en tant que nagual à trois points.
"Plusieurs années plus tard, alors que je visitais une des salles du musée
National d'Anthropologie et d'Histoire, je regardais un indien habillé comme un
Tarahumara qui paraissait avoir le plus grand intérêt pour une des pièces
exposées là et se promenant autour, il l'examinait à travers avec une telle
tache précision en montrant une telle concentration absolue, que ma curiosité
s'éveilla, et que je m'approchai pour regarder.
"Quand il me vit, l'homme commença à me parler, et m'expliquer la signification
d'un groupe de dessins soigneusement sculptés sur la pierre. Puis, pendant que
je pensais à ce qu'il m'avait dit, je me suis souvins de la promesse de Don Juan
et je me suis rendu compte que, cet homme avait été envoyé par l'esprit pour me
transmettre la partie de la règle concernant le nagual à trois points".
-"Et que dit cette partie ?"
- "Elle affirme que, tout comme le groupe clan a une matrice d'énergie qui
contient le nombre dix-sept (deux naguals, quatre femme rêveurs, quatre
traqueurs, quatre guerriers et trois messagers), la lignée formée par un groupe
lui succédant a aussi une structure du pouvoir, de nombre cinquante deux.
L'aigle a ordonné que à chaque cinquante deuxième génération de naguals à quatre
points, doit paraître un nagual à trois points, donc celui-ci sert comme action
cathartique, à la propagation de nouvelles lignées quadripartites.
"La règle dit aussi que les naguals à trois points sont destructeurs de l'ordre
établi, parce que leur nature n'est pas créative ou nourrissante, et qu'ils ont
tendance d'asservir tout ce qui les entoure. Il ajoute que ces naguals doivent
accomplir la liberté par eux-mêmes, parce que leur énergie n'est pas réglée pour
guider les groupes de guerrier.
"Comme tout dans l'environnement énergétique, les cinquante deux blocs de la
génération sont divisés en deux parties; les premier vingt-six blocs sont pour
l'expansion et pour la création de nouvelles lignées, le reste est orienté à la
conservation et l'isolement. Ce modèle de comportement fut répété millénaire
après millénaire et c'est pourquoi les sorciers savent que c'est une partie de
la règle.
"Par l'effet de l'activité des naguals à trois points, la connaissance s'est
massifiée et les nouvelles cellules de naguals à quatre points se sont formées.
A partir de là, les lignées suivent à nouveau la tradition qui est de
transmettre l'enseignement selon une forme linéaire."
- "Quelle est la fréquence d'apparition des naguals à trois points ?"
- "Approximativement une fois par millénaire. C'est l'âge de la lignée à
laquelle j'appartiens."
"Par la vérification de la règle des naguals à trois points, Don Juan en a
déduit que le temps d'une nouvelle espèce de guerriers devenait plus proche
inévitablement, ce que j'ai appelé les voyants " modernes.
- "Existe-t-il une particularité dans la configuration lumineuse de ces
guerriers ?"
- "Non. De tous temps le modèle de l'énergie de l'homme a été très homogène,
donc l'organisation du groupe nagualique est restée la même. Cependant, les
guerriers actuels éprouvent dans leur luminosité un rafraîchissement de leur
luminosité qui tend au vert et c'est ainsi qu'ils retrouvent des
caractéristiques personnelles des anciens voyants. C'est parfois accidentel;
bien qu'assurément tout cela fasse partie intégrante de la règle.
"La vraie différence entre les anciens et les nouveaux voyants réside dans le
comportement. Par le fait que nous ne soyons pas soumis aux mêmes répressions
que jadis les sorciers ont moins de contraintes. Tout cela dans un but très
clair : la divulgation de l'enseignement.
"Je suis passé par ici pour vivre un temps de rénovation. Mon but est fermer
avec une clef d'or la lignée des naguals de Juan Matus et ouvrir des
possibilités à ce qui viendra plus tard. Pour cette raison j'ai dit que je suis
le dernier nagual de ma lignée, mais non pas dans un sens absolu, mais dans un
sens de changement radical."
À ce point, Carlos fit une pause dans son exposé et il me rappela une
conversation que nous avions eue au début de nos échanges.
En ces temps-là, je lui avais demandé qu'il me raconte des histoires de pouvoir.
Il m'avait répondu qu'il ne pouvait pas réfuter ma demande, mais à me donner ces
histoires sans auparavant me montrer le chemin, il les aurait banalisées.
- "J'espère ce que tu as vu pendant ces années remplit tes attentes. J'ai fait
ce que je pouvais, prenant en compte tes limitations et les miennes. Je sais que
tu as déjà commencé à instruire ton double par les rêves et cela garantit que tu
peux continuer par toi-même; ton double ne te laissera pas seul jusqu'à ce que
tu accomplisses ta totalité. La partie théorique est terminée et il est temps de
te donner un dernier cadeau ".
Le ton de sa voix, entre familier et solennel, avec lequel Carlos me dit ces
mots me fit concentrer toute mon attention.
- "L'enseignement définitif dit que le rapport qui lie l'intention avec toute
personne qui approche un nagual, occupe une place, peu importe laquelle, au sein
du contexte total de la règle. Donc tu n'es pas seul, les sorciers attendent
quelque chose de toi."
- "Quoi ?" lui ai-je demandé, un peu confus.
Il m'expliqua :
- "Tous les guerriers ont une tâche. La tienne est que tu accomplisses ce que
l'esprit te demande; c'est ta voie de pouvoir."
- "Et quelle est cette tâche ?"
- "Bien, ta mission personnelle est quelque chose que ton benefactor te
communiquera un jour. Cependant, en te donnant la règle du nagual à trois
points, je poursuis une stratégie à long terme élaborée par Don Juan et cela
t'engage avec l'intention de mon maître.
"Ce qui est attendu de toi est de dire à qui t'entoure :
-"Vous êtes libre, vous pouvez voler par vous-même ! Vous avez déjà
l'information nécessaire, qu'attendez-vous de plus ? Agissez impeccablement et
vous verrez comment l'énergie découvre le moyen d'être canalisée.
- "Dis à tout le monde qu'au- point de départ de la culmination de la lignée de
Don Juan, la connaissance fut ouverte. Chaque guerrier est responsable pour
lui-même et il peut lui être donné l'occasion minimale d'organiser son propre
groupe nagualique."
QUATRIÈME PARTIE
Aujourd'hui, le monde des Anciens Voyants
Avec la permission de ce qui n'a pas de nom, je procède avec mon témoignage pour
que soit mise à jour toute la vérité.
Une certaine fois, un appel téléphonique me réveilla très matinalement. C'était
lui, Je l'entendais franchement très mal. Il disait qu'il était descendu à
l'hôtel Camino Real de la ville de Mexico et qu'il était très malade. Il ajouta
qu'il n'avait pas pu dormir de toute la nuit, et qu'il était seul n'attendant
que le jour se lève pour pouvoir m'appeler.
Je lui demandai comment je pouvais l'aider.
il me répondit qu'il avait besoin de toute urgence d'un certain médicament
préparé spécialement à son intention par un herboriste d'un village voisin, et
il me demandait si je pouvais m'y rendre.
Je me mis à ses ordres. Il me donna alors les coordonnées et le nom de la
personne chez qui je devais aller chercher la potion.
Il fit alors un commentaire qui me parut étrange, en ce sens qu'il n'avait rien
à voir avec ce dont nous parlions
- " Lorsque Hernan Cortes arriva à Mexico, il ordonna de brûler ses navires. Ce
fut l'acte magique qui lui garantit la victoire. Pour lui, il ne s'agissait que
de gagner ou de périr, il n'y avait pas d'autre option. C'est pour cela qu'il
faut prendre en compte le fait que chaque entrepris peut être la dernière. "
Il poursuivit encore en disant qu'il avait une douleur aigue à l'estomac et que
ces plantes étaient l'unique au monde qui auraient pu alléger la douleur.
Je n'attendis pas plus longtemps. Le téléphone raccroché, j'étais déjà sur le
chemin de Tepoztlán, un petit village pittoresque collé à la montagne à
seulement une heure d'autobus du Sud de la ville de Mexico. Mon intention était
de rentrer avec la commande aussi vite que possible, afin d'aider Carlos à
supporter sa douleur.
Aujourd'hui, avec la perspective que j'ai après tant d'années, je comprends ce
qu'il voulait dire quand chaque entreprise pouvait être la dernière.
En descendant de l'autobus, je me dirigeai directement vers le marché. Alors,
que je cheminais dans une rue en contrebas, je ne pus m'empêcher de
m'émerveiller sur la beauté du paysage. Tout en haut, juchée sur le haut de la
colline, on voyait la pyramide de Tepozteco.
C'était un jour ensoleillé et cela ne me prit que quelques minutes pour
parcourir le chemin qui conduisait au centre du village.
Au marché, je cherchai le coin des herboristes et je demandais Don Eladio.
Personne ne semblait le connaître ou alors personne ne voulait répondre à mes
questions.
Je restai ainsi, coincé sans savoir que faire, jusqu'à ce qu'un homme d'âge
moyen et aux traits indigènes, vêtu de blanc, avec un chapeau de paille et des
huaraches, me demanda ce que je cherchais.
Je lui répondis que je cherchais Don Eladio, l'herboriste et que je venais de la
part du señor Jose Cortes. Son visage s'illumina et avec un grand sourire, il me
tendit la main en me disant qu'il était Eladio Zmaora et qu'il était à mes
ordres.
Je lui dis donc que je venais pour emporter les médicaments qu'il aurait dû
préparer.
Il parut ne pas comprendre de quoi je parlais, mais lorsque je lui dis que je
venais de la part du señor Jose Cortès qui souffrait d'une forte douleur à
l'estomac il réagit comme s'il se souvenait de quelque chose. Sur un ton
dramatique, il me dit alors qu'il savait de quoi il s'agissait mais, que,
malheureusement, il n'avait pas pu réunir les herbes en question sans lesquelles
il ne pouvait pour l'instant préparer le breuvage.
Je m'alarmai car je savais bien ce qui se passait avec ceux qui faillissent dans
les tâches ordonnées par Carlos Castaneda : ils étaient simplement écartés.
Je demandai à Don Eladio si il existait un quelconque moyen de trouver la plante
ailleurs
Il nia de la tête.
" Il est inutile que tu la cherches personne ne la vend par ici. "
J'insistai en disant qu'il devait bien y avoir un endroit où on pouvait la
rencontrer.
Observant mon désespoir, il me dit que en ce moment, il ne pouvait pas y aller,
mais peut-être que si je revenais à la fin de la semaine…
il me rendit nerveux et je lui dis que s'il me décrivait comment était la plante
et où elle poussait, j'étais bien disposé à aller la chercher tout seul pour
qu'il puise préparer la médecine.
A voir ma détermination, Don Eladio acquiesça et il m'avertit que se rendre
jusqu'à l'endroit où croissait la plante était dangereux et épuisant.
" Je suis disposé à tout " - lui répliquai-je.
Il paraissait apprécier mes paroles, parce que il apporta ensuite un vieux livre
de botanique et après en avoir fouillé les pages, il me montra un dessein de la
plante. Il annonça que l'unique endroit où cette plante pouvait croître était un
ravin entre les collines et il m'expliqua comment y parvenir.
Il fallait compter deux heures pour y aller et je pris congé immédiatement pour
me mettre en chemin.
La beauté des environs est immense. J'étais rempli de jubilations à penser que
jadis des guerriers d'autres temps transitaient par ces sentiers incultes.
La colline était beaucoup plus lointaine qu'il m'avait semblé. Lorsque je
parvins au ravin, je me faufilai comme je pus au milieu des hautes herbes qui y
proliféraient. Le lieu en question était formé par la rencontre de deux
collines, où l'eau de la dernière pluie se tenait accumulée en diverses mares et
y coulait lentement et paresseusement.
Je cherchai assez longtemps. Finalement, je trouvai la plante, mais, pendant que
je la récoltais, je sentis un fort coup sur la tête et je perdis conscience.
Je fus réveillé par une douleur vive. J'étais étendu dans un hamac, sur un
paquet d'herbes. Je regardai autour de moi : je me trouvais dans cabane
rustique. Le sol était de terre battue et le toit était fait de tuiles soutenues
par des poudres de bois noircies par la fumée.
Près du four d'argile se tenait une vieille femme en accoutrement indien. Je
remarquai que son pied était blanc. De me voir éveillé elle sourit et me dit :
" Hue ! Bienvenue au monde des vivants ! Tout un temps j'ai cru que tu étais
foutu. "
Je ne sus que répondre. Je voulus bouger et je sentis une douleur déchirante
dans la tête ; tout mon corps me faisait mal.
La vieille se dépêcha de s'approcher de moi et elle m'ordonna de toute urgence
de ne pas bouger, déjà que c'était par miracle que j'étais vivant.
Par la douleur que je sentis, je pus évaluer la gravité de ma situation et je
m'exécutai.
Je lui demandai ce qu'il m'était arrivé.
Elle ne savait pas. Elle croyait que j'avais été attaqué par des bandits qui
m'avaient rossé en me laissant pour mort dans la colline. En me désignant les
vêtements que je portais , elle expliqua que j'étais dénudé lorsqu'elle me
rencontra. A ce moment, je remarquai que je portai un tablier blanc avec un
liseré de colibri, style typiques des femmes indigènes.
L'ancienne se présenta. Elle dit qu'elle s'appelait Silvia Magdalena et qu'elle
s'était consacrée à l'herboristerie et qu'elle soignait mes blessures.
Elle ajouta encore que c'était une vraie chance que de m'avoir découvert sur son
chemin, dans un tel état, exsangue et quasi mort. Il y avait trois jours que
j'étais inconscient et que dans un jour ou deux je pourrais me lever.
Ses paroles me firent sursauter ? Je voulus à nouveau me redresser mais je me
sentais si faible que je retombai sur le hamac.
Je lui confessai mon étonnement pour tout ce qu'elle me racontait et, sur un ton
de lamentation, je lui racontai que je m'étais rendu dans cet endroit pour y
chercher certaines herbes pour un ami mais que j'avais failli à ma tâche parce
que désormais, je ne pourrais sans doute plus le revoir.
Elle se mit à rire à mon écoute. Je ne compris pas pourquoi.
En voyant mon expression déconcertée, elle déclare :
" Ne m'en tiens pas rigueur ! Je suis sujette aux fous rires !
Les jours qui suivirent furent les plus étranges de ma vie. Je pus observer
comment doña Silvia soignait quotidiennement des patients qui souffraient de
toutes sortes de maux. Lorsque je me sentis un peu mieux, elle-même me proposa
que je l'aide un peu. De cette façon, sans m'en rendre compte, je fus initié à
la médecine des plantes.
Avec le temps qui passait, j'appris tout ce qui relevait de son art. elle
m'apprit à nettoyer l'énergie des gens, à faire des soins pour tous types de mal
: beaucoup de chiropraxie et une immensité de recettes de thé.
Je compris vite que Doña Silvia était une sorcière et qu'elle m'avait pris comme
disciple. Le sol fait de rester avec elle était pour moi un véritable délice e
par son humeur théâtrale et par le fait que chaque chose qu'elle faisait était
magnifique et me rappelait les descriptions que Carlos avaient établies de ses
maîtres.
Je passais environ trois mois dans le hamac. C'est au début que ce fut le plus
dur, alors que je ne pouvais pas encore bouger et que devaient venir certains
assistants de la guérisseuse pour que je me lève pour aller aux toilettes. Ce
qui empirait encore plus la situation était qu'elles se trouvaient loin de la
maison.
Un jour, alors que je me sentais bien mieux, Doña Silvia me dit que lors de la
prochaine lune il y aurait une cérémonie d'initiation à mon intention. J'avais
déjà appris beaucoup de son monde et j'acceptai l'invitation qui véritablement
m'honorait t.
Elle entérina : " Tout ce qu'il me reste à te dire au sujet de cette cérémonie
c'est que ceux qui participent à cette cérémonie sont changés pour toujours et
ne redeviennent jamais ce qu'ils étaient, puisque de toute façon on ne fait
jamais une régression à ce qui était avant. "
Comme à l'accoutumée, je ne compris pas ce à quoi elle faisait référence, car
cette femme était très riche en vocables assez rares.
Il était plus ou moins neuf heures du soir lorsqu'elle me demanda de
l'accompagner. Nous cheminions dans l'obscurité depuis environ une heure,
lorsque nous arrivâmes en un endroit où brûlait une flambée avec des personnes à
l'entour. Lorsque nous nous approchâmes, elle m'indiqua que je devais m'asseoir
sur une pierre qui était là-bas.
Le lieu de la réunion se situait près d'une cascade ; je pouvais nettement
entendre le ruissellement de la chute d'eau, tout comme je pouvais aussi sentir
un peut d'air humide qui parvenait à l'endroit où nous nous trouvions.
Le feu donnait assez de lumière pour voir les participants ? Nous étions un
groupe d'environ quinze personnes, jeunes pour la majorité mais il y avait aussi
quelques vieux de l'âge avoisinant celui de Doña Silvia. Je me sentais un peu
incommodé par le fait d'être à l'écart et parce qu'il semblait bien que j'étais
le seul nouveau.
Je n'avais jamais assisté à une cérémonie de ce type et je ne savais pas comment
procéder ni ce qu'on attendait ; cela me remplissait d'appréhension. Les
participants chantaient solennellement quelque chose que je pouvais pas entendre
parce qu'il me remplissait d'un étrange sentiment de nostalgie.
Après avoir attendu un moment, sorti de l'obscurité un homme revêtu de la peau
d'un coyote et il s'approcha du feu, dansant d'une façon étrange. Il portait la
tête de l'animal en guise de masque et personne ne pouvait ainsi remarquer son
visage. Par ses manières et ses mouvements, je compris qu'il s'agissait d'un
sorcier.
Sans dire aucune parole, l'homme vint moi. D'un geste très habile, il attrapa ma
main gauche et la passa sous son bras, me tournant le dos. Je sentis une douleur
aigue entre mes doigts et je voulus retirer mon bras, mais il le tenait trop
fortement enserré. Lorsqu'il me lâcha, je remarquai qu'il m'avait tailladé entre
le médius et l'annulaire et que de là coulait le sang librement.
Je fus commotionné, je voulus courir très vite loin de là mais la terreur me
paralysait.
Ensuite, le sorcier serra ma main pour faire sortir encore plus de sang et en
versa un peu sur la terre, un peu sur le feu et le reste dans un petit vase
d'argile.
Ensuite, il m'ordonna de me redresser, que je e dévêtisse et que je garde les
yeux fermés. Il parlait tellement fort et avec tellement d'autorité que
j'accomplis tout ce qu'il demandait.
Assez longtemps, le sorcier pria et chanta autour de moi. Je sentis qu'il me
soufflait dessus et qu'il me passait des herbes odoriférantes sur tour le corps.
Ensuite, il me lava avec le feu d'une torche ou quelque chose comme ça.
Puis, je sentis qu'il me versait une substance chaude et visqueuse sur la tête.
Ma curiosité était grande mais je ne tentai pas d'ouvrir les yeux pour ne pas
désobéir.
Finalement, c'est lui qui me l'ordonna. Quel choc, mon corps était couvert de
sang ! Sur un rocher tout près de moi, je vis la dépouille d'un chevreau mort
décapité. Je voulus protester, mais la solennité de l'occasion m'en empêchait.
Ensuite, ils exigèrent que je m'en fusse me laver. Ce que je fis ; je cheminai
nu face à tous et je me dirigeai vers la cascade. L'eau était froide, mais mon
corps brûlait de chaleur et je la sentis très agréable alors qu'elle lavait le
sang qui m'avait peint en rouge.
Lorsque je sortis de la cascade, quelqu'un m'attendait avec une serviette pour
que je me sèche. Ils me rendirent mes vêtements et je me vêtis, encore étourdi
par ces événements inattendus. Après, je revins alors prendre ma place tout près
du feu.
A peine assis, les participants du cercle commencèrent à se passer l'un l'autre
des paniers remplis de boutons de peyotl. Chacun prenait un bouton et le passait
au suivant vers la gauche. Je voulus refuser, mais ce n'était pas possible,
j'avais pris ma décision, et je me dis : " Qu'est ce que je risque ? " et je me
préparai à participer à la partie réjouissante de la cérémonie.
Pendant la plus grande partie de la nuit, nous avons consommé du peyotl et nous
avons chanté. A un moment, alors que j'étais sous les effets de la plante, le
sorcier s'approcha de moi et ôta son masque. Je fus abasourdi ; j'aurais juré
que c'était le même fantôme que celui que j'avais vu dans la crypte de la
cathédrale de Mexico !
Un frisson me parcourut le dos et je voulus crier, mais le sorcier me parla avec
une voix très rare, très sèche, presque rugueuse. Il me dit que son nom était
Melchor Ramos et que j'étais le bienvenu parmi eux.
Je ne sus que répondre ; j'acquiesçai d'un signe de la tête.
J'étais dans un état de conscience très particulier et la clarté dont je
bénéficiais à l'instant était peu courante dans ma vie quotidienne.
Une fois le matin venu, les assistants firent une énorme spirale avec les
braises du foyer. Don Melchor vint jusqu'à moi et dit que je devais regarder la
spirale jusqu'à ce que Xolostoc (le diable) se révèle.
Avec une appréhension grandissante, je fis ce qu'il m'ordonnait, en me disant en
moi-même que tout cela était purement symbolique. Mais ensuite, après avoir
regardé les braises avec frénésie, j'eus le tournis et je me sentis tomber dans
un tunnel jusqu'à une obscurité totale, où je ne me reconnus pas comme étant
moi.
A partir de cette fois-là, je ne revins plus jamais au monde duquel je venais.
Je comprends maintenant tout ce qui s'est passé et je ne peux que remercier ma
bonne étoile de m'avoir ainsi mis sur le chemin de ces êtres magnifiques que
sont ma maîtresse et mon benefactor.
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