|
O U S P E N S K Y |
Piotr Demianovitch Ouspensky
Fragments d'un enseignement inconnuPhilosophe platonicien, mathématicien, il est l'auteur vers 1910 d'un ouvrage (que Gurdjieff lira en 1912) Tertium Organum : «J’ai appelé ce système de logique supérieure le Tertium Organum, car il est pour nous le troisième canon, le troisième instrument, de la pensée depuis ceux d’Aristote et de Bacon. Le premier a été l’Organon, le second le Novum Organum, mais le troisième existait déjà avant le premier», sur ce site un peu extrême on trouve une traduction partielle. En quête du "miraculeux" il cherche en orient une connaissance, une école qui explique les rapports de l'homme à l'univers, il rencontre et devient l'élève de Gurdjieff en 1915, en 1922 c'est la rupture qui fut précédé par une mésentente conjugale chez les Ouspensky.
Dans les Fragments il rend compte minutieusement de l'enseignement qu'il reçut de G., à tel point qu'après l'avoir lu Gurdjieff donna immédiatement son approbation à sa parution alors que la brouille était ancienne et irréductible. Il recense tout l'échafaudage théorique, il rend compréhensible les concepts gurdjievins, les hommes sont des machines, il n'y a rien d'accidentel dans l'art véritable, l'acquisition de la connaissance, la définition des quatre corps selon Gurdjieff, la quatrième voie ou la voie de l'homme rusé, l'absence d'unité en l'homme ou l'illusion à l'égard du Moi, où se situe l'homme dans le monde, racine de tous les anciens systèmes les trois forces (guna), le rayon de création et les différents degrés de matérialité, les 4 aspects (carbone, oxygène, azote, hydrogène), le rappel de soi pour s'éveiller, la Loi d'octave découle du principe de discontinuité des vibrations, les états de la conscience, les tampons qui sont des obstacles au développement intérieur, la notion de bien et de mal, les cosmos et les lois qui les gouvernent, sa vision très personnelle de Kundalini, le bâillement et le rire ou la gestion de l'énergie, la nécessité ou non de l'abstinence sexuelle, le "miracle" vécu par Ouspensky lors d'échanges télépathiques avec G., le silence des adeptes de G., le sacrifice du renoncement à sa souffrance, l'objectif et le subjectif suivant le sens spécial que leur donne G., les symboles qui doivent êtres vécus, l'ennéagramme qu'il définit comme un symbole universel, l'origine de l'église chrétienne se trouve dans l'Égypte préhistorique, l'évolution planétaire, les définitions des cercles de l'humanité, le changement complet d'apparence ou la transformation de G., l'extraordinaire intensité dans le travail du premier séjour à Essentuki, un exercice essentiel le stop.
p370 - Et c'est alors que le "miracle" commença.
Je peux absolument certifier que G. n'eut recours à aucun procédé extérieur, c'est-à-dire
qu'il ne me donna aucun narcotique et ne m'hypnotisa selon aucune des méthodes connues.
Tout se déclancha lorsque je commençai à entendre ses pensées. Nous étions assis
dans cette petite chambre, au parquet sans tapis, comme on en trouve dans les
maisons de campagne. J'étais assis en face de G., le Dr S. et Z. à mes côtés.
G. parlait de nos "traits" et de notre incapacité de voir ou de dire la vérité.
Ce qu'il disait me troublait beaucoup. Et soudain, je remarquai que parmi les
mots qu'il prononçait pour nous trois, certaines "pensées" m'étaient destinées.
je captai l'une de ces pensées et lui répondis à haute voix. G. me fit un signe
de tête et se tut. Il y eut un temps d'arrêt assez long. G. se taisait toujours.
Mais voici que dans le silence, j'entendis sa voix au-dedans de moi comme si
elle avait été dans ma poitrine, près du cœur. Il me posait une question
précise. Mes yeux se portèrent sur lui : il se tenait immobile et souriait. Sa
question m'avait très fortement ébranlé. Cependant je lui répondis par l'affirmative.
- Pourquoi dit-il cela ? demanda G., regardant tour à tour Z. et le Dr S. Lui
ai-je demandé quelque chose ?
Et de me poser immédiatement une autre question, encore plus pressante, de la
même façon. Et moi de lui répondre, pour la seconde fois, d'une voix naturelle.
Z. et S. étaient visiblement étonnés - spécialement Z. Cette conversation, si
cela peut être appelé une conversation, se déroula ainsi pendant une demi-heure
au moins. G. me posait des questions silencieuses et je lui répondais à haute
voix. J'étais très agité par ce qu'il me disait, par les questions qu'il me
posait, et que je ne saurais transmettre ici.
Il s'agissait de certaines conditions que j'aurais à accepter faute de quoi je
devrais quitter le travail. G. me donnait un délai d'un mois. Je refusai ce
délai et lui dis que tout ce qu'il me demanderait, si difficile que ce soit,
j'étais prêt à le faire aussitôt. Mais il insista pour le délai d'un mois.
A la fin, il se leva et nous sortîmes sur la terrasse. De l'autre côté de la
maison, il y avait encore une terrasse, plus large, où nos amis se trouvaient
rassemblés.
Ce qui se produisit ensuite devait être le plus important - cependant je n'en
pourrai parler que très peu.
G. S'entretenait avec Z. et S. Soudain, il dit sur moi quelque chose que je ne
pus supporter, je me levai d'un bond et partis dans le jardin. Puis, je
m'engageai dans la forêt. Je marchai pendant longtemps, dans l'obscurité, tout
au pouvoir de pensées et de sentiments extraordinaires. Parfois, il me semblait
avoir trouvé quelque chose; à d'autres moments, je l'avais de nouveau perdu.
Il en fut ainsi pendant une heure ou deux. Finalement, lorsque mes
contradictions et mes tourbillons intérieurs parvinrent à leur comble, une
pensée me traversa l'esprit comme un éclair, m'apportant une compréhension juste
de tout ce que G. m'avait dit, et de ma propre position. Je vis que G. avait
raison : tout ce que je considérais en moi comme solide et digne de confiance,
en réalité, n'existait pas. Mais j'avais trouvé quelque chose d'autre. Je savais
que G. ne me croirait pas, et qu'il me rirait au nez, si je le lui disais. Pour
moi, cependant, c'était indubitable et ce qui arriva par la suite me montra que
je n'avais pas tort.
Je m'étais arrêté pour fumer dans une sorte de clairière, où je restai assis
pendant longtemps. Lorsque je retournai à la maison, la nuit était très avancée;
il n'y avait personne sur la petite terrasse. Pensant que tout le monde était
allé dormir, je gagnai ma chambre et me couchai également. En fait, G. et les
autres dînaient sur la grande terrasse. Peu après que je me fus mis au lit, une
excitation étrange s'empara de moi à nouveau, mon pouls se mit à battre avec
force, et voici que j'entendis encore la voix de G. dans ma poitrine. Mais cette
fois-ci, je ne me contentai pas d'entendre, je répondis mentalement, et G.
m'entendit, et il me répondit. Il y avait là quelque chose de très étrange.
J'essayai de trouver ce qui pourrait me confirmer cette conversation comme un
fait, mais en vain. Après tout, c'était peut-être de l'"imagination" ou un rêve
éveillé. Aussi essayai-je de demander à G. quelque chose de concret qui ne
laisserait aucun doute sur la réalité de notre entretien ou du fait qu'il y
participait, mais je ne pouvais rien inventer qui eût un poids suffisant. A
certaines questions que je lui posais et auxquelles il répondait, j'aurais pu
tout aussi bien répondre moi-même.
J'avais même l'impression qu'il évitait les réponses concrètes qui auraient pu
servir plus tard de "preuves", etqu'à une ou deux de mes questions, il ne
donnait intentionnellement que des réponses vagues. Mais pour moi, le sentiment
que c'était une conversation était très fort, entièrement nouveau et
incomparable.
Après un long silence, G. me fit une demande qui me mit aussitôt en état
d'alerte; après quoi, il s'arrêta comme s'il attendait une réponse.
Ce qu'il avait dit avait stoppé d'un coup toutes mes pensées et tous mes
sentiments. Je n'avais pas peur, du moins ne s'agissait-il pas d'une peur
consciente, comme lorsqu'on sait qu'on est effrayé; mais 1e tremblais de tous
mes membres, et j'étais littéralement paralysé, à tel point que je ne pouvais
articuler un seul mot, bien que je fisse des efforts terribles pour donner une
réponse affirmative.
Je sentais que G. attendait, et qu'il n'attendrait pas longtemps.
- Bon, vous êtes fatigué maintenant, me dit-il à la fin. Restons-en la jusqu'à
la prochaine fois.
Je commençai à dire quelque chose, je pense que je lui demandais d'attendre
encore, de me donner un peu de temps pour m'accoutumer à cette pensée.
- Une autre fois, dit sa voix, dormez.
Et la voix se tut. Pendant longtemps je ne pus trouver le sommeil. Au matin,
lorsque je sortis sur la pente terrasse où nous nous étions installés la soirée
précédente, G. était assis dans le jardin, à une vingtaine de mètres de là, près
d'un guéridon; trois de nos amis étaient avec lui.
- Demandez-lui ce qui est arrivé la nuit dernière, dit G., quand je fus auprès
d'eux.
Pour quelque raison cela m'irrita. Je fis demi-tour et me dirigeai vers la
terrasse. Au moment de l'atteindre, j'entendis de nouveau la voix de G. dans ma
poitrine :
- Stop !
Je m'arrêtai et me tournai vers lui. Il souriait.
- Où allez-vous donc? Venez vous asseoir ici, dit-il de sa voix ordinaire.
Je m'assis auprès de lui, mais je ne pouvais pas parler, et je n'en avais pas la
moindre envie. En même temps, je sentais une clarté d'esprit extraordinaire et
je décidai d'essayer de me concentrer sur certains problèmes qui me semblaient
particulièrement difficiles. L'idée me vint que, dans cet état inhabituel, je
pourrais peut-être trouver des réponses aux questions que je ne savais pas
résoudre par les méthodes usuelles.
Je me mis à penser à la première triade du "rayon de création", aux trois forces
qui constituent une seule force.
Quel était leur sens ? Etait-il définissable ? Pouvions-nous comprendre ce sens ?
Une réponse commençait à s'esquisser dans ma tête, mais à instant même où
j'essayai de la faire passer dans des mots, tout disparut.
- Volonté, conscience... mais quel était le troisième terme ? me demandais-je.
Il me semblait que si je pouvais le nommer, je comprendrais aussitôt tout le reste.
- Laissez cela, dit G. à haute voix.
Je tournai les yeux vers lui: il me regardait.
- C'est encore très loin, dit-il. Vous ne pouvez pas trouver la réponse
maintenant. Pensez plutôt à vous-même, à votre travail.
Ceux qui étaient assis à nos côtés nous regardaient, perplexes. G. avait répondu
à mes pensées.
Après quoi commença une expérience très étrange qui se prolongea durant les
trois jours que nous devions rester en Finlande. Pendant ces journées - où nous
eûmes de nombreuses conversations sur des sujets variés - je fus constamment
dans un état émotionnel inaccoutumé, qui me semblait parfois lassant.
- Comment me débarrasser de cet état ? demandai-je à G. je ne peux plus le supporter.
- Préférez-vous dormir dit-il.
- Certainement pas.
- Alors qu'est-ce que vous demandez ? Ce que vous vouliez, vous l'avez.
Faites-en usage. Vous ne dormez plus maintenant !
Je ne pense pas que ce fût absolument vrai. je "dormais" sans nul doute à
certains moments.
Bien des paroles que j'ai prononcées alors ont dû surprendre ceux qui se
trouvaient être mes compagnons dans cette étrange aventure. Et j'étais moi-même
surpris par mille choses que je remarquais en moi. Certaines d'entre elles
ressemblaient au sommeil, d'autres n'avaient aucun rapport avec la réalité.
Certainement, j'en inventai beaucoup. Plus tard, j'éprouvai une véritable
surprise au souvenir de tout ce que j'avais dit.
Enfin, nous retournâmes à Saint-Pétersbourg. G. devait partir pour Moscou et
nous allâmes directement de la gare de Finlande à la gare Nikolaievsky.
Nous étions venus très nombreux sur le quai pour lui faire nos adieux. Il partit.
Mais j'étais loin d'en avoir fini avec le "miraculeux". Il y eut encore dans la
soirée des phénomènes nouveaux et non moins insolites : je "conversai" avec G.,
tout en le voyant dans le compartiment du train qui l'emmenait à Moscou...
p385 - Mon désir était grand d'introduire auprès de G. quelques-uns de mes amis
de Moscou, mais entre tous ceux que je rencontrai pendant mon séjour, un seul,
mon vieil ami le journaliste V.A.A., me donna l'impression d'être suffisamment
vivant. Bien qu'il fût comme à son ordinaire surchargé de travail, et toujours
bousculé, il se montra fort intéressé lorsque je lui parlai de G. et l'invitai
de sa part à déjeuner chez lui. G. convoqua une quinzaine des siens et arrangea
un repas, somptueux pour ce temps de guerre, avec zakouski, pâtés, shashlik,
vins de Cachétie et autres splendeurs, en un mot, un de ces festins à la mode du
Caucase, qui commencent à midi et durent jusqu'au soir. G. fit asseoir A. près
de lui, fut très aimable, et pendant tout le temps le choya, lui versant
lui-même à boire.
Soudain le cœur me manqua. Je compris à quel test j'avais exposé mon vieil ami.
Le fait est que nous gardions tous le silence. Pendant cinq minutes, il se
comporta en héros. Puis il commença à parler. Il parla de la guerre, il parla de
tous nos alliés, il parla de nos ennemis; il nous fit part de l'opinion de tous
les hommes publics de Moscou et de Saint-Pétersbourg sur tous les sujets
possibles; puis il parla de la dessiccation des légumes pour l'armée (dont il
s'occupait actuellement, en plus de son travail de journaliste),
particulièrement de la dessiccation des oignons; puis des engrais artificiels, de
la chimie appliquée à l'agriculture et de la chimie en général, des
"amendements" à apporter aux terres; du spiritisme, de la "matérialisation des
mains" et de je ne sais plus quoi encore. Ni G. ni personne ne dit un seul mot.
J'étais sur le point d'intervenir, de crainte que A. ne s'offensât, mais G. me
lança un regard si féroce que je m'arrêtai court. D'ailleurs mes craintes
étaient vaines. Le pauvre A. ne remarquait rien, il était tout à son bonheur de
parler, et tellement pris par ce qu'il disait, par sa propre éloquence, qu'il ne
s'interrompit pas un seul instant jusqu'à quatre heures. Puis, avec beaucoup de
chaleur, il serra les mains de G. et le remercia pour sa "très intéressante
conversation". G., me regardant, eut un rire malicieux.
Je me sentais très honteux. Ils avaient rendu ridicule le pauvre A. qui
certainement ne pouvait s'attendre à rien de pareil, et c'est pourquoi il avait
été attrapé. Je compris que G. avait voulu donner aux siens une démonstration.
- Eh bien vous avez vu ? dit-il, lorsque A. fut sorti.
C'est ce qu'on appelle un homme intelligent, mais il n'aurait rien remarqué,
quand bien même je lui aurais enlevé son pantalon. Laissez-le , donc parler, il
ne désire que cela, et tout le monde est ainsi. Celui-là est bien meilleur que
beaucoup d'autres : il n'a pas dit de mensonge. Il connaissait réellement ce
dont il parlait - à sa façon bien sûr. A quoi bon je vous le demande ? Il n'est
plus jeune.
Et c'était peut-être la seule fois de sa vie qu il avait une chance d'entendre
la vérité; mais il a parlé tout le temps. »
p387 - Parmi les entretiens de Moscou, je me rappelle encore celui-ci. Cette
fois, ce fut G. qui m'adressa la parole :
- A votre avis, qu'avez-vous appris de plus important jusqu'à ce jour ?
- Les expériences que j'ai eues au mois d'août, naturellement. Si j'étais en
mesure de les provoquer à volonté et d'en faire usage, je n'en demanderais
jamais plus, car je pense que je pourrais alors trouver tout le reste par
moi-même. Mais je sais en même temps que ces "expériences" - je choisis ce mot
parce qu'il n'y en a pas d'autre, mais vous savez bien ce dont je parle (d'un
signe de tête, il acquiesça) - dépendaient de l'état émotionnel où je me
trouvais alors. Si je pouvais créer en moi-même cet état émotionnel, je
retrouverais très rapidement ces ces "expériences". Mais je m'en sens infiniment
loin, comme si j'étais endormi. Aujourd'hui je "dors" ; hier, j'étais "éveillé".
Comment cet état émotionnel peut-il être créé ?
Dites-le moi.
- De trois façons, répondit G. Premièrement, cet état peut venir de lui-même,
par hasard. Deuxièmement, quelqu'un d'autre peut le créer en vous. Et
troisièmement, vous pouvez le créer vous-même. Choisissez.
Je confesse que, pour une seconde, j'eu très envie de dire que je préférais que
ce fût un autre, c'est-à-dire lui, qui créât en moi l'état émotionnel dont je
parle. Mais je me rendis compte aussitôt qu'il me répondrait l'avoir déjà fait
une fois, et que maintenant je devais ou bien attendre que cela vienne tout
seul, ou bien faire moi-même quelque chose oui l'acquérir.
- Je veux le créer moi-même, naturellement, dis-je. Mais comment faire ?
- Je vous l'ai déjà dit auparavant : le sacrifice est nécessaire, répondit G.
Sans sacrifice, rien ne peut être atteint. Mais s'il est une chose au monde que
les gens ne comprennent pas, c'est bien l'idée du sacrifice. Ils croient devoir
sacrifier quelque chose qu'ils ont. Par exemple, j'ai dit un jour qu'ils
devaient sacrifier "foi", "tranquillité" et "santé" Ils le prennent à la lettre.
Comme s'ils avaient la foi, la tranquillité, ou la santé. Tous ces mots doivent
être ms entre guillemets. En fait, ils n'ont donc à sacrifier que ce qu'ils
imaginent avoir, et ne possèdent nullement en réalité. Ils doivent faire le
sacrifice de leurs fantaisies. Mais cela est difficile pour eux, très difficile.
Il est beaucoup plus facile de sacrifier des choses réelles.
« Non, ce que les gens doivent sacrifier, c'est leur souffrance : rien n'est
plus difficile à sacrifier. Un homme renoncera à n'importe quel plaisir plutôt
qu'à sa propre souffrance. L'homme est ainsi fait, qu'il y tient plus qu'à tout.
Et pourtant, il est indispensable d'être libre de la souffrance.
Quiconque n'en est pas libre, quiconque n'a pas sacrifié sa souffrance, ne peut
pas travailler. Plus tard, j'aurai encore beaucoup à dire sur ce sujet. Rien ne
peut être atteint sans la souffrance, mais en même temps, il faut commencer par
la sacrifier. Maintenant, déchiffrez ce que cela veut dire. »
p393 - Lorsque G. était seul avec nous, après les conférences publiques où des
personnes du dehors avaient été admises, il ne manquait jamais de revenir sur
certains points. Le premier était le "rappel de soi"; il soulignait la nécessité
de travailler constamment sur soi pour y parvenir; et le second était
l'imperfection de notre langage, la difficulté de faire passer dans des mots la
"vérité objective".
Comme je l'ai déjà dit, G. donnait aux expressions "objectif" et "subjectif" un
sens spécial, prenant comme base la division des états de conscience en
"subjectifs" et "objectifs". Ainsi, toute notre science ordinaire, qui se base
sur des méthodes ordinaires d'observation et de vérification des observations,
était, à ses yeux, une science subjective ; de même, il appelait subjectives
toutes les théories scientifiques déduites de l'observation des faits
accessibles dans les états subjectifs de conscience. Au contraire, la science
fondée sur les anciennes méthodes et principes d'observation, la science des
choses en elles-mêmes, la science du Tout, était pour lui la science objective.
p395 - « Certes, l'idée de l'unité de toutes les choses existe aussi dans la
pensée rationnelle, mais son rapport exact à la diversité ne peut jamais être
clairement exprimé par des mots ou sous une forme logique. Il reste toujours la
difficulté insurmontable du langage. Un langage qui s'est formé en exprimant des
impressions de pluralité et de diversité dans des états de conscience subjectifs
ne peut jamais transmettre, avec une clarté et une plénitude suffisantes, l'idée
de l'unité, intelligible et évidente seulement dans l'état objectif de conscience.
« Se rendant compte de l'imperfection et de la faiblesse du langage ordinaire,
les hommes qui possédaient la science objective ont essayé d'exprimer l'idée de
l'unité sous forme de "mythes", de "symboles", et d'"aphorismes" particuliers
qui, ayant été transmis sans altération, ont porté cette idée d'une école à une
autre, souvent d'une époque à une autre.
« On a déjà dit que chez l'homme, dans les états supérieurs de conscience,
fonctionnent deux centres psychiques supérieurs : le centre "émotionnel
supérieur", et le centre "intellectuel supérieur" Le but des mythes et des
symboles était d'atteindre les centres supérieurs, de transmettre à l'homme des
idées inaccessibles à sa raison, et de les lui transmettre sous des formes
telles qu'elles ne puissent pas être faussement interprétées. Les mythes étaient
destinés au centre "émotionnel supérieur"; les symboles, au centre "intellectuel
supérieur". De ce fait, tous les efforts tentés pour comprendre ou expliquer
avec la seule raison les mythes, les symboles, ainsi que les aphorismes qui
donnent un résumé de leur contenu, sont voués d'avance à l'échec. Il est
toujours possible de tout comprendre; encore faut-il dans chaque cas le centre
approprié. La préparation sans laquelle on ne saurait recevoir les idées de la
science objective doit se faire au moyen de la pensée, car seule une pensée bien
préparée peut transmettre ces idées aux centres supérieurs sans y introduire
d'éléments étrangers.
« Les symboles employés pour transmettre les idées de la science objective
renfermaient les diagrammes des lois fondamentales de l'univers, et ils ne
transmettaient pas seulement la science même, ils montraient également la voie
pour y parvenir. L'étude des symboles, de leur structure et de leur
signification, formait une partie très importante de la préparation sans
laquelle il n'est pas possible de recevoir la science objective, et c'était en
soi un test, parce qu'une compréhension littérale ou formelle des symboles
s'oppose à 'acquisition de toute connaissance ultérieure.
« Les symboles étaient divisés en fondamentaux et en secondaires; les premiers
comprenaient les principes des différentes branches de la science; les seconds
ex rimaient la nature essentielle des phénomènes dans leur relation à l'unité.
« Parmi les aphorismes qui donnaient un résumé du contenu de nombreux symboles,
celui-ci avait une importance particulière: Ce qui est en bas est comme ce qui
est en haut - premiers mots de la "table d'Émeraude" d'Hermès Trismégiste. Cette
formule signifiait que toutes les lois du cosmos pouvaient être trouvées dans
l'atome ou en tout autre phénomène existant comme quelque chose d'accompli selon
certaines lois. Le même sens se trouvait dans l'analogie établie entre le
microcosme - l'homme, et le macrocosme - l'univers. Les lois fondamentales des
triades et des octaves pénètrent toutes les choses, et doivent être étudiées
simultanément dans l'homme et dans l'univers. Mais l'homme est pour lui-même un
objet d'étude et de science plus proche et plus accessible que le monde des
phénomènes qui lui sont extérieurs. Par conséquent, s'il s'efforce d'atteindre à
la connaissance de l'univers, l'homme doit commencer par étudier en lui-même les
lois fondamentales de l'univers.
« De ce point de vue, un autre aphorisme : Connais-toi toi-même, prend un sens
particulièrement profond; c'est l'un des symboles qui mènent à la connaissance
de la vérité.
Ainsi l'étude du monde et l'étude de l'homme se soutiendront l'une l'autre. En
étudiant l'univers et ses lois, l'homme s'étudiera lui-même, et en s'étudiant
lui-même il étudiera l'univers. En ce sens, chaque symbole nous apprend quelque
chose sur nous-mêmes.
« L'étude des symboles peut être abordée de la façon suivante : d'abord, en
étudiant le monde des phénomènes, l'homme doit voir en toutes choses la
manifestation de deux principes opposés qui, selon leurs conjonctions ou leurs
oppositions, donnent tel ou tel résultat, reflétant la nature essentielle des
principes qui les ont créés. Cette manifestation des grandes lois de dualité
et de trinité, l'homme la voit simultanément dans le cosmos et en lui-même. Mais,
par rapport au cosmos, il est un simple spectateur, ne voyant que la surface des
phénomènes, qui lui semblent se mouvoir dans une seule direction, bien qu'en
réalité ils se meuvent dans de multiples directions. Tandis que, par rapport à
lui-même, sa compréhension des lois e dualité et de trinité peut s'exprimer sous
une forme pratique; il peut, lorsqu'il comprend réellement ces lois, en limiter
la manifestation à la ligne permanente de lutte contre lui-même sur la voie de
la connaissance de soi.
Et de cette manière, il introduit la ligne de volonté, tout d'abord dans le
cercle du temps, ensuite dans le cycle de l'éternité, dont l'accomplissement
créera en lui le grand symbole connu sous le nom de Sceau de Salomon.
« La transmission du sens des symboles à un homme qui n'en a pas acquis d'abord
une compréhension en lui-même est impossible. Cela semble un paradoxe. Mais
celui-là seul qui possède déjà le contenu d'un symbole peut en découvrir
l'essence. Le symbole devient alors pour lui une synthèse de sa connaissance, et
il lui sert à l'exprimer et à la transmettre, comme il a servi à l'homme qui l'a
instruit.
« Les symboles les plus simples :
ou les nombres 2, 3, 4, 5, 6, qui les expriment, ont un sens défini par rapport
au développement intérieur de l'homme; ils montrent les degrés différents sur la
voie du perfectionnement de soi et de la croissance de l'être.
« L'homme, dans son état ordinaire, est pris comme une dualité. Il est
entièrement constitué de dualités, ou de "couples de contraires". Toutes les
sensations de l'homme, ses empressions, ses émotions, ses pensées, sont divisées
en positives et négatives, utiles et nuisibles, nécessaires et superflues,
bonnes et mauvaises, plaisantes et déplaisantes.
Le travail des centres se fait sous le signe de cette division.
Les pensées s'opposent aux sentiments. Les impulsions motrices s'opposent à la
soif instinctive de tranquillité.
C'est dans cette dualité que s'effectuent toutes les perceptions, toutes les
réactions, toute la vie de l'homme. Et quiconque est capable de s'observer si
peu que ce soit pourra reconnaître cette dualité en lui-même.
« Mais cette dualité apparaît comme une alternance; le vainqueur d'aujourd'hui
est le vaincu de demain; ce qui nous domine actuellement sera bientôt
secondaire, subordonné. Et tout est également mécanique, également privé de
volonté, également dénué de but. La compréhension de la dualité en nous-mêmes
commence dès que nous nous rendons compte de notre mécanicité, et que nous
parvenons à saisir la différence entre ce qui est automatique et ce qui est
conscient. Cette compréhension doit être précédée de la destruction de ce
mensonge à soi-même qui consiste pour un homme à prendre ses actions, même les
plus mécaniques, pour des actes volontaires et conscients, et à se prendre
lui-même pour un être,un et entier.
« Lorsque ce mensonge est détruit, et que l'homme se met à voir en lui la
différence entre le mécanique et le conscient, une lutte commence alors pour la
réalisation de la conscience dans la vie, et pour la subordination de
l'automatique au conscient. A cette fin, l'homme se met à faire des efforts pour
prendre la décision bien arrêtée, basée sur des motifs conscients, de lutter
contre les processus automatiques qui s'effectuent en lui selon les lois de
dualité. La création de ce troisième principe, principe permanent, sera pour
l'homme la transformation de la dualité en trinité.
« Qu'il affermisse cette décision et l'introduise constamment, sans défaillance,
dans tous les événements où n'intervenaient autrefois que des chocs
neutralisants, accidentels (ne donnant que des résultats accidentels), cela
créera une ligne permanente de résultats dans le temps, et ce sera la
transformation du ternaire en quaternaire.
« Le degré suivant, la transformation du quatre en cinq et la construction du
pentagramme, n'a pas un seul sens mais de nombreux sens différents par rapport à l'homme.
Or, parmi eux, il en est un qui doit être enseigné avant tout, et c'est celui
dont on peut douter le moins : il concerne le travail des centres.
« Le développement de la machine humaine et l'enrichissement de 'être commencent
par un fonctionnement nouveau et inaccoutumé de cette machine. Nous savons que
l'homme a cinq centres : intellectuel, émotionnel, moteur, instinctif et sexuel.
Un développement prédominant de l'un ou l'autre de ces centres, aux dépens des
autres, produit un type d'homme très unilatéral, incapable de tout développement
ultérieur. Mais si l'homme amène à un accord harmonieux le travail de ses cinq
centres, "le pentagramme se ferme en lui", et il devient un type accompli
d'homme physiquement parfait.
« Le fonctionnement intégral des cinq centres les amène à s'unir aux centres
supérieurs, qui introduisent le principe jusqu'alors absent, et mettent homme en
liaison directe et permanente avec la conscience objective et la science objective.
« L'homme devient alors l'"étoile à six branches", c'est-à-dire qu'en se
retranchant dans un cercle de vie indépendant et complet par lui-même, il
s'isole des influences étrangères ou des chocs accidentels; il incarne en
lui-même le Sceau de Salomon.
« Dans le cas présent, la série des symboles donnés - 2, 3, 4, 5, et 6 - est
interprétée comme étant applicable à un seul processus. Mais cette
interprétation même est incomplète, parce qu'un symbole ne peut jamais être
entièrement interprété. Il ne peut être qu'expérimenté ou vécu, de la même
façon, par exemple, que l'idée de la connaissance de soi doit être vécue.
p404 - « L'enseignement dont nous exposons ici la théorie est complètement
autonome, indépendant de toutes les autres voies, et jusqu'à ce jour il était
demeuré entièrement inconnu. Comme d'autres enseignements, il fait usage de la
méthode symbolique, et l'un de ses symboles principaux est la figure que nous
avons mentionnée, c'est-à-dire le cercle divisé en neuf parties.
« Ce symbole prend la forme suivante :
« Le cercle est divisé en neuf parties égales. La figure construite sur six de
ces points a pour axe de symétrie le diamètre issu du point supérieur. Ce point
est le sommet d'un triangle équilatéral construit sur ceux des neuf points
situés hors de la première figure.
« Ce symbole est inconnu des "occultistes". Il ne saurait être trouvé dans aucun
de leurs livres, il ne fait pas davantage l'objet d'une tradition orale. La
signification de ce symbole était estimée d'une telle importance par ceux qui la
connaissaient. qu'ils ne voulurent jamais le divulguer.
.../...
p413 - G. revint sur l'ennéagramme en de multiples occasions :
- Chaque tout intégral, chaque cosmos, chaque organisme, chaque plante
est un ennéagramme, disait-il. Mais tous les ennéagrammes n'ont pas nécessairement un
triangle intérieur. Lorsque, dans un organisme donné, se trouve le triangle
intérieur, c'est la preuve d'une présence d'éléments supérieurs, selon l'échelle
des "hydrogènes". Ce triangle intérieur est possédé par des plantes telles que
le chanvre, le pavot, le houblon, le thé, le café, le tabac et beaucoup d'autres
qui jouent un rôle dans la vie de l'homme. L'étude de ces plantes peut nous
révéler beaucoup en ce qui regarde l'ennéagramme.
« D'une manière tout à fait générale, il faut comprendre que l'ennéagramme est
un symbole universel. Toute science a sa place dans l'ennéagramme, et peut être
interprétée grâce à lui. Et, sous ce rapport, il est possible de dire qu'un
homme ne connaît vraiment, c'est-à-dire ne comprend, que ce qu'il est capable de
situer dans l'ennéagramme. Ce qu'il ne peut situer dans l'ennéagramme, il ne le
comprend pas. Pour l'homme qui sait l'utiliser, l'ennéagramme rend livres et
bibliothèques entièrement inutiles. Il n'est rien qui ne puisse entrer dans l'ennéagramme
et y être déchiffré. Un homme isolé dans le désert tracerait-il l'ennéagramme
sur le sable, il y pourrait lire les lois éternelles de univers. Et il
apprendrait chaque fois quelque chose de nouveau, quelque chose dont il ignorait tout jusqu'alors.
« Que deux hommes ayant étudié dans des écoles différentes se rencontrent et
tracent l'ennéagramme, avec son aide, ils seront capables de voir immédiatement
celui qui en sait le plus, celui qui est le plus avancé; en d'autres termes,
lequel est l'aîné, le maître, et lequel est l'élève.
L'ennéagramme est le hiéroglyphe fondamental d'un langage universel, qui a
autant de sens différents qu'il y a de niveaux d'hommes.
« L'ennéagramme est le mouvement perpétuel, il est ce perpetuum mobile que les
hommes ont cherché depuis plus lointaine antiquité - toujours en vain. Et il
n'est pas difficile de comprendre pourquoi ils ne pouvaient pas le trouver. Ils
cherchaient en dehors d'eux-mêmes ce qui était en eux; et ils essayaient de
construire un mouvement perpétuel comme on construit une machine, alors que le
mouvement perpétuel est une partie d'un autre mouvement perpétuel et ne peut
être créé hors de celui-ci. L'ennéagramme est un diagramme schématique du
mouvement perpétuel, c'est-à-dire d'une machine au mouvement éternel. Mais bien
entendu, il est nécessaire de savoir comment lire ce diagramme. La compréhension
de ce symbole et la capacité d'en faire usage donne à l'homme un très grand
pouvoir. C'est le mouvement perpétuel, et c'est aussi la pierre philosophale des
alchimistes.
« La science de l'ennéagramme a été très longtemps tenue secrète et si elle est
maintenant, en quelque sorte, rendue accessible à tous, ce n'est que sous une
forme incomplète et théorique, inutilisable pratiquement par quiconque n'aura
pas été instruit dans cette science par un homme qui la possède.
« L'ennéagramme, pour être compris, doit être pensé comme étant en mouvement,
comme se mouvant. Un ennéagramme figé est un symbole mort; le symbole vivant est en mouvement. »
Bien plus tard - c'était en 1922, lorsque G. organisait son Institut en France
et que ses élèves étudiaient des danses de Derviches - G. leur montra des
exercices qui se rapportaient au "mouvement de l'ennéagramme".
Sur le plancher de la salle où avaient lieu ces exercices, un grand ennéagramme
avait été tracé, et les élèves se tenaient aux places marquées par les nombres de 1 à 9.
Ils se mirent alors à évoluer d'une place à l'autre selon l'ordre indiqué par la
période des nombres, dans un mouvement très prenant, tournant l'un autour de
l'autre aux points de rencontre, c'est-à-dire aux points d'intersection des
lignes dans l'ennéagramme.
G. rappelait à cette époque que les exercices de mouvement selon l'ennéagramme
occuperaient une place importante dans son ballet "la Lutte des Mages". Et il
disait aussi que, si l'on ne participait pas à ces exercices, si l'on n'y tenait
pas une place quelconque, il était presque impossible comprendre l'ennéagramme.
- L'ennéagramme peut être vécu par le mouvement, disait-il. Le rythme même des
mouvements suggérera les idées nécessaires et maintiendra la tension nécessaire;
sans eux, il est impossible de sentir ce qui est le plus important. »
Un autre dessin du même symbole avait été établi sous sa direction, à
Constantinople, en 1920. A l'intérieur de l'ennéagramme, étaient figurés les
quatre animaux de l'Apocalypse - le Taureau, le Lion, l'Homme et l'Aigle -
accompagnés d'une colombe. Ces symboles supplémentaires étaient mis en rapport
avec les centres.
A propos de l'ennéagramme considéré comme symbole universel, G. parlait encore
de l'existence d'une langue "philosophique" universelle.
- Il y a longtemps que les hommes s'efforcent de trouver une langue universelle,
disait-il. Et, dans ce domaine comme dans beaucoup d'autres, ils cherchent ce
qui a été trouvé depuis longtemps, et ils essayent d'inventer quelque chose dont
l'existence était bien connue autrefois. J'ai déjà dit qu'il n'y a pas une, mais
trois langues universelles, ou, pour parler avec plus d'exactitude, trois degrés
d'une même langue. A son premier degré, cette langue rend déjà possible pour les
gens l'expression de leurs propres pensées et la compréhension de celles des
autres, lorsqu'il s agit de choses pour lesquelles le langage ordinaire est
impuissant.
L'origine de l'église chrétienne
p423 - « En général, nous connaissons mal le Christianisme et les formes du
culte chrétien, et nous ne connaissons pas mieux son histoire, non plus que
l'origine de quantité de choses. L'église, par exemple, le temple où
s'assemblent les fidèles, et où sont célébrés des offices selon des rites
particuliers, où cela a-t-il été pris ? Combien de gens n'y ont jamais pensé !
Les uns se disent que les formes extérieures du culte, les rites, les cantiques,
ont été inventés par les Pères de l'Église. Les autres pensent que les formes
extérieures ont été empruntées, pour une part, aux païens et, pour une autre,
aux Hébreux. Mais tout cela est faux. La question des origines de l'église
chrétienne, c'est-à-dire du temple chrétien, est beaucoup plus intéressante que
nous ne pensons. Tout d'abord, l'église et son culte, dans la forme sous
laquelle ils se présentaient dans les premiers siècles de l'ère chrétienne, ne
pouvaient pas venir du paganisme; il n'y avait rien de semblable, ni dans les
cultes grecs et romains, ni dans le judaïsme. La synagogue, le temple juif, les
temples grecs et romains aux dieux nombreux, étaient très différents de l'église
chrétienne qui fit son apparition au premier et au deuxième siècles. L'église
chrétienne est une école, dont on ne sait plus qu'elle est une école. Imaginez
une école, où les maîtres feraient leurs cours et donneraient leurs
démonstrations, sans savoir que ce sont des cours et des démonstrations; et dont
les élèves ou les simples auditeurs prendraient ces mêmes cours et
démonstrations pour des cérémonies, des rites ou des sacrements", c'est-à-dire
de la magie. Cela ressemblerait assez à l'église chrétienne de nos jours.
« L'église chrétienne, la forme chrétienne du culte, n'a pas été inventée par
les Pères de l'Église. Tout a été pris à l'Égypte - mais non pas à l'Égypte que
nous connaissons : tout a été pris tel quel à une Égypte que nous ne connaissons
pas. Cette Égypte ne se confondait pas avec l'autre, bien qu'elle existât depuis
beaucoup plus longtemps.
Seuls d'infimes vestiges en ont survécu dans les temps historiques, mais ils
furent conservés en secret, et si bien que nous ne savons même plus où.
« Cela vous paraîtra étrange si je dis que cette Égypte préhistorique était
chrétienne plusieurs milliers d'années avant la naissance du Christ, ou, pour
mieux dire, que sa religion se fondait sur les mêmes principes, sur les mêmes
idées que le vrai Christianisme. Dans cette Égypte préhistorique, il y avait des
écoles spéciales, appelées "écoles de répétition". Dans ces écoles, on donnait à
dates fixes et même tous les jours dans certaines d'entre elles des répétitions
publiques, sous une forme condensée, du cours complet des sciences qui y étaient
enseignées. La "répétition" durait parfois une semaine entière, voire un mois.
Grâce à ces "répétitions", ceux qui avaient suivi les cours gardaient le contact
avec l'école, et pouvaient ainsi retenir tout ce qu'ils avaient appris. Certains
venaient de très loin pour assister à ces "répétitions", et repartaient avec un
sentiment neuf de leur appartenance à l'école. Au cours de l'année, plusieurs
journées spéciales étaient consacrées à des "répétitions" très complètes, qui se
déroulaient avec une solennité particulière, et ces jours-là avaient eux-mêmes
un sens symbolique.
« Ces "écoles de répétition" servirent de modèles aux églises chrétiennes. Dans
les églises chrétiennes, les formes du culte représentent presque entièrement le
"cycle de répétition" des sciences traitant de l'univers et de l'homme. Les
prières individuelles, les hymnes, les répons, tout avait son sens propre dans
ces répétitions, de même que les fêtes, et tous les symboles religieux, mais
leur signification a été perdue depuis longtemps ».
p428 - « Le rayon de création, tel que nous l'avons pris, de l'Absolu à la Lune,
est comme la branche d'un arbre - c'est une branche qui grandit. L'extrémité de
cette branche, d'où sortent les pousses nouvelles, est la lune. Si la lune ne
grandit pas, si elle ne produit, ou ne se prépare à produire, aucune pousse,
cela veut dire que la croissance de tout le rayon de création va s'arrêter, ou
bien qu'il doit trouver une nouvelle voie de croissance, développer quelque
branche latérale. En même temps, tout ce que nous venons de dire nous permet de
voir que la croissance de la lune dépend de la vie organique sur la terre. La
croissance du rayon de création dépend donc de la vie organique sur la terre. Si
la vie organique vient à disparaître, ou meurt, toute la branche dépérit
immédiatement, ou, pour le moins, toute la partie de la branche qui se trouve
au-delà de la vie organique. La même chose doit se produire, bien que lus
lentement, si la vie organique s'arrête dans son développement, dans son
évolution, et ne peut plus répondre aux demandes qui lui sont faites. La branche
peut dépérir. Il ne faut jamais l'oublier. A la partie Terre-Lune du rayon de
création ont été données exactement les mêmes propriétés de développement et de
croissance qu'à chaque branche d'un grand arbre. Mais la croissance cette
branche n'est pas du tout garantie, elle dépend de l'action harmonieuse et
correcte de ses propres tissus. Si l'un des tissus cesse de se développer, tous
les autres font de même. Tout ce qui eut être dit sur le rayon de création ou
sur sa partie terre-Lune se rapporte,également à la vie organique sur la terre.
La vie organique sur la terre est un phénomène complexe, car tous ses éléments
dépendent étroitement les uns des autres. La croissance générale n'est possible
qu'à la condition que croisse l'"extrémité de la branche". Ou, pour parler de
manière plus précise, il y a dans la vie organique des tissus qui évoluent et
d'autres qui leur servent de nourriture et de milieu. De même il y a, dans les
tissus en évolution, des cellules qui évoluent et d'autres qui leur servent de
nourriture et de milieu. Et chaque cellule en évolution comporte à son tour des
parties qui évoluent et des parties qui leur servent de nourriture. Mais
toujours et en tout, il faut se rappeler que l'évolution n'est jamais garantie,
qu'elle est seulement possible et qu'elle peut s'arrêter à tout moment et en tout lieu.
« La partie de la vie organique qui évolue est l'humanité.
L'humanité, elle aussi, comporte une partie qui évolue, mais nous en parlerons
plus tard; en attendant, nous prendrons l'humanité comme un tout. Si l'humanité
n'évolue pas, cela signifie que l'évolution de la vie organique doit s'arrêter,
ce qui provoquera à son tour un arrêt dans la croissance du rayon de création.
En même temps, si l'humanité cesse d'évoluer, elle devient inutile du point de
vue des fins en vue desquelles elle avait été créée, et, comme telle, elle. peut
être détruite. Ainsi l'arrêt de l'évolution peut signifier la destruction de
l'humanité.
« Nous n'avons pas d'indices nous permettant de préciser en quelle période de
l'évolution planétaire nous nous trouvons, ni si la terre et la lune auront ou
non le temps d'attendre que la vie organique se développe jusqu'au stade voulue
son évolution. Mais ceux qui savent, naturellement, peuvent avoir des
informations exactes là-dessus, c'est-à-dire qu'ils peuvent définir en quelle
phase de leur évolution se trouvent la terre, la lune et l'humanité. En ce qui
nous concerne, nous ne pouvons pas savoir, mais nous devrions nous rappeler que
le nombre des possibilités n'est jamais infini.
D'autre part, si nous examinons la vie de l'humanité telle que nous la
connaissons sur le plan historique, ne devons-nous pas convenir que l'humanité
tourne dans un cercle vicieux? Elle détruit au cours d'un siècle tout ce qu'elle
a créé dans un autre, et son progrès mécanique des cent dernières années s'est
fait aux dépens de beaucoup d'autres valeurs, bien plus précieuses peut-être
pour elle.
En général, il y a toutes les raisons de penser et d'affirmer que l'humanité
traverse actuellement une période de stagnation; et de la stagnation au déclin,
puis à la dégénérescence, il n'y a pas loin. Une stagnation signifie qu'un
processus s'est équilibré. L'apparition d'une qualité quelconque provoque
immédiatement l'apparition d'une autre qualité de nature opposée. La croissance
du savoir dans un domaine entraîne la croissance de l'ignorance dans un autre;
le raffinement entraîne la vulgarité; la liberté, l'esclavage; le recul de
quelques superstitions favorise le développement d'autres superstitions, et ainsi de suite.
« Maintenant, si nous nous rappelons la loi d'octave, nous verrons qu'un
processus équilibré s'effectuant d'une certaine manière ne peut pas être modifié
à volonté, à n'importe quel moment. On ne peut y apporter de changement qu'à
certains "carrefours". Entre ces "carrefours", rien ne peut être fait. Et si un
processus passe par un carrefour sans que rien arrive, sans que rien soit fait,
il est ensuite trop tard : le processus continuera à se développer selon des
lois mécaniques; et même si ceux qui prennent part à ce processus voient
l'imminence d'une destruction totale, ils ne pourront rien faire. Je le répète,
il y a des choses qui ne peuvent être faites qu'à certains moments seulement,
c'est-à-dire à ces "carrefours" que, dans les octaves, nous avons nommés les
intervalles mi-fa et si-do.
« Il est vrai que pour de nombreuses personnes la vie de l'humanité ne se
déroule jamais comme elle devrait.
Et elles inventent toutes sortes de théories destinées à la rénover de fond en
comble. Mais à peine une théorie a-t-elle été émise qu'une autre lui est
opposée. Et chaque théoricien prétend rallier tous les suffrages. Il trouve en
effet toujours des partisans. La vie bien entendu n'en suit pas moins son propre
cours, mais les gens continuent de croire à leurs propres théories ou à celles
qu'ils ont adoptées, ils continuent de croire qu'il est vraiment possible de
faire quelque chose. Et toutes leurs théories sont complètement fantastiques,
surtout parce qu'elles ne tiennent aucun compte du plus important : le rôle très
secondaire joué par l'humanité, et la vie organique, dans le processus cosmique.
Les théories intellectuelles mettent l'homme au centre de tout. Comme si tout
n'existait que pour lui : le soleil, les étoiles, la lune, la terre ! Elles
oublient jusqu'à la mesure de l'homme, sa nullité, son existence éphémère, etc.
Et elles ne craignent pas d'affirmer qu'un homme peut, s'il le veut, changer
toute sa vie, c'est-à-dire l'organiser sur des principes rationnels. Nous voyons
ainsi apparaître sans cesse de nouvelles théories qui suscitent leurs
contraires; or, toutes ensemble, avec leurs conflits incessants, elles
constituent sans nul doute une des forces qui maintiennent l'humanité dans
l'état où elle est actuellement. Par ailleurs, toutes ces théories
"humanitaires" et "égalitaires" ne sont pas seulement irréalisables, elles
seraient fatales si elles se réalisaient. Tout, dans la nature, a son but et son
sens, l'inégalité de l'homme aussi bien que sa souffrance.
Détruire l'inégalité reviendrait à détruire toute possibilité d'évolution.
Détruire la souffrance équivaudrait d'abord à détruire toute une série de
perceptions pour lesquelles l'homme existe, et ensuite à détruire le "choc",
c'est-à-dire la seule force qui puisse changer la situation.
Et il en va de même pour toutes les théories intellectuelles.
« Le processus d'évolution, de cette évolution qui est possible pour l'humanité
prise comme un tout, est entièrement analogue au processus d'évolution possible
pour l'homme individuel. Et il commence de la même façon : un certain nombre de
cellules deviennent peu à peu conscientes; elles se groupent; ce groupe attire à
lui d'autres cellules, il en subordonne d'autres, et il fait progressivement
servir l'organisme tout entier à son but - et non plus seulement à manger, boire
et dormir.
C'est cela l'évolution, et il ne peut y avoir aucune autre serte d'évolution.
Pour l'humanité, comme pour l'homme pris isolément, tout commence à partir de la
formation d'un noyau conscient. Toutes les forces mécaniques de la vie luttent
contre la formation de ce noyau conscient dans l'humanité, de la même manière
que les habitudes mécaniques, les goûts et les faiblesses, luttent en l'homme
contre le rappel de soi conscient.
Lien vers les sites sannyasa
parcourir
Courriel © sann - duth - Éric - 2004
- 2013