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Paul Gregor

Journal d'un sorcier

 

DEUXIÈME PARTIE            Première partie              Troisième partie

 

CHAPITRE 1

Avant de révéler les circonstances exactes de cette guérison et ses rapports avec la magie sexuelle du Brésil, il faut que je raconte les événements qui la précédaient de quelques jours.

Un après-midi, seul à bord de mon canot à moteur, je m'approchais de Santarem. Les affaires de mon exploitation de cèdres m'obligeaient de m'y rendre assez souvent. Ces voyages duraient trois à quatre jours. Ils me conduisaient à travers un véritable labyrinthe aquatique. Dans la brousse amazonienne, les ruisseaux, canaux, rivières et fleuves remplacent les routes.

N'ayant d'autre compagnie que celle des innombrables grues blanches, canards sauvages et perroquets qui voltigeaient au-dessus de moi, chassés des haies de bambous, intrigués par le bruit de mon petit moteur, j'avais amplement le temps de réfléchir.

Ce n'était pas que la perspective du gain financier qui m'avait attiré dans cette forêt vierge où je me trouvais depuis dix mois.

J'y cherchais la source d'une magie plus puissante que la mienne. J'étais arrivé à la conclusion que celle-ci ne donnait que des résultats relatifs. La sorcellerie assimilée aux abords des villes me fit bien connaître quelques conquêtes, quelques ivresses difficilement accessibles à la plupart de l'humanité. Mais tout cela restait loin en deçà de l'ancienne aspiration des sciences occultes: la pierre philosophale.

J'étais persuadé que cette clef miraculeuse censée de nous libérer de la mort, de nous procurer des richesses et des pouvoirs illimités existait quelque part, d'une certaine manière. Tout miracle, me disais-je,était une matérialisation de l'esprit. Les expériences de mon passé me portaient à croire qu'une très puissante concentration de la pensée et de la volonté, renforcées par les vibrations de l'énergie sexuelle, condensée par les pratiques de la sorcellerie, agissent comme un puissant cyclotron qui brasse l'éther, le domaine de l'esprit impalpable pour en tirer de nouvelles formes de la nouvelle vie, autrement dit, j'étais persuadé qu'il y avait des moments d'une exceptionnelle tension mentale où les hallucinations se transforment en réalité.

Je sentais d'autre part que je ne parviendrais pas seul à ce genre de réalisation magique. Elle ne pouvait être obtenue, méditais-je, que dans une atmosphère de ferveur collective, comme celle qui produisait des miracles de Lourdes. Seulement tout se passait comme si les extases collectives de la «macumba», telle que je l'avais connue jusqu'alors,n'étaient pas d'une qualité ni d'une intensité suffisante pour atteindre ce but.

 


 

Ici, dans la forêt, je n'avais trouvé rien d'extraordinaire, non plus. Tout ce que j'avais observé chez les Indiens ou chez mes bûcherons métisses ne dépassait pas les cadres de l'hypnose ou de l'action télépsychique. Et cependant, mon intuition indiquait la présence, autour de moi, d'un monde supérieur. Des vagues rumeurs confirmaient mes prémonitions.

Les rares habitants de la jungle m'avaient maintes fois parlé, en chuchotant, avec des mines terrorisées, d'une singulière race de sorciers. Ils se terraient au fond impénétrable de la brousse, mais les entrailles de la terre étaient leur véritable patrie. La mort les épargnait pendant de longs siècles. Au fait, ils ne mourraient que dans des cas exceptionnels. Dans des catacombes souterraines, qui se faufilaient sous la forêt vierge, ils gardaient leurs nombreux esclaves qu'ils sacrifiaient au cours d'effrayantes cérémonies.

Jusqu'à ce jour-là je n'avais rencontré aucun de ses légendaires magiciens.

 


 

Je me trouvais à une demi-journée de Santarem. Mon canot avançait près d'un «iguarapé». C'est ainsi que les Indiens appellent ces étroites rivières qui, dans la brousse amazonienne, jouent le rôle des routes à petite circulation. En effet, depuis quarante-huit heures je n'avais rencontré personne.

Le soleil était déjà en train de baisser sensiblement lorsque mon attention somnolente fut brusquement éveillée par un étrange manège à l'intérieur de la broussaille que je longeais. Une demi douzaine de vautours tournoyaient au-dessus des arbres, manifestement attirés par un point invisible et qui devait se situer à environ deux cents mètres de la rive.

Une charogne ? Les oiseaux carnassiers s'y seraient déjà précipités. Un animal blessé? Les craquements du sous-bois, l'agitation du feuillage et des lianes semblaient confirmer cette hypothèse. Les bêtes sauvages se rassemblent volontiers autour d'un congénère impuissant pour le dévorer.

Derrière le mur vert doré, je discernais le bruit d'une assemblée de petits rongeurs mais aussi le pas de créatures plus lourdes. Des « queixadas » qui sont une espèce de petits sangliers, ou des «onças», des jaguars de bonne taille ? Tous les habitants de l'océan vert s'entre-dévorent et tous prennent la fuite à l'approche d'un être humain, à moins qu'ils se sentent coincés.

Il n'y avait là apparemment rien d'extraordinaire et cependant je ralentissais la marche de mon embarcation et la dirigeais vers les bambous du rivage.

Après avoir arrêté le moteur et enroulé la chaîne du canot autour d'un tronçon d'arbre moisissant, je restais immobile pendant quelques minutes.

Assis sur la banquette, la carabine sur mes genoux, entouré par le feuillage chuchotant des bambous, j'écoutais, en proie à une étrange inquiétude. Mon instinct me disait qu'il y avait là autre chose qu'une bête blessée. Peu à peu ce sentiment devenait une certitude que je ne saurais pas expliquer comment ni pourquoi.

A une ou deux reprises, il m'a semblé que j'entendais un lointain gémissement. Mais les bruits de la jungle provoquent les plus absurdes illusions. Les chances de rencontrer un homme dans ces parages déserts étaient négligeables.

Une pensée surgit de mon attention inquiète, qui dominait mes nerfs. Obscurément d'abord, puis avec une clarté croissante je commençais à savoir ce qui me guettait derrière l'épais rideau de fougères géantes et de lianes enchevêtrées.

Un grondement fracassant, pareil à celui d'une locomotive en marche me fit sursauter. J'en aperçus la cause pendant une seconde. Comme un éclair, un lézard géant verdâtre, long d'un mètre passa à travers le sous-bois. Il devait faire soixante à l'heure. Après, tout redevenait calme. Un caméléon, marron en ce moment car il était collé à un tronc de la même couleur, m'observait scientifiquement. La vue de son corps visqueux si proche que je l'aurais pu toucher, me donna un léger frisson.

Je me sentais comme au moment de mon initiation lorsque je me réveillais avec un serpent géant sur mon torse nu. A présent l'image, manifestement d'origine télépathique, s'enrichissait de détails devint précis, obsédant.

«Un monstre absurde», m'entendis-je grommeler tout en sifflotant entre mes dents serrés » un serpent à la fois géant et venimeux et par-dessus le marché incarné dans un homme».

Il fallait que je lui parle. J'étais venu en Amazonie uniquement pour cela.

 


 

Carabine dans ma gauche, le coutelas long et lourd comme un sabre dans ma droite, je sautais sur la rive. Au fur et à mesure que j'avançais dans le cirage vert en abattant des branches, entr'ouvrant le rideau de lianes, le bruit des bêtes s'éloignait. Le règne animal fichait le camp.

Au bout de cinq minutes de cette gymnastique, je débouchais sur un acajou gigantesque à l'écorce rouge brique. Ses racines aériennes forment des triangles verticaux. C'est comme si l'arbre était entouré d'un éventail d'une demi-douzaine de cloisons, hautes d'environ deux mètres.

A l'intérieur de l'un de ces boudoirs végétaux, la tête tournée vers le tronc,les jambes bottées comme les miennes mais fantastiquement longues et dépassant de loin les parois rouges, un homme gisait.

Je le reconnus presque immédiatement d'après les descriptions qu'on m'en avait faites. Les indigènes lui avaient collé le sobriquet : «Tiberio le Satan». D'après son aspect, il le méritait pleinement.

Il devait mesurer près de deux mètres. Le soleil n'éclaire jamais franchement l'intérieur de ces tentes de feuillages. Dans cette lumière verdâtre je contemplais mon homme avec une grande curiosité. Il avait un visage chevalin, à la peau blanche légèrement barbouillé de sang, des cheveux roux coupés courts et un très long nez pointu. On lui aurait donné cinquante à cinquante-cinq ans.

Je voyais tout de suite ce qui lui était arrivé. Les branches sèches, parfois lourdes de plusieurs kilos représentent un des plus réels dangers de la forêt. Celle qui gisait à côté de mon homme n'avait qu'effleuré son crâne, sans quoi l'immortalité des sorciers amazoniens aurait été soumise à une très sérieuse épreuve.

Sortant une des bouteilles que j'avais dans mon sac je l'aspergeais d'eau. Ses lèvres minces et exsangues, taillées au rasoir, se mirent à trembloter. Je me demandais ce qu'il y avait de vrai dans les légendes qui circulaient autour de lui ?

 


 

Etait-ce exact que les nuits sa taille prenait des proportions encore plus gigantesques et qu'il jetait des serpents brûlants à la figure des voyageurs égarés que cela rendait aveugles et fous ? Avec ses blue-jeans crasseux et sa chemise déchirée, il ressemblait à la lumière du jour à ce que sans doute il était, en partie, clochard amazonien, pêcheur, occasionnellement voleur de bétail vagabond, des élevages clairsemés aux abords des fleuves.

Cela ne diminuait aucunement son mystérieux prestige. Des esclaves prisonniers dans des catacombes souterraines ? Etait-il maquereau ou marchand de filles sur les bords, en même temps que sorcier ?

Je lui jetais un tiers de la bouteille au visage. Alors il ouvrit les yeux et me dévisagea. C'était comme si j'avais reçu un coup de poing dans la figure. Des globes immenses. On aurait dit que ces orbites occupaient un tiers de la surface du visage. Leur blanc était rouge, leurs pupilles jaunes se dilataient et se rétrécissaient comme celles d'un chat. Je fus saisis par un léger vertige devant ce regard. Il brouillait les pensées. On était subitement disposé à voir n'importe quoi. J'avais l'impression confuse que ces yeux pouvaient s'élancer vers moi au bout de souples tentacules, comme ceux d'un monstre sous-marin.

Il secoua légèrement la tête lorsque je lui présentais le goulot de la bouteille. Les «macumbeiros» boivent aussi peu d'eau que possible. Il faut être sec et brûlant à l'intérieur pour accueillir les démons souterrains. Mais il refusa également mon flacon de rhum.

- Prends ta carabine proféra-t-il d'une voix basse et rauque. Il traînait les syllabes mais son chuchotement avait quelque chose de percutant. On l'aurait entendu à dix mètres.

- Il y a un « mutum », poursuivit-il, dans le buisson derrière toi.

Ce sont les dindes de la forêt amazonienne. De très gros et maladroits oiseaux au plumage bleu foncé brillant,à la chair délicate, blanche. Un festin, quand on en trouve. Mais ils sont plutôt rares.

- Tu peux le tirer à la balle - entendis-je de plus en plus stupéfait, il est lourd... assis par terre... vient de manger. Tue-le et apporte-le.

En effet, ce n'était pas plus difficile que cela.

Lorsque je revins, au bout de cinq minutes, avec la dépouille du « mutum » mon bizarre blessé était assis par terre, le dos appuyé au tronc. Sans un mot il prit la dinde morte, appuya sa lèvre à la blessure et se mit à sucer énergiquement. Il but du sang d'oiseau pendant des minutes avec tous les signes de la satisfaction. Je ne discute pas les goûts mais ce n'était assurément pas beau à voir. Je luttais contre le malaise. De toutes mes forces je tordis le coup du «grand serpent» qui est en nous - du diaphragme. Des triangles brûlants dansaient devant mes yeux, puis, de nouveau, je voyais clairement et ma voix était calme.

- Tu es Tiberio, demandais-je.

Il essuya son visage barbouillé de deux sangs divers.

- Toi aussi, je te connais bien... fit-il, sans répondre à ma question directement, Tu es sorcier. Les esprits ont prédit que tu viendrais. Ton regard est fort. Tu veux tout. L'or, le pouvoir et le secret de la renaissance. Et tu es beaucoup plus jeune que moi.

Il parlait un portugais correct, y mêlant quelques mots indiens de temps en temps. Je m'accroupis à côté de lui.

- Tu n'es pas encore vieux, lui dis-je.

Il riait tout doucement. Le parchemin ensanglanté de son visage aux poils roux se fendit en rides.

- Je suis aussi vieux que la terre, déclara-t-il d'un ton naturel et au premier moment on était porté à le croire. Dans l'avenir les gens auront des vies plus longues que maintenant. Ils seront comme le Mathusalem de la Bible. C'est là le grand secret que tu cherches. Mais je crache sur la Bible, termina-t-il sans lever la voix.

Il y avait une tempête sous mon crâne. Je sentais le sang affluer vers mes tempes. Ma gorge était sèche.

- Je ne crois qu'aux secrets dont on me prouve l'existence, lui dis-je. Et je sais une chose. La première étape des miracles : c'est le moment où un esprit devient matière palpable, Ectoplasme, gélatine peu importe. Tu sais de quoi je parle. Peux-tu créer un embryon du néant ?

Il se détourna. Je suivis son regard. Il y avait de ce côté un barrage de feuilles rouges, grandes comme des pneus de camion. A travers une brèche large d'un mètre, j'aperçus dans la lumière verdâtre une chose qui me coupa le souffle. Cela n'avait rien d'une hallucination, la silhouette d'une belle fille y passa, à dix mètres de nous. Pendant une seconde son image se détacha très nettement du fond de fougères. Elle était grande, portait une carabine et traînait derrière elle par une corde deux prisonniers attachés ensemble, un homme et une femme. La procession absurde disparut, sans aucun bruit, comme dans un rêve. Mais ce n'était pas un rêve. J'étais encore abasourdi et je cherchais des mots pour interroger le sorcier lorsqu'un tir retentit.

 


 

J'entendis derrière les lianes la chute d'un corps et après un court silence une voix de femme métallique, claire, sereine.

- Il était déjà mort bien avant. Toi, Helena, tu es libre, mais tu rentreras chez nous. Je sais que tu rentreras. Tu seras heureuse. Les dieux t'habiteront. Tu seras le cheval des dieux.

Après, rien. Que des cris d'oiseaux. Tibério tourna ses terribles phares rouges et jaunes vers moi, secoua la tête comme s'il voulait éluder mes questions, puis reprit, d'un ton indifférent, feignant de n'avoir remarqué rien d'anormal.

- La force des esprits peut tout. L'esprit a le pouvoir de se transformer en chair vivante. Mais cela ne peut se réaliser que par l'union d'une foule d'âmes et de corps. Il faut une assemblée d'êtres dociles qui se dévouent et se sacrifient pour que le miracle se produise. Cela ne peut se faire que loin du monde. Le mystère doit être bien gardé, enseveli...

Il sourit en découvrant des dents fortes, noircies par le tabac.

- Enseveli sous la terre ? demandais-je.

Tibério esquissa un mouvement pour se lever, mais il y renonça faisant un geste pour indiquer que sa tête tournait.

- Oui... sous la terre... il y a une cité sous la terre. Son entrée se trouve tout près d'ici à quelques pas. Je viens de là. Tu iras, toi aussi, car ta place est là. Des tunnels conduisent loin en bas... jusqu'au trône des Rois... d'un autre monde... tu verras tout. C'est là que nous citons les esprits !

Sa voix faiblit. Il luttait visiblement contre un malaise, mais il continua :

- L'assemblée docile est comme une femme... elle s'exalte. Son âme se met à vibrer... alors il faut un homme très fort.., pour la subjuguer et unir tout à fait... et il faut encore une autre femme... mais qui est noble et forte comme Yemandsa la déesse des eaux... une prêtresse qui accomplit les sacrifices... qui est douce comme les femmes et dure comme les guerriers... comme les amazones... c'est elle qui réunit tous les fluides dans son âme et qui les projette comme un miroir là où il faut... tu verras tout cela.

 


 

Je ne savais que penser. J'avais beau connaître les sorciers Brésiliens aussi bien que l'Amazonie. Je me répétais en vain que la loi de la jungle régnait dans ces parages et que dans les plantations de caoutchouc isolées les patrons faisaient couramment descendre les ouvriers récalcitrants par leurs hommes de main. J'étais perplexe.

Il y avait là quelque chose que je ne me parvenais pas à situer. Je regardais discrètement un petit singe noir qui filait d'une branche à l'autre. Un oiseau doué d'une voix presque humaine toussotait comme un vieillard et répétait inlassablement les mots : ARARA - KWARA -ARARAKWARA!» « Cette forêt grande comme la moitié de l'Europe est encore bourrée de surprises», m'avait dit près du port de Bélem, entre deux whiskys, un biologiste allemand. « Il ne croyait pas si bien dire » pensais-je subitement. Car les feuilles rouges rondes et grandes comme des pneus tressaillirent puis se séparèrent et la belle fille de tout à l'heure y apparut.

- Voici Consuelo, dit le sorcier. Elle est « Orixa », prêtresse de Xango, du dieu de la foudre et du feu. Elle est aussi le principal médium de nos séances.

 


 

CHAPITRE 2

 

- Saude, dit-elle, salut, Tibério ! Zut ! une branche ? Tu as mal ?

- Rien de grave. Je vais pouvoir marcher dans une minute, répondit-il.

Elle louchait vers moi du coin de l'œil. Le sorcier m'indiqua du doigt :

- Oui, c'est lui. Le voyageur annoncé par Olivia, il y aune semaine lorsque le dieu Oxala est descendu sur elle. Tu te souviens, vers la fin de la séance, avant qu'elle se soit évanouie.

Elle me dévisagea. Je m'étais redressé. Elle était très grande pour une femme. Presque de ma taille. Je mesure 1 m. 78.

C'était une mulâtresse « sarara », c'est-à-dire aux cheveux blonds, à la peau et aux yeux clairs. Souvenir de l'occupation hollandaise. Les prophéties des filles possédées par un dieu, épuisées par la danse devant l'idole sont la plupart du temps des cafouillages sans queue ni tête. Mais dans le cas où elles fonctionnent, leur lucidité est ahurissante.

- Tu t'appelles Raulo ou Paulo, dit-elle en s'approchant et en s'agenouillant à côté de Tiberio. « Tu es le patron d'une exploitation de noix du Pura, ou de bois, ou de teintures, aux abords du fleuve Ituqui. Pas de caoutchouc. Tes ouvriers te volent parce que tu n'as fait liquider personne jusqu'à présent.

Elle déposa sa Winchester et tira un pansement de son baluchon. Je n'étais ébloui qu'à moitié. Les nouvelles circulent dans la brousse avec une vitesse inexplicable. Sans parler des radiotélégraphistes, Robinsons des aérodromes isolés, qui s'amusent à échanger des cancans avec leurs collègues, par-dessus les espaces vertigineux de l'océan vert.

« Il faudrait le mettre à l'abri » dis-je, «La nuit va tomber ».

Ils m'observaient tous les deux sans bouger. L'oiseau insistait à déclarer : « Arara - Kwara ». J'avais un léger vertige. Comme si un vide m'aspirait. A deux, ils rayonnaient un magnétisme redoutable. Evitant les terribles yeux de Tiberio je dirigeais mon regard vers le front haut et lisse de Consuelo. J'y concentrais tout le désir qu'elle m'inspirait depuis une minute.

La ligne fière de son corps, ses hanches étroites, ses larges épaules couvertes de cheveux blonds, presque châtains, son visage de princesse mauresque aux pommettes saillantes, au nez court, à la bouche grande et charnue, tout cela tourbillonnait dans mon cerveau, descendait dans mon diaphragme électrisé par le courant condensé de dix nuits d'amour sorcier, reflua vers mes pupilles et s'élança comme un cobra enragé sur la mulâtresse agenouillée.

Elle se mordillait les lèvres.

« Tu m'aides ? » me lança-t-elle en s'emparant du bras de Tiberio.

 


 

Nous passions près d'une flaque d'eau à moitié couverte de longues herbes épineuses. Il y avait une paire de jambes immobiles et une assemblée de petits rongeurs.

- Il était devenu fou. Il a voulu étrangler la fille, dit Consuelo.

Cinq minutes après nous débouchâmes sur une clairière. Il y avait trois poteaux au milieu. Deux avec au bout des squelettes de crânes de chevaux, le troisième avec le masque grimaçant du dieu Xango.

Derrière les poteaux j'aperçus un énorme anneau noir et rond. Un mètre de haut et d'un diamètre d'environ quatre fois autant. Les restes d'un vieux cèdre abattu par la foudre et bouffé par les fourmis. Cela ressemblait au rebord d'un puits et cela en était un.

Lorsque nous nous approchions j'entendais, très faiblement le chant d'un chœur de femmes évoquant les cantiques en l'honneur du diable Exu, du Chien-de-Feu, que j'avais entendu dans les « candombles », dans les cloîtres de la sorcellerie à Bahia. Le chant était entrecoupé de pleurs et de gémissements. Il venait de bas, d'un souterrain distant.

 


 

L'intérieur du tronc de cèdre était une immense bouche noire.

Quand nous en étions tout près, un bizarre couple en jaillit. Un garçon et une fille. Des gens du peuple. Ils riaient aux éclats, se pourchassèrent en sautillant comme des chèvres sans se soucier de nous et disparurent dans la broussaille. Je les cataloguais comme ivres ou plutôt drogués.

Tiberio semblait rétabli. Il enjamba sans notre aide le bord du tronc, puis se retourna vers nous.

- C'est ici. Reste avec elle. Elle te dira le nécessaire. Et reviens. Tu trouveras tout ce que tu cherches et plus.

Il étendit la main vers le gouffre noir. Une roue phosphorescente y apparût, pétillait, flamboyait pendant quelques secondes, puis s'éteignit. Une illusion optique ? Ou la phosphorescence d'un corps astral, révélé par 'hypnose? Ou simplement des feux follets ?

- Tu trouveras les pouvoirs qui te manquent, continua-t-il. Et surtout celui du dédoublement. La faculté d'être ici et ailleurs, en même temps.

Là-dessus il descendit dans le puits et sa silhouette disparut dans l'obscurité.

 


 

Nous étions assis sous les bambous, sur la rive, à deux pas de mon canot. Il faisait presque noir, mais elle ne m'avait toujours pas expliqué grand-chose.

J'avais allumé une lampe d'acétylène à l'autre bout de mon petit navire, pour y attirer les moustiques. Cela donnait un jeu d'ombres qui se pourchassaient parmi les bambous.

Je la tenais dans mes bras étroitement enlacée. Elle laissait reposer sa tête sur mon épaule, gentiment, comme une midinette quelconque qui file le parfait amour avec son amant sur le banc d'un parc public.

La différence : un chœur de crapauds forgerons. Un tintement métallique tout autour. Comme les clochettes d'un troupeau invisible de vaches suisses. Des papillons noirs apparurent,larges comme des paumes, attirés par la lampe.

Et puis, il y avait une autre différence. Nous étions passés tous les deux par l'école de la «macumba». C'est une épée à double tranchant.

 


 

Sa bouche était chaude, drue, passionnée et elle me rendait mes baisers mais cela s'arrêtait là. Je n'insistais pas trop. Le rituel exclut les conquêtes intempestives. Mais si on obéit au rythme prescrit, le succès est fort probable.

L'eau clapotait doucement devant nos bottes. J'embrassais longuement son cou. Elle avait la peau satinée des mulâtresses. Aussi leur tempérament. Elle se blottit contre moi et je sentais ses longs doigts qui labouraient les muscles de mon dos. Je la fis glisser sur l'herbe, elle me repoussa doucement. Ses bras étaient musclés comme ceux d'un homme. Alors nous restions assis pendant quelques moments nous tenant par les mains et c'était dans cette attitude banale que notre duel d'hypnotiseurs commença.

Non, il ne faut pas croire que la discipline amoureuse de la « macumba » soit une contrainte. Hommes et femmes se laissent porter, encore que très lentement, graduellement parleurs passions vers une communion, vers un bonheur normal. Les amants ne se réservent qu'une partie infime des fluides magnétiques mobilisés par l'orgasme.

Mais ces étincelles forment au bout de quelques semaines un redoutable réservoir de forces nerveuses.

Je sentais la pression de ses paumes et une vibration qui se propagea à travers mon corps jusqu'à ma nuque. Comme dans un rêve éveillé, des formes flottantes sortirent de l'obscurité. Une demi-douzaine de femmes noires, des esclaves demi nues, m'entouraient, me touchaient, me caressaient. Je savais parfaitement que ce n'était que les pensées de Consuelo et que si je m'abandonnais à ces images, je glisserais rapidement dans la léthargie hypnotique.

Je dégageai mes doigts et je pris ses tempes entre mes mains. Pendant un moment je fis le grand silence en moi. Mes pensées et mes désirs furent balayés par ma volonté. Puis, brusquement, mon vide intérieur fut traversé par l'éclair d'un couteau qui sifflait dans l'air, lancé vers la gorge de Consuelo. Elle tressaillit et se dégagea poussant un petit cri.

Ce fut au moment où je l'enlaçais de nouveau, que la manche de sa blouse glissa et que j'aperçus le tatouage de l'épaule. Elle ne s'opposa pas lorsque j'allumai ma torche électrique pour voir l'inscription.

«Pen. d. Car. n° 918». Je reconnaissais la chose. Le pénitentiaire de Caruara se trouvait à cinquante kilomètres de Rio. A trois mille kilomètres d'ici. Il y avait surtout des condamnés à vie. Du reste on ne faisait cela qu'aux condamnés à vingt ans ou à vie. Consuelo avait au grand maximum 27 à 28 ans. Ombre immobile sous les bambous noirs, elle retenait sa respiration.

- Si tu veux, va-t'en, dit-elle d'une voix rauque, « et ne reviens plus. Je me suis évadée il y a un an. Ils m'avaient condamnée comme empoisonneuse. Mais c'était une fausse accusation. J'avais servi les dieux là-bas, comme ici.

Evidemment, il y avait des drogues, ou simplement des cuites au rhum blanc pour faciliter le déclenchement des véritables extases. Et il y avait des cœurs fragiles et des tribunaux qui s'en mêlaient de temps à autre. Je n'étais consterné qu'à moitié. Aussi, pendant le carnaval de Rio il y a quantité de morts par épuisement.

 


 

 

CHAPITRE 3

 

Ce soir-là, vers sept heures, lorsque j'arrivai du côté opposé, j'aperçus de loin parmi les bambous son blouson bleu marine et un fichu rouge qu'elle avait noué autour des cheveux.

Elle ne répondit pas à mon sourire. A mes baisers, par contre, si. Et comment ! Nous nous assîmes juste au même endroit.

- Il est trop tôt, me dit-elle à un moment de répit, en montrant le ciel. Il était comme une aigue-marine lumineuse qui obscurcissait doucement. En face, à trente mètres, des perroquets chahutaient parmi les arbres de l'autre rive. Notre conversation à nous, se limitait à des monosyllabes.

Consuelo avait un large ceinturon de cuir sur ses blue-jeans, avec son coutelas. Deux ou trois fois j'essayais de le défaire. Deux, trois fois, elle me saisit le poignet. Une patte de velours et de fer. En même temps elle détourna mon visage vers un nuage noir qui montait et ses lèvres murmuraient des mots incompréhensibles.

«Vamos. Viens», me dit-elle d'un ton paresseux, au bout d'une demi-heure.

Nous avancions en flânant à travers la forêt. L'or y changeait en brun et le vert en noir. Elle s'arrêta devant l'acajou sous lequel j'avais rencontré Tiberio et très absorbée se mit à dessiner par terre avec le canon de sa carabine, à l'endroit même où s'était trouvé huit jours plus tôt le corps du magicien.

 


 

La fille me tournait le dos et ses épaules tremblaient comme sous un effort. Tout à coup, lorsque j'y regardais il y était de nouveau avec le sang sur sa figure, son crâne écorché et tout le reste. Je savais bien que c'était absurde et impossible, mais il n'y avait rien à faire. Déraillant pour de bon j'avançai pour le toucher. Je réussis en effet à toucher l'écorce du tronc. Il n'y avait plus rien.

- Pourquoi fais-tu cela ? m'écriais-je, furieusement, sans savoir pourtant avec certitude si c'était son fait, et comment et pourquoi.

Mais son regard sombre, fixe et féroce m'expliquait beaucoup de choses.

 


 

Je me rappelais de l'Indien que le Maréchal Rondon avait, quelques années plus tôt, amené à Rio et qui, au cours d'une séance, sortit d'une fenêtre du dix-huitième étage, en plein jour et revint après s'être baladé dans le vide. Deux caméras de dix-huit millimètres avaient filmé l'opération. Sur l'un des films il n'y avait naturellement rien, que l'hypnotiseur en train de fumer sa pipe de glaise, à côté de la fenêtre entouré par le groupe de spectateurs et sans manifester la moindre intention d'aller dehors voltiger. Sur l'autre bobine c'était pareil, mais pas tout à fait. Le sauvage restait où il était mais pendant la projection nous vîmes, à notre ahurissement, une tâche sombre, quelque chose comme un tourbillon de poussière se déplacer devant la fenêtre. Là où nous avions vu l'illusionniste, en train de déambuler au-dessus de l'abîme.

 


 

Une redoutable volonté rayonnait de ses yeux, grands, gris,mongoloïdes. Tout à coup, je me mis à penser à des choses ennuyeuses. Une carabine en Amazonie cela tire facilement. Et on peut se tromper lorsqu'on mélange des breuvages douteux pour une foule en extase tout en étant soi-même halluciné. Mais ce couple de fous euphoriques qui avait dansé sur la clairière, pour disparaître derrière les buissons, évoquait chez moi des souvenirs précis.

Je revoyais en ce moment l'éclat et la fixité des yeux. Ce satyre, cette nymphe n'étaient pas que drogués!

Il y avait là une autre histoire, plus méchante que tout le reste. Je ne la connaissais que par ouï dire.

- Consuelo, demandais-je, vous avez ici des « zombis », des morts-vivants ? » Au lieu de répondre elle se colla dans mes bras. Cela aussi, cela faisait des tourbillons électriques, je le jure !

- Ne me demande rien. Je t'y emmène. Tu verras et tu feras ce que tu voudras. Et quoi que tu décides, je serai à toi ce soir.

Ils descendaient vraiment loin, ces corridors. Quel labyrinthe !

Sous le cèdre nous avancions d'abord à quatre pattes et encore ! Au bout de dix à douze mètres, le tuyau formait un coude vertical. Nos torches électriques éclairaient quatre pierres grisâtres qui formaient un escalier naturel. Une fois en bas, nous découvrîmes un carrefour de trois galeries à peu près pareilles.

On pouvait s'y tenir debout. Je touchais le plafond de la main. Humide et noir, tout cela. Partout où je me promenais le rayon de ma lampe, cela se ressemblait. Des voûtes rondes, manifestement creusées par des humains. Quels humains ? voulais-je demander à Consuelo mais elle me fit un signe avec sa lampe, montrant le tunnel du milieu.

Il était légèrement incliné vers lebas. Elle s'y engagea et je la suivis. Ici, il y avait des niches des deux côtés. Des animaux en pierre poreuse. Des êtres hybrides, faits avec des corps et des membres d'oiseaux, de fauves et de poissons entremêlés. Cela rappelait des gargouilles et des monstres péruviens, mais ce n'était ni l'un ni l'autre.

Mon amie semblait pressée. Elle se pencha sur un nouveau puits vertical. Très profond celui-là, vingt à trente mètres. Une échelle de corde y pendait. Le fond était fait de rochers illuminés, où jouaient des reflets d'une fournaise rouge. En bas, très loin, un battement enragé de tambours se fit entendre, puis s'arrêta net. A côté de nous, au bout d'un tunnel horizontal, j'aperçus aussi le clignotement d'un œil rouge brique.

Je sentais l'haleine chaude de Consuelo.

- Le feu du dieu Exu, murmura-t-elle.

Ce fut à ce moment-là, qu'à la lueur de ma torche, je découvris la statue du dieu enterré. Jusqu'à la poitrine. Il était jeune et beau, en marbre blanc et semblait nous observer avec un visage douloureux,exténué.

J'entendis, le diable sait d'où, un sifflement saccadé, et là, j'eus vraiment peur. Le dieu enterré commença à ramper vers nous.

 


 

Il n'était pas enterré mais à quatre pattes. Sa gorge ou ses poumons sifflotaient. Il n'était pas dieu pour un sou. Son comportement indiquait quelque chose de tout à fait contraire.

Prosterné, devant Consuelo, il pleurnichait.

- Reine, ma Reine noire, entendis-je. Je te supplie, laisse-moi partir... laisse-moi vivre... je sais que nous ne vivons plus... ils sont tous en chasse et fous en bas... je n'en peux plus... j'étouffe... Ils se décomposent et pourrissent.. et ils dansent.. des charognes qui dansent... je t'aime... viens, partons ! Tu as promis...

Je n'ai jamais su ce qu'elle lui avait promis car elle lui prit la tête, la redressa à moitié et la déclamation insensée cessa. Je la vis secouer furieusement la tête du garçon. Comme une chatte enragée elle lui crachotait à l'oreille. Je n'en ai saisi un traître mot.

Il se leva et cette fois-ci sur deux pattes, se traîna vers la galerie latérale, où clignotait l'œil rouge brique.

Après, cela devenait encore plus cauchemardesque. Et par-dessus le marché c'était justement le cauchemar que j'avais prévu et craint à l'avance.

 


 

Je n'aime pas les échelles de corde mais celle-ci était solide. Seulement tout près du fond du puits,j'eus encore un choc. Une caverne latérale ressemblant drôlement à un cimetière. Pas de croix, mais des monticules fort suspects, avec des petites pierres octogonales et blanches. Je ne pouvais pas déchiffrer les inscriptions.

Leurs caractères semblaient arabes. De gros rats eurent la mauvaise idée de me lorgner des coins comme je m'immobilisai sur l'échelle pour repérer les lieux. Je trouvais cette nature morte fort déprimante.

Les pierres octogonales avaient quelque chose de pédantesquement méticuleux. De toute façon,c'était ancien, me consolais-je. Au dix-huitième, il y a eu, au Brésil, par-ci, par-là, des communautés d'esclaves arabes évadés, révoltés, que sais-je. D'autre part, on rencontre aux alentours de Bahia et de Pernambuco d'illisibles inscriptions, dans une écriture rappelant l'arabe, et qu'on attribue à des navigateurs venus des Atlantides, il y a quinze mille ans. J'avais assez de soucis comme cela et je m'empressais de suivre la reine qui me paraissait, en effet, de plus en plus noire.

 


 

Au fond du puits c'était le comble. Mon envie de plaisanter en pensée, rien que pour me rassurer, m'y passa radicalement. Une scène de l'enfer de Dante, illustration de Doré, mais en plus réaliste et avec une touche de sordide, d'ignoble.

C'était vraiment une bande de morts-vivants, de cadavres pâles, verts, glabres qui dansaient autour de moi, en sautillant en me bousculant presque. Et quelle danse, Seigneur !

Je comptais quelque chose comme une douzaine et demi de ces damnés piteux des deux sexes.

Des torches fumaient dans tous les coins fantasques de l'énorme grotte stalactite où nous venions de déboucher. Cela étincelait, scintillait follement de tous les côtés. Je vis des grappes de cristaux verts, bleus et rouges, des colonnes de basalte et d'autres, tronçons et entières, faites de main d'homme.

Maintenant, comme si c'était en l'honneur de notre arrivée, ils se mirent à hurler en chœur, à râler, à pleurer. De leurs yeux déments on n'apercevait que les blancs. Pas de trace de pupilles. Et cependant leurs radars devaient indiquer la présence de Tiberio car ils imploraient sa grâce à grands cris stridents.

Il fit tout pour mériter son sobriquet. Il était absolument convaincant dans le rôle de Satan, pourchassant les pauvres héros squelettiques, loqueteux avec une énorme massue en vociférant : « Ordures, pestiférés, Ignominieux excréments de tatou! Voici la vengeance d'Oxala! Une marée de serpents vous attaque, vous enlace, vous dilacère, vous déchire les tripes. Sauvez-vous ! Vite ! Vite ! Vite !

Et ce fut la ruée de ces malheureux vers les roches, vers les colonnes. Ils se piétinaient mutuellement, grimpaient mains ensanglantées, grimaçant, bavant, se réveillant d'horreur ou justement sombrant dans une hypnose plus profonde, comment le savoir.

Cela dépassait de loin tout ce que j'avais vu dans les «terreiros» de Bahia en matière de conditionnement des disciples, par la douche écossaise de l'horreur et de la volupté.

Tiberio leur fit alors le coup du Moïse de la Bible. Pendant qu'ils tremblaient, suspendus aux rochers, il lança au milieu de la grappe grotesque son gros bâton qui se transforma aussitôt en un serpent « souroucoucou » de bonne taille.

Alors vint un moment où mes excellents nerfs commençaient à frémir partout dans mon corps. Le serpent se tordait, il le rattrapa par la queue, le fit tournoyer comme un fouet en poursuivant les fuyards puis, d'un coup sec, il fit éclater la tête du reptile sur un rocher.

 


 

J'étais en train d'essayer toute sorte d'exercice de concentration pour m'empêcher de vomir, lorsque, sans transition, sa voix devint mellifluente, onctueuse, caressante, tendre, riante.

« Ha-ha-ha ah-ah-ah I Pauvres petits enfants, réveillez-vous ! Clic-clac! Ouvrez-les yeux! Quel rêve stupide c'était ! Ha-ha-ha ! Regardez, regardez ce beau jardin! Les fleurs ! Les arbres de mangues dorées ! Mangez-les! C'est le paradis ! Venez, mes petits enfants. Etendez-vous sur l'herbe ! Soyez heureux... Comme vous êtes heureux ! Aimez-vous!... Embrassez-vous !... Riez de bonheur !... ».

Je me grattais la tête, dépaysé comme un bon catholique qui assiste à une messe de rite grec ou arménien.

L'hypnose était pour peu de chose dans cette histoire,décidais-je.

La forêt est bourrée de plantes vénéneuses et inconnues. Ce que je voyais devait être l'effet d'une drogue de la famille des curares, sans doute, qui empêche toute critique, tout acte de volonté indépendante.

D'où sortaient ces types ? Il y en avait trois, au moins deux, efféminés. Cela me rappelait des «terreiros», des cloîtrés où régnait le système matriarcal. J'en avais vu dans le Sud. Mais ce n'était pas pareil.

Je n'en revenais pas. Les marionnettes anémiques se vautraient dans l'herbe imaginaire, étendaient leurs mains tremblantes, ébauchaient des étreintes maladroites, de fantômes.

- Et cela, m'écriai-je. A quoi rimait donc ces grandes taches brunes sur les cous, sous les nuques de ces deux filles ? Cela semblait suinter. Mais ce n'étaient pas des plaies ordinaires. C'était tout à fait comme les stigmates des religieuses extatiques ou hystériques, comme on veut. J'allais voir cela de plus près, mais Consuelo me prit le bras. « Vamos, Querido! Viens, chéri! Nous allons nager! Une belle piscine nous attend ».

 

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