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G R E G O R |
Paul Gregor
Journal d'un sorcier
CHAPITRE 1
Je viens de rentrer à Paris, après un bref séjour au Brésil.
Cela va faire cinq ans que je me suis fixé ici. De temps en temps je disparais pendant quelques semaines ou mois. Après, lorsqu'ils me revoient, mes amis disent que j'ai changé. Généralement ils ne précisent pas comment.
Leurs remarques se bornent à quelques plaisanteries au sujet du soleil infernal, de la faune, de la brousse équatoriale qui auraient déteint sur moi. Car je suis catalogué comme spécialiste de la brousse, de l'équateur, de son soleil et sur les bords un tout petit peu aussi de l'enfer. Ce sont des blagues évidemment. Il y a, en somme, peu d'observateurs curieux dans la faune parisienne. Chacun y est fasciné surtout par les secrets de son âme à lui. Cela ne laisse pas beaucoup de temps pour la détection des mystères du voisin. Voici une des raisons pour lesquelles je préfère Paris à toute autre ville.
« ...Mais qu'est-ce qui t'arrive ? On ne te reconnaît pas ! On dirait que les indiens Jivaros ont réduit ta tête. Non ce n'est pas cela. Mais ce n'est pas la tête qu'on te connaît.. voyons... voyons... qu'est-ce qu'ils t'ont fait les Jivaros?... Tu es bronzé, oui et puis, tu as maigri, mais ce n'est pas cela, non plus... tiens c'est ton regard qui est complètement transformé... bizarre, comme si je ne t'avais jamais vu.. tu as l'air comme si.. tu as un air... »
Alors, comme pour aider mon interlocuteur, je pense à des mots. Sans ouvrir la bouche, je laisse les petites cellules de ma matière grise chercher les adjectifs justes. Tels que : «libéré », « désenvoûté», « débarrassé d'un fardeau », «d'un remords »... « d'une malédiction ».
Je fais le petit effort mental qu'il faut, et dans la plupart des cas, mon vis-à-vis répète à haute voix les expressions que mon cerveau vient d'inventer.
Je télégraphie des phrases de plus en plus insolites, juste pour voir.
Je constate que je suis en forme, en pleine possession de mes facultés télépathiques, court-circuitées il y a cinq ans. Mes camarades, ces médiums qui s'ignorent, continuent à retransmettre, à prononcer mes pensées.
Les gens emploient les termes les plus divers pour désigner« ça ». Ils parlent de magie, d'occultisme, de sorcellerie.
Une partie de l'humanité croit dur comme fer à la réalité de ces phénomènes surnaturels. La science officielle les conteste, les ridiculise. Mais la science change si souvent ses idées! Je ne suis pas savant, je ne peux parler que de mon expérience.
Celle-ci m'a montré la vérité d'une façon nette, directe. A travers le goût du sang et le râlement d'orgasmes bien réels. La voici. Tout être humain diffuse des ondes invisibles, qui déterminent les sympathies, les antipathies, des réussites amoureuses et souvent financières.
C'est ce que j'appelle « la magie de Monsieur Jourdain». Elle s'exerce quotidiennement, sans que les intéressés s'en rendent compte. On dit alors que tel ou tel personnage est fascinant, qu'il arrive à ses buts.
C'est un magnétisme. Comme tous les talents, il peut dépasser la bonne moyenne. Il peut, par un entraînement très spécial, et que je connais de près, de trop près, être développé outre mesure, devenir dangereux, hideusement anormal. C'est alors que l'emploi du vocabulaire de la tradition magique est justifié. Celle-ci est évidemment bourrée de fumisterie.
Moi je ne sais qu'une chose. La force hypnotique peut dépasser de loin les limites habituelles. Elle peut subjuguer à distance, rendre riche, rendre malade, rendre fou,transporter dans des paradis pas toujours artificiels, ou bien : tuer tout bonnement et simplement. J'ai payé pour le savoir.
Vers la fin elle pesait trente-cinq kilos. Comme si on l'avait vidée de sa substance, me disais-je. Je ne croyais pas si bien dire. On l'avait effectivement vidée. Et sur commande, pardessus le marché. A présent, je sais que des gens peuvent mourir comme cela.
Il m'a fallu du temps pour accepter cette idée. Du temps et des faits. En voici quelques-uns.
Ce n'est qu'après que je dirai comment et où nous avons trouvé, ma femme et moi, un bocal de grosses sangsues qu'on avait alimentées d'une façon peu courante.
Devant la porte d'une villa, sur le trottoir, la dépouille d'un coq noir. Autour : des bouteilles de bière à moitié vides, des bouts de cigares disposés en croix. Les passants crachent, se détournent, font semblant de ne pas voir la chose. Ils se feraient couper la main plutôt que d'y toucher.
Je faisais la cour à la fille du maître de céans, une des lumières du barreau local. Ce jour-là j'avais l'impression que tout était fini entre nous.
- Qu'avez-vous donc Isaura... Si je vous embête, je peux...
- Non restez ! Je vous en prie !
En me rasseyant, je la dévisageais. Fragile, elle avait toujours été et pâle aussi, contrairement aux usages du pays, mais pas à ce point-là.
- Vous n'avez pas entendu un mot de ce que je vous raconte depuis une heure...
- Mais si...
- Auriez-vous quelque chose ? » « Vous sentez-vous bien?...
Malgré l'air conditionné, son front se couvrit de petites gouttes de sueur.
- Non, non... je n'ai rien... je ne veux rien avoir... La Sainte Vierge et Saint Georges m'aideront... Je... je n'aurai absolument... rien !
Là-dessus elle se mit à pleurer d'abord, à chuchoter fiévreusement ensuite, et finalement à hurler.
- J'ai... Oh, si...,j'ai un serpent vivant dans le ventre.
- Isaura, voyons, vous déraillez ! Vous savez bien que c'est impossible...
- Oui... je sais que c'est impossible... mais il est là. .. dedans. . . Oh. . . Oh. . . j'ai mal . . . il se tord . . . oh... vous avez vu le sortilège... C'est Bernardes, le sorcier. . .je connais l'ordure. . . la misérable qui l'a payé... vite! Je meurs... vite... vite... qu'on téléphone à Agostinho. . . cela me mord. . . il me déchire tout.. . dedans. . . Je ne pourrai plus. .. personne ne pourra plus... m'aimer... Oh... Sainte Vierge...
De la suggestion constatais-je. Mais elle était drôlement efficace.
CHAPITRE 2
Quelques années plus tard, toujours à Rio. Je me trouvais à la « Policia Central ». Non, non pas entant que détenu. Je faisais du journalisme à l'époque.
Il était minuit trente cinq. Ce n'est pas par hasard que je me souviens de l'heure exacte. C'était le commencement de la fin de la carrière du « delegado » (commissaire) Antenor Dantas, de la Brigade des Mœurs, célèbre épouvantail du quartier mal famé de la Lapa et de ses maquereaux.
Malheureusement, pour le maintien de l'ordre moral et pour le delegado, on lui avait dernièrement confié une tâche supplémentaire sans aucun rapport avec le secteur des putains.
Sous la pression de l'Archevêché la police commençait à persécuter les sorciers.
Le «bel Antenor», grand, élégant,olivâtre et brillantiné, brute sadique sur les bords, s'y lança avec son zèle habituel.
Ce soir-là, ses «investigadores» (détectives) étaient allés cueillir à la gare Dom Pédro II, un fort inquiétant personnage. Il s'appelait Martiniano De Mendès. C'était le «Babalao», le «pape» de l'Eglise à rebours, de l'Eglise des démons qui domine secrètement les consciences de cinquante millions de Brésiliens. Je tiens ce chiffre d'un évêque catholique, grand connaisseur de la concurrencé.
Comme on le verra, la « macumba » dont j'étais un modeste curé, aujourd'hui défroqué, constitue une véritable religion secrète. Tout y est :hiérarchie, messes, (plutôt noires), couvents, nonnes, extatiques, stigmatisées. La vétuste ville de Bahia avec ses 365 églises catholiques, baroques, aux autels en or massif et vides la plupart du temps, hébergent le Vatican du culte souterrain.
J'avais la nouvelle à la rédaction du «Globo» (le France-Soir de là-bas) par une communication ultra rapide. Il ne s'agissait pas de l'un des tuyaux habituels du journalisme.
A l'époque j'étais déjà depuis assez longtemps introduit dans le monde des coqs noirs et des filles hystériques ou envoûtées. Mais avant de raconter le curieux accident de cette nuit, je remarque qu'il s'était produit en avril 1953, que les journaux brésiliens lui avaient consacré des colonnes en dépit de l'odeur sulfureuse de l'événement et que le public «carioca» (habitants de Rio) s'en souvient jusqu'à ce jour et pour cause.
Escaliers mal éclairés, labyrinthes de couloirs malodorants, sentinelles également malodorantes en kaki, baillant, tenant à l'envers ma carte de journaliste, grand et sale bureau violemment éclairé.
Le bel Antenor poussa un grand rire lorsqu'il m'aperçut dans l'embrasure de la porte. Cela ressemblait à l'hennissement d'un cheval dégoûté.
- Tiens, amigo, c'est toi qui me manquais ! Il faut avouer que tu n'en rates pas une ».
C'était un grand consommateur de pots offerts par moi. A l'époque. J'assistais en moyenne une fois par semaine à des descentes de la Brigade des Mœurs. Les lecteurs du « Globo» raffolent de ce genre de chose.
« Prends une chaise, Paulo, hennissait-il, les actualités viennent de finir. Tu arrives pile pour le grand film. Ah mes petits, vous allez vous frotter les yeux. Toi, Elvira, plus que n'importe qui ! »
Une seconde me suffit pour voir tout le tableau, tous ses détails, toutes ses menaces cachées.
Les longues jambes croisées d'Elvira, espèce de Sophia Loren, en édition plus maigre et plus banale, de son état dactylo à la Préfecture, la plus récente conquête de l'irrésistible Antenor. Les trois flics aux visages très soucieux. Un quatrième, entrain de déballer une élégante valise pleine d'objets insolites.
Des masques démoniaques, des colliers de dents de crocodiles, des statues de Saint Georges transformées en divinités africaines, des bouteilles avec des serpents conservés dans l'alcool, de petits verres pour en boire, des cache-sexe en plume de perroquets, des lances indiennes, la grande plaque en argent forgé avec les cornes, l'emblème du chien de feu de la Brousse du Dieu Exu, l'attirail complet du sorcier, en somme.
Mais tous ces détails sombraient dans l'insignifiance en face du «Babalao».
Il se tenait debout, encadré par les poulets, très détendu, dans son complet en toile irlandaise, admirablement coupé.
Grand, robuste, cheveux blancs coupés en brosse, sans âge, belle et sévère tête de César noir de race soudanaise aux lèvres fines, au nez aquilin, Martiniano ne broncha pas lorsque je m'assis à côté de ses victimes qui se croyaient bourreaux.
C'est lui qui m'avait fait passer les épreuves de l'initiation, deux ans plus tôt.
Anténor sortit un dossier du tiroir. Un des flics eut une quinte de toux. Il y avait un malaise presque palpable dans l'air. Alors, pour le dissiper, le délégado commit la gaffe de sa vie et de sa mort.
- Escuta, negro, s'écria-t-il avec une gaieté trop marquée, écoute nègre, ici c'est moi le patron. Si je te défère au Parquet, tu en as pour six mois à un an. Moi, je suis un brave type. Je te ferai foutre à la porte dans un quart d'heure. Sous une condition. Tu te déshabilleras, tu mettras ces fringues, et tu exécuteras ici, maintenant, la danse sacrée de ton sacré Dieu Oxala !
Il voulait sans doute amuser la petite pour lui changer les idées. Il y réussit au-delà de toute espérance. Le beau visage de Martiniano resta immobile. Il avait une voix à la fois douce et profonde. « On ne joue pas avec ces choses », dit-il gentiment, comme pour calmer un bébé trop bruyant.
« Sale nègre ! Pouilleux nègre, hurla le commissaire, tu danseras et que ça saute. Je compte jusqu'à trois. Après, ça sera le plus beau passage à tabac que ce bureau ait jamais vu. Et je te jure partes dieux bidons : ils en ont vu de très beaux.
Le beau, l'inoubliable, c'était la danse du sorcier pendant le quart d'heure qui suivit. Je le vois encore.
Ses mouvements lents et majestueux traçaient des signes sacrés dans l'air lourd de fumée. La plaque d'argent lançait des étincelles. On en était ébloui. Ou étaient-ce les énormes yeux noirs rigides ?
Sans musique tout cela, évidemment. Silence mortel. Ah oui, mortel. Juste le tic-tac d'une pendule.
Décidément, il faisait trop chaud. On se sentait engourdi. De plus en plus.
Martiniano bondit, se figea, puis se mit à tournoyer à une allure folle. Comme une toupie.
Comme si la pointe d'une vrille labourait ma nuque. Tout le monde semblait rêvasser. Entre mes paupières à moitié fermés, je voyais des taches rouges puis noires, puis des bosquets, un banc... non, une banquette... à l'intérieur de quelque chose... Etait-ce une voiture? Etait-ce un visage de femme aux cheveux en désordre avec, entre ses lèvres, un mégot au bout rougeoyant ?
Le Babalao s'arrête. Cliquetis de chaînette, un coup de poing entre mes yeux. Le poids, oui, le poids de son regard.
Brusquement, je comprends et je me traduis le langage des signes secrets. Des torsions de hanches presque mobiles. De ses doigts qui pétrissent l'air. Qui étranglent un cou invisible.
A présent, je sais que toutes les terribles forces de Martiniano appellent une femme. Je me dis, sans savoir pourquoi, qu'elle rôde dans la nuit. Je sens son désespoir. C'est comme si je l'entendais pleurer.
Je me ressaisis. M'étais-je assoupi ? Drôle de demi-sommeil. Il m'est familier.
Les épaules raides du sorcier tremblent d'un effort muet,comme sous un énorme fardeau.
Le commissaire essaie de sourire. Cela donne une grimace idiote. La petite doit avoir une migraine. Elle se frotte les tempes.
Du coin de l'œil, je regarde le ventre noir, musclé, à moitié nu, rentré, écrasé, secoué par une crampe. Eh oui, le sorcier est lui-même en transes. De l'autohypnose. Quelque chose en lui est prêt à éclater.
Son corps est chargé de l'électricité de mille étreintes amoureuses savamment canalisées, accumulées, de mille horreurs, serpents, plaies de rasoir, fièvres artificielles, et lentes strangulation de lianes, maîtrisées par une souveraine volonté sous le regard vide d'idoles noires, aux dents pointues.
Martiniano prend une chaise et s'assied, nonchalamment comme au milieu du « terreiro » de la clairière sacrée, après la conjuration du Dieu Exu.
D'un geste irrité, le délégado fait claquer un tiroir, les poulets échangent des coups d'œil très gênés.
J'ai mal aux oreilles. Je crois entendre un son aigu de plus en plus fort. Une sirène d'ambulance ? Non. Plutôt un hurlement de femme. D'une folle furieuse.
Il y avait une conduite intérieure devant la «Delegacia ». Le stationnement y était interdit, mais les agents restaient cois. C'était la deuxième Chevrolet du commissaire. La brigade des mœurs de Rio est une entreprise rentable. Dans la bagnole : la femme du bel Antenor. Celui-ci lui avait déjà communiqué qu'il allait l'abandonner mais elle ignorait l'identité de la coupable. Les femmes brésiliennes sont accommodantes. Elles pardonnent tout, sauf une chose. Rien n'est plus dangereux que de les laisser tomber tout à fait.
Depuis quelques minutes, elle fumait nerveusement, accoudée au volant, le poing serré, invisible dans la bagnole obscure. Dans son poing serré, il y avait le second revolver d'Anténor, un grand Colt 45.
Dans le chargeur du Colt : neuf balles, grosses comme des doigts. A bout portant, elles firent neuf gros trous dans la peau d'Antenor, ainsi que de sa belle.
Cela donna plusieurs beaux articles, deux beaux enterrements et un très beau procès. En somme, un drame de jalousie assez banal.
A un détail près. La meurtrière, lorsqu'on l'arrêta n'avait qu'un peignoir sur le dos. Elle se trouvait dans un état d'hébétude qu'on attribuait au choc nerveux. Les histoires qu'elle débitait à ce moment-là n'avaient ni queue ni tête. L'épouse trahie affirmait s'être réveillée en sursaut une demi-heure plus tôt, d'un cauchemar. Dans son rêve, la chambre à coucher était éclairée d'une lumière blanchâtre, laiteuse.
Un grand nègre, étrangement accoutré, dansait, sautillait devant le lit en chantonnant un texte obscène au sujet de la trahison de son époux qu'elle pouvait, affirmait la chanson, surprendre à l'heure même devant le commissariat, en compagnie de l'infâme séductrice.
Le procès fut très touchant. On l'acquitta à l'unanimité. Les jurés brésiliens sont très compréhensifs lorsqu'il s'agit d'un crime passionnel commis par une belle femme. Ils sont sentimentaux et galants par-dessus le marché.
CHAPITRE 3
Qu'en penser ? Quand on est doué d'un esprit critique et après avoir assisté à un certain nombre de ce genre d'événements, on commence à se demander si on déraille ou non.
Faudrait-il adopter, en face de ces phénomènes, l'attitude du paysan balkanique, en train de visiter un jardin zoologique, en compagnie de son fils âgé de six ans.
Pétrifié devant la girafe, le môme s'écrie : - Père, Père, viens voir, qu'est-ce que c'est que cette bête.
- Ça... mon fils, dit le paysan, après une minute de contemplation horrifiée, cette bête viens... viens... Ça. . . Ça. . . cette bête n'existe pas !
Est-ce après tout la voix du bon sens et de la science ?
Pas plus déprimant que la sécheresse et le pédantisme d'un certain Herr Professor Hellmuth Hagen. Il faisait partie malgré son grand sérieux, de l'inénarrablement cocasse groupe de prisonniers, hermétiquement bouclés dans la villa pendant quinze jours et strictement surveillés.
Il y avait entre autre une grosse caissière de bistrot, de Sankt Pauli, du quartier des matelots, choisie à cause de son talent, du seul qu'elle possédait. Elle fut soumise à un traitement sévère, à un confinement solitaire encore plus inflexible que nous autres, surtout pour l'empêcher de se saouler.
Au bout de dix jours, elle réussit quand même à piquer une crise hystérique, en se roulant par terre et en hurlant qu'elle devenait folle à force de jouer aux cartes, seule par-dessus le marché. Nous finîmes par la calmer.
De mon côté, je commençais à avoir la nausée, rien qu'à la vue d'un as de pique ou d'une dame de carreaux.
Après quinze jours, le prof. de physique mathématique émergea de ses calculs.
- Selon le calcul des probabilités, dans ce jeu que nous avons mis au point, il devrait y avoir 41 à 43 % de réussite. Mais elle a deviné, enfermée au rez-de-chaussée, les cartes et les séries suggérées du premier étage par vous et par le Herr Doktor Kruger 762 fois. Ça correspond à 78,2 %. L'expérience est parfaitement concluante.
- Mais tous ces calculs de probabilité, est-ce qu'ils prouvent quelque chose ? » J'essayais de les provoquer pour qu'ils me rassurent davantage.
- Ce n'est jamais qu'une approximation ! Et puis, est-ce que cela montre comment, par quel moyen, s'est effectuée la transmission de la pensée, d'une pièce hermétiquement fermée à l'autre ?
A travers ses lunettes sans monture, il me dévisageait avec un certain dédain comme si j'étais un nombre irrationnel surgi tout à fait à tort, en plein milieu d'une vulgaire équation algébrique.
- Votre question n'a pas de sens. Avez-vous jamais entendu parler du «saut quantique ?» Les gens sont aussi ignorants en matière de science, de nos jours, qu'au XIIIe siècle. Tenez, l'électron qui tourne autour du noyau de l'atome change d'orbite sous l'influence d'une certaine quantité d'énergie. Remarquez que pour cela, il lui faut un quantum d'énergie déterminé et non pas un autre. L'électron obéit à un chiffre, à un mot he.. he... he... magique. Comme un automate, il n'accepte qu'une certaine monnaie, pas une autre. Vous avez beau fourrer un billet de mille dans l'appareil, il ne marchera pas. L'ancien rapport entre cause et effet est mort, enterré par la physique atomique. La logique n'est valable que pour nos sens grossiers. Quant à votre question un peu naïve : comment s'est effectuée la transmission d'une pièce à l'autre... eh bien.. tenez,j'ai dit que l'électron change d'orbite, mais je ne vous ai pas encore dit qu'il le faisait sans aucune transition. Il se trouve sur l'orbite A, puis tout à coup il disparaît et se matérialise sur l'orbite B. Attention : au même instant; Pas un centième ni un millième de seconde après. Nous pouvons mesurer ces choses aujourd'hui. Quant aux calculs des probabilités et des statistiques, comme celles que nous venons de faire, vous pouvez vous y fier: c'est la base même de la physique moderne. Si ces conclusions n'étaient pas justes, aucune bombe atomique n'aurait jamais explosé. Ne vous creusez pas le crâne ! Nous autres,nous sommes de plus en plus habitués à travailler et à obtenir des résultats pratiques à la base de phénomènes et de situations vis-à-vis desquels aucune explication pensable et rationnelle n'a le moindre sens. Il ne s'agit plus d'expliquer. La seule question est : «qu'est-ce qu'on peut tirer de l'inexplicable ? Ne vous torturez donc pas le cerveau en vain».
Je me le suis tenu pour dit.
Ai-je des dons ? De nombreuses personnes en ont sans le savoir. Dans mon cas c'est probablement un mélange de robustesse et d'une certaine sensibilité. Mes amis m'appellent : «un éléphant intuitif». Il paraît que j'ai de temps à autre un regard perçant, légèrement désagréable. Je n'ai aucune idée pourquoi. On ignore beaucoup de choses au sujet de soi-même.
Même avant mon entraînement abracadabrant je me concentrais facilement et je savais faire jouer ma mémoire visuelle. Dès mon enfance, je n'avais qu'à fermer les yeux pour recréer tous les détails d'une scène vécue. C'est cette capacité que les sorciers brésiliens développent et qui devient une des bases de leur pouvoir.
Et puis, il y a autre chose. Si j'ai une originalité, c'est ma capacité de parler franchement de tout. Même de la magie au sujet de laquelle on a entendu tant de propos honteux et fumeux.
Etait-ce aussi simple ? Je ne le pense pas. Il me semble avoir deviné, dès mes premiers contacts avec cette religion souterraine, que la condensation d'énergies sexuelles et de la passion survoltée est la plus puissante source du pouvoir magique.
Ainsi, suivais-je mon penchant.
Si bien qu'une nuit, je me trouvais debout, au milieu d'une clairière où le tam-tam grondait et où les esprits d'une multitude en transe flottaient autour de moi, faisant tout ce qu'ils pouvaient pour noyer ma lucidité dans leur angoisse, tandis que le mur des corps nus couverts de sueur me menaçait d'étouffement.
Les flammes des torches traînaient des sillons rouges par le sol où j'aperçus deux longs serpents noirs qui rampaient lentement vers mes pieds.
On poussait une jeune mulâtresse au torse nu d'adolescente vers moi. Je sentais ses deux poignets dans mes mains. Je les serrai brutalement. Je savais que c'était une épreuve et que toute ma future vie en dépendait mais j'étais déjà trop ivre du délire environnant pour me rappeler de quoi il s'agissait et ce qu'on attendait de moi.
Brusquement, de mon corps ou de mon esprit ou des deux, jaillit un mouvement de rage. Une tension douloureuse, un déchirement de tous les muscles, des yeux qu'un spasme de volonté semblait projeter des orbites vers le but, vers le grand secret de la magie que j'essaierai de rendre compréhensible plus loin, vers la volupté de toute une vie sauvagement condensée en quelques secondes. L'éclair d'une fureur de vivre, délirante surgit de l'angoisse, d'une agonie délibérément provoquée et, devant moi, le corps de la petite mulâtresse s'écroula, foudroyé.
A ce moment-là, je vis une belle et tragique tête de César noir. Le regard du sorcier était un coup de couteau mais qui ne pu que m'effleurer. Alors, avec l'ombre d'un sourire sur les lèvres minces, soudanaises, pas nègres pour un sou, il me dit :
- Si tu veux... tu pourras faire tout ce que je sais faire.
Ce fut le début d'un long chapitre de ma vie.
CHAPITRE 4
C'est une sensation insolite d'ouvrir les yeux après avoir dormi quinze jours et quinze nuits. C'est-à-dire, j'avais l'impression de m'être réveillé deux ou trois fois pendant quelques minutes. Mais je n'étais sûr de rien.
Ma tête pesait dix kilos. Pas question de changer de position. Plusieurs obstacles insurmontables s'y opposaient. Mon dos reposait sur un tapis de paille posé sur un sol de terre battue.
Je n'étais pas exactement enfermé. La baraque n'avait ni portes ni fenêtres. Juste une large ouverture. A travers, j'apercevais les feuilles dentelées de bananiers sauvages et un gros arbre de pain. D'après la force du soleil et la position des ombres, il devait être autour de cinq heures du soir.
Où diable étais-je ? Et surtout : qui diable étais-je ? Quelqu'un chuchotait très doucement des syllabes incompréhensibles à mon oreille. Cela ne m'intéressait pas. J'étais passablement abruti.
Peu à peu, je reconnaissais l'autel, le crucifix renversé, le Saint Georges à la tête de crocodile, un phallus en bois sombre «Tacaranda», de la taille d'un tonneau, surplombant tout le reste, enduit de sang de porc.
Je me trouvais dans le «terreiro» dans le terroir des dieux et je touchais à la fin des épreuves de l'initiation.
Un de mes bras était libre. Je tâtais mon crâne. Il était couvert d'un gros turban. Ah oui, des compresses d'herbes magiques. Leur suc était censé s'infiltrer dans mon cerveau pendant que je dormais. Sans doute pour alimenter mes pouvoirs nouveaux-nés. Ou peut-être pour me faire oublier les scènes cauchemardesques qui précédaient ma promotion. Quant à cela, leur effet était nul.
Et puis, à quoi servait donc cette autre compresse froide,lourde, à travers mon corps nu? Pourquoi était-elle si grosse ? Et qui me chuchotait donc, comme cela, à l'oreille ?
Je me souvenais de plus en plus nettement de tout. Des heures et des jours sous le soleil de plomb, me refusant la moindre goutte d'eau. Des heures et des jours en complète immobilité,maintenant toujours derrière mes yeux fermés l'image du même triangle flamboyant.
Et tout le reste. Le fer rouge, incapable de brûler mes mains. Les animaux égorgés. Mon rasoir. Une cruauté glaciale que je sentais scintiller au fond de mes yeux, au fond de mon cerveau. Des seins noirs. Un dos lisse, couleur ivoire. Deux traînées de sang sous mon rasoir. La soif qui m'étrangle. La sensation que je devenais un autre. Au-dessus de ma souffrance, indifférent à celle d'autrui. Distant, imperturbable devant les horreurs, comme devant la volupté. Maître des lents orgasmes, indéfiniment renouvelés par le seul secret qui comptait.
Pendant quelques secondes, mon cœur se gonflait d'un orgueil démentiel.
Ensuite, je me rattrapai, pour me demander à quoi rimait cette grosse compresse sur mon ventre et pourquoi elle bougeait. Allait-elle glisser sur mon cou avec sa terrible masse, pour m'étrangler ?
Je me rappelais maintenant aussi de ce détail. A présent ma tête était claire, mes pensées froides. J'étais un autre. Je me regardais de loin. Ils avaient raison. Leurs bois grouillaient de reptiles. Ils en avaient horreur à leur tour. Eux aussi. Il fallait bien qu'ils s'en servent. Pour cette douche écossaise d'horreur et de volupté, dont je montrerai la technique. C'est elle qui mobilise les énergies les plus cachées de la vie.
Qu'entendais-je en réalité ? J'eus enfin le courage de me l'avouer.
Cela, un chuchotement ? Non, un sifflement!
Je parvins à me retourner un peu. Je regardais sans broncher dans des yeux inénarrables.
Fixes, plantés dans une tête de chat sans oreilles, triangulaire.
Dans une tête de serpent géant aux arabesques brunâtres.
Il entourait mon ventre nu. Il m'enlaçait comme un amoureux.
Le frisson de l'épouvante parcourut ma peau, mais ce n'était pas moi qui le sentait : je me regardais du coin de la pièce. Je m'étais dédoublé. J'étais un autre.
Pendant une minute, mon regard devint aussi rigide que celui du reptile. Alors, tout doucement, il me libéra pour s'enrouler sous le phallus, noir du sang de porc.
Je me redressai. Il y avait sur l'autel, un pot d'eau et une bouteille pleine de cachaça, de rhum blanc. Je savais ce qu'il fallait faire. Dédaignant l'eau, j'avalai d'une traite, au moins trois décilitres de rhum.
Cela y était. Mon épreuve avait réussi. L'alcool ne me faisait aucun effet. Il avait le goût et il me désaltérait comme l'eau claire d'une source.
Je sortis de la baraque. En bas, à cinquante mètres, dans le ruisseau jusqu'aux genoux, une métisse indienne, plutôt forte, lavait un hamac en toile.
Je respirai profondément. La vie venait de changer.
Ce monde vert et doré m'appartenait. De même que cette fille là-bas, dans le ruisseau. Je voulais qu'elle le sente. Je voulais comme il faut vouloir pour obtenir.
Un vertige faisait tourner ma tête. Je l'avais provoqué moi-même. Je voyais la masse gazeuse d'énormes bras pousser de mes épaules, s'étendre à travers l'espace, toucher la gorge lisse, là-bas, au bord du ruisseau.
Ma conscience était scindée en deux. Une moitié de mon être frôlait l'évanouissement. L'autre moitié savait que j'étais en train d'hypnotiser et que c'était l'effet d'une concentration apprise au cours de nombreuses et perverses étreintes.
Pendant des heures demi conscientes, soudé à des corps de femmes haletantes, je devins maître de l'art de me dépenser follement, tout en retenant, non pas les sécrétions matérielles, mais les effluves magnétiques de l'orgasme.
C'était mon sang, ma substance vitale qui coulait vers l'Indienne à travers l'air doré, et le moindre doute n'effleurait mon esprit : elle devait le sentir.
Elle ne pouvait pas m'échapper. Le mystérieux «souffle d'amour du Dieu Xango» caressait de loin sa peau frémissante. L'envoûtement s'infiltrait par ses pores, jusqu'au foyer caché de ses pulsions intimes.
Pendant une, deux, trois minutes, mes tempes battaient follement. J'étais aveugle et sourd, paralysé par l'effort de ma volonté insoupçonnée, effrénée, sans bornes. Une crampe douloureuse agitait tous mes muscles.
Alors, le soleil se ralluma. Mon cœur battait à tout rompre. Je le ralentis. Je pouvais le faire. Derrière mes paupières mi-closes, je voyais nettement le cœur : ce muscle sanglant en train de battre tout doucement.
Quand j'ouvris les yeux pour de bon, je vis la grande fille brune et forte se retourner avec un rire idiot, comme si les doigts d'un libertin la chatouillaient subrepticement. Et, quelques secondes plus tard, j'aperçus ses bras drus et j'entendis son rire roucoulant. Tout près de moi.
C'est ainsi qu'avait commencé ma double existence, celle que mènent les sorciers.
CHAPITRE 5
Moi, je la menais depuis longtemps déjà lorsque je me mariais. Je ne sais plus depuis combien de temps. Là-bas,sous le ciel toujours bleu, dans cet air toujours chaud, humide,excitant, les mois et les années s'écoulent autrement qu'ici. Le temps a un autre sens.
Donc, je menais une double existence. De temps à autre je disparaissais dans la nature. Ma femme ne me disait rien. Les Brésiliennes sont discrètes, silencieuses. Tolérantes aussi, sauf quand on veut les abandonner.
Un jour ma belle-mère mourut dans les circonstances mentionnées plus tôt. Puis un peu plus tard, brusquement, je me rendis compte que ma femme était en train de dépérir exactement de la même manière.
Cela ressemblait à une anémie. Les analyses ne donnaient rien. Elle avait tout le temps sommeil. Elle commençait à dormir douze, quatorze et seize heures par jour.
Alors je la mis sur la sellette. Car elles ne parlent jamais de leurs histoires de famille, et j'en soupçonnais une, derrière tout cela.
Elle finit par se mettre à table. En effet, il y avait une Amalia, une cousine éloignée, dans le coup. Elle était restée veuve quelques années plus tôt et eut l'idée de jeter son dévolu sur mon beau-père. Celui-ci ne s'apercevait de rien, étant complètement absorbé par sa manie, par la politique et par sa circonscription électorale. Quant à Amalia, elle avait une réputation de sorcière solidement établie.
- Elle s'était vantée, me disait ma femme, d'avoir enfermé le double de ma mère dans sa cave et d'avoir nourri des bêtes avec son sang. J'ai reçu des lettres anonymes. Il paraît qu'elle me fait la même chose. Pour que mon père reste seul.
Je regardais le téléphone.
- C'est dimanche, aujourd'hui, remarquai-je. Dans tout le Brésil il n'y a pas un seul domestique dans aucune maison les dimanches soirs. Appelle-la. Dis-lui que nous serons dans son quartier et que nous voulons lui rendre visite.
Je réfléchissais rapidement en serrant les dents. Notre visite allait être quelque chose comme l'assaut d'une banque à main armée. Il fallait que cela se passe vite et que la caissière nous passe le paquet, ce sale paquet, sans l'ombre d'une résistance.
Je cherchais dans ma poche mon paquet de petits cigares. Je glissais dans le tas un «cigarillo» un peu plus clair que les autres.
On est très poli là-bas. Impossible de deviner qui est brouillé avec qui. Des ennemis mortels échangent es courtoisies, des courbettes ou de tendres baisers. Quelques heures plus tard, nous bavardions aimablement avec Amalia.
C'était une bonne femme énorme, mesurant environ 180cm. Par-dessus le marché, ses longs cheveux noirs formaient une espèce de tourelle au milieu de son crâne. Elle avait de petits yeux jaunâtres profondément enfoncés dans un visage chevalin.
Je ne perdis pas mon temps et saisis la première occasion pour raconter un de ces calembours à double sens dont ils raffolent là-bas. En même temps, j'allumais, avec mille précautions le cigarillo blond.
- Ma femme est terriblement pudibonde, riais-je, très détendu. Amalia, laissez-moi vous souffler la pointe de mon anecdote à l'oreille.
Sans attendre sa réponse, je me penchais sur elle en soufflant une grande bouffée de fumée dans son visage et en crachant en même temps toute ma salive au milieu du beau tapis persan qui ornait le salon.
La maîtresse de céans ne protesta pas contre ma conduite inqualifiable. Un large et béat sourire se dessina autour de ses lèvres. Sans raison apparente, elle commença à hocher la tête affirmativement, à plusieurs reprises, encore et encore.
Des deux mains je saisis ses tempes, plongeant mon regard dans ses yeux qui s'éteignaient et lui disant doucement les quelques phrases nécessaires.
Deux minutes plus tard, elle somnolait, sombrant dans la catalepsie, et me communiquait promptement tout ce que je voulais savoir.
Suivant ses indications, je cherchais d'abord un débarras à côté de la cuisine. Soulevant un carreau du sol, je trouvais une cavité. Elle hébergeait un très gros et affreusement laid crapaud-buffle. Je laissai retomber le carreau. Ce n'était qu'un relais.
Amalia avait besoin d'être secouée par le dégoût avant de prendre son grand élan, son envol de sorcière.
Dans la cave nous tombions sur la contrepartie de l'écœurant crapaud. Elle y avait installé tout un cabinet secret. Rien n'y manquait, ni le divan, ni les petites pyramides d'encens indien, ni l'idole aux douze énormes phallus. C'était ici qu'Amalia plongeait ses nerfs après le bain d'horreur dans les hallucinations érotiques afin d'atteindre l'état de vibration nécessaire pour l'envoûtement à distance. Ce fut ici même que je trouvais le placard. Dans le bocal les grosses sangsues violacées nageaient dans un liquide brunâtre où trempaient deux statuettes en bois, caricatures horriblement grimaçantes de ma défunte belle-mère et de ma femme.
Je suppose qu'elle alimentait, elle-même, les sangsues, en versant dans le bocal le sang d'une bête quelconque, afin de se convaincre elle-même par cette image effrayante, afin de se pénétrer par une joie délirante et maligne, à la vue des sangsues qui grossissaient. C'est ainsi qu'elle envoyait par l'éther les ondes d'une malédiction libre du doute, certaine de son effet.
En même temps, elle écrivait aux victimes, impressionnables grâce à l'ambiance générale du pays, des messages anonymes, dépeignant d'une façon concrète tout ce qui leur arriverait.
C'est mon interprétation. Y-a-t-il plus que cela ? Je l'ignore. Est-ce que des gouttelettes de sang suintaient effectivement des statuettes ? Je ne saurais l'affirmer. Au demeurant, je m'étais mis moi-même dans un état d'esprit qui excluait tout examen objectif.
Entièrement concentré sur ce qui me restait à faire, je retournais au salon, emportant le bocal. Amalia dormait paisiblement.
Je chuchotais quelques mots à l'oreille de la géante étendue. Puis en arrachant le parchemin qui fermait le bocal, je lui jetais tout son contenu en plein visage. Elle ne broncha même pas. Ensuite, je la plongeais dans un sommeil plus profond. Lorsqu'elle atteignit l'état léthargique, je lui suggérai des émotions qu'elle allait revivre désormais, plusieurs fois, tous les jours de sa vie.
Je lui communiquais cette volupté des dieux de la brousse qui brûle comme un feu dévorant, des entrailles jusqu'à la gorge. Celle qui montre, comme dans un palais de glaces, l'hallucination de soi-même : au milieu de mille étreintes, de mille corps en convulsions, dans un rêve éveillé, qui s'entre pénètrent de tous les côtés, dont tous les orifices sont percés, pareillement au martyre d'un Saint-Sébastien pornographique, par d'innombrables membres fiévreux. Je l'élevais jusqu'au seuil de l'orgasme et je fis claquer la porte devant son nez en la glaçant d'épouvante ; en lui montrant l'image du crapaud. En renversant l'itinéraire de la volupté noire: en lui servant l'horreur comme dessert au lieu d'un hors-d'oeuvre.
Pendant une heure, je l'hypnotisais ainsi, faisant pénétrer l'échec de la frustration jusqu'au fin fond de sa conscience.
Mon beau-père s'est remarié. Pas avec Amalia. Celle-ci s'est considérablement rassérénée. Elle se trouve dans une ambiance favorable au calme et à la détente. Ce n'est que de temps à autre qu'on est obligé de lui mettre la camisole de force ou de lui faire des électrochocs.
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