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B E R N A R D |
Jean Louis Bernard
La science occulte égyptienneSekhem Kaï, le scribe accroupi
De la danse à l'errance au sein du labyrinthe
Notre tour d'horizon à travers l'Antiquité, surtout égyptienne, démontre
amplement que l'expression " corps astral ", d'un usage courant dans
l'occultisme moderne, peut dévier au départ la recherche. Il faudrait dire "
entité astrale " ou double du moi. En général, les chercheurs ne conçoivent le
corps astral que comme une enveloppe du moi, enveloppe magnétique. Il est donc
logique que leur expérimentation n'aboutisse, en fin de vie, qu'à une
hypertrophie du moi, à un narcissisme. De plus, la confusion entre corps astral
et corps aithérique contribue encore à fausser l'équation. Pour ces raisons,
l'occultisme moderne, dévié par rapport à l'occultisme antique, n'a pas pu
influencer la psychologie, malgré les efforts de Freud en ce sens. Le créateur
de la psychanalyse se passionnait pour l'occultisme et pour l'hypnotisme en
particulier.
La filiation la plus directe de l'occultisme égyptien se décèle peut-être dans
l'expérimentation des derviches actuels, voire de certains soufis. Il s'agit là
de deux ordres ésotériques musulmans recherchant l'extase l'un et l'autre. Mais
le premier fait précéder cet épanouissement possible par une transe vers le ka,
accompagnée du vide mental; le second épanouit le moi dans une ivresse mystique,
soutenue par la poésie, la musique, parfois le hachich... Or la drogue sclérose
le ka! Un ami derviche nous expliqua, à Alexandrie, dans l'arrière boutique d'un
antiquaire, l'arcane du tapis volant, ce thème bien connu d'un conte des Mille
et une nuits. Il n'y s'agit nullement de l'impossible voyage aérien sur un
tapis, mais d'un exercice de dédoublement auquel ne parviennent que les
derviches avancés, rompus aux techniques mentales de l'arrêt total de la pensée.
Ces mêmes derviches ont aussi déjoué les pièges des ascèses utilitaires
(ascétisme, végétarisme, chasteté systématique) qui n'agissent que sur le moi et
les états inférieurs de l'être. Certains, par jeu, ont pratiqué tour à tour
l'ascèse la plus extravagante et le relâchement le plus suspect, en toute
indifférence. Ce faisant, ils domptaient leur âme instinctive (l'ombre) et leur
corps. Quand ils accédaient à l'indifférence, ils atteignaient du même coup la
vibration de leur ka puisque celui-ci est indifférent à ces ascèses ou à ces
excès! Il est, lui, sur le plan des quintessences.
Donc, étendu sur son tapis de prière, le derviche va se dédoubler c'est-à-dire
extérioriser son ka qui, après absorption du moi, lui servira de véhicule. Après
s'être soulevé du corps comme un couvercle de sa boîte, il se propulsera à
l'endroit où il veut aller, par exemple à une réunion d'initiés. Celle-ci aura
lieu sur un autre plan, le plan du ka. Le corps n'a pas quitté le tapis et,
quoiqu'en état de bilocation, le derviche demeure sensible dans son corps.
L'arrachement lui cause même une certaine souffrance. Il voyage à travers les
airs, soit au sein du magnétisme terrestre (mais dans une autre dimension), tout
en se sentant collé au tapis ou tout comme s'il le portait dans son dos.
L'exercice qui n'a rien de secret commence par une relaxation de type yoga,
physique et mentale. Le derviche glisse peu à peu dans une semi-inconscience en
s'imaginant qu'il se soulève. Certains derviches d'Iran centrent leur attention
sur une pierre précieuse, symbole de leur secte, qu'ils portent en anneau. Il en
résulte l'auto hypnose. Des derviches ou soufis arabes varient l'exercice en
pesant mentalement sur l'orteil droit pour remonter jusqu'à la tête; ils
répètent l'exercice en partant de l'orteil gauche, puis des pouces,
successivement. Ils veulent se décoller d'eux-mêmes... Il y a certes danger à
pratiquer le dédoublement sur l'initiative du moi. Normalement, une telle
expérience doit être déclenchée par le ka qui jugera à son niveau de l'heure
favorable, astrologique sans doute. Mais le derviche jouit de la protection de
l'âme de son ordre, temple invisible. Que l'on se souvienne néanmoins de la mort
d'Eurydice et du souci égyptien qu'exprimaient les " prières pour aller et
revenir ", mentionnées au chapitre d'Abydos!
En Occident, l'expérimentation selon la tradition égyptienne se perpétue aussi,
dans le cadre de l'hermétisme - cet hermétisme qui prolonge l'École de Naples.
Mais il s'agit d'expérimentation jamais provoquée puisque l'initiative en est
abandonnée au ka. II n'y a donc pas de maître dans l'hermétisme strict.
L'instructeur se bornera à transmettre une technique de relaxation (comme pour
le yoga hindou), physique et mentale. Il sait que le disciple projette
temporairement sur lui son ka et qu'il doit assumer sans abus de pouvoir cette
projection. En fait, c'est le ka qui décide de l'évolution du moi; il provoquera
en ce but les rencontres et les voyages nécessaires. II prendra aussi
l'initiative de l'adhésion à l'un de ces courants indéfinissables qui ceinturent
la planète et sont l'émanation de l'Esprit, non de quelque idole monothéiste ou
de quelque secte à prétention synarchique! Ces courants ont pour points d'appui
des lieux privilégiés, souvent en très haute montagne ou en forêt (jadis la
forêt de Brocéliande) ou en certains carrefours mondiaux. Des aires sacralisées
par les hommes, où parla l'oracle, jouent éventuellement encore un rôle ainsi
que d'énigmatiques monuments cosmo-telluriques pyramides de Chéops et de
Chéphren). L'une ou l'autre religion peut aussi servir transitoirement de
catalyseur, en fonction de la qualité psycho spirituelle de son chef, officiel
ou caché. Une rencontre, même sans échange verbal, amènera l'adhésion à l'un de
ces courants. Le pacte se sera noué dans l'inconscient, de ka à ka. C'est bien
ainsi que les choses se passaient pour les anciens Rose-Croix et pour les
alchimistes.
Une fois intégré à un courant vraiment traditionnel, le ka pourra mener
l'initiation du moi. L'une des premières expériences qui se déclenchera
consistera à vivre (si l'on peut s'exprimer ainsi) le processus de mort, du
moins la métamorphose de la conscience qui suit l'agonie immédiatement. Citons
une telle expérience, vécue par un hermétiste qui ne pratiquait d'autre yoga que
l'arrêt mental. Cet exercice, en neutralisant le moi, crée un appel en direction
du ka. Notons que le ka évolue tout comme le moi et qu'il serait erroné de le
diviniser systématiquement! Il y a des gens qui ont un ka insignifiant et qui,
par conséquent, subissent toutes les emprises religieuses (dans le sens du
fanatisme) ou idéologiques. Ils sont alors démagnétisés et leur destin s'efface
au profit du destin collectif de l'emprise. Certains deviennent même les médiums
de l'idéologie pieuse ou laïque, ce qui multipliera les petits prophètes
exprimant les désirs de l'idéologie en identifiant ceux-ci à des réalisations à
venir, utopiques.
Donc, étendu dans son lit, notre hermétiste se réveille vers le milieu de la
nuit avec une sensation de paralysie croissante. Il perd peu à peu le contrôle
de ses membres en même temps que le froid monte de ses extrémités en direction
du cœur. Paradoxalement, sa lucidité s'affine. Il sait qu'un dédoublement est en
cours: sa force vitale se dégage (d'où la sensation de froid). Voici que change
aussi sa perception. Le solide sous lui a cessé d'être du solide. Il flotte dans
une quintessence de la matière, dans l'aither. Quand le froid touche son cœur,
il perd conscience, s'évanouit. La mort... Et puis, soudain, il reprend
conscience. Il est debout près du lit et se voit allongé, en catalepsie. Il
continue évidemment de penser, mais hors de son corps, ce qui prouve que le
cerveau n'est pas le siège essentiel de la pensée mais le support d'un autre
cerveau, subtil. Il se croit mort. Aussitôt l'envahit le souci de ses affaires
qu'il n'a pas " arrangées H... En ce second état, il continue d'être sensible
dans son corps. Il souffre d'un tiraillement car un lien élastique le relie à
celui-ci. Ce que l'occultisme nomme " cordon d'argent ". Ce lien ne se rompt
qu'à la mort véritable. Il voit autour de lui ses objets familiers, les
reconnaît quoique leur forme ne soit plus tout à fait la même. Moins réaliste.
C'est le sens de l'objet qui s'affirme, davantage que sa forme. Les objets, il
les appréhende à la manière de certains artistes. Brusquement, un choc le
rejette dans son corps. Après un nouvel évanouissement, il se réveille, se
réchauffe, se désengourdit.
Cette expérience de dédoublement, quoique dirigée par le ka, ne concerne pas le
plan du ka, - l'astral. Il y a eu bilocation du corps d'aither et reprise de
conscience sur le plan aithérique. La preuve? Le décor n'est que la quintessence
du décor de la vie quotidienne. Et la sensation physique demeure maintenue.
L'expérience prouve que la sensation physique (plaisir, souffrance) est
l'apanage du corps d'aither, ce corps qui existe réellement dans la quintessence
de la matière, avec son anatomie (les circuits de l'acupuncture). L'état de
catalepsie extériorise la sensibilité. Touché par une aiguille, le sujet ne
réagira pas; il tressautera si l'aiguille frôle son invisible corps d'aither, à
quelque vingt ou trente centimètres... Les envoûteurs du passé prétendaient
savoir extérioriser totalement le corps d'aither de leur victime pendant son
sommeil et le concentrer dans une statuette taillée à son image et incorporant
des éléments vivants (rognures d'ongles, cheveux, sang). Ils avaient ainsi créé
un simulacre de la personne auquel ils imposeraient des sévices, le principal
consistant en une perte croissante de vitalité.
Il est à noter que le cerveau biologique est de moindre ampleur que le cerveau
aithérique avec lequel il vit en symbiose. Pour penser, nous n'en utilisons même
pas la dixième partie! Le reste appartient à l'inconscient, en somme à nos
autres états d'existence, au ka et à shout (l'ombre). Si ceux-ci agissent sur
notre vie quotidienne, provoquant à leur façon des faits de hasard apparent, ils
ne peuvent le faire, semble-t-il, qu'à travers le cerveau inconscient.
Mentionnons une autre expérience non provoquée, de type plus rare. Elle
s'inscrit aussi dans la tradition de l'hermétisme et commence comme l'autre,
sauf que l'initié a ressenti un malaise avant de se coucher, - des nausées. Leur
raison d'être était peut-être de l'empêcher de manger, l'organisme devant se
neutraliser. Après un évanouissement, il s'est réveillé sur un plan aithérique,
mais dans son corps, inquiet parce qu'il ne gouverne plus ses membres. Il
perçoit avec une acuité accrue les menus bruits de la nuit, tout à fait comme
les gens qui viennent de mourir perçoivent le chuchotement de leurs proches,
voire leurs pensées, malgré leur état de cadavres! Puis survient un second
évanouissement, suivi d'un envol. Le sujet ressent une impression presque
sensuelle de libération. Le voici immergé dans un univers coloré qui lui fait
penser à Walt Disney. Cet univers-là n'a plus rien de sensoriel. Il est joie,
épanouissement. Certaines de ses couleurs n'existent pas sur terre. Et,
constatation insolite, elles sont vivantes. Bien sûr, il continue de penser,
mais il est détaché de tout souci concret. Pourtant, il se sent encore relié à
ses autres K véhicules ", corps aithérique et corps biologique. Il souffre à
distance dans son être terrestre à cause de cet " élastique " étiré. Il saisit
d'ailleurs parfaitement la différence des perceptions entre plans d'existence.
Sur le plan aithérique, règne la sensation, la sensibilité; sur le plan astral,
règne leur quintessence: joie, souffrance morale. Mais il vole toujours plus
haut. Où cela? Dans l'air? Certainement pas. Alors, dans le magnétisme
terrestre, réseau aérien du globe, qu'il perçoit dans sa quintessence et non à
la manière du physicien.
Les divergences dans l'évaluation du corps astral s'annulent donc par
l'expérimentation (dédoublement) : une aura magnétique dont l'élément propre est
le magnétisme terrestre, aura du globe, mais dans sa contrepartie surréelle. Les
personnes profondément endormies qui rêvent qu'elles volent, ont immergé un
instant leur moi dans le ka. Mais le corps astral est aussi une quintessence de
l'être quotidien sur les plans de l'affectif et du mental. Le ka est un moi
idéal. Toutefois, il n'y a pas de séparation réelle entre le ka et le moi: des
degrés d'une même échelle qui se continuent par d'autres degrés jusqu'à
l'Esprit. Dédoublés, les hermétistes dont nous citions l'expérience continuaient
d'être sensibles dans leur corps en catalepsie. Par ailleurs, si le ka est la
quintessence du moi ou si, inversement, le moi n'est que l'antenne du ka sur le
plan limité de la vie quotidienne, on pourra avancer que la matière à l'état
dense, avec le plaisir et la souffrance qui lui sont liés, coexiste avec sa
quintessence, avec la joie mystique et l'angoisse métaphysique, sous le signe
d'une même nature essentielle. On en déduirait que l'éventail de la matière
inclut l'être total, sauf l'Esprit, et qu'elle commence avec le mental.
L'expérimentation du dédoublement ne se déroule pas obligatoirement dans le
sommeil. Des hermétistes plus avancés la vivent de jour. Étendus, ils traversent
une transe comparable à celle de l'homme ou de la femme qui s'engourdit dans la
sieste. Transe, rappelons-le, signifie passage. Sous l'action d'une énergie que
l'ancienne médecine nommait "vapeur" et qui monte alors à l'avant du corps comme
une évaporation, ils perdent conscience. Le phénomène serait banal s'il ne
revêtait chez eux une forte intensité, due à son amplification par une ascèse
relevant en général du tantrisme... La nature de ces vapeurs est en effet
d'ordre sexuel et érotique, et le tantrisme vise à renverser en reflux vers
l'intérieur de l'être la force sexuelle. Les vapeurs en sont la quintessence:
c'est comme si l'énergie s'évaporait... Toute entrée en sommeil ou même toute
relaxation s'accompagne quelque peu de ce renversement d'énergie, mais la
réaction demeure faible. Forte, elle provoquera une mutation de la conscience
après évanouissement puis réveil, et un état de médiumnité. Il existe des
personnes qui provoquent, par don naturel, sans doute sur l'initiative de leur
ka, le phénomène: les médiums.
Cet état de fausse sieste ou, pour employer une expression moderne, de sommeil
paradoxal, état succédant à une transe, un tantrika (pratiquant du tantrisme) le
décrit avec précision. Car, dans son expérience, il est à la fois le laboratoire
et le témoin. Son corps paraît " décroché ", comme autonome par rapport à
l'ensemble de son être. Pas de catalepsie ni même de léthargie mais, simplement,
un état de sommeil réparateur. Il sent s'activer ses fonctions qu'anime
l'intelligence organique (autre expression moderne de la science). Il flotte
quelque peu car il ne coïncide plus tout à fait avec son corps. Et il rêve mais
éveillé! Le voici en télépathie avec un personnage qui lui est familier, de même
sexe, plus âgé ou sans âge. Quand il reviendra à son état d'existence quotidien,
il ne parviendra pas à identifier le personnage qui n'est personne de ses
relations mais ressemble à plusieurs. Après bien des expériences du même genre,
le tantrika comprit qu'il s'agissait de son ka, donc de lui-même. Puis, un jour,
dépassant le stade du rêve éveillé, le corps cette fois en léthargie, il reprit
conscience sans vraiment réaliser son changement de plan d'existence. Il se
sentait toujours lui-même, et ce moi qu'il ne distinguait pas de son moi
ordinaire, vivait comme celui-ci: il avait une activité, des relations, une
continuité logique dans l'action et de l'initiative. L'initié savait qu'il
aurait, le soir même, rendez-vous avec deux hommes et deux femmes. Quand il
sortit de sa léthargie, il réalisa qu'il n'avait en fait aucun rendez-vous pour
ce soir-là. Mais le téléphone sonna. Un ami perdu de vue renouait et il lui
proposa une rencontre au restaurant. Un autre ami appela qu'il invita à
rencontrer le premier avec lui. Mais il n'était pas libre, dit-il. Les deux amis
dînèrent donc seuls. Au milieu du repas, apparut l'autre, accompagné de sa femme
et de sa fille. Identifié à son moi des profondeurs, le ka, le tantrika avait pu
constater que celui-ci provoquait des faits d'apparent hasard, mais liés à la
quintessence de l'individu, à son vrai destin, non à l'utilitaire : les gens qui
se rencontraient étaient des ésotéristes.
De telles expériences sont troublantes et font basculer les idées reçues. Les
gens mèneraient alors une vie parallèle, para-terrestre, et la politique
existerait aussi sur ce plan-là. Cela justifie la croyance en un ésotérisme
politique provoquant ces impondérables qui dérangent les plans concertés. Le moi
propose et le ka dispose!
En guise de synthèse après analyse, nous rassemblerons les notions concernant le
ka, notions dues à l'égyptologie et à l'expérimentation. Le ka ne doit être
confondu ni avec l'âme (au sens chrétien), ni avec l'ombre shout dont il va être
question. C'est le double du moi, le moi des profondeurs, une supra-conscience.
Le moi quotidien n'en est que l'antenne imparfaite car ce moi se trouve
sollicité par la fascination du monde social donc souvent détourné de l'être
profond. Le ka est un état d'existence qui prend appui sur les zones
inconscientes du cerveau. L'homme ne le rejoint, par fusion du moi dans le ka,
que dans le sommeil léthargique, après une transe et, bien entendu, à la mort.
Le passage au ka est d'ailleurs la première métamorphose post mortem. Ajoutons à
ce propos le témoignage de rares opérés qui reprirent conscience durant
l'anesthésie. Après évanouissement, ils se sentirent soulevés de leur corps
comme un couvercle de sa boîte, jusqu'au plafond. En cet état, ils suivirent
leur opération, dans un état d'indifférence total - comme s'ils en savaient
d'avance l'issue. Ils étaient identifiés à leur ka. Celui-ci semble vivre au
rythme de la fatalité astrologique. A l'état de veille, il forme entité séparée,
jouant alors le rôle d'ange gardien. Mais il n'intervient, provoquant des faits
de hasard, que dans les cas concernant le destin : en cas de crise, il fera
découvrir " par hasard " un livre qui bouleversera le moi, ou rencontrer un
confident ou conseiller qui mettra fin à l'angoisse. Il influence les rêves du
matin, toujours brefs mais lourds de sens. Pourquoi du matin ? Parce qu'il lui
faut attendre que shout se soit calmée. Ses vibrations gênent le contact moi-ka.
En tant qu'énergie, le ka représente la somme du magnétisme personnel qui
compose le corps astral. Cette énergie peut s'extérioriser et se fixer sur
d'autres êtres, voire sur un objet. Le cas dans le couple. Le ka de l'homme, se
dédoublant en quelque sorte, se fixera au dos de la femme; le ka de la femme, à
l'avant du corps de l'homme. Un lien permanent de télépathie affective et
mystique se tissera ainsi. Il arrivera que l'amant respire à distance le parfum
de l'amante - et le ka vit sur le plan des parfums! Au niveau du ka, la
sexualité se sublime en érotisme. Des amants se téléphonant seront plongés, nous
l'avons dit ailleurs, dans un état d'euphorie voluptueuse. Mais l'érotisme
véritable ne concerne pas vraiment le sexe...
Il va de soi que le vrai maître spirituel est le ka, il faut y insister. Mais,
l'individu ne pouvant le contacter autrement que dans le rêve profond, ce ka se
dédoublera pour se fixer sur le maître extérieur, le mécanisme étant déclenché
par l'admiration. De rares personnages historiques, tels Socrate et le fameux
Comte de Saint-Germain (époque de Louis XV) parvenaient par don naturel à capter
les vibrations de leur ka en ultra ou infrasons. Socrate nommait son ka daïmon,
c'est-à-dire génie. Nous avons connu une dame grecque qui possédait aussi ce
don. Chaque matin, elle s'allongeait sur son divan et, dans un calme absolu,
écoutait ces singulières vibrations auditives, en transcrivant le texte. Il n'y
avait en son cas ni sommeil, ni même transe. Peut-être était-elle de la race des
antiques pythies! Les textes, d'un étrange intérêt, ne divaguaient jamais comme
les messages spirites. Parfois, ils traduisaient une télépathie avec un ka autre
que le sien. Alors, elle téléphonait à un ami pour lui expliquer son rêve de la
nuit sans même en connaître par avance le récit.
Nombre de maladies de l'affectif naissent dans le ka et certaines formes de
l'hystérie aussi. La drogue qui est une quintessence, atteint en priorité le ka
qu'elle enivre ou cancérise à mort, selon la drogue. Mais il existe d'autres
pièges! Certains mystiques, découvrant en vision leur propre ka, le prennent
pour le Christ, ce qui ouvre la porte à un délire messianique.
La notion égyptienne de ka s'éclaire encore davantage si on la confronte à sa
contrepartie obscure, shout, l'ombre. Le terme ressemble à l'allemand Schatten
et à l'anglais shadow, de même sens, ce qui étonne. Il est regrettable que dans
certaines écoles occultistes ou spirites, ka et shout soient confondus. L'ombre
shout est figurée par une silhouette noire ou par l'idéogramme de l'ombrelle
accompagnée du hiéroglyphe t, marque du féminin.
Jamais représentée dans l'iconographie des temples, sans doute parce qu'elle ne
participe pas à la spiritualité, l'ombre apparaît en revanche sur les
bas-reliefs des tombeaux, à l'envers parfois et bras liés au dos. Ce symbolisme
s'interprète de double façon. L'ombre shout est rejetée, à la mort, dans le
monde souterrain (les enfers des Grecs, à ne pas confondre avec l'enfer
chrétien). Ce monde souterrain est en quelque sorte l'envers du monde des
vivants. Les " fleuves infernaux " (expression grecque), c'est-à-dire les
courants souterrains du tellurisme, absorberont et décomposeront l'ombre. Sauf
s'il y a eu momification... Cette chirurgie ritualisée, si elle fixe le ka, fixe
aussi shoot. Et celle-ci sera endormie dans la momie. D'où les bras liés. Ka et
shoot sont solidaires. En momifiant les corps et en fixant l'entité disparue par
le rituel de " fixation du nom ", les embaumeurs et les récitants prononçant les
formules prenaient un risque. Le ka fixé n'est jamais dangereux puisqu'il se
borne à rêver sa vie éteinte. Mais il en va tout autrement de shoot. Droguée par
les fumigations et les baumes, envoûtée au sein de la momie, celle-ci se
réveillera en cas de viol de la momie, surtout si on retire les bandelettes.
Cette dernière opération a valeur de rite : par répercussion, on débande
l'ombre... Qui, réveillée, partira en quête de fluides humains. Les fameuses "
malédictions " n'ont pas d'autre explication. Et, dans le cas de la momie de
Tout-ankh-Amon, c'est à peu près six mois après qu'elle eut été désentravée que
se produisit le premier décès spectaculaire (celui de Lord Carnarvon, le mécène
de la découverte). Shoot avait donc mis six mois à se réveiller. Les mêmes
superstitions et faits divers morbides sont relatés au Pérou, à propos des
momies locales. Nier ces drames ou les expliquer par une science moderne sont
deux attitudes fausses. Il s'agit de magie. Le scénario du drame varie peu:
l'égyptologue s'effondre devant son lavabo... Possédé par l'ombre, il tente
inconsciemment d'échapper à l'emprise vampirique par une réaction : une énergie,
comparable aux vapeurs de l'hystérie, monte de son ventre vers sa gorge,
provoquant la nausée et l'envie de vomir. Quand la vapeur touche la tête, il y a
vertige et hallucination. Si le cerveau physique est touché, il y a paralysie ou
mort. Certains subissent le processus d'autodéfense sans inconvénient majeur, à
travers un malaise, et... sans le savoir!
Le psychologue Jung a redécouvert l'ombre, connue par ailleurs dans les
traditions populaires, surtout en Afrique noire où des rites la prennent
sérieusement en considération, mais après la mort - comme en Égypte. Rejetée de
l'être total comme un vêtement usé, il s'agira alors de se protéger d'elle.
Condamnée par la nature à une progressive décomposition, parallèle à celle du
cadavre, elle tentera par la ruse de se prolonger. Et, ne pouvant plus se
nourrir à l'être total, elle obsédera ses proches en ce but. Le souci des
Africains est de l'empêcher de revenir dans sa maison, tendance irrésistible! Au
retour du cimetière, le convoi funéraire se dispersera donc en toutes
directions. Auparavant, on se sera réuni dans une maison construite à l'image
réduite de la vraie maison du mort et meublée de même. On y laissera l'ombre...
En Europe, on voilait jadis les miroirs de la chambre du mort pour empêcher son
ombre de rentrer du cimetière. Un miroir est l'équivalent des fausses portes des
tombeaux égyptiens.
Détachée de l'esprit, shout n'est plus qu'une entité folle. Mais il en ira de
même pour le ka de la momie quand l'esprit, finalement, l'aura abandonné.
Les Egyptiens, nous le disions plus haut, étaient conscients du danger que
présentaient les tombeaux à momies, surtout en cas de viol. Et les précautions
qu'ils prenaient pour y descendre, par exemple pour récupérer un papyrus ou un
talisman, méritent l'examen même si elles paraissent naïves. Bien sûr, il
fallait l'autorisation du pharaon. II fallait aussi s'engager à rapporter
l'objet emprunté. Bizarrement, l'intrus descendait vers la chambre à momie en
tenant un bâton fourchu, comparable à la crosse du dieu de magie Ptah. Sur sa
tête, il maintenait délicatement un brasier allumé. Puisque la réaction à
l'éventuelle possession consistait dans une vapeur montant à l'avant du corps
jusque dans la tête, on mimait par le rite cette montée d'énergie. Le brasier
exprimait la quintessence de l'énergie en question, soit son épanouissement dans
la tête. Et le bâton était la prise de terre symbolique. Car il s'agissait de
capter aussi le tellurisme, force du sous-sol qui décompose les ombres ou, si
elles sont devenues indestructibles par la momification, les refoule. Cette
énergie s'absorbe par des centres psychiques des pieds pour monter au long des
vaisseaux subtils de l'acupuncture, au sein du corps d'aither. Les rites
d'exorcisme visent d'ailleurs à la susciter et à la stimuler. Et les
mystérieuses vapeurs, quoique parfois d'origine érotique, en seraient une
manifestation. A noter que, si la possession par une ombre menace l'équilibre
vital, celle par un ka de momie ne sera pas dramatique. C'est un état de rêve
qui entrera en quelque sorte dans la victime, simplement. Il n'y aura que le
risque de mythomanie et d'absence de la réalité. Certains en tireront
intuitivement un sens de l'égyptologie...
Toutefois, l'ombre ne devient anormale ou tragique qu'après la mort, quand s'est
rompu le lien qui l'intégrait à l'être total. Auparavant, elle appartient à
l'anatomie occulte au même titre que le ka et que l'âme. Comment la mettre en
évidence? Par l'hypnose ou par l'analyse. L'hypnose, déjà évoquée, terme dérivé
du grec Hypnos, dieu du sommeil (fils des enfers et de la nuit) et frère de
Thanatos, dieu de la mort, est un état de sommeil provoqué par la suggestion ou
des substances chimiques (narcose); elle se manifeste par la transe puis la
léthargie; parfois elle s'achève par le somnambulisme ou son contraire, la
catalepsie. En léthargie, le sujet manifeste divers symptômes : occlusion des
paupières qui demeurent néanmoins frémissantes, ce qui traduit une intensité de
vie sur plan parallèle, ralentissement du rythme respiratoire et cardiaque,
hyperexcitabilité neuromusculaire allant jusqu'à la contraction des muscles en
cas d'attouchement. Les membres sont flasques, insensibles. En catalepsie, état
profond d'hypnose, le sujet raidit sa position quelle qu'elle soit, comme un
cadavre. De l'un à l'autre de ces états, existent bien sûr des degrés, parmi
lesquels le coma. En léthargie, même parfois dans le sommeil, le sujet parle, et
plus librement qu'à l'état de veille, comme si des censures étaient
transcendées. Ce n'est plus alors tout à fait son moi qui s'exprime puisque
celui-ci n'existe qu'à l'état de veille, mais bien un autre niveau d'existence,
très proche du moi car concret. Au réveil, le sujet ne se souviendra pas de ses
paroles et même, si on les lui rapporte, en contestera la véracité. Ces paroles,
de caractère nettement utilitaire voire passionnel, émaneraient de l'ombre,
sorte de sous-moi. La mise sous hypnose de malades hystériques, au temps du
grand Charcot de la Salpetrière, démontrait que l'entité qui s'exprimait, entité
malade en ces cas, avait quelque chose de démoniaque ou de carnavalesque; elle
rusait, mentait... L'ombre n'est pas un absolu de vérité!
En des états de léthargie plus profonde, l'être étant totalement détendu,
l'entité qui s'exprime révèle une autre nature. L'opérateur d'ailleurs n'agit
plus à la manière de l'hypnotiseur. C'est sa présence, son poids psychique, qui
imposent au sujet la rentrée en soi, ainsi qu'une ambiance étudiée (musique,
parole apaisante). Un autre moi (le ka?) parle alors. Détaché des contingences
matérielles, le sujet, indifférent, flotte au-dessus, au sein de l'aither. Il
survole son destin. Le célèbre Colonel de Rochas prétendait ainsi réaliser des
régressions de mémoire. Le sujet repassait sa vie à l'envers jusqu'à l'enfance,
revivant intensément ses émotions oubliées, à en juger par son frémissement.
Puis il traversait le stade fœtal, symboliquement peut-être, et un autre
personnage émergeait après un temps de silence, se racontant, parfois dans une
langue étrangère. Illusion ? Vie antérieure? Mais le ka, renouvelé d'une vie à
l'autre (s'il y a vraiment réincarnation) ne détient aucun souvenir insolite. Il
peut toutefois puiser dans l'aither qui, disent les Hindous, conserve les
empreintes des destinées collectives et individuelles. L'aither, ils le nomment
akasha. La mémoire de la terre! Alors, le sujet capterait un destin qui pourrait
n'avoir pas été le sien. Il aurait emprunté à l'aither un livre dont il ne
serait pas forcément l'auteur...
Par l'analyse, shoot apparaîtra comme le négatif ou comme le contrepoids du ka:
une infra-conscience donc, avec son aura propre, liée au tellurisme. Comme les
serpents rampants qui absorbent le tellurisme, ce fluide mal défini du sous-sol,
et en tirent après "digestion" leur pouvoir hypnotique, l'ombre tire à elle
l'énergie en question mais à travers les centres psychiques du corps d'aither. A
la mort de ce corps subtil, elle perd pied par conséquent pour entrer en
errance. Du tellurisme, shoot tire la puissance de l'instinct et, aussi, la
puissance passionnelle. A son niveau, l'amour est violence, passion, jalousie,
désir de possession exclusive. Par rapport au ka, l'ombre est dans la position
du domestique en face du maître, mais avec la tendance de se substituer à
celui-ci en suggestionnant le moi. Rusée, l'ombre a été prise souvent pour un
démon, ce qu'elle n'est pas. Elle veille sur le sommeil, éloignant si elle le
peut les cauchemars, dus à des emprises étrangères, aux mauvaises ambiances ou
aux soucis. Pour dévider l'écheveau des soucis, l'ombre rêve ces rêves à
méandres qui se produisent en première partie de la nuit. Comme le ka elle
provoque des faits de hasard, mais dans un sens terre à terre: la rencontre de
l'avocat astucieux qui saura tourner la loi, celle d'un partenaire pour une
transaction amoureuse sans lendemain... Si, dans l'amour, le ka jouit d'une
euphorie voluptueuse presque mystique, shoot préfère, pour son équilibre, faire
éclater l'énergie en orgasme, plutôt que de la laisser évoluer en quintessence.
En tant qu'aimant des énergies passionnelles et, aussi, de ces résidus
psychiques qui sont les sous-produits de l'effervescence de la vie de tous les
jours, l'ombre a besoin de s'en libérer par le défoulement.
Chez l'homme ivre au moi anesthésié par les vapeurs d'alcool, c'est l'ombre qui
s'exprime, en entité comique ou tragique, selon le cas. Le Carnaval était sa
fête. Sous l'anonymat d'un masque, les gens donnaient libre cours aux caprices
de leur ombre. En Égypte, une certaine forme de Carnaval existait déjà à
Bubastis, cité de la déesse à tête de chatte, Bastît. Les gens y venaient en
foule et l'on y défoulait l'ombre en s'aidant du vin, des rythmes et des danses
suggestives. Nombre d'acteurs doivent leur célébrité à leur ombre que des rôles
adaptés mettent en valeur! Parmi eux, les comiques, bien sûr, parfois aussi les
tragiques, ceux qui jouent les traîtres ou les monstres...
Lors de la procession du taureau Apis, procession soutenue par les rythmes
lancinants des tambours et des sistres, des jeunes gens entraient en une transe
presque somnambulique. En cet état, ils avaient des crises et, parfois,
vaticinaient. Cette forme d'initiation, populaire, se situait à l'opposé de
celle d'Abydos. La transe ne menait pas vers une identification du moi au ka,
mais à un repli sur shout. Or, les médiums qui réalisent par don cette longueur
d'onde ne délivrent que des " messages " d'ordre utilitaire, utiles souvent. Il
en est qui captent par télépathie les ombres d'autres personnes, pénétrant ainsi
leurs intentions pratiques, non encore avouées. Malheureusement, la voyance par
l'ombre se fait volontiers passionnelle, donc excessive. Le cas de ces petits
prophètes qui cultivent la catastrophe ou, à l'inverse, le miracle à venir -
l'humanité retournant par exemple à la religion. La médiumnité par l'ombre
concerne encore le spiritisme, une télépathie avec les ombres errantes de
cimetières.
Plus intéressants, certains cas, rarissimes, de bilocation ou de dédoublement de
la personnalité, expressions à peu près synonymes. La chronique italienne
rapporte le cas extraordinaire d'une dame du début du siècle, fine, élégante,
cultivée, très bourgeoise. Sous l'influence sans doute de la lune, de la lune
noire ou absence de lune qui exalte le tellurisme et donc aussi l'ombre, elle
perdait conscience de sa personnalité, totalement, devenant une autre femme
vulgaire au langage cru. Elle rejoignait aussitôt en ville basse son amant, un
capitaine de truands. Au retour à la normale, après une courte transe, elle
oubliait l'amant et les bas-fonds et reprenait son existence bourgeoise. Entre
les deux états, il y avait amnésie. Le mari, averti, enquêta et découvrit la
vérité sans l'expliquer. Sa femme se changeait en son ombre... Quand elle
mourut, le mari et l'amant suivirent fraternellement son enterrement, rapprochés
par la fatalité du cas qui les impressionnait l'un comme l'autre. Cet exemple
illustre l'analogie existant entre l'ombre et les enfers sociaux ou bas-fonds.
S'y terrent des démons incarnés et les ombres des victimes qu'un lien occulte
rattache à leurs assassins...
Au moment de l'agonie, quand l'être revit brièvement les séquences essentielles
de sa vie, mais à l'envers, l'ombre se détache. Et cette régression
cinématographique est l'adieu du mourant à son ombre. Dès lors, l'entité se fait
spectre, fantôme. L'agonisant vient d'abandonner au néant l'une de ses
enveloppes, celle qui a enregistré sa vie utilitaire. Aux enfers, sous l'action
du tellurisme, l'ombre perdra peu à peu cette mémoire. En buvant au fleuve
Léthé, disaient les Grecs, les morts oublient tout... C'est la décomposition
mentale de l'ombre qui se déroule alors.
En résumé, ka et shout sont des prolongements de l'état humain et non l'âme -
insistons-y encore! Deux entités géocentriques, l'une reliée au magnétisme qui
la nourrit et, à la mort (la seconde mort) l'absorbera; l'autre, reliée au
tellurisme souterrain qui la nourrira de même pour l'absorber finalement, sauf
si elle erre ou possède un être faible, névropathe. Un choc passionnel peut
aussi lui avoir donné une cohésion anormale suicide ou crime par exemple. D'où
les maisons hantées. Et la momification, ritualisée ou non, la maintient
cohérente aussi. Si le ka marque un degré vers l'absolu, shout, elle, ne mène
qu'au néant, qu'à l'illusion.
Démoniaque après la mort, elle joue un rôle positif durant la vie en tant que
prise de terre ou aimant du tellurisme, mais à travers khaïbit, celle-ci est à
la fois corps d'aither et intelligence organique. Nous allons l'évoquer. Le
tellurisme se capte par des centres psychiques (chakram) de la plante des pieds
et du cou-de-pied. L'énergie monte, au prix de crampes, en suivant le nerf
sciatique et les vaisseaux de l'acupuncture, gagne le dos puis la tête, jusqu'au
front (d'où le pouvoir hypnotique). Certains sorciers noirs la captent par les
chakram des mains et du poignet en tenant des serpents. L'absorption se fait par
osmose, en direction du dos. Les anciennes prêtresses crétoises pratiquaient
aussi cette magie du python. Elles en tiraient un pouvoir de suggestion sur la
foule et un pouvoir de guérison : le tellurisme dissout la " sclérose psychique
" qui, si souvent, se répercute en maladie. L'homme qui a une ombre saine
n'attire pas les névrosés... Il attire au contraire les gens efficaces et
stimulants. Et son ombre le réveillera, " par hasard ", à l'heure fixée par lui,
sans réveille-matin!
Des égyptologues dont Enel confondirent shout et khaïbit parce que le même
idéogramme de la silhouette noire les caractérise. Mais khaïbit s'accompagne de
trois abeilles (bit signifie abeille). Or l'abeille est une tisseuse de
cellules. Khaïbit est donc l'abeille organique, tisseuse de cellules, qui assure
à notre insu le fonctionnement organique. Elle est une intelligence organique
autonome par rapport au moi et aux autres niveaux d'existence et s'enrobe du
corps d'aither, armature subtile du corps physique. Pour l'alchimiste, celui-ci
est un athanor intérieur au sein duquel s'accompliront ses métamorphoses. Et
khaïbit est l'"âme du corps". Ni mystique, ni affective, ni passionnelle, elle
manifeste sa vitalité par la sensibilité sensorielle, plus intense hors du
corps.
Sur cette sensibilité du corps d'aither, prendra donc appui l'alchimiste. Son
vrai laboratoire. L'œuvre extérieure s'y réfléchira. Son but véritable n'est pas
tant de transmuter le plomb ou le mercure en or, mais bien de sécréter en
soi-même l'or potable... De façon un peu semblable, certains guérisseurs
ressentent, réfléchis sur leur corps d'aither, les symptômes du mal de leur
consultant. Pour de tels êtres, le vrai corps n'est plus le corps biologique,
mais son armature subtile.
Mise à part l'iconographie funéraire, les documents égyptiens n'insistent pas
sur khaïbit. En principe, elle meurt avec le corps. Il se peut toutefois que
shout, à défaut du corps, tente après la mort de l'être terrestre de s'appuyer
sur elle en la maintenant dans un état de vie larvaire. Cela expliquerait la
confusion entre shout et khaïbit, faite par nombre d'égyptologues. Les deux
entités fusionneraient dans une certaine mesure pour échapper au néant. Les
alchimistes chinois prétendaient du reste se survivre sur ce plan para-terrestre
immédiatement parallèle, le corps d'aither se substituant au corps biologique.
Mais, en leur cas, à la suite d'une très longue ascèse, ce corps d'aither avait
été réélaboré et rendu ainsi autonome. En Égypte, cette pseudo-survie de khaïbit
demeure morbide. Le cas est exactement à l'inverse du cas de l'alchimiste
chinois puisque les éléments inférieurs sont finalement détachés de l'esprit.
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Idéogramme et |
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de SHOUT |
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de KHAÏBIT |
Le BA survolant |
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L'étrange vie latente de certaines momies trouvera un commencement d'explication
en fonction de ce qui précède, avec les faits divers qui s'y rattachent. L'un de
ces faits fut consigné dans le journal personnel d'un pianiste lyonnais renommé,
artiste qui se produisit en Égypte et, aussi, dans des sanatoria de France. Dans
l'un, il fut reçu par le médecin-chef qui, lui faisant les honneurs de son
appartement, lui montra dans une vitrine une main de momie. Cette main, le
docteur l'avait arrachée à une momie du Musée du Caire. Quelques années plus
tard, revenant au même sanatorium, l'artiste y vit un autre médecin-chef. Il
s'enquit du précédent et apprit qu'il avait perdu la main droite. Si, en ce cas,
joua le phénomène magique de la répercussion, il n'aura pu se produire que par
le truchement d'une khaïbit soudée à l'ombre shout. Seule, celle-ci ne saurait
agir sur un plan direct, seulement sur le plan passionnel en provoquant des
faits d'apparent hasard. C'est khaïbit qui tient les commandes du corps. Mais
comment la définir? En la cernant. De menus faits contribueront à la mettre en
évidence.
Le cas, par exemple, du mutilé qui continue de loin en loin d'être sensible dans
son membre absent... Ou celui de l'anesthésié au corps dépourvu de toute
sensibilité, celle-ci extériorisée ou endormie. Les occultistes affirment que
chaque organe possède sa contrepartie aithérique, semi-autonome, ce qui pourrait
expliquer les anesthésies locales. On sait' que les acupuncteurs chinois
produisent l'anesthésie sans drogue. Ils atteignent la sensibilité, donc le
corps d'aither, par l'action des aiguilles, provoquant une scission temporaire
entre corps sensible et corps biologique. Quant à l'action des rebouteux,
héritiers des lointains sorciers tribaux, action sur les os, les articulations
et les tendons, parfois à effet instantané, n'est-ce pas de corps d'aither à
corps d'aither qu'elle se noue? Par répercussion sur le physique s'effectuera la
guérison ou la remise en place des os. Le magnétiseur, très distinct du
rebouteux, ne manie pas les mêmes énergies et n'agit pas sur le même niveau
d'existence. Il traite le ka par magnétisme. Nombre de maladies plongent leur
racine dans le ka parce qu'elles sont des maladies mystiques ou affectives ou
parce qu'elles traduisent un conflit du moi avec sa nature profonde, contenue
dans le ka. L'extériorisation de la sensibilité, partielle au moins, a été
maintes fois expérimentée, et nous y avons fait allusion à propos de
l'envoûtement. En Afrique noire et, même, dans certaines de nos campagnes, la
tradition villageoise évoque le dédoublement total du sorcier ou de la sorcière.
Le corps en catalepsie, insensible, il ou elle se projette au loin et fixe son
corps d'aither sur un animal, chat, loup, lion (la tradition prétend abusivement
que le corps d'aither prend la forme de l'animal). Toute blessure faite à
l'animal support se répercutera sur le corps endormi. Les Africains noirs
cultivent en des sectes très fermées un jumelage par le corps d'aither entre
l'homme et un animal déterminé. Des rites et l'échange d'une goutte de sang
entre l'enfant et un petit animal conditionneront ce jumelage. L'homme
ressentira alors ce que ressent l'animal et, peut-être, inversement. L'Égypte
pratiqua aussi ce totémisme singulier mais avec une espèce animale et non un
animal en particulier. Le cas des prêtresses de Bastît (déesse à tête de
chatte), liées à l'âme collective des chats. Du moins y a-t-il lieu de le
supposer. Ce culte était à double face. Il s'adressait à la déesse de la
vitalité, symbolisée à la fois par Sekhmet (à tête de lionne) et Bastît, l'une
régissant la vitalité sanguine, l'autre, la vitalité érotique. Les Égyptiens
croyaient, comme maints autres peuples (Amérindiens, Thibétains), que l'homme
tire la quintessence de sa vitalité du Zodiaque dont le cœur était, pour eux, au
signe du Lion. A cet égard, le nom égyptien du Sphinx est explicite: shesep-ankh
(image ou statue de la vie). Le cœur du Zodiaque capitalise toutes les énergies
zodiacales; et, entre " cœur du ciel " et cœur humain, les Égyptiens voyaient un
rapport d'analogie. Du Zodiaque, le sang tirerait donc son aura qui le
spiritualise, et l'énergie sexuelle aussi. D'un autre côté, le jumelage avec
l'espèce féline équilibrait la courtisane, prêtresse de Bastît, tout en
multipliant sa fascination et sa maîtrise érotique. Il l'équilibrait parce que
le chat, animal mystérieux, capterait la force cosmique du Lion. Du reste, les
courtisanes de Bastît, dont le temple était une annexe du temple de Ptah, ne
concernaient que les futurs prêtres-magiciens, ceux pour lesquels elles
faisaient fonction d'épreuve initiatique. Dans un premier temps, ils subissaient
la fascination et par conséquent une vampirisation de leur potentiel érotique,
absorbé, même sans contact, par la prêtresse. Dans un second temps, ils
brisaient le miroir de la fascination; l'évaporation de leur énergie cessait
aussitôt; puis l'énergie s'intériorisait et remodelait le corps d'aither, y
stimulant des sens endormis. Le conte de Satni-Khamouast et les momies relate la
dialectique d'un futur magicien avec une prêtresse de Bastît. Un jumelage non
moins insolite existait entre la confrérie des prêtres-guérisseurs de Sekhmet et
l'espèce du lion, semble-t-il. Mais eux agissaient sur la vitalité sanguine.
Sekhmet étant une "banque du sang" dans sa quintessence cosmique, ils traitaient
l'anémie par une sorte de transfusion de fluide sanguin, à la manière du
guérisseur (qui manipule, lui, l'énergie magnétique) ou en faisant dormir le
malade dans une crypte déterminée.
Certaines circonstances peuvent agir sur le corps sensible sans toucher le corps
biologique sinon à retardement. L'angoisse provoquera comme un gonflement dans
le ventre, causé par une énergie hostile, extérieure. Si celle-ci n'est
résorbée, elle montera vers la gorge, telle une vapeur, puis même dans la tête.
L'analyse des sensations permet de localiser ses épicentres. Curieusement, ce
mouvement permet aussi d'empêcher le phénomène aithérique de se répercuter en
phénomène biologique: diarrhée, nausées, étourdissement. Les deux corps, le
subtil et l'épais (pour employer une expression de l'alchimie) sont donc bien en
étroite correspondance, quoique distincts. Citons encore le cas de ces hommes
qui savent dissocier l'érotisme et la sexualité et rejoignent un peu les
adorateurs de la déesse Bastît. Ils ne recherchent les jolies femmes que pour
fantasmer, à la rigueur pour fleureter. Au lieu de faire éclater par l'orgasme
l'énergie concentrée, ils débranchent leur sexualité, si l'on peut s'exprimer
ainsi, et laissent l'énergie se diluer au sein de leur corps d'aither. Ils
ressentent alors une euphorisation suivie d'une revitalisation. Pour eux,
l'érotisme est bien une forme de vitalité, assez proche de la vitalité sanguine.
Des femmes évoluées pratiquent le même jeu jusqu'à déclencher, à hauteur de
gorge, un orgasme. L'introversion des énergies suppose un organisme subtil en
rapport, assez proche de la matière dense. En fait, il s'agira d'un corps de
matière subtile, d'un corps d'aither. L'expérimentation du dédoublement, telle
que des sorcières la relatèrent à des inquisiteurs, apporte une autre preuve à
la théorie de khaïbit et de son aura semi-matérielle. Après s'être enduites
d'une pommade dont elles révélèrent la formule, les sorcières entraient en
catalepsie puis se dégageaient de leur corps. Soulevées par leur ka, elles
s'envolaient (sans balai). Mais c'est par la cheminée qu'elles quittaient leur
maison parce que le corps d'aither éprouve quelque peine à traverser les murs.
Le ka des momies égyptiennes traversait, lui, les fausses portes tracées dans la
muraille, mais il n'était plus revêtu de son corps d'aither.
Une certaine introversion des énergies se produit obligatoirement en cours de
sommeil puisque alors ces énergies ne sont plus aspirées par le monde extérieur
des projections. L'introversion sera anarchique ou ordonnée. Or, ceci pose le
problème de l'anatomie du corps d'aither. L'énergie peut être absorbée
empiriquement par celui-ci comme par une éponge; elle pourra aussi être
canalisée. Or, dès l'Antiquité, les Chinois ont mis en évidence l'existence d'un
" corps sensible ", émaillé de points cutanés bien définis, fixes en somme, qui
sont en relation avec un organe mais en toute absence de nerf ou de veine ou
artère. " Lorsqu'il y a excès de plénitude d'un organe, écrit le Docteur Albert
Leprince '9, on disperse l'énergie en piquant des points cutanés bien définis.
Quand, au contraire, il y a déficience, on tonifie par l'acupuncture d'autres
points antagonistes. Pour tonifier, on emploie des aiguilles en métaux jaunes
(cuivre ou or); pour disperser, on utilise des aiguilles en métaux blancs
(argent, acier). " Et il ajoute: " L'acupuncture chinoise porte donc sur des
points cutanés bien déterminés, suivant l'affection et l'organe en cause. Or, en
étudiant les points, les anciens Chinois s'aperçurent, en effet, que lorsqu'un
organe était troublé, toute une série de points, toujours les mêmes, devenaient
douloureux. Quand on presse ou pique un de ces points, le malade " sent passer
quelque chose " le long de la ligne des points, toujours dans le même sens. De
là l'idée de réunir ces points entre eux. On obtient ainsi des lignes de
sensibilité sur lesquelles s'étagent les différents points relatifs à chaque
organe : ces lignes ont été appelées méridiens. " A ces méridiens au nombre de
douze, s'ajoutent deux vaisseaux: le Tou-Mo qui part du coccyx, suit la colonne
vertébrale et le crâne pour aboutir au milieu de la lèvre supérieure (il a
vingt-huit points d'acupuncture) et le Jen-Mo qui commence au pubis et s'achève
sous la lèvre inférieure (avec vingt-trois points). Khaïbit possède donc bien
une armature, une anatomie. Et l'expérience prouve que les épreuves de la vie,
positives (joies) ou négatives (chocs moraux) agissent par contrecoup sur le
mouvement des énergies qui peuvent alors s'accumuler localement en énergies
stimulantes ou perverses.
De son côté, l'Inde antique connut aussi une anatomie du corps d'aither, tirée
de l'expérience du yoga. Le tantrisme indien et le tantrisme chinois s'accordent
à considérer les vaisseaux Tou Mo et Jen Mo comme axes de l'introversion
érotique. Mais le yoga classique fait allusion à d'autres lignes de sensibilité
qu'emprunterait une énergie rare (dite koundalini), quand elle s'éveille, l'une
reliant le coccyx au front et deux autres, symétriques et serpentines, avec le
même départ et la même issue. A ce système, l'Inde ajoute des centres de force
nommés chakram (pluriel de chakra) qu'un choc extérieur pourra faire vibrer et
qui relient le corps d'aither aux glandes endocrines. Les chakram seraient par
ailleurs susceptibles de servir d'aimants à des énergies cosmiques et
telluriques. La symbolique égyptienne confirme assez celle de l'Inde à propos de
koundalini : avec le djed, colonne vertébrale d'Osiris, dont un simulacre était
rituellement dressé lors de certaines cérémonies, et avec la tête de cobra d'or,
fixée au front du pharaon. Le chakra supérieur (lié à la glande pituitaire,
reine des glandes endocrines) était figuré par une fleur épanouie sur le crâne;
le chakra de gorge, par ce collier de forme insolite que le pharaon arbore sur
certains bas reliefs et que la déesse Hathor, debout devant lui, touche
délicatement (elle stimule le chakra); le scarabée que l'on portait en sautoir
ou que l'on posait sur le cœur des momies se rapportait sans doute au chakra du
cœur; sa formule gravée était censée exprimer le nom secret de l'individu, ce
nom magique qui relie entre eux ses différents niveaux d'existence; le pénis
dressé au milieu du ventre du dieu Min (et non à sa place naturelle) coïncidait
avec le chakra du ventre qui gouverne les passions; il sous-entendait aussi la
sublimation ou intériorisation de l'énergie sexuelle, en sa quintessence
érotique. A noter qu'à l'inverse de l'Inde, l'Égypte n'attribue qu'au seul
pharaon l'éveil et la montée de koundalini, énergie divine par excellence et
justification suprême du droit royal. Il reste probable cependant que la secrète
ascèse liée à la maturation de koundalini n'ait pas été vécue par le pharaon
lui-même, mais plutôt par son " frère électif ", l'éminence grise, l'initié à
l'ésotérisme royal. Indépendant des temples, ce personnage était parfois jalousé
par les chefs du clergé officiel. On suppose néanmoins que Toutankhamon incarna
directement l'énergie en question, ce qui aiderait à comprendre l'ampleur du
mythe qui s'attacha à son nom, dans les temps modernes.
Les circuits subtils de l'acupuncture et ceux de koundalini semblent distincts.
Il faut dire que le corps aithérique possède une double orientation. En étroite
correspondance avec le corps biologique par le relais surtout des glandes
endocrines, il l'est aussi avec les autres niveaux d'existence, shout et le ka,
qui influencent ses points sensibles. Quoique de nature différente, ces niveaux
ne peuvent être dissociés. La même essence abstraite les anime.
Comme le ka et shout, khaïbit influence les rêves, mais dans un sens platement
biologique. Si l'on dort le nez à demi bouché, on risquera de rêver
d'étranglement... L'alchimiste accorde à ces indications oniriques autant de
valeur qu'à celles émanées de son ka. Il saura ce qui se trame dans son athanor
intérieur! Il saura surtout si l'œuvre extérieure, en laboratoire, se répercute
en lui-même ou non.
Khaïbit, insensiblement, nous aura donc mené à l'alchimie.
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