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B E R N A R D |
Jean Louis Bernard
La science occulte égyptienneSekhem Kaï, le scribe accroupi
De la danse à l'errance au sein du labyrinthe
De la danse à l'errance au sein du labyrinthe
Un yoga théâtral peut-il vraiment commander l'envol du moi et son absorption par
le ka? C'est l'opinion de quelques acteurs dont Alain Cuny qui nous raconta
semblable expérience non provoquée - et comment la provoquerait-on? Il jouait
comme chaque soir non sans un certain automatisme, dû au grand nombre des
représentations, quand il se sentit soudain hors de lui-même, hors de son corps.
Sensible malgré tout dans sa partie "rôle", et intelligemment sensible, il
flottait comme séparé. Et son être, amplifié, communiait avec l'âme collective
du public et, par-delà, avec une forme de vie universelle. Ce type d'expérience
a été décrit par les philosophes zen du Japon. Tous sont d'accord pour affirmer
qu'il est impossible de planifier cette transe. Seul un certain climat
d'harmonie entre le moi et l'ambiance la déclenchera. Et ce climat d'harmonie
n'a rien à voir avec une ascèse alimentaire, le jeûne, la privation de tabac ou
de vie sexuelle, autant d'interdictions qui ne feraient que renforcer le moi,
alors qu'au contraire il doit s'abstraire du contexte quotidien et s'accrocher à
un mythe. Le yoga du théâtre et même, éventuellement, le théâtre profane se
comparent aux mystères. Dans l'un et l'autre cas, l'acteur fait l'effort de
sortir de son moi pour entrer dans un rôle et dans un jeu dont il ne sera que le
témoin passif. Pas d'initiative!
Certains égyptologues dont le Père Biondi pensent que les mystères prenaient en
certains temples dont celui de Dendéra (temple de la déesse Hathor) la forme
d'une procession sévèrement ritualisée, avec arrêts en des chapelles. Et le
chemin de Croix du catholicisme s'inspirerait du même principe. Mais, en Égypte,
la procession restait intérieure au temple et ne concernait aucun fidèle : seuls
y participaient les prêtres et les initiés. Les processions publiques de la
barque sacrée du temple, portant une statue divine, ou celle des trois barques,
s'il s'agissait de la famille divine (Père, Mère, Fils), avaient un autre sens
et se déroulaient sur les avenues. Ce sens variait d'un culte à un autre, avec
en commun celui d'une magie collective qui se retrouve d'ailleurs dans le défilé
militaire. Des voyageurs grecs relevèrent cependant un fait insolite à propos de
la procession du taureau Apis, taureau sacré que l'on élevait dans l'annexe d'un
temple : des jeunes gens dansant et répétant des mélopées entraient en transe
publiquement et vaticinaient. Cela signifie qu'ils rendaient des oracles comme
des médiums, à travers leur ka ou à travers un autre état d'existence, shout,
l'ombre, état inférieur, que nous étudierons.
Ce dernier phénomène n'est pas sans annoncer la danse des derviches dont les
techniques de la transe menant à l'extase remontent à la nuit des âges de l'Asie
Mineure et de l'Iran. Ils forment un ensemble de sectes en marge de l'orthodoxie
musulmane, depuis l'époque du second sultan turc. En fait, des doctrines
anciennes, surtout pythagoriciennes, forment le noyau plus ou moins secret de
leur ascèse. Tous ne sont pas tourneurs, mais ceux-ci ont acquis une renommée
mondiale au festival de Konya (Turquie) où, chaque année, ils présentent leur
danse. Vêtus de blanc (le supérieur de bleu) ils tournent sur eux-mêmes, très
lentement d'abord. Puis ils passent du hiératisme à l'exaltation. La savante
position des mains les accroche au magnétisme, et leur robe flottante mime
l'envol, du moi. En certaines sectes, la transe va jusqu'à extérioriser aussi le
corps d'aither, siège de la sensibilité. Alors, les voici qui marchent sur le
feu ou se transpercent au couteau sans souffrir. Les moins exaltés recherchent
simplement l'identification au ka, à travers lequel ils pourront peut-être
accéder à l'extase. Préalablement à leur yoga de la danse, ils ont été initiés à
une ascèse d'ordre mental, héritée des pythagoriciens dont le maître Pythagore
l'avait reçue en Egypte, à l'époque où il y était prêtre d'Amon. C'est la
technique du "silence égyptien" - expression grecque. Elle consiste dans
l'arrêt total de la pensée, non de la parole! Pourquoi? Le Dieu mental que nous
tentons de concevoir et mettre en formule n'est que la création de notre
cerveau. A ce titre, il forme écran par rapport au Dieu-Esprit. Cela semble si
vrai que le Dieu unique des théologiens juifs, chrétiens et musulmans se mua
très tôt en idole monothéiste, grossie par les rites et les prières, voire par
les effluves du sang des sacrifices humains: le sang des martyrs nourrissait,
non le Dieu-Esprit, mais bien l'idole monothéiste. Et il dynamisait l'âme
collective d'une secte. Le processus est encore plus évident dans le cas des
inquisiteurs qui, au nom d'une équation mentale (la théologie orthodoxe),
ordonnaient la souffrance (elle dévitalise la victime au profit de l'idole) et
l'exécution. Plus francs, les Aztèques de Mexico avouaient que, pour grandir en
puissance, leur " dieu " avait besoin de cœurs arrachés et de sang versé. Le
théologien honnête connaîtra les limites de la théologie et son danger. Au Liban
où, aujourd'hui, se sont affrontés jusqu'au génocide les trois idoles
monothéistes (juive, chrétienne et musulmane) le penseur sagace arrive à une
conclusion tragique: le monothéisme, entreprise mentale et affective,
parfaitement arbitraire puisque l'Esprit reste inconcevable, n'aura peut-être
pas été un progrès.
Ce besoin mystique de s'abstraire du moi pour centrer son être dans le ka a été
la préoccupation de toutes les religions avant les monothéismes qui, eux,
centrèrent leur effort sur le moi. Il se peut même qu'il inspira encore
l'architecture à l'époque byzantine, si l'on en juge par une légende que
certains parvinrent à vérifier expérimentalement. Cette légende rejoint la
moderne théorie des ondes de forme. Elle s'appliquerait à la coupole et en
serait la véritable explication. Une explication dynamique... Des personnes qui
se placèrent à la verticale de la coupole de Sainte-Sophie ressentirent peu à
peu un vertige comme si un tourbillon d'énergie gravitait, non autour d'eux mais
à l'intérieur. Et ce phénomène est à rapprocher du somnambulisme, accidentel ou
provoqué (le cas des derviches en transe profonde). Le somnambule qui circule
dans l'appartement avec une tendance à monter sur le toit n'est certes pas animé
par son moi. Celui-ci dort. Ses gestes restent cependant parfaitement coordonnés
et il n'y a de danger qu'en cas de réveil brutal du moi. Qui donc alors mène son
organisme corporel sinon son ka? De nature magnétique, le ka a pour
environnement propre le magnétisme terrestre qui est aérien. D'où la tendance du
somnambule à s'élever. Les gens très profondément endormis et qui rêvent à
travers leur ka, rêvent qu'ils volent! Et le cas du somnambule expliquerait
encore la rareté des accidents chez les funambules de cirque (ils marchent sur
la corde) et les trapézistes : le ka les soutient en partie, à leur insu, tout
comme il soutient aussi les oiseaux, sans aucun doute. Le mécanisme corporel
n'explique pas tout!
La tendance du ka à s'élever sans quitter pour autant le corps, semble avoir été
maintes fois vérifiée expérimentalement. Les occultistes nomment ce phénomène
dédoublement au premier degré. Placé en transe, par auto hypnose ou hypnose
provoquée, le médium perdait conscience et l'assistance voyait une substance
spectrale, comparable à de la mousseline, qui s'exhalait de son corps et, se
matérialisant quelque peu, se condensait au-dessus de sa tête. Un visage s'y
formait, semblable au visage du médium. Ce phénomène insolite a été
photographié. Il est curieusement confirmé par un bas relief maya de Palenque.
On y distingue le roi-prêtre Pa Kall qui fut enseveli au sein du teocalli
(temple sur pyramide). Accroupi, il a près de lui un astrologue et un chamane.
Et sa tête se prolonge par une autre tête, celle à demi matérialisée de son ka,
avec une langue dessinée à hauteur de nez. Cet indicatif se rapporte au ka
puisqu'il vit au niveau des quintessences et des parfums. Autre indicatif : une
chauve-souris se tient derrière la tête dédoublée. Davantage que l'oiseau, elle
centre son être sur le ka, se guidant par l'ultrason, langage paranormal du ka.
Au second degré, le ka quitte le corps totalement, au troisième, rarissime, il
se rend visible à distance en se matérialisant à demi par le truchement de cette
"mousseline" déjà évoquée et qui ne peut être que de la matière à l'état
aithérique, prise au corps. Dès la transe, un médium sent sa température
baisser, la chaleur vitale ayant été transférée. Mais il nous faudra revenir sur
cette phénoménologie en comparant plusieurs modes de dédoublement avec leur
effet sur l'économie des énergies. Insistons sur le témoignage maya pour montrer
l'identité dans la conception de l'initiation chez les Amérindiens: pour se
rapprocher de ses dieux, le roi-prêtre Pa Kall est plongé dans l'hypnose par son
chamane, l'astrologue ayant calculé l'heure favorable. Et, comme pour le
pharaon, c'est au niveau du ka que commencera sa prêtrise politique.
Le souci de faciliter la transe et un dédoublement de premier degré inspira
peut-être, disions-nous, l'art de la coupole. Il inspira en tout cas l'art du
labyrinthe. Le terme provient de l'égyptien lop-ro-n-te qui désignait le temple
à l'embouchure du canal ", temple funéraire élevé au Fayoum pour le pharaon
Amenemhat III, près de la pyramide-tombeau de ce roi, cernée par une cité des
morts où avaient été ensevelis les courtisans. Hérodote put encore visiter le
Labyrinthe mais se vit interdire l'accès aux sous-sols. Il comprenait douze
cours, deux étages avec mille cinq cents chambres chacun et quantité d'impasses.
Ce temple était celui du ka du pharaon. Certes, tous les souverains disposèrent
d'un temple à cet usage insolite où des prêtres du ka venaient célébrer un
rituel d'entretien du spectre, mais de facture simple... Le ka ne pouvait être
perçu qu'après l'état de transe; il fallait transférer sa conscience à son
niveau. Dans les temples des dieux, le pharaon dansait pour communier avec le ka
de l'ancêtre divin (le dieu) hantant les salles. Or la marche au sein du
labyrinthe est aussi une danse! Son but: désespérer le moi qui ne pourra plus se
projeter autour de lui sinon illusoirement (pas d'issue). L'homme finira par
cheminer en somnambule, le moi s'effaçant par impuissance et abandonnant au ka
toute initiative. C'était là une manière de provoquer le somnambulisme ou, du
moins, un certain état de somnambulisme. Quel était en ce cas précis le but
recherché, sinon de faire communier le fidèle avec le ka d'un pharaon
béatifié?... Une télépathie de ka à ka.
Le même principe architectural inspirait, à la cité médicale de Pergame, en Asie
Mineure, la cure par le sommeil provoqué. Après s'être baigné à la source
sacrée, le malade pénétrait dans un souterrain de 82 mètres où se répercutait le
bruissement de l'eau de source ce qui contribuait déjà à l'isoler psychiquement.
Ce " passage sacré " débouchait, sous le temple de Telesphore (dédié au ka d'un
médecin comparable à Asclépios), sur un couloir circulaire où s'ouvraient des
chambres de sommeil. Sans doute tournait-il longuement à l'intérieur de ce
dispositif avant de s'étendre. En transe somnambulique, il percevait des voix
spectrales puis, endormi, se trouvait confronté au ka d'un médecin divinisé,
Asclépios ou Télésphore, qui diagnostiquait et prescrivait un régime.
Le labyrinthe de Chartres
Nous posions la question: l'occultisme occidental provient-il de l'ancienne
Égypte? En grande partie, compte tenu du fait que ce même occultisme plonge
aussi des racines dans les religions pré-chrétiennes du terroir, notamment dans
l'animisme, religion de la nature, auquel se juxtaposèrent le druidisme, le
germanisme puis le christianisme. Or l'animisme axe ses rites sur la nature
secrète en l'homme et hors de l'homme. Bien sûr, avec le déroulement de
l'histoire et l'éloignement de ses sources, l'occultisme se vulgarisa et
dégénéra. Que deviendrait notre science moderne si les porteurs de son génie
venaient à disparaître et si ses représentants se réduisaient à la dimension des
exécutants, appliquant simplement les recettes ?
La recherche scientifique à travers les facultés du ka et pas simplement à
travers celles du moi comme chez nous, caractérisa l'occultisme égyptien. Cette
recherche était aussi une exploration de l'homme secret, de la nature secrète,
du cosmos secret et de Dieu. Dès l'époque grecque, l'occultisme égyptien ouvrit
des cryptes-laboratoire à l'extérieur, en même temps que s'exportaient les
temples de la déesse voilée, - celle que l'on ne saurait approcher que dans le
sommeil des mystères. A l'étranger, Isis se confondit plus ou moins avec
d'autres déesses voilées, avec Demeter par exemple et Cybèle, voire Proserpine.
Ce " mouvement missionnaire ", toujours marginal, préluda avec le légendaire
Orphée qui serait venu en Egypte et y aurait été initié. On le tient pour l'un
des fondateurs des mystères grecs. Originaire de Thrace, barde, il approfondit
l'art égyptien de la musique et celui de la danse qui en est inséparable: le son
confinant à l'infra et à l'ultra vibration engendre le mouvement; et le
mouvement des astres s'accompagne de la musique des sphères! Dès l'époque
crétoise, on s'en venait en Égypte pour y apprendre musique et danse. Selon la
légende, Orphée aima une femme, sans doute égyptienne, au nom hellénisé en
Eurydice, qui mourut prématurément. Il tenta de la ramener dans le monde des
vivants, vainement. Il semble qu'Orphée et Eurydice, plongés en catalepsie dans
ces cellules à incubation comme il en exista en Abydos, au sein de l'Osiréion,
ne se soient plus retrouvés au réveil, Eurydice étant morte en cours
d'initiation.
L'influence égyptienne se propagea très tôt en Italie, bien avant que l'empereur
Caligula n'inaugurât à Rome le premier temple d'Isis : il s'agissait de l'Isis
d'Alexandrie, la cité carrefour, et l'une de ses statues, aujourd'hui au
Serapeum de la cité, a été retrouvée sous la mer, dans la partie submergée
d'Alexandrie. C'est par la partie hellénisée (Sicile et Sud) que s'implanta avec
sa gnose, l'occultisme égyptien. Cela parce que Pythagore avait fondé à Crotone,
sur le Golfe de Tarente, cité renommée pour la vigueur de ses hommes et la
beauté de ses femmes, un ashram. Ce philosophe mystique du VIème siècle avant
notre ère dont la mission sera poursuivie par Apollonius de Tyane (Ier siècle),
avait voyagé à travers l'Orient pour se fixer longuement en Égypte. Les prêtres
l'y reçurent pourtant avec réticence, aucun étranger n'étant admis en principe
dans un temple. Mais le pharaon du temps, un Amasis, très favorable aux Grecs,
le recommanda aux grands-prêtres. Après avoir été renvoyé d'un temple à l'autre
sous des prétextes fallacieux, il fut admis, ce qui revient à dire qu'il devint
prêtre : seuls vivaient au temple des prêtres. A Crotone, Pythagore hellénisera
l'enseignement reçu. Il fera pratiquer à ses disciples la technique du " silence
égyptien ", c'est-à-dire l'arrêt de la pensée. En s'effaçant ainsi, le mental
propre au moi ne fait plus écran par rapport à celui du ka. Les disciples se
vêtiront de lin comme les prêtres égyptiens et s'abstiendront de nourriture
animale. Peut-être poussa-t-il trop loin son ascèse. Les prêtres égyptiens
n'étaient pas végétariens. Et Apollonius de Tyane n'imposera jamais ce régime à
ses disciples. Le corps doit être soutenu par référence à la nourriture des
ancêtres. S'il se déséquilibre insidieusement, le psychisme se déséquilibrera
aussi. Le disciple deviendra mythomane. Il croira s'être " réalisé H et ne fera
que vivre un rêve éveillé! Dans l'ashram, Pythagore écoutera, derrière un
rideau, la confession du disciple, usage pratiqué au temple d'Amon et repris par
l'Église.
Pythagore opérera en philosophie une révolution qui scandalisera tous les
philosophes. Il substituera au concept formulé un nombre. Il voyait dans la
mathématique sacrale le fondement de l'harmonie universelle et une loi des
cycles. Son système, mal connu, s'inspirait de la Babylonie (symbole du nombre 7
- les sept jours, les sept planètes, les sept étages de la ziggourath), de la
Phénicie où naquit une cabale pré-juive '4 et d'Héliopolis (symbole du 9,
l'ennéade ou ronde des neuf dieux, issus d'un couple androgyne qui est leur
archétype). En Égypte, la mathématique sacrale, jamais utilitaire, part de
l'homme. Celui-ci est un et double (un seul individu mais deux bras, deux yeux,
deux cerveaux, etc.). Il se manifeste dans le cinq (cinq doigts). Il n'y a pas
de nombres négatifs, mais le nombre impair est le contraire du nombre-pair. Le
zéro désigne l'inexistant, donc aussi la mort (phénomène illusoire), la folie
(le fou est détaché de son principe spirituel), l'absurde... Dieu n'a pas de
nombre puisqu'il n'a pas de nom. En devenant créateur ou destructeur, il
acquiert un nom, se fait entité et prend le nombre un-deux, nombre de
l'androgynat (dieu et déesse, principe et dynamisme). Mais les genèses sont
multiples.
Quand se dispersera l'ashram de Crotone, ses éléments se regrouperont à Naples
qui sera, jusqu'à la fin de l'Égypte et au-delà, l'autre pôle d'Alexandrie. L'École
de Naples deviendra en Europe une tête de pont de l'hermétisme, de l'alchimie et
de l'occultisme à l'égyptienne. La cité sera le relais des initiés des divers
temples de l'Orient, tel Plutarque (1er siècle de notre ère) qui ira à Rome
donner des conférences sur la philosophie de Platon et les mystères égyptiens. A
Rome, s'édifiera une basilique pythagoricienne. Plutarque entretenait une
correspondance avec des initiés de Grèce, d'Italie et d'Égypte où il avait
composé son célèbre traité d'Isis et d'Osiris. En Béotie, il anima un groupe
occultiste dont sa famille constituait le noyau. C'est par lui essentiellement
et par le voyageur Hérodote que les érudits connaîtront l'ancienne Égypte avant
Champollion, avec le risque de s'égarer dans le labyrinthe des livres
hermétiques. Pythagore avait compris ce risque puisqu'il préconisera le "
silence mental ". Et Porphyre, au me siècle de notre ère, préférera les rites
secrets à la méditation des théogonies. Pythagore déjà, sous l'influence des
temples égyptiens, donnait une priorité à ce genre de culte intime. Pour lui
comme pour Porphyre, l'essentiel réside dans un contact supra-normal par le
rite, avec des émanations divines, non dans un contact intellectuel avec des
idées. Mais cette voie est aussi semée de pièges car nombre d'entités du
supra-normal sont sans essence : des masques creux! Quand, avec le
christianisme, les temples égyptiens devront peu à peu fermer leurs portes,
leurs rites ne disparaîtront pas totalement; il en restera quelque chose dans
l'École de Naples. Ce qui explique qu'au XVIIIe siècle, Cagliostro pourra encore
s'en inspirer pour créer à Lyon son fameux rite égyptien, dit de Memphis-Misraïm
(Memphis d'Égypte), toujours vivant au sein de la Franc-Maçonnerie. Par son
annexe romaine, l'École de Naples avait déjà préparé à leur voyage en Égypte des
empereurs et hauts dignitaires dont Hadrien qui eut d'ailleurs Plutarque pour
précepteur.
Avec la Renaissance, l'École s'implanta dans les cités italiennes de Toscane,
influença à la fois le Père Athanase Kircher, un jésuite qui, à Rome, tenta un
premier déchiffrement des hiéroglyphes, le pape Alexandre VI Borgia qui lança la
mode architecturale de l'obélisque, et ce bizarre capucin de Palerme qui
momifiait les cadavres des riches Siciliens en se référant à l'Égypte. Quand,
sous François Ier, Lyon deviendra la ville italienne du royaume, l'École suivra
la soierie, préparant ainsi la voie à Cagliostro. Il en restera quelque chose
dans l'âme de la cité, ce qui pourrait expliquer les vocations respectives de
l'Abbé Lacuria, prêtre lyonnais et pythagoricien qui basait les Harmonies de
l'Être (titre de son oeuvre) sur la loi des nombres, et d'Alexandre Varille,
égyptologue lyonnais dont les thèses ésotériques provoquèrent une querelle au
sein de l'égyptologie.
Toutefois, l'occultisme égyptien proprement dit, c'est-à-dire la science
mystique de l'hypnotisme et du magnétisme ne chemina pas de bouche à oreille à
la façon des doctrines, ou de société secrète en société secrète avec les rites.
Elle chemina souterrainement, au sens propre, car tributaire des temples à
incubation. Dans leurs cryptes souterraines s'opéraient en effet les mises en
sommeil initiatique. Or, comme le sommeil thérapeutique, l'occultisme se base
sur l'extériorisation du ka, qu'il provoque par l'hypnose ou l'auto hypnose.
En fait, l'incubation poursuivait trois buts qui ne se confondaient
qu'occasionnellement : l'initiation par identification au ka, l'oracle, celui-ci
délivré au ka extériorisé par une apparition spectrale, la guérison par une
confrontation semblable, de ka humain à ka divin, le second donnant un
diagnostic et un régime. En Grèce, deux temples étaient célèbres quant à la
guérison par l'incubation : celui du Pergame (Asie Mineure), déjà évoqué, et
celui d'Épidaure (Europe). On ne sait pas vraiment comment les consultants
étaient projetés en état second. Des médecins supposent à Épidaure l'emploi de
drogues, car des fleurs de pavot sont sculptées au plafond du Tholos, bâtiment
annexe qui comportait un labyrinthe souterrain en trois cercles concentriques
reliés par des portes basses. La déambulation provoquait alors certainement un
état second, somnambulique, après transe. Mais s'il y a drogue, au sens moderne
du terme, la déambulation ne mènera pas au dédoublement naturel (le moi absorbé
par le ka) mais vers l'euphorie et le rêve narcissique. Si les médecins
d'Épidaure ont utilisé des tisanes de pavot, cela aura été plutôt en vue
d'anesthésier un malade à opérer. Car les deux médecines coexistaient dans le
temple d'Asclépios et autour, la positive prenant peu à peu le pas sur
l'initiatique qui déclina pour des raisons inconnues. Les encens contribuaient
néanmoins à créer une ambiance chargée, engourdissant le moi au profit du
double. " Il faut être pur pour entrer dans ce temple parfumé d'encens, dit une
inscription, et pour être pur, il faut avoir des pieuses pensées. " Parfumé
d'encens... L'expression est à relever. Quant à la pensée utilitaire, elle
s'éteint d'elle-même au fur et à mesure que s'exalte le ka. Des visiteurs, à
peine entrés au temple, étaient saisis d'extase devant la statue du dieu
Asklépios, assis sur un trône et s'appuyant d'une main sur son bâton et de
l'autre sur un python. En cet état, le visiteur se racontait, mais en fonction
d'une autre longueur d'onde: son ka s'exprimait! Ceux qui dormaient voyaient le
dieu dans leur sommeil, et la vision s'accompagnait de fièvre. En somme,
l'ambiance provoquait l'auto hypnose. Resterait à déterminer la nature du
spectre onirique. Un phantasme? Mais un phantasme ne produit aucun effet
positif. Alors, le ka d'un initié grec des anciens temps? Quand ce ka
s'éteindra, les miracles d'Épidaure cesseront.
A Lyon, durant un temps, les cercles spirites captèrent le ka du Curé d'Ars dont
le corps s'est spontanément momifié. Puis le phénomène tourna à l'imposture
supra-normale. Le même phénomène se reproduit aujourd'hui avec le ka du Padre
Pio. Avec le temps, le ka se détache de l'Esprit pour devenir coque vide.
En Égypte, les temples à incubation, dits " temples guérisseurs ", étaient
nombreux. Il y avait l'oratoire du temple de Deir el-Bahari, au temple funéraire
de la grande reine Hatshepsout, où des faits insolites ont été encore signalés :
par exemple, le cas d'une statuette souvenir d'Anubis, perdue par un visiteur,
et qu'il retrouva dans une chapelle, près d'une image d'Anubis. A Dendera,
certaines salles devinrent de vrais sanatoria. On utilisa, toujours dans le même
but, les sous-sols du Serapeum de Memphis, tombeau des taureaux momifiés, et le
mastaba du sage Imhotep, non loin de là. A l'époque romaine, les malades y
affluaient comme à Lourdes, et l'auteur grec Lucien, un sceptique pourtant, y
fait allusion. II cite le cas d'un jeune homme malade que sa mère accompagne au
mastaba. Tous deux y dorment, et le ka d'Imhotep leur apparaît en vision sous
l'apparence d'une silhouette blanche tenant un livre. Le fils et la mère ont une
forte fièvre mais se réveillent soulagés. Ce mastaba de l'architecte médecin
Imhotep, auteur de la pyramide à degrés, disparut à l'époque chrétienne, sans
doute détruit par les fanatiques. Et le tombeau d'Imhotep est devenu
introuvable. En Abydos, c'est l'oratoire du dieu Bès, un dieu nain fils de
Bastît, qui présidait à l'incubation. Et, à Canope, le temple guérisseur d'Isis
fut remplacé par l'église des Évangélistes quand le patriarche Cyrille, ardent
destructeur de temples égyptiens, y fit inhumer les corps de Saint Cyr et d'un
Saint Jean. La foule transporta l'ambiance insolite du temple dans l'église, la
seule au monde, peut-être, qui perpétue la tradition de l'incubation.
Mais l'incubation et ses techniques qui attirèrent d'un temple à un autre les
occultistes, surtout hypnotiseurs et magnétiseurs, exista en des points du vieux
monde fort divers, et si un lien avec l'Egypte peut être supposé, ce lien ne fut
souvent tressé qu'à la faveur de l'unité romaine. Le cas à Grand, petite cité
des Vosges, jadis considérable. Son nom (le d est en trop) dérive de Grann, dieu
gaulois romanisé en Grannus, dieu guérisseur comme Asklépios, en Gaule du
Nord-Est et en Scandinavie. Longtemps noyée dans l'impénétrable forêt vosgienne,
la bourgade gauloise connut une période de splendeur sous les Antonins quand
Rome, ayant fondé la cité de Trèves, base de sa domination sur la Germanie
occidentale, acheva ainsi son axe Rhône-Rhin dont Lyon était l'autre pôle.
Jusque-là, Grand celtique devait son mystère à son isolement (la forêt sans
sentiers) et à son caractère tabou : un sas ouvert sur le supra-normal comme
Brocéliande en Bretagne, autre sas car au sein d'une forêt aux fées. La route
romaine respecta les mystères de Grand et, même, les incorpora à la spiritualité
de l'empire, malgré l'âpre résistance que lui avaient opposée les tribus.
Grannus était à double face puisque régissant la guérison et l'oracle avec pour
commun dénominateur le sommeil léthargique du consultant. Ouverte en clairière
isolée, entre le territoire des Leuques et celui des Lingons, peuples celtiques,
la station attirait donc deux clientèles différentes. Le consultant endormi
voyait le dieu ou percevait sa voix en ultra ou infra-vibrations, et le dieu
diagnostiquait ou prophétisait. Au IVème siècle, si nous en croyons l'écrivain
Alexandre, le futur empereur Constantin vint consulter l'oracle de Grand. Il
guerroyait alors dans les régions gauloises contre des compétiteurs. Il désirait
être reconnu par l'oracle comme l'avait été Alexandre le grand par l'oracle de
l'oasis d'Amon, dans le désert égyptien. Autre visiteur illustre, deux siècles
plus tôt : Caracalla. Né à Lyon, donc imprégné par l'ambiance des mystères
gaulois, il était le fils de l'empereur Septime Sévère et de sa seconde femme,
Julia Domna, une Syrienne d'Emèse, fille d'un prêtre du Soleil, femme
exceptionnelle. Très mystique, c'est elle qui fit récrire la vie du thaumaturge
grec Apollonius de Tyane. Une pièce de monnaie romaine, à l'image de celle-ci,
est exposée au musée d'Épinal. Quand son fils mourut assassiné, elle se laissa
mourir de faim. Caracalla qui fit élever un temple à Apollonius, à Tyane (Asie
Mineure), souffrait de crises d'épilepsie. Selon l'écrivain Dion Cassius, il
visita les temples guérisseurs pour y chercher la guérison " du corps et de
l'âme ".
En 1967-1968, au fond d'un puits de la cité gallo romaine de Grand, les
archéologues retrouvèrent un zodiaque sur plaques d'ivoire combinant la
symbolique classique (moderne), grecque et égyptienne. Il provient manifestement
d'Alexandrie. Un astrologue ou médecin astrologue du Serapeum de cette cité le
transportait avec lui, en tant qu'instrument de travail, quand il vint dans les
Vosges, à Grand dont le renom avait rayonné jusqu'en Égypte grecque. Ce zodiaque
consiste en une double plaquette d'ivoire de 19 cm sur 14. Il se pliait donc
comme une double page. Le visiteur peut le voir au musée d'Épinal. Un second
exemplaire, identique, se trouverait au musée de Saint-Germain-en-Laye. Sur l'un
et l'autre figure un zodiaque complet avec des traces de couleurs jaune, noire
et or. L'ensemble forme quatre régions concentriques. Au centre, le Soleil et la
Lune, en visages humains. Autour, le zodiaque classique puis des chiffres grecs
qui se rapportent au domaine des planètes dans chaque signe, selon le système
égyptien. On y pressent l'influence d'Eudoxe qui, au IVème siècle avant notre
ère, avait suivi à Memphis les leçons du prêtre-astronome Chonouphis et traduit
en grec un traité sur le "cours des cinq planètes". En cercle extérieur, les
trente-six décans sont représentés en divinités égyptiennes. Chaque décan
s'accompagne de son nom grec. L'usage des décans provient de l'Égypte, d'où leur
représentation en divinités égyptiennes. Le ciel se réglait comme les saisons :
trois décans par signe, trois saisons dans l'année (inondation, semailles,
récolte). L'art de tirer des horoscopes, art non égyptien, provenait de
Babylonie et ne s'implanta dans les temples du Nil qu'à l'époque grecque,
peut-être déjà sous le Nouvel Empire, à cause des liens étroits que le pays
entretenait alors avec la Babylonie. Le Zodiaque de Dendera date des Ptolémées,
quoique intégralement égyptien. Il se compare parfaitement au Zodiaque de Grand.
C'est en magie et en médecine magique que le décan jouait son rôle. Il figurait
le dieu personnel, celui qui présida à la naissance. L'homme malade, déprimé ou
envoûté était coupé de son dieu natal... Avant le traitement par l'incubation,
une date devait sans doute être calculée en fonction du décan du consultant. Si
le médecin-astrologue d'Alexandrie emporta avec lui un jeu double de son
zodiaque, c'est que celui-ci avait à ses yeux une importance capitale.
Ce cheminement, des cryptes du Serapeum d'Alexandrie où se pratiquait aussi
l'incubation, en direction des cryptes de Grand, illustre la marche discrète de
l'occultisme. Et, si les praticiens usaient de l'astrologie, il semble certain
qu'ils usaient parfois de passes magnétiques pour faire sombrer le malade dans
la léthargie, voire la catalepsie. Par la manipulation, on extrayait le ka de sa
double enveloppe, charnelle et aithérique.
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